14.9.08

Quand la pédagogie n'est pas une science, mais un humanisme

Bruno Roy, ayant pris connaissance du billet que j'ai signé plus haut et plus tôt aujourd'hui, m'adresse un courriel que j'ai demandé à publier, à titre exceptionnel, parce qu'il contient matière à réflexion, voire à inspiration pour ceux qui font le beau métier d'enseigner. Il m'y autorise et je l'en remercie de tout coeur.

C'est intégral, trucs personnels et tout: écrire une lettre, c'est vraiment comme baiser, y a des quickies sur le bord du bureau et des caresses sur vélin qui durent jusqu'à l'extinction des chandelles et le monde entre les deux, et parfois des préliminaires, parfois du cuddling, parfois fuck all that, tout dépend du message et du désir, de ce qu'on veut offrir et prendre.

Quand y a des préliminaires, faut montrer la scène au complet, sinon la pénétration décontextualisée opère un glissement de sens, et on n'a pas le temps de se mettre en oeuvre assez pour venir quand c'est le temps, le film est fini et y aura pas de rencontre. Je sais pas si la plupart des gens comprennent, ou sentent à tout le moins, comment un texte est bâti. Probablement pas plus que je sais ce qu'il y a derrière le gypse de mon bunker. À l'école, on apprend les notions de plans, d'exposition et de noeud et de conclusion, puis on analyse des poèmes, des chansons , des films, pour étudier leur mécanique. Mais un auteur aguerri comme Bruno ne fait plus rien de ça avant d'écrire une lettre: ce qu'il fait, il ne s'en aperçoit même pas, c'est structurer son texte à mesure qu'il s'élabore et s'assemble dans sa tête, quelques lignes à l'avance comme une émission en direct moins sept secondes, le temps pour le censeur de couper si quelqu'un dit Stéphane Dion ressemble à la bite de Chrétien quand il sort de l'eau froide, un peu aussi comme les différents angles de vue qui s'offrent au réalisateur en simultané, parmi lesquels il pige et choisit et compose une émission. Non, les gens savent pas, et nous ignorons qu'ils l'ignorent, d'où les Hymalayas d'incompréhension et de malentendus qui s'empilent et se bousculent.


Christian,

J'en ai encore des frissons. Le boomer que tu aimes est ému. Profondément. Touché jusqu'à l'os. J'ignorais ce que je représentais pour toi, alors que tu étais ti-cul dans ce collège où ce sont les profs qui faisaient la différence, non la pédagogie du milieu. Certes, tu me l'as déjà rappelé. Mais cette fois-ci, même si chez moi, le souvenir est réel mais vague, j'ai souvenir de t'avoir dit « Tiens ! On a le même nom... » Aujourd'hui, nous pratiquons le même métier, celui d'écrire. C'est comme si à l'époque, nous nous étions reconnus. Ainsi que tu le dis, tu « devais toujours envisager cet ours d'homme en contre plongée » Petite anecdote. J'ai longtemps fait des camps de vacances. Un jour, un campeur dont je me souviens du prénom, Gary, m'avait dit : « Ton visage est une forêt dans laquelle il y a un ours. » Voici que l'ours persiste dans la représentation qu'on se fait de moi. Ton texte dit que j'ai « le regard doux » de ceux « qui n'écoeurent pas ».

Lorsque j'enseignais, j'avais cette douce volonté de dire ce que je pensais en sachant parfaitement − à ta manière d'écrivain allais-je découvrir − que je soulevais des débats. Je provoquais mes élèves de 5e secondaire en partageant leur vivacité intellectuelle car, ils savaient d'instinct, comme ton premier contact avec moi, que mon dire n'avait rien de doctrinaire. Persuadés que mes élèves ne sont pas dupes, je me devais de ne pas faire semblant. C'est probablement ce que tu as deviné puisque, contrairement aux adultes qui savaient en profiter, je ne te rendais pas nerveux. Avec mes élèves, je ne négociais rien, je transmettais une vision des choses jamais neutre et qu'ils avaient droit de réfuter. J'ai toujours conçu mon enseignement comme une tâche de transmission de la culture. Tant au plan humain qu'au plan pédagogique, je me sentais responsable de cette transmission. Responsable et passionné. Aucun doute. Je n'ai jamais « anonné » mon cours. Par ailleurs, j'ai toujours été convaincu que le bon élève est celui qui est disposé à se laisser surprendre, à se laisser étonner, déjà disponible à ce qu'il veut devenir un jour. Permettre la découverte, voilà ce qui m'animait. Et qui, en fait, était la découverte de lui-même.

En lisant ce que tu m'as écrit, tu me rappelles qu'une dizaine d'élèves du Mont-Saint-Louis à qui j'ai enseigné ont publié principalement des recueils de poésie. Carle Coppens, Cynthia Girard, Sylvain Campeau, Frédérique Marleau pour ne nommer que ceux-là. Bien que je ne t'aie jamais enseigné et compte tenu de ce que tu m'as écrit aujourd'hui, je vais te considérer de la « gang » de mes anciens étudiants. Sache, toutefois, que c'est plus pour me glorifier que par reconnaissance.

Je veux te remercier d'avoir pris le temps de lire mon dernier bouquin « du boomer qui n'a rien de l'esprit haïssable qui corrompt toute histoire que cette engeance touche. »

Je t'embrasse.

Bruno

18 commentaires:

Gaétan Bouchard a dit...

C'est touchant.

Et ça va droit au but.

Merci.

Mistral a dit...

So cool. Ché pas pourquoi, chuis pas surpris que tu sois le premier èa commenter celui-lèa.

Bon, vla les accents qui crissent leur camp...

Venise a dit...

Peut-être parce que ce sont les accents de vérité qui les ont remplacés.

Ça fait du bien d'être émue. Si un tel regard qui pousse sur ceux qui veulent grandir pouvait donc se faire contagieux.

Yvan a dit...

Straight from the heart, to the heart.
Précieux et sans prix.

Mistral a dit...

N'est-ce pas?

Faudrait diffuser ça plus largement, me semble. Les passages pédagogiques. C'est pas du génie de fonctionnaire, c'est du génie humain ordinaire, qui a fait ses preuves depuis la Mésopotamie.

...

J-Julie a dit...

Je me suis retrouvé devant ta fenêtre virtuelle par curiosité, d'une tag donnée par une autre.

Bruno Roy m'a aussi éveillé à la littérature et de l'écriture surtout en rendant ce monde sérieux d'adultes accessible à moi qu'ado et à tant d'autres.

Et en te lisant, tu viens de me donner l'objectif de tenter de le revoir, dans une de ces apparitions publiques. Merci!

Yvan a dit...

Fuckin' right. Mon pote prof devrait lire ça. Tous les profs de la terre devraient lire ça.

Mistral a dit...

Go for it! Si ca pouvait partir une chaîne...

Mistral a dit...

Wow, Julie! Il va péter une veine de joie. So cool. Je vous comprends!

Mistral a dit...

j-julie! Misty not happy!

I check you out, ton blog a l'air au neutre mais le premier comm en haut est de Doparano, une caution plus que suffisante.

J'me vire de bord, viens pour sortir sans faire de bruit, quand je spote du coin de l'oeil un truc irrésistible. Caractères roses, ça dit: Ne cliquez pas si vous êtes au travail...

Are you kidding? Comme si on était du monde à ne pas commettre l'interdit ou même le fortement déconseillé, sans parler qu'on est pas caves, on sait ben que ça parle de cul, et on se dit la p... de s... m'a eu.

On clique. J'en sors. Perdu une heure d'ouvrage et vais en flusher une autre pour commencer. Ça m'aura coùté plus cher qu'une cocotte mi-gamme qui serait déjà repartie, et j'ai perdu le fil du paragraphe qui me donnait du mal, en plus, alors voilà, je t'envoie la facture.

...

...

Hhhmmmppphh...

`-)

Gomeux a dit...

Ça fait un bon cinq ou six heures que j'essaie de me souvenir du nom de mes profs de français.
Y a rien à faire, je me souviens bien de celle qui me disait d'aller me moucher parce que je dérangeais tout le monde pendant l'examen avec mes renaclements, m'en souviens, de elle, mais pas de son nom.

Je me souviens de Jean Cossette, au secondaire, dans ma vallée perdu.
Le genre de gars qui te fait aimer les cours de français, quand auparavant, c'était une session de torture. Le genre de prof qui te confirme que t'es pas nécessairement gay parce que tu lis des livres.

Y en a juste un autre dont j'ai pas oublié le nom et c'est Bruno Roy, au cégep.
Sans qu'on ait développé une relation autre que celle de l'élève qui remet ses travaux à l'enseignant, il m'a fait comprendre que ce que j'écrivais était pas nécessairement complètement cave. Simplement en donnant mes dissertations en exemple, trois ou quatre fois dans une session.
Tout ça dans un cégep qui tenait plus du bunker de banlieue que du lieu d'apprentissage fertile que la présence de cet habile pédagogue laissait transpirer.
C'est fort en esti ça, rendre humain un bloc de béton.
Donner le gout à un ti-cul d'aller à ses cours de français dans un local sans fenêtre.
Merci.

Mistral a dit...

Ah ben crisse, Gom. Moi qui rigolais en disant que notre monde est petit. Le Bruno a pas fini de frissonner. Pensais pas susciter cette, euh, intensité de réponse. Ca fait une grosse affaire par jour depuis deux jours, va falloir que tu me renvoies la secrétaire.

Merci, Guillaume.

Gomeux a dit...

Ouan.
La secrétaire, voulait t'en parler.
Est comme accro à l'ail.
Ça sent pas trop, heureusement.
T'as veux pareil?
Elle a pas pogné ma bactérie rien.
Tu devrais voir le ménage qu'elle a fait dans mes courriels.
Efficaces.
Mais dépendante aux gousses.

Mistral a dit...

LYES!!!

Coup dpié dins gousses.

Combien ca va chercher, une desintox a l'ail? C'est-tu couvert par la RAMQ?

Last goddamn time I lend you anything, I'll tell you that.

Gomeux a dit...

Le problème c'est que souvent, l'ail c'est plus assez fort faque ils/elles passent au gingembre.
Ça c'est plus compliqué comme désintox.
Pourrait pas te dire pourquoi.

Mistral a dit...

Pense pas que je veux le savoir anyway. What's next? Egg Rolls?

Gomeux a dit...

L'acide à batterie.
Ou le tang à l'orange, en cristaux.

Mistral a dit...

Ouin... Surtout que c'est toute le crime organisé qui contrôle ca. Le crystalTang, les Triades font des fortunes colossales avec ca. WILL SOMEBODY PLEAAAASE THINK OF THE CHILDREN?