14.9.08
Y a des Boomers que j'haïs pas. Y en a même une couple que j'aime.
Je connais Bruno Roy depuis plus de trente ans. Comme j'en ai quarante-trois, on se figure aisément qu'à l'époque, je devais toujours envisager cet ours d'homme en contre-plongée. L'étrange est qu'il a peu changé. La barbe a blanchi, mais peu et depuis peu, et son pas est toujours souple et dynamique, son rire contagieux, son regard doux, sa carrure est toujours celle d'un gars qu'on n'écoeure pas.
Il enseignait au Collège Mont-Saint-Louis, aux élèves plus âgés qui portaient des vestons bleus. Le mien était vert. Mais j'avais su qu'il avait publié un livre. Sur la chanson québécoise. Je l'ai lu, mais le sujet ne m'intéressait pas plus qu'aujourd'hui. Ce qui m'intéressait, c'était le livre comme livre, et l'homme en chair et en os qui l'avait publié, que je voyais chaque jour à la cafétéria au milieu de ses étudiants qui l'adoraient, ce type, cet écrivain.
Je me suis mis à lui tourner autour. Treize ans, seul vert dans un bouquet de bleus qui me poussaient du coude, essayant d'accrocher son regard, comme s'il avait pu ne pas me voir.
Ça a pris du temps, je ne sais pas combien au juste, ni même vaguement, le temps ne passait pas au même rythme en 1978, en tout cas pas pour moi. Mais un jour il s'est présenté un moment, une percée, les grands se sont dispersés en même temps, sauf deux ou trois, et à celui qui allait lui parler il a fait signe d'attendre une minute sans me quitter des yeux, je crois qu'il m'a dit: «Bonjour. Comment tu t'appelles?»
Je lui ai tendu la main, hardi: «Christian Roy, Monsieur.»
Il a souri. «Tiens! On a le même nom...»
«Je sais! J'ai votre livre...»
Je fouillais dans mon sac, je trouvais rien, il attendait, c'était un pédagogue dont émanait chaleur et sécurité, je me souviens m'être calmé juste comme ça, et d'avoir été surpris: les adultes me rendaient nerveux, le savaient et en profitaient.
Bruno est un ami très cher depuis vingt ans. Il n'a pas semblé stupéfait de me retrouver, juste ravi, quand j'ai publié Vamp et qu'à son tour il levait les yeux pour me regarder, comme s'il savait que j'arriverais quand je serais grand. Et notre relation est passée sans heurt aucun de mon enfance à notre amitié d'hommes où j'ai moi aussi parfois des choses à lui apporter.
Il vient de publier un bouquin fascinant et très beau sur l'Osstidcho (Bruno Roy, L’Osstidcho ou le désordre libérateur, XYZ Éditeur, 2008, 200 p.), un bouquin de Boomer qui n'a rien de l'esprit haïssable qui corrompt toute histoire que cette engeance touche. Bruno Roy était un «orphelin de Duplessis», il est peut-être le seul à avoir pu s'arracher à la misère intellectuelle et physique et aux séquelles psychologiques incapacitantes, ce pour quoi il a parlé pour eux tous des années durant, et je crois qu'ils seront toujours sa tribu de référence, pas la génération entière comme pour les autres. Je ne l'ai même jamais entendu dire grande noirceur, je n'ai jamais entendu un poncif sortir de sa bouche, jamais lu un lieu commun sous sa plume. Pour ça que ce livre est digeste pour nous, puis passionnant, il l'a écrit pour transmettre la mémoire et expliquer, mais ils disent tous ça et finissent par se flatter la bedaine en évoquant Woodstock, sauf que lui, ben, il le fait.
Longtemps que j'ai pas recommandé un livre ici, et un auteur. Monique Giroux le recevait en mai à Radio-Canada: l'entretien est là.
Un de ces cinq épices, je parlerai d'un autre de ces jeunes vieillards magnifiques près de mon coeur, ces gars qui ne vous bassinent pas avec la révolution tranquille qui n'a jamais eu lieu, ces hommes libres dans le brouillard de la raison. Il s'appelle Daniel Pinard. J'ai pas assez d'essence pour me rendre jusqu'au bout, je remets à plus tard. À sa prochaine laryngite, comme ça je pourrai en placer une.
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15 commentaires:
J'vous aime quand vous délirez, j'vous aime quand vous conchiez, j'vous aime quand vous ne dites rien, mais j'pense que j'vous aime jamais autant que lorsque vous encensez. C'est beau. C'est juste... beau. :o)
Je retiens ce titre en attendant l'apologie sur Daniel Pinard.
Ça va venir, mais ché pas quand, vu qu'on est amis de plus fraîche date, et faut se laisser de la place pour vivre, tu sais. Allez pas croire qu'on fait des cochonneries, à part jouer à la pétanque avec Barbe et se souler la gueule au soleil.
C'est embêtant. Une apologie le gênerait. Il est bien plus modeste qu'on le croit. En fait, j'aimerais attendre avant d'en tracer le portrait, juste pour voir ce qu'il va faire quand il sera grand. Les récettes, c'est comme une job d'étudiant, pour voir venir. Damnés maudits Boomers. 66 ans pis y est plus en forme que moi. Ils crèveront jamais. Quand ça m'enrage trop, je pense à ces gars-là, ça me réconcilie avec leur vie éternelle. OK, mourez pas, on va vous en bâtir des terrains de golf.
Pinard c'est un cas à part indeed.Savoureux d'intelligence, d'érudition et de culture qui a débordé cent fois la cuisine.
Wise and young/old guy.
L'assiette est sa courroie de transmission.
Pis c"est un mensch, surtout. J'ai voulu le rencontrer depuis son coming out aux Francs-Tireurs, pour éplatir Piment Fort pis sauver des vies de jeunes en régions. La colèere contenue, la couleur de ces yeux comme un acier de gun, et l'immanente intégrité...
Pis sans ça, toi et moi, c'eut été improbable. J'étais pas un red neck a casquette John Deere qui va basher du pédé dans les haltes routieres, comprends-moi bien. Mais j'en connaissais pas d'homosexuels qui étaient juste des hommes libres et droits et forts et admirables. Pas gros d'hétéros non plus.
Ce crisse-la a fait plus que rajuster ma pendule quant au lieu ou on trouve son bonheur. Il m'a emmené un peu plus loin vers la libre pensée qui transcende le cul. Y a pleins d'autres trous! Hostie, jdéconne, pas kapab être intello plus de dix minutes astheure, faut je sorte sul balcon puncher un pigeon rose.
Bizz, ILT. Garde l'oeil ouvert, les miens sont lourds.
Laisse-le mûrir mais pas mourir. Il est si intense que cet accident de parcours peut lui arriver n'importe quand. Comme à son si bon ami, Jean-Louis Millette.
C'était galvanisant, quand il évoquait Millette aux Francs-Tireurs. Dix ans déja, a peu près. Disait qu'il lui avait sauvé la vie, a Daniel. Qu'il lui conseillait: Dis-le jamais, dis-le pas, ils font semblant d'être ouverts et modernes mais ils vont te...
Ché pu ce qu'il disait. Je regardais ses yeux et les nerfs de ses pomettes et la veine sur son maxillaire. J'ai vu des hommes en tabarnak, en colere froide, mais jamais comme ca.
Sweet, Caroline. Jte jure, j'aimerais pouvoir le faire plus souvent. Y a trop de Martineau et trop peu de Bruno Roy.
Par contre y a de l'encens en masse, si les choses changent: l'Archeveché en avait stocké dix tonnes en juillet 1967, vu la situation au Moyen-Orient qui faisait chuter les prix. Apres, on sait ce qui s'est passé. On sait pas pourquoi,mais vers le mois de novembre y avait pus un chat dans les églises, et ca fait quarante ans, et le maudit Liban veut pas reprendre son encens. Disent qu'un deal est un deal, pis que si on est pas content, qu'on mange du cèdre. Et ils veulent nous vendre du cedre.
Faque c'est ca. Encens en attente de heros.
Je crois nécessaire de faire une mise au point sexuelle à ce stade-ci de la conversation.Je suis indécrottablement hétérosexuel. Que voulez-vous on se refait pas; même si je voulais me libérer de cet esclavage, j'y suis assujetti malgré mon âge qui avance; mais avec un peu de patience, je serai libéré de cette définition un peu réductrice.
Parenthèse comme ça, mine de rien sans crier gare et surtout sans sous-entendu envers qui que ce soit. Merci.
A peu pres temps que tu te défendes, stie. Fait deux semaines pis tu dis rien.
On va aux sauteuses samedi prochain?
J'ai pourtant fait des commentaires sans équivoque tout récemment(Milena)et à d'autres occasions.(Vraiment bizarre cette ambiguïté qui me poursuit depuis des décennies)
J'ai un souper samedi.
But let's take a
raincheck,for sure.
Les héros... en désespoir de cause, je me suis rabattue sur la plus récente production télévisuelle du même titre, mais franchement, ça reste de la fiction. Hautement divertissante mais quand même. Des héros, des leaders, des grandes gueules qui ont VRAIMENT quelque chose à dire, des personnages hauts en couleurs... c'est l'désert. Le fucking désert. Comment on pourrait arranger ça, don ? Ouvrir une faculté qui fabriquerait des héros ? Inclure au primaire un cours "Héros 101" ? Bullshit, oui. Je pense que pour être un héros digne de ce nom, ça prend un minimum de courage dont la plupart de nos semblables sont dénués. Ça prend aussi quelque chose d'intelligent à dire avec un minimum de punch, ce qui est encore plus rare. Et finalement, ça prend une cause, un désastre, ou something dans le genre. Parce qu'un héros qui s'pogne le cul, ça sert pas à grand'chose, non ?
Pas d'accord, sweet Caro.
Pas d'accord avec la prémisse héroïque. Je sais, j'ai mentionné le mot, mais je blaguais sur l'encens. L'héroïsme est une notion stérile, comme le sacrifice, le don de soi, le bouddhisme, la gouine lubrique dans Virginie, la croisade alitée velue psycho-pacificatrice de Lennon.
Ça prend, comme tu dis, une crise, un accident de char ou un incendie pour qu'on se révèle à soi-même. On sait enfin si on est quelqu'un qui réagit durant et qui tremble après avoir traîné les rescapés jusqu'au trottoir, ou quelqu'un qui va passer soixante-douze heures ensuite à régler patiemment les formalités des funérailles pendant que les familles et le sauveur pleurent en positions foetales. Le courage, that's the thing. Quel humain en est dépourvu? La bravoure est un trait de caractère, mais le courage est notre héritage sitôt qu'on sort des reins de maman, qu'une main nous claque le cul pour nous accueillir en ce bas-monde immonde et qu'on pousse notre première gueulante. Les lâches, les peureux, les timorés, les frileux, les faux-culs, les délateurs et les visages à deux faces qui se crèvent les boutons jumeaux en se rasant parce qu'ils évitent leurs regards dans le miroir ont aussi du courage, il en faut pour finir chaque jour en enviant la crotte de chien collée sous ses Adidas.
Depuis au moins Gilgamesh et Enkidu, jusqu'à l'orgie biblique des sixties --où l'on fondit pour en faire un veau doré les viscères religieux, culturels, civilisationnels, juridiques et langagiers, quand les boudins boomers se mirent à danser autour de l'obscène idole de chrysocale en piétinant leur descendance sous leurs sandales de babiche ( en charcuterie les viscères se nomment les abats et sont commercialisés dans les triperies.)--suffisait d'un père, d'une mère, de flos, d'une famille, d'une histoire, d'une mémoire, du métier d'être humains pour former du monde comme du monde. Y avait des caves, des chiens, des saints, des mongols et des mozarts, des Marie-de-L'Incarnation et des nanas tapinant rue Saint-André-des-Arts. Tous avaient une boussole intégrée.
Pas de quête de héros, Caro. Sauf dans son miroir ou la conscience qu'on recense tard le soir avant dodo. Ça c'est un bon Graal.
Kisses, girl!
Vrai.
Un tantinet déprimant, mais vrai.
Je retiens l'image, saisissante, de la main qui nous claque le cul gémissant (enfin, l'enfant gémissant qu'on lui claque le cul, disons).
Je remarque aussi que j'ai souvent souffert de naître dans un monde qui m'offrait autant de possibles. C'est con, hein ? Me semble que j'aurais aimé mieux naître dans un monde où justement, même si on flirte avec la marge, la boussole interne était scotchée sur un Nord commun à tous. C'pas comme aujourd'hui, où à force d'avoir tant de choix, on sait pus où s'crisser la tête.
Quant aux triperies... me semble que si j'avais à m'ouvrir un sexxx-shop, j'l'appellerais ça comme ça: La Triperie. Non ? ;o) Avec comme spécialité, bien sûr, le condom en boyau naturel... héhé.
:-)
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