31.12.02

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Ce dernier jour de l'an, j'ai, je le crains, tout un tas de libertés d'expression à comprimer en quelques phrases.



Réal vient de réitérer sa demande en mariage et cette fois-ci, elle a dit oui. «Près de douze ans et trois mioches plus tard, elle consent finalement. Elle m'en avait bien reparlé depuis, mais bon, pourquoi aurais-je acquiescé aussi facilement?»



Mario s'est parachuté au Bunker hier après-midi. Mal lui en prit: j'étais sorti, assis chez Paul Perazzino sur Papineau, en train de me faire passer au savant fil de son rasoir. Lemoine est allé bouffer un hot dog et une pointe de pizza et la seconde fois, quand il sonna, j'étais là.



On a regardé un film en sirotant, jusqu'à ce qu'il ait siroté ses deux litres et se mette à être très, très triste. M'a fallu un moment pour le réintégrer, rajuster ses morceaux, à grands renforts d'aboiements militaires, de rudesse bon enfant, de séjours sur le balcon glacial et de chansons de Renée Martel. Demain après-midi, il nous invite Kevin et moi, ses amis, chez sa mère et parmi sa famille. Je m'en voudrais de rater ça. Tout dépendra de ce soir, de cette nuit. Hans me ramasse à six heures et demie.



Si les Raëliens ont vraiment réussi à cloner une petite Ève, je lui souhaite bien du bonheur et bien de la religion, à cette infortunée pucette. Et que sa mère jumelle soit belle et pas trop conne.



La télé déverse dans nos salons d'incommensurables listes de grands disparus comme autant de tombereaux d'immondices. Canal après canal, ce ne sont que mielleux hommages et nécrologies aigres-douces, noyés dans une riche sauce instrumentale. On m'y verra défiler, l'un ou l'autre de ces quasi-janvier. Mais pas cette année, Saigneur. Pas cette année.



Puisque vie m'est jusqu'ici prêtée, je m'efforcerai encore d'inventer mon avenir, de retranscrire mon passé, et de demeurer maître de ma propre existence à mesure qu'elle s'écoule impitoyablement.



Les Irlandais ont un beau dire: I'll whistle up some luck for you...



Je possède un huitième de ce précieux sang vert, venu de ma grand-mère, celle-là même dont le nom signifie Fleur Mauve; or, ignorant ce qui m'attend, moi et les miens, j'ai l'ivrogne envie de nous siffler à tous un petit peu de cette chimérique chance. Et de tanguer tout droit, grand fabulant, jusqu'au fond de ce soir.

30.12.02

Certes, certes, à quoi sert un cadran solaire sur une île déserte, me demandera-t-on, ce à quoi je réponds: «À se garder du Bonhomme Sept Heures, quelle question!»



Le Vigneau s'est manifesté. Peinture à Hampstead pour payer le loyer.

29.12.02

Reçu une lettre de mon père. Rien de spécial, sinon que c'est la première. Depuis toujours. Sur ce, j'éteins l'ordinateur. Quit while I'm ahead, you know?
Nouvelles littéraires.



La première est un mail de Jean-Paul Daoust confirmant, après que je lui aie réclamé des éclaircissements, le refus du texte de Kevin par le comité de rédaction d'Estuaire. Je transmets l'information à K en commentant: « Bon, eh bien, voilà, au moins on sait à quoi s'en tenir... (Pouffant de rire, l'étouffant) S'cuse, je sais que tu es en beau joual vert et que tu voues Jipi aux gémonies en ce moment, et c'est pas gentil de rigoler, mais c'est d'imaginer combien tu riras de tout ça d'ici peu qui me dilate la rate... Au moins, il cite Valéry, c'est un bon point pour lui, non? Non, en fait, c'est pire. (rire) Comment peut-on citer précisément celui que tu respectes le plus dans une lettre de refus qui ose suggérer que tu retravailles et que tu resserres et que tu cosmétises ta poésie? Honte! Haro! Hallali! Au poteau! Cela dit, c'est comme ça que ça tourne et c'est très bien ainsi. Rends-toi compte: tu pourras dire que ta première publication ne devait rien à l'amitié. Tu pourras te flatter (en fait, tu peux commencer dès maintenant) de n'avoir pas plu d'emblée à l'establishment et d'avoir conquis ton temps toi-même. Putain, ce refus, c'est une excellente nouvelle! À condition, il va de soi, que tu les fasses mentir et ravaler leurs diktats un de ces jours prochains.»



Or, je suis sans nouvelles de mon KV depuis qu'il m'a appelé vendredi soir pour m'annoncer qu'il était soûl (!) quelque part dans l'ouest de la ville. Quant à Éric, il m'annonçait son arrivée pour quinze heures ce dernier mercredi et je l'attends depuis... Lequel des deux est en prison, lequel des deux est mort?



L'autre nouvelle, la deuxième, littéraire, c'est Hélène qui me l'adresse (Bonne année mon grand sapin!). En gros, le comité éditorial a remis sa réunion au 23 janvier, et mon manuscrit circule. «J'ai bon espoir, même si je fais face à 2 arguments : le fait qu'il soit publié sur le Net ne les enchante guère... Et aussi qu'il s'agisse d'un journal, aussi littéraire soit-il.»



Deux nouvelles. Littéraires.
Curieux de voir si la guerre sera déclenchée le 17 janvier comme en 1991. Ce soir-là, je passais la souffleuse dans l'entrée de garage du frère de Gil-France à Québec durant une mémorable tempête.



À coup sûr, ce doit être avant mars, quand la fenêtre d'opportunité climatique se refermera. Trop chaud après ça.
Bummé 2$ à CGDR pour faire l'appoint du prix d'une quille de Black Bull. Croisé Stephen Faulkner qui rentrait au building, les doigts pleins de sacs d'épicerie. Lançant ses bras alourdis autour de moi et manquant m'assommer en m'étreignant, il m'a souhaité la bonne année. Je devais passer au bureau de poste et récupérer un colis, Les couronnements de Montréal, un bouquin de table à café contenant un mien poème. Au Bunker, impossible de retrouver mon portefeuille. Ne disposais pour m'identifier que d'un très vieux passeport passé à la lessiveuse, photo caduque et décollée. Au comptoir postal, je tombe sur Ghislain, avec qui on chambrait, Blue Jean et moi (voir le début de Vamp), chez un bélître parfumé, il y a dix-sept ou dix-huit ans. Lui n'a pas changé d'un iota, hormis un cheveu blanc ici et là. Puissance et mystère de la Rose-Croix. La dernière fois qu'on s'est vus, j'avais tout à fait le même air que sur cette photo. L'air de mon fils.
Guillaume m'écrit qu'il part pour deux mois afin d'entamer son prochain roman, mais néglige de préciser où. Montserrat, j'imagine. Under the volcano. Gare aux éruptions, Guigui!
Un autre bouquin auquel j'aimerais bien travailler pour m'amuser serait une sorte de condensé des techniques perdues dont un homme aurait besoin sur une île déserte métaphorique. Distiller de l'eau, fabriquer un cadran solaire, capturer et dépiauter une bête, ce genre de choses. Demanderai à Kevin d'y collaborer.

28.12.02

Claude André m'offre une pinte du meilleur sang qui soit en m'envoyant ce qui suit. Il s'agit de perles glanées parmi les examens français du BEPC (13 ans) et du BAC (18 ans environ). Les questions portent uniquement sur l'Histoire, la géographie, le français et les mathématiques.



Galilée (1564-1642) a été condamné à mort parce qu'il est le premier à avoir fait tourner la terre !

Les montagnes sont d'immenses plaines vallonées...

Un bras de mer est un bout de mer en forme de bras.

L'exemple du Titanic sert à démontrer l'agressivité des icebergs.

Les 4 points cardinaux sont la droite, la gauche, le bas et le haut.

La France compte 60 millions d'habitants dont beaucoup d'animaux.

La Normandie est bordée par des plages bretonnes.

La Camargues est régulièrement inondée par les côtes du Rhones..

Les rivières partent de Lamon et s'arrêtent à Laval.

Les rivières coulent toujours dans le sens de l'eau.

Le carré est un rectangle qui a un angle droit à tous les bords

Un carré c'est un rectangle un peu plus court d'un coté...

Le zéro est le seul chiffre qui permet de compter jusqu'à un.

Un septuagénaire est un losange à sept cotés.

Tous les chiffres pairs peuvent se diviser par zéro.

Une ligne droite devient rectiligne quand elle tourne...

Un compas s'utilise pour mesurer les angles d'un cercle.

Une racine carrée est une racine dont les quatre angles sont égaux

Les chinois comptent avec leurs boules

Pour faire une division, il faut multiplier en soustraction...

L'alcool permet de rendre l'eau potable

Une tonne pèse au moins 100 Kg si elle est lourde

Quand deux atomes se rencontrent on dit qu'ils sont crochus

On dit que l'eau est potable quand on ne meurt pas en la buvant

Les bombes atomiques sont inoffensives quand elles servent à faire de l'électricité...

Sans les pannes les machines seraient inhumaines.

Une montre est divisée en 12 fuseaux horaires d'égale intensité.

Archimède a été le premier à prouver qu'une baignoire peut flotter.

La datation au carbone 14 permet de savoir si quelqu'un est mort à la guerre

Dans le cinéma muet, les acteurs parlaient avec des mots qu'ils écrivaient en bas du film.

Le cinéma était une énergie encore inconnue au XIXème siècle

Un litre d'eau à 20° + un litre d'eau à 20° = deux litres d'eau à 40°

Le chauffage au gaz coute moins cher mais disjoncte tout le temps

Une langue morte est une langue qui n'est parlée que par les morts.

Victor Hugo écrivait des publicités pour les pauvres misérables.

Passé simple du verbe faire :

* Je fus

* Tu fussses

* Il fut

* Nous fumons

* Vous fumez

* Ils futent

La grammaire ne sert à rien puisqu'elle est trop compliquée à comprendre.

Beaudelaire a fait scandale en écrivant son célèbre " Les fleurs du mâle "

George Sand était une homosexuelle qui aimait les hommes...

Pascal a consacré sa vie à écrire les essais de Montaigne.

Une bibliothèque c'est comme un cimetière pour les vieux livres.

De toutes les pièces de Molières " Les pierres précieuses ridicules " est la plus connue.

La lecture permet à l'homme de devenir myope...

Les latins parlaient le grec ancien.

Marius Pagnol se servait de son accent pour écrire...

La lecture est faite pour ceux qui n'aiment pas écrire.

Le seul poème de Ronsard raconte une histoire de fille qui veut aller voir des roses...

Le livre de poche a été inventé par Gutemberg.

Molière est mort sur la seine.

Le premier groupe comprend les verbes qui se terminent par " er "; exemple: grandir

La Fontaine a écrit les fables de multiplications.

Les mots commencant par af prennent de ff : ex : affaire,affeux,Affrique.

Néron se servait des chrétiens pour faire des lampes en leur mettant le feu.

La guerre de 100 ans a duré de 1914 à 1918.

L'histoire du Moyen-Age nous est bien expliquée par Christian Clavier dans les visiteurs 1 et 2.

Avant la guillotine, les condamnés à mort étaient exécutés sur une chaise électrique...

Le 14 juillet c'est la fête de l'opéra Bastille.

Napoléon est le neveu de son grand-père.

Sur tout les tableaux de peinture, on voit bien que Napoléon cachait son gros ventre avec ses mains.

Les agriculteurs, ça a toujours été des paysans en colère qui brulent des pneus et des patates.

Blaireau a été le premier à traverser la manche en avion.

La première guerre mondiale a fait une dizaine de morts mais seulement chez les allemands.

Le débarquement de Normandie a eu lieu sur des plages en Angleterre.

A la guerre de 14-18, les soldats mouraient plusieurs fois, d'abord à cause des bombes, et ensuite parce qu'on les forcaient à manger de la boue.

Tous les 11 novembre, le président décore les parents du soldat inconnu.

Le maréchal Pétain était un vieux guerrier qui passait sa vie à embrasser des petits enfants...

Le gouvernement de Vichy siégeait à Bordeaux.

Jean Moulin fut, lui aussi victime de la barbie nazie.

Le général de Gaulle est enterré dans deux églises à colombey..

La ligne Maginot a été construite pour empêcher l'invasion des touristes allemands.

La deuxième guerre mondiale fut une période de paix et de prospérité pour l'Allemagne...

C'est le général Pompidou qui a renversé de Gaulle avec le coup d'État de mai 68.

François Mitterrand a été le successeur de François 1er.

Ce qui m'a le plus réjoui durant cette période des Fêtes, c'est trouver sur le trottoir une pile AA pour remplacer celle de mon horloge murale, à plat.



Je crois bien tenir mon prochain roman. Goth, une suite à Vamp, quinze ans plus tard. Strano Balfus, le fils de July, va vivre avec son oncle Blue Jean quand sa mère succombe au sida. Foire de conflits. Évocation de la fin du millénaire, du Sommet des Amériques et de l'occupation d'un squat en 2001.

27.12.02

J'ai entrepris ce Journal avec de sévères réserves (je passe encore à une lettre près de l'allitération anagrammatique de mes rêves!).



Relatives, ces réserves, surtout à l'apparente incohérence de relater sa vie dans le temps qu'on devrait consacrer à la vivre. Plus on écrit, calculais-je, moins on vit de quoi écrire qui soit autre chose que l'acte d'écrire. Ultimement, logiquement, absurdement, on aboutit à écrire qu'on écrit et rien d'autre.



Pourtant, je m'y suis mis quasiment chaque jour, et plusieurs fois encore. À mon gré, sans jamais avoir l'impression de travailler, conscient pourtant du fil suivi et de la forme désirée. Mentant le moins possible et toujours pour la bonne cause, n'omettant rien sciemment sans en faire mention. Et puis, petit à petit, cela m'apparaît maintenant, j'ai compris que ma prémisse était fausse, et que celui qui prend le temps de consigner par écrit les tenants de sa vie reçoit en retour le rare privilège d'en vivre une deuxième, contiguë.
«Dieu se désaltère du nectar de nos larmes.» (Chef, South Park, expliquant pourquoi le Saigneur n'offre vie, bonheur et santé que pour mieux les retirer).

26.12.02

Dîner festif chez maman, saveurs et parfums familiers nous servant de ciment spirituel.



Jean-Christian était en retard. On se demandait s'il avait mal compris, si on devrait manger sans lui qui arriverait pour le souper. Planté devant la porte-fenêtre, un verre de bordeaux à la main, je guettais, anxieux, le passage du prochain autobus, tandis que maman remplissait le fourneau jusqu'aux pentures. C'est alors qu'elle me dit: «Et toi, tu ne vois plus Annie?» L'espace d'une seconde, j'ai cru stupidement qu'elle parlait de ma soeur, puis j'ai compris et j'ai répondu «Non. Non, je ne la vois plus.» J'aurais voulu élaborer, mais les mots refusaient de venir, et puis fiston est arrivé avec sa belle.



J'ai, pour la première fois de sa vie, gardé mes distances physiques. Cela me fut si difficile que j'en ressentis littéralement une brève mais très réelle nausée. Toutefois, il fallait essayer, dans notre mutuel intérêt. Pour sa part, peut-être préfère-t-il cette réserve guindée qui n'engage à rien. Pour la mienne, je ne veux plus souffrir d'attendre ses visites, ses appels, sa présence dans ma vie, toutes choses qui ne viennent pas et m'assombrissent. Je veux avaler l'idée que ce que je souhaitais pour nous n'existe pas, je veux en faire mon deuil et dégager la place pour un autre type de relation filiale, ou pas de relation du tout, quoi que ce soit qui surgira de tout ça. Moi qui autrefois lui appris l'art et le sens d'une poignée de main, je serrai poliment celle qu'il me tendait, sans plus; en partant, je lui refusai l'étreinte à laquelle il s'attendait. Après, ça deviendra de plus en plus simple, me disais-je, jusqu'à ce qu'on n'y prête même plus attention. En tous cas, ça s'est passé ainsi entre mes parents et moi...



Assis en bout de table à nouveau (il semble que j'aie finalement mérité cette place, en l'absence de mon père), cette fois, je n'ai pas souffert de la chaleur, car le soleil semblait froid.



À ma droite, comme il se doit, mon fils. À la sienne, sa compagne. À ma gauche, grand-mère. Face à moi, présidant, maman.



D'elle, je ne peux dire beaucoup, vu qu'elle déteste ça. Juste pour la prendre en photo, c'est la croix et la bannière. Peut-être craint-elle qu'on lui dérobe un morceau de son âme, et si c'est bien le cas, il va sans dire qu'elle a raison. Le pire, c'est qu'elle s'accommoderait mieux d'une critique que du récit de ses vertus. Le pire, ou le meilleur, c'est selon. Il s'agit là d'une femme qui fuit toutes les définitions. Ainsi donc, je dois rester muet sur le beau conte vrai que j'ai entendu aujourd'hui, qui ne m'a pas surpris une miette et dont elle est l'héroïne.



Cependant, rentrant du patio où j'étais allé fumer, je ne pus m'empêcher de marquer une pause derrière sa chaise et, me penchant, d'embrasser tendrement sa joue. Regagnant ma place, je vis une larme nacrée se sillonner un chemin sous le verre de ses lunettes. Je lui demandai si tout allait bien et elle m'assura que oui en haussant les épaules, tout juste comme si elle ne s'en apercevait pas, et c'était peut-être bien le cas. La plus grosse partie de moi met cette eau sur le compte d'une allergie; une autre, substantielle aussi, ma petite voix, veut plutôt que je m'en veuille de faire encore pleurer ma mère, juste avant de se moquer: «Comment ose-tu présumer pouvoir lui inspirer cette qualité d'affection?»



Une tierce partie, la plus secrète, la moins endurcie, fut touchée à l'os, émue, rassérénée, réconciliée pour un instant par-delà l'indicible brèche que nos choix, à maman et à moi, ont creusée entre nous au fil des années fuyantes. Nos choix, et aussi ce qu'on n'a pas choisi.



Le coffret de cerisier ouvré par mon père est une splendeur faite pour traverser les âges. Comme ces antiquités qui furent neuves un jour, et dont on se dit que plus personne ne travaille ainsi aujourd'hui. L'idée que mon père puisse être un sérieux méchant artiste ne m'est guère familière, mais il faudra que je m'y fasse! Depuis vingt ans j'ai essayé d'imaginer les bâtisseurs de cathédrales, dans l'espoir de percer tant soit peu le secret des travaux accomplis et me l'approprier (la foi? l'inspiration? le courage? l'abnégation? Le culte de l'effort silencieux? Une qualité de virilité disparue pour laquelle un acte de création est sa propre récompense?) Tout ce temps, je l'avais sous les yeux pour ainsi dire, cet homme qui ne va jamais à la messe, aux croyances nébuleuses, ce personnage hemingwayen tout entier contenu dans ses gestes, cherchant son chemin et trouvant sa raison en l'époque qui n'érige plus de cathédrales. Mon père.

25.12.02

Coup de fil de Bertrand. Je lui souhaite un joyeux Noël et il m'apprend le décès de son père jeudi dernier. La grande chienne noire ne lui a rien épargné, nulle souffrance, aucun des subtils raffinements de l'agonie.



Faut que j'arrête de fumer.
Une journaliste française interviewe une religieuse chrétienne en Irak. «Quand croyez-vous que la guerre est susceptible d'éclater?» La vieille femme, souriant tristement: «Je ne sais pas. C'est à vous de nous le dire, non?»

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24.12.02

Kevin passe me prendre pour qu'on aille chez sa mère faire un sort à une pauvre dinde innocente rôtie jusqu'au troufignon. Pas de farce. J'ai recousu un bouton à ma chemise noire.
Eddie fêtait ses quarante-deux berges hier. Kevin et lui sont venus partager leurs libations avec moi. J'ai mitonné un macaroni au Brick avec les tomates du jardin de maman, mais Eddie est parti tôt et Kevin est tombé comme une masse aussitôt son assiette torchée, aussi est-ce Éric, passé à l'improviste, qui en a profité. N'avait pas trouvé de travail. Est resté une heure et a continué sa route.



Me suis levé tôt pour disposer de davantage de temps à ne rien faire. Chaque jour mourir un peu plus de se regarder vivre...



Fiston confirme sa présence à dîner chez maman jeudi, auprès de sa blonde.



Papa a sculpté un coffret en bois de cerisier pour les 91 ans de grand-mère, où tous les membres de sa famille déposeront une lettre d'amour. Sublime.

22.12.02

La personne de l'année selon Time magazine est trois femmes, trois délatrices fières de leurs coups.



L'Homme se fait rare, comme devait se dire Caïn après avoir occis Abel.
Éric est arrivé vers six heures. Je dormais. Faisait noir. «S'cuse, je voulais pas te réveiller.» Moi: «Tu te fous de ma gueule? Il est six heures!» Je croyais dur comme fer qu'il était six heures du matin, mais ce n'était pas le cas.



Il a fait la planche sur le sofa et s'est mis à expier ses abus de Kahlua et de Southern Comfort. On a dormi dix-huit heures.



Demain, dès l'aube, il appellera l'agence et tentera d'obtenir un ou deux jours de travail pour nous offrir une tourtière et de la bière à Noël.

21.12.02

Je mets le journal de côté et j'allume la tévé. Au canal Vie, une espèce d'épais de psycho-socio-baby-boomer barbu Québécois pontifie sur le sens de, ben oui, la Vie. C'est une émission qui traite des méfaits de la consommation et des façons d'en détourner ses enfants. «Le but de l'être humain», qu'il dit, ce marchand d'huile de serpent, «c'est de ne plus rien désirer, d'être content comme il est, de ne plus ressentir le besoin ou l'envie de se gratifier.» Il a dit ça, ce tata cravaté, je l'ai ouï, je l'ai VU, ce petit-fils d'un fermier aussi brave qu'illettré, héritier d'une époque rendue prospère par la guerre des autres, "instruit" tout en faisant tranquillement la révolution entre deux joints et le dilemme abominable tenaillant la jeunesse masculine canadienne-française de ce temps-là (aussi connu sous le sobriquet C'est le début d'un temps nouveau), soit décider entre devenir servant civil et prof de Cégep, je l'ai ouï je l'ai vu énoncer ces âneries criminelles, enfilées comme un collier de pommes de routes fumantes, sans paraître douter de son dogme stupide. Car enfin, lâché lousse dans les bois, ce con-là meurt de faim en vingt heures! Or, le voici bien imbu, conchiant sans vergogne aucune cela même qui incita ses ancêtres à sortir des cavernes, à planter du blé, à forger et convenir d'un langage, à occuper tous les territoires et à fonder, enfin, des universités. De belles grandes universités toutes neuves et très chères et richement dotées, où serait conservé le savoir conquis de haute lutte jusque là et où l'on pourrait poursuivre ce propre de notre espèce, la recherche, en d'idéales conditions et en sécurité. L'aboutissement de milliers d'années d'oeuvre civilisatrice. À quoi, on aboutit? Au Baby Boom. Une informe multitude, manipulée, un ramassis de crottés en toc et d'enfants gâtés, de têtes à claques et de faux-culs taillant des pipes à la nature, pissous présents papes futurs, et au sommet de cette pyramide en caca qu'on qualifie de chocolat, qui trouve-t-on? OUI! Notre psy! Ce cave décérébré aux opinions commodément rectangles. Imaginer le parchemin qu'on lui a décerné, frappé au sceau flambant de l'Université toute neuve, c'est déjà se frotter à l'épreuve. On a du mal à ne pas fondre, en larmes chaudes ou bien de honte. Mais songer aux pauvres ancêtres de cet avorton-là, qui ne seraient pas tenus de se retourner dans leurs tombes comme de damnées girouettes s'ils n'avaient inventé la coutume d'inhumer leurs morts et de poser une grosse pierre dessus qui découragerait les hyènes et les busards et les jeunes journalistes. «À quoi ça aura-t-il servi», assurément ils se demandent tout en tournant, les ancêtres, «à quoi, dis-moi? Pas à produire c'te d'mi-portion, dis, Albert? Me dis pas qu'on s'est crevé durant cinquante générations pour que cet abruti sectaire et franchement imbécile couronne la somme de tous nos sacrifices, multipliée par nos témérités, divisée par nos morts inestimables? C'est pas vrai, Albert, dis? Pas ce taré de psy qui croit connaître le but de la vie humaine? PAS CE GROS CON, DIS, ALBERT?»



Albert, keske vous voulez qu'il dise, il dit: «Oui, Fernande». L'est déjà mort, l'a rien à perdre, ça coûte rien d'essayer de faire semblant d'être d'accord avec tout ce qu'elle gueule, maintenant. D'ailleurs, il est plutôt de son avis: ce rejeton, cette fin de race barbue, ce connard de boomer est un étron en costume. Sauf qu'Albert y voit clair, faut pas croire: ce petit pédé prétentieux de psy tient de sa mère, ça crève les yeux!



Pour ma part, et tout à fait objectivement, je vous jure, l'avoir eu devant moi en chair et en gélatine, on aurait vu des jointures se gratifier sur sa sale gueule de bouc ignare.
Il y a un type au Nord-Vietnam, du nom de Nguyen Khac Toan: il vient de se faire coller douze ans de taule dure par son gouvernement pour avoir diffusé des plaintes politiques sur le Net. Pour autant que je puisse en juger, il n'écrivait pas la moitié de ce que je me permets quotidiennement sans y penser. Et il m'arrive de me trouver courageux! J'ai honte, Saigneur, j'ai le goût de me taire, de me mordre la langue au sang sitôt que j'aurai terminé de me ronger les doigts. Douze ans! Et bien sûr, se taire est exclu, il faut bien au contraire parler plus, à mesure qu'on y croit moins, jusqu'au final mirage du prêcheur au désert qu'on découvre blanchi sur un erg, la langue exbouchée pustuleuse épaisse comme un battant de cloche. Pauvre cloche.



Cependant, un rapide survol de la presse d'aujourd'hui (oui, La grosse Presse juteuse et plate du samedi) fournit à quiconque s'en donne la peine ample matière à dégueuler.



Ainsi, une charogne puante et pétillante, pigiste de son état, frais émoulu de l'U de M où il signait de prudentes et laborieuses colonnes dans le journal étudiant, ce sinistre cireur de bottines, donc, inconscient des cinq raisons (jeune, arrogant, soumis, bourgeois déjà, candide, pressé de plaire et pas cher: je sais, ça fait sept, mais certaines se recoupent) qui lui valent cette tribune dont il s'enorgueillit pourtant, fier d'exhiber à ses parents sa griffe insignifiante dans le quotidien de la rue Saint-Jacques, ce cancrelat qui se vend pour peu et qui ne vaut rien commet aujourd'hui un article indigné sur l'accès au téléphone en prison. À quatre jours de Noël, cette saleté de journaleux fascisant s'avise qu'on devrait retirer aux détenus provinciaux le scandaleux privilège de rejoindre leurs proches à frais virés. Dans un papier manifestement télégraphié par des screws qui se foutent de sa gueule, le béat dactylollipop s'efforce de nous énerver le poil des jambes avec des perles sucrées style: D'un simple coup de fil donné de l'intérieur d'un établissement de détention où ils séjournent, les détenus sous l'autorité des Services correctionnels du Québec peuvent en toute quiétude commander, planifier et orchestrer n'importe quelle activité criminelle.



Les caractères gras ne sont pas de moi, ni la grossière indécence qui sous-tend ce brûlot sous couvert d'intérêt public. Le fait est que les gars en prison sont chanceux si quelqu'un dehors accepte encore les frais de leur appel à l'aide, la plupart n'ont personne, leur femme les dompe et leur mère capote et leurs chums s'évaporent à l'air libre et on a trois téléphones pour cent-cinquante hommes et on n'a pas le temps "d'orchestrer n'importe quelle activité criminelle", maudit twit, le premier qui outrepasse son temps de téléphone pendant que les gars font la queue en attendant leur tour se ramasse une baguette de pool en arrière de la tête. Ça, c'est pour une première offense. Je n'en ai jamais vu de deuxième. Et tu veux priver ces gars-là de téléphone dix minutes par jour? Et tu crois les screws qui t'ont dit que ce serait une bonne chose? Imagines-tu que ça les intéresse, les services correctionnels, de gérer des émeutes hebdomadaires et de revenir trente ans en arrière à la grande époque des sanglants bingos? Maudit niaiseux. Maudit scribouillard cheap de plumassier, en plus t'écris comme une envie de chier. Et tu feras une longue carrière, nul n'en doute, tu es de la graine de Michel Auger, tu traques la vérité au mépris du danger...



Remarque, tu es sûrement vexé maintenant mais ça va vite passer, ou peut-être pas, en tous cas je ne mentionne pas ton nom et c'est un peu pour te donner une leçon d'élégance: ta mère ne t'a jamais enseigné qu'on ne frappe pas un mec à terre?
Dix jours avant l'échéance, après quoi j'ai un livre à livrer à VLB.



Chaque année qui passe, ça empironne au lieu d'emmieuter: j'ai gardé mes (mauvaises) habitudes d'étudiant en ce qui a trait au travail, mais je ne suis plus un étudiant, depuis longtemps, et je n'ai plus seize ans, l'aveugle élan de la jeunesse n'est pas une grâce inamissible, et la méthode du bulldozer ne marche plus (on repousse, on repousse, on compacte le boulot jusqu'à ce que ça passe ou que ça casse, la proverbiale et paradoxale rencontre d'une force irrésistible avec un objet immobile se produit, something's got to give et soudain le conflit se résout néanmoins, sauf que de moins en moins en ma faveur, à me faire regretter les dents longues de ma vingtaine rugissante, ma cécité, ma surdité à tout ce qui n'était pas mon désir furibond d'arriver!).



Dix jours avant l'échéance, après quoi j'ai un livre à livrer. Je me demande si grand-père parierait sur moi.

20.12.02

Les courriels de Noël commencent d'arriver. Un peu tôt, dira-t-on, mais il s'agit probablement d'une survivance de l'ancien réflexe, quand il fallait poster ses cartes de voeux le vingt au plus tard, sous peine de rater le coche (du postillon).



L'initial vient de ce précieux, ancien (mais pas vieux!) ami, Jean-Paul Daoust. Chaque année que le Christ renaissant ramène, où que je me ramasse, les souhaits festifs de JP sont toujours les premiers à me trouver et à me faire un petit velours.



Du même souffle, il m'annonce la publication d'un mien texte dans le numéro d'Estuaire de février, et qu'il quitte la direction de la revue. «T'expliquerai ça plus tard», ajoute-t-il, et cela me suffit, et si même il n'en trouvait jamais le temps où l'inclination, je ne m'en formaliserais aucunement, ce qui est bien peu dans ma nature. C'est qu'à une époque, Jean-Paul Daoust fut l'un des rares à ne pas réviser sa conception de moi selon ce que publiaient les gazettes, et cela, je ne saurais l'oublier. En fait, j'ai coutume de dire que si plus de straights étaient des hommes de sa trempe, on serait moins encombré de moumounes ici-bas. C'est beaucoup à son contact que j'ai compris, jeune homme, la différence entre un homosexuel et un fif. À son contact et à celui, contrasté, de tous les fifs, les lâches, les moumounes, les guenilles invertébrées que j'ai connus et qui ne couchaient pourtant qu'avec des filles.



Une fois, il y a longtemps, le chum de Jean-Paul m'a un peu cassé la gueule. Pour autant que je m'en souvienne, je l'avais amplement cherché. Joyeux Noël à toi aussi, preux chevalier.
Trent Lott, leader Républicain de la majorité au Sénat états-unien, après avoir louangé le programme politique pro-lynchage du centenaire Strom Thurmond (mis de l'avant lors des présidentielles de 1948), s'est excusé à cinq reprises en autant de jours, chaque fois de façon plus abjecte, chaque jour se tordant un peu plus les poignets et déchirant son manteau davantage (quand on profère de telles énormités anachroniques, de celles qui coûtent une carrière, ne vaut-il pas mieux au moins y croire assez pour n'en pas demander pardon?), ce qui ne l'a pas empêché de se faire virer comme une ordure, et j'y veux voir le présage de la fin de ces affligeants, hypocrites et larmoyants actes de contrition publics que les Puritains affectionnent presque autant que les marxistes-léninistes et qui remontent des boues australes comme une infection aérosol vers nos latitudes.



It's the virility, stupid! Le leader de la majorité avait des couilles en beurre manié, le prochain sera plus doux encore, plus avenant, plus diplomate, et l'Irak va se ramasser une méchante purée de poudre et d'acier dans la gueule et j'enrage d'être complice de ce carnage.
Éric accepté à l'école de botanique. Parcourt la ville depuis trois jours en une campagne effrénée de levée de fonds pour acquitter les droits d'admission aujourd'hui. Pas pu faire grand chose pour lui.



Visite nocturne de Larry Lorca, après son quart de dynamitage dans le tunnel du futur métro de Laval. Avons discuté entre trentenaires introspectifs jusqu'à l'aube.



Trouvé le moyen de payer le loyer à vingt-quatre heures du deadline. La Régie, ce sera pour la prochaine fois!

19.12.02

Je n'aime pas trop allumer la tévé pour m'y faire tutoyer par Justin Trudeau. Je suis assez vieux pour me rappeler sa naissance, et certainement trop pour m'enrôler dans Katimavik (visiter le Canada? Retourner aux études? Trouver un emploi?).



Je suis pour l'avortement. L'avortement de la réalité. Comme dans les scènes oniriques des pièces de Billy Shakespeare.
Beaucoup d'émoi à Québec depuis le démantèlement d'un réseau de prostitution juvénile (des petites fougueuses, selon le lapsus de l'Alexandre Dumas de Radio-Canada, de 15 à 17 ans). L'un des accusés est animateur de radio et on n'a jamais tant entendu parler de présomption d'innocence sur les ondes d'État. J'ai compris depuis longtemps qu'on est présumé innocent jusqu'à ce qu'on passe à la tévé. Hier, les flics parlaient d'actes «qui dépassent toute imagination» (la leur) et de «preuve en béton». Résultat, les commanditaires, de bons bourgeois qui ne songeraient jamais à défier sexuellement leur propre imagination, désertent en masse l'émission de l'accusé. Ameublements Tanguay ne mange pas de ce pain-là!
Évidemment, Kevin ne supporte pas la période de Noël.



Quand on est coupé de la femme qu'on aime, les pubs télévisées de supermarchés santaclausiques ont tendance à porter sur les nerfs. S'il n'en tenait qu'à lui (s'il en avait les moyens financiers et physiques), vous le verriez se transformer en Rip Van Winkle d'ici au début de janvier.
Reçu de Hans une invitation à célébrer la Saint-Sylvestre, Kevin et moi, chez son ex-femme, la mère de ses enfants, anyway tout cela est fort moult compliqué, mais j'ai dit oui évidemment, on y sera comme un seul homme, comme l'an dernier et l'an prochain, et je parie que Marlène viendra malgré ses protestations du contraire, en tous cas je connais un fauve qui n'aurait rien contre.

18.12.02

Suis monté rembourser 10$ à Steve. Grand-père prétendait toujours qu'on est riche quand on ne doit rien, mais ça m'a constamment semblé une doctrine plus aisée à appliquer quand on en a les moyens.
Encaissé un chèque de la SODRAC au montant de 82,38$. Espère que Luce Dufault n'a pas trop de mal à payer son loyer.
Larry King à Donald Rumsfeld: «À propos de ce bouclier anti-missiles prohibitif dont tout le monde dit qu'il ne fonctionne pas: croyez-vous qu'il soit logique d'espérer la fin d'une guerre contre le terrorisme dans un avenir prévisible alors qu'il naît probablement un terroriste en cet instant même?»



Rumsfeld: «Écoutez, on construit des postes de police et des stations de pompiers; est-ce dans l'espoir réaliste de vaincre le crime et de triompher du feu?»



Ce salaud-là souriait. Avant, il dirigeait une compagnie pharmaceutique. «Hey, there's always a high percentage of failure at first!»



Quand mon fils est né, j'ai souhaité que le monde ne l'envoie pas se faire tuer lorsqu'il aurait vingt ans. Maintenant qu'il a vingt ans et que le monde n'a plus besoin de lui pour se faire tuer, je ne songe qu'à protéger Junior de son Grand Frère.



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Kevin a déboulé vers minuit, noir comme une pelle à feu, cherchant sommeil et réparation qui tous deux se sont obstinés à le fuir. À l'aube, le vilain matou de gouttière s'en est allé comme une panthère en quête de népenthès.

17.12.02

Monsieur mon fils s'est finalement manifesté, après que j'aie réclamé sa présence lors du 91e anniversaire de son arrière-grand-mère. «Merci du message, Père.»



Parfois on fait une fin, parfois on fait un début.



Tandis que Blackburn remplissait le formulaire d'achat, je me suis penché vers lui et j'ai marmonné: «Autrement?»



Sous-entendu: «Comment ça va?» Sauf qu'il a compris: «Et ton roman?»



«Je l'ai crissé aux vidanges!» a-t-il répondu en s'esclaffant à la question que je n'avais pas posée. Ce livre, il y travaillait depuis des années. Je ne savais que dire, j'étais triste et il riait, jaune. J'ai dit: «Si tu fais vite, peut-être que les vidangeurs ne sont pas encore passés...»



Il a cessé net de rigoler. «Ça fait longtemps qu'ils sont passés», a-t-il dit, rembruni, avant de changer de sujet en demandant des nouvelles de Kevin. A bien fallu que je lui dise qu'il lâchait ses études pour se mettre au roman...



Les administrateurs du building ont pris l'injonction de Hans de me foutre la paix au pied de la lettre et le pauvre homme doit maintenant recevoir les appels du concierge qui réclame son loyer.



C'est à la bibliothèque, dans ce silence synthétique consensuel, que je réalise à quel point je tousse, et combien sec, et combien creux.



Suis descendu chez XYZ pour téléphoner tranquille à Fido, où un préposé à la clientèle m'a assuré que selon son ordinateur, mon cellulaire fonctionnait à merveille.



Passé voir Blackburn, liquider quelques bouquins. M'offrait vingt-deux. J'en voulais vingt-quatre et on s'est entendu sur vingt-trois. «Tout ce qui excède vingt, ai-je expliqué, c'est ce que je mange!»



Il riait encore quand je suis sorti.

16.12.02

Annie dresse des listes comminatoires de choses à faire, me diffame à tour de bras et me cocufie avec ses amants imaginaires.



Ma liste à moi, celle qui gouverne ma semaine, se lit comme suit:



-Amende (payer 50$ au gouvernement);

-AT&T 27(appeler ces chiens corporatifs qui me facturent un téléphone inactif);

-SOCAN (vérifier les comptes: le débit gonfle comme le groin d'une truie en rut);

-Pièce CAT (récupérer manuscrit prêté à Catherine);

-F&F (Fange & Furie: K le photocopie et je l'achemine à Laverdure);

-Pile (en acheter une, AA, pour l'horloge murale qui retarde);

-Mémoire (de Maîtrise: redemander à Kevin de me le dégoter);

-Show (prendre une douche);

-SODRAC (Where the fucking shit is my check?!);

-Humeurs (intégrer ce texte à la trame d'Origines?);

-Biblio (renouveler emprunt de bouquin d'ici le 19);

-Inukshuk (intégrer notion à Origines: «Pour montrer que nous sommes passés ici!»)



Si ce qui précède était un film recensé par TV Hebdo, on pourrait lire ensuite: Étude de caractères intéressante et amusante. Ton de douce cruauté. Certains passages très réussis. Interprétation un peu forcée.











Peu de gens savent que mon grand-père paternel est un joueur de haute volée, ce que la mafia appelle méchamment un degenerate gambler et que j'appelle illusoirement un descendant des princes de steamboats remontant le Mississippi.



Grand-père sera fort fâché de la fermeture annoncée de trois hippodromes québécois sur quatre.



L'avantage d'une rage de dents perpétuelle, c'est qu'un sac de biscuits aux brisures de chocolat dure sacrément plus longtemps.

15.12.02

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Les producteurs ne renouvelleront pas l'option sur Vago. Suis dans la mouise jusqu'aux narines.



Vendredi, Mario puis Justine ont débarqué les bras chargés, comme le père Noël et sa gonzesse qui seraient divorcés.



Mario a livré l'étiquette de bagosse. Juste à temps: il restait deux bouteilles de lie.

13.12.02

Eu connaissance de l'existence d'un mémoire de 122 pages récemment déposé à l'Université de Montréal par Maude Laparé: L'inscription du littéraire dans Vamp de Christian Mistral et La Rage de Louis Hamelin. Chargé Kevin de mettre la main dessus. Apprendrai peut-être quelque chose.

12.12.02

Le silence de mon enfant me tourmente, cela ne va pas nécessairement sans dire. Des tas de choses ne vont pas sans dire, quand on y pense; surtout les nécessités. Donc, le silence de ce petit salaud me blesse et je n'ai pas le caractère qu'il faudrait pour le dissimuler. Pas la force de faire semblant que je m'en fous, ce qui l'inciterait à changer de tactique au cas où. Il me manque et tant pis si ça lui fait plaisir.



Cela dit, m'est avis qu'il requiert un respect à sens unique que je suis bien incapable de lui donner. Je n'ai jamais donné de respect à personne. Petit, ma mère exigeait le respect et je refusais de le lui accorder, comme ça, à l'oeil. A fallu qu'elle le gagne, et aujourd'hui je serais bien en peine de nommer quelqu'un ici-bas que je respecte plus que ma mère. Alors, hein, moi qui ne pouvais même pas respecter ma propre mère gratis, je le ferais pour mon fils?



Au jeune poète qui m'écrit: Nous marchons ensemble quelque part le long d'un caniveau, avec des ailes qui nous font faire des bonds d'extase: Si nous marchons ensemble le long d'un caniveau (dedans, c'est toujours le long de), il ne saurait s'agir du même. Ainsi, je porte l'ancien anneau d'un citoyen romain, le même que ce citoyen portait, pourtant ce n'était pas l'ancien anneau d'un citoyen romain pour ce citoyen romain, c'était juste son anneau. Les caniveaux, c'est pareil. Quand on en part pour s'élancer, c'est un caniveau. Quand on y retombe après avoir léché les étoiles, c'est un autre caniveau. Même si c'est le même caniveau.

11.12.02

Yeux pleins d'eau et d'émotions démodées.



Demain, Kevin doit passer ses deux derniers examens, en plus de remettre une lettre au prof qu'il apprécie le plus dans laquelle il expliquera pourquoi il échoue à livrer la marchandise échue, et tout son subit affaissement me porte à croire que l'ancien gardien de but bantam s'apprête à donner son 50%. Certes, c'est toujours 50% de plus que ce que j'ai fourni moi-même à l'époque où j'ai décidé de tout laisser tomber, mais ça demeure moitié moins que ce que j'attends de lui.



De quel droit attends-je cela? Fuck! Du droit de celui qui aime. Du droit du raté sage. Du droit de celui à qui on n'a rien dit garçon et qui n'écoutait rien de toute façon. Du droit du mentor à qui on a menti autrefois et qui veut rompre le cycle et réparer.



Le soulagement! Le grand flatulent OUF!Je le connais intimement, cet allégement de l'être entier, quand on a décidé de larguer ses devoirs sans ameuter les populations... Mais le regret aussi, je le connais, ce germe d'incertitude attaché à la facilité, qui croît en un long doute rongeur visqueux, qui mine les fondations mêmes de la décision et des réussites ultérieures, le ferment du syndrome de l'imposteur!



D'une part, mon fils imite mes plus irritants exemples: partir, durcir, férir (les murs); le kid se fait une idée du métier d'homme loin de moi, il se guide sur des impressions romantiques et des souvenirs désincarnés.



D'autre part, Kevin constate tout de ma misère de visu, misère émotive, intellectuelle et financière, allant jusqu'à la partager de bon coeur, or qu'a-t-il trouvé à retenir des cent matins où je me suis levé pour lui percoler un café avant de rectifier sa cravate et le regarder partir pour l'école? Cet abruti sanguin de Madelinot du christ n'a rien trouvé de mieux à retenir que le goût de faire pareil et d'embrasser la misère romanesque.



Enfin, demain, il fera néanmoins de son mieux, parce que je le lui ai demandé et qu'il l'exigera donc de lui-même une dernière fois. Cinquante pour cent de son mieux, c'est encore assez pour obtenir la note de passage. Mais je songe à ces légions de doués qui décrochent chaque année, épuisés de solitude, écoeurés de ramer dans un carré de sable: la plupart ne prennent pas cette sérieuse tangente (cf. Petit Robert: Fig. Prendre la tangente, s'échapper par la tangente, se tirer d'affaire adroitement en éludant la difficulté par un faux-fuyant) entre deux sessions, dans la sérénité. La plupart plongent à deux semaines des examens finaux, écrasés par une réalité soudaine dont ils ne soupçonnaient ni le poids ni la sournoiserie. C'est une tragédie sans cesse renouvelée qui n'est pas reflétée dans les chiffres des ministères. Et merde!



Et merde...



Bon, eh bien, c'est comme ça, il veut être écrivain, qu'il le soit, mais alors qu'il soit bon, qu'il devienne le meilleur en second (pour le premier la place est prise), et qu'il ait la chance quand sa foi faiblira de trouver quelqu'un sur son chemin qui lui sera ce qu'il est pour moi.



Mon doux cousin est passé m'embrasser et glisser quarante dols dans mon poing.



Le monde est laid, mais tant qu'il reste du beau monde... Le monde est mauvais, mais tant qu'il reste du bon monde... Le monde est...



Ouais, bon, vous comprenez ce que je veux dire.
Hans m'informe que ma crise du logement est terminée. «C'est fou ce que les lettres Me devant un nom peuvent faire comme effet!»

10.12.02

Le destin de ma poésie est décidément de finir aux poubelles. Les Muses m'adressent de grands signes. Aujourd'hui, j'ai écrit à Vanasse, lui annonçant que je passerais reprendre le manuscrit de Fange et Furie pour le remettre à Bertrand Laverdure. Or, André, n'ayant pas de mes nouvelles depuis des semaines, venait juste de le confier à la récupération...



À quatorze ans, j'ai pédalé jusqu'au rang 30 pour remettre à Marie-Claude ma première plaquette imprimée à compte d'auteur, qui lui était dédiée. Luc, son frère, m'a avoué plus tard qu'elle l'avait brûlée dans la grange sitôt après mon départ.



Au moins, c'était sans la lire.
Rêve cochon dans un bureau. Décoinçage de petites secrétaires. Un bureau? Y ai travaillé deux semaines en 1983, à aiguiser des crayons, mais enfin, c'est étrange.
Flotte encore sur ma conversation avec Hélène. Me sens comme une jeunesse. Excité, terrifié, l'appétit renouvelé.



On a dormi au Bunker. K s'étonne de n'être pas plus abîmé par son absorption. La bagosse, boisson miraculeuse?

9.12.02

Travaillé tant soit peu à Origines, puis suis monté aux Catacombes à la rescousse de Kevin: l'animal se tuait à boire la bagosse tout seul.



Donné un coup de plonge dans la cuisine d'Augias. Mon pote en était à utiliser la porcelaine de sa grand-mère. Et tout en torchant j'ai compris pourquoi Léo, dans le temps, faisait de même pour moi: il voyait que la vaisselle sale était sur le point de me subjuguer, et il m'aimait.



C'est là qu'Hélène m'a rejoint sur mon vieux cellulaire pour me dire qu'elle venait de terminer la lecture du Journal en entier. Deux semaines qu'elle cherchait à entrer en contact avec moi, pas foutue d'utiliser le courrier électronique, moi qui commençais à croire qu'elle cherchait les mots qui me feraient le moins de peine, mais non, j'avais tout faux, elle adore, c'est son mot, j'adore, sacrée bonne femme de jugement sûr, et voilà, d'ici peu de grands changements sont susceptibles de survenir pour ma pomme!
Premier matin sans surcroît d'angoisse depuis deux semaines. Comme si j'avais oublié mes bagages dans mon sommeil. Envie de paraphraser Laetizia Bonaparte: «Pourvou qué ça doure!»

8.12.02

Hans sort à l'instant. Va s'occuper des administrateurs du building pour moi. Semble apprécier la bagosse de Kevin. Vais lui envoyer la recette.



«Comment te remercier?» ai-je demandé, gêné, et lui, laconique:«Écris!»
Mon coeur est un pain de plastic dissimulé sous un gibus calamistré.

7.12.02

Mon coeur est un chien roux qui ronge une mâchoire de mouton à l'ombre des palétuviers.

6.12.02

Petit courriel de Justine:



Christian, j'ai une demande spéciale. J'aimerais une page de ton journal qui ne soit dédiée qu'à l'amour. Rien d'autre que l'amour. Celui que tu n'as pas, celui qu'on t'a donné, qu'on veut t'enlever, que tu as oublié, que tu caches, dont tu rêves... Pour toutes les femmes qui te lisent. Pour toutes celles qui n'osent pas te le demander. Un cadeau d'avant Noël.



Je veux bien essayer, Justine, ma douce. Mais sais-tu bien ce que tu demandes?



Enfin, allons-y. J'ai aimé et j'ai été aimé. Il faudra que je parle au passé parce que je n'éprouve plus les choses comme avant, avec confiance et advienne-que-pourratisme, et l'innocence qui est de l'ignorance bienheureuse.



Quand le ciel juridique m'est tombé sur la tête, j'ai commis l'erreur de protester que j'aimais les femmes, et on m'a cruellement tourné en dérision pour cela. Or, le temps a passé et force m'est de reconnaître que je ne les aime plus autant qu'avant, en grande partie parce qu'elles s'aiment rarement elles-mêmes.



Mais bon, j'ai aimé, hein, faut pas croire. Aimé si douloureusement que l'émail de mes dents se fendillait comme un vitrail de cathédrale dans un tremblement de terre. Et puis légèrement, béat, en d'estivales orgies de chair joyeuse et aussi parfois l'hiver, engoncé avec elles dans la chaleur du foyer.



Celui que je cache, je n'en parlerai pas. C'est toi, celui que je cache! Et puis je suis un drôle d'écrivain, car j'ai appris très tôt à ne rien mettre par écrit des choses de l'amour. Plus homme qu'artiste, disons.



Celui dont je rêve trempe mon lit la nuit. À mon âge, c'est pas mal.
J'ai de drôles de cauchemars, qui sont aussi des rêves.



Il faut comprendre que K et moi jouissons de cette rarissime faculté d'ordinaire réservée aux vieux couples et aux jumeaux: pouvoir lire l'esprit de l'autre, le deviner, l'anticiper, le ressentir.



Or, j'onirise que ma bouche est scellée et que l'on me calfeutre et que Kevin comprend juste à travers mes yeux qu'il faut me tirer de là quoiqu'il advienne.



Comment Moïse et le buisson ardent communiquaient-ils vraiment? Cette chose suppliait-elle cet homme de l'extraire de sa condition?



5.12.02

Dormi dix-huit heures pour apaiser le nerf de ma molaire. Réveillé avec une plaie de lit. Can't get a break.

4.12.02

Signifié à Éric qu'il était temps de se lever et de marcher. De partir. Que le Saigneur me pardonne: je n'ai plus le gros coeur. Comme celui de Kevin, je veux dire. L'ai eu. Ne l'ai plus. S'est racoutillé comme peau de chagrin.
Doublevé (bouche) avalera-t-il l'Irak d'ici au jour de l'An?



CNN précise que les USA se réservent le droit de ne pas tenir compte de l'absence de preuves accablantes de weapons of mass destruction dans les chaussettes de Saddam: les USA détruiront tout en masse anyway.

3.12.02

Après que j'eus désinfecté le petit orteil d'Éric (irrité au sang par frottement, et ce grand bébé craint déjà la bactérie mangeuse de chair), puis appliqué un diachylon (emplâtre agglutinatif employé comme résolutif), il m'a aidé à procéder à la cérémonie de concoction du pâté chinois (épluchant douze patates et un oignon) que Kevin viendra dévorer avec nous vers vingt heures, sitôt sorti du focus group où il va gagner 35$ en pérorant sur les vices et vertus d'un nouveau jus (d'orange).
Écrire l'histoire d'un homme qui aime la littérature, la bière et la liberté.
Long lost week-end tordu comme un trombone. Temps de remettre le pied à l'étrier. Saut dans la douche. Sali le savon.



Comme chaque fois que j'interromps le Journal quelques jours, l'indice de fréquentation grimpe en flèche. La tribu s'inquiète. Moins j'écris, plus j'ai de lecteurs!



Éric récupère sur le divan, en pleine dépression post-party. Moi connaître. Par coeur.