12.9.12

La chefferie du parti libéral du Québec

Danger: Raymond Bachand teste ses appuis. Qu'un leader aussi charismatique, au magnétisme sexuel aussi agissant sur les foules, avec une telle maestria de l'imagination populaire, qu'un homme de cette trempe songe au pouvoir fait déjà trembler tous ses éventuels adversaires et me fait chier dans mes culottes.


Les sondages à l'interne le donnent déjà gagnant, à condition que la jambe de bois de Lucien Bouchard ne se présente pas.


6.9.12

Johnny Bee: les mots

Il est bien des choses. Entre autres, un grand écrivain.

Les mots
Jean Barbe


Bien sûr, leur chambre est un bordel sans nom et souvent ils préfèrent l’usage de leurs doigts à celui de la fourchette. Bien sûr, il faut leur rappeler matin et soir de se brosser les dents, et s’il n’en tenait qu’à eux, ils se conteraient la plupart du temps d’une diète composée exclusivement de chips au vinaigre, de bonbons et de crème glacée pour les temps chauds.
Mais ils s’intéressent à des choses qui ne sont pas de leur âge et, hier soir, mon fils m’a demandé de choisir pour eux des films d’Alfred Hitchcock, qu’il ne connaît pas encore, mais dont il sait qu’il est un grand du passé. Et Kubrick aussi. Il voudrait voir The Shinning.
– C’est d’après un livre de Stephen King, non ? – Oui. – Comme La ligne verte ? C’était tellement bon, La ligne verte.
C’est l’aîné. Il aura 13 ans dans deux semaines et déjà il m’arrive aux sourcils.
Bien sûr, il se chicane avec sa soeur, et parfois ça dégénère. Sans doute ont-ils appris un peu tôt l’art du sarcasme et de la dérision. Ils savent mettre les mots dans la plaie, frapper juste et sec, au défaut de l’armure, dans le noeud fragile des contradictions de l’autre. Ils font mal, les mots, quand ils sont affûtés, choisis pour blesser.
Mais ils savent aussi bercer, soigner, panser, soulager, les mots, quand ils se font doux et caressants avec la même précision. Et mes enfants se blessent parfois et s’entendent pourtant à merveille, et s’aident et s’aiment et savent aussi se le dire.
Et ils le disent non pas avec des mots que je leur ai mis en bouche, mais avec des mots qu’ils ont lus et compris.
Les mots de leurs lectures.

Le désennui
Ils n’étaient que de petites choses maladroites, bondissant partout sur leurs jambes boudinées, que déjà je leur disais :
– Je n’ai pas été mis sur terre pour vous désennuyer !
Ils étaient à l’âge où, en garderie, on ne leur laissait pas un instant de répit ; toute la journée planifiée, des activités aux demi- heures, pas question de les laisser trop longtemps contempler le ciel pour trouver des formes aux nuages. Alors, pendant les week- ends et les vacances, je m’efforçais de les désintoxiquer de ces horaires trop chargés qui deviennent comme une fuite en avant.
Je suis à cet égard décidément d’un autre temps. Ou d’une autre culture. Oh, mes enfants ont des activités, oui, cours de batterie, de natations, de nage synchronisée, de tennis. Mais jamais plus d’un à la fois, et, Bon Dieu, pas tous les jours, pas tout le temps !
Alors, forcément, parfois, ils ne savaient que faire, avec moi, en vacances, en week-end, à la campagne.
– Je n’ai pas été mis sur terre pour vous désennuyer !
Et je leur montrais les livres qui tapissent chez moi les murs et qui s’empilent en désordre un peu partout, et les livres qui me suivent toujours comme une meute fidèle. Et je leur racontais ce que m’avait dit, voilà près de quarante ans, une bibliothécaire émue en me tendant ma toute première carte d’abonné :
– Ceux qui aiment lire ne s’ennuient jamais.
Peut-être que ça n’a rien à voir avec ça. Peut-être que ça n’a rien à voir avec cette bibliothécaire, ni avec moi. Mais mes enfants lisent, beaucoup, d’abondance. Peut-être que ça n’a rien à voir. Mais le fait est que j’ai voulu qu’ils s’ennuient, parfois, afin qu’ils puissent apprendre à écouter le silence, le murmure de leurs pensées. Et dans l’espoir que, un jour, ils tendent la main vers un livre, pour ne plus le lâcher.

Penser, panser
Au cours d’une discussion, voilà quelques semaines, mon fils s’est soudain arrêté de parler. Nous attendions, ma fille et moi, en le regardant.
– Attendez un peu, je réfléchis à ce que je pense, a-t-il dit en guise d’excuse.
Nous avons éclaté de rire, sur le coup. Depuis, cette petite phrase ne cesse de m’impressionner.
Et voilà que nous pouvons partager les mêmes lectures, mes enfants et moi. J’ai lu les Hunger Games que ma fille a dévorés en quelques jours, et je viens tout juste de terminer le premier tome du Trône de fer dont mon fils a lu les 800 pages en deux semaines de vacances pourtant agrémentées de nombreuses expéditions et jeux et baignades…
Ce ne sont pas des livres simples même s’ils sont divertissants. Le trône de fer, surtout, qui est également une somptueuse série télé (Game of Thrones). S’y révèle toute la méchanceté humaine, sa cruauté, sa soif de pouvoir, sa complexité.
On y lit que les héros peuvent mourir avant la fin du premier livre et que les plus méchants savent survivre en se rendant indispensables. On y comprend qu’il n’y a pas de justice absolue, et que le chaos règne si on n’y prend garde. On y apprend que les convictions ne sont rien sans les actions qui les incarnent, mais que nos convictions peuvent se heurter à celles des autres, tout aussi légitimes.
Ce n’est pas un livre pour enfant. Justement.
Peut-être que ça n’a rien à voir avec moi. Peut-être.
Mais cette petite phrase, comme j’aimerais l’entendre plus souvent, à la télé, à la radio. Comme j’aimerais la lire plus souvent dans les journaux, sur le net.
Une toute petite phrase, qui nous permettrait peut-être d’échapper à la fuite en avant, à la bêtise de la simple réaction aux événements. Une toute petite phrase qui nous permettrait peut--être d’échapper à cette course folle, les deux mains sur le volant, qui ne conduit qu’à la désolation. Une toute petite phrase pour panser le monde et peut-être le guérir.
«Je réfléchis à ce que je pense.» La phrase de mon fils, qui a trouvé, dans les livres, les mots pour la dire.