Y a rien à jeter, dans l'ouvrage de Gaétan Bouchard, on peut y entrer au hasard par cent portes comme dans un manoir, on sera pas déçu de la visite. On peut entrer par la peinture, par la musique, par la littérature...
Les Tribaux full patch connaissent déjà bien Butch, mais à l'intention des prospects, voici un châssis parmi cent par lequel pénétrer sa maison.
Cent portes, cent châssis...
Et juste par précaution, parce que je truste de moins en moins la légende du contenu web éternel, et parce que je sais qu'il ne m'en voudra pas, je le recopie ici, ce châssis...
dimanche 13 juillet 2008
REYNOLDS! REYNOLDS! MANGE D'LA MARDE T'AURAS PAS NOT' PEAU!
Je vais paraître ringard et le suis sans doute à ma façon. Mes idoles, quand j'étais jeune, c'était mes parents. Je voyais bien qu'ils se fendaient le cul pour leurs quatre gros et grands enfants mâles à l'appétit vorace. Même au temps des pires calamités, ils trouvèrent le moyen de nous faire sentir que nous ne manquions de rien.
Mes parents n'ont jamais eu d'auto et leurs bicyclettes étaient rouillées.
Ils nous ont mis au-dessus de leurs intérêts primaires et égoïstes. Ils bûchaient dur, croyez-moi. Ils buvaient de l'eau ou du Seven-Up et ne sortaient jamais. Ils vivaient pour que nous vivions.
Je revois ma mère en train de coudre des montagnes de chemises payées quelques sous la pièce sur sa Singer légendaire. Je la revois revenir épuisée après une journée de ménage chez des particuliers ou bien après une nuit de travail de préposée aux bénéficiaires au foyer pour personnes âgées. Elle occupait ses temps libres à nous faire de la bonne bouffe et des desserts qu'on gobait tout rond sans même mâcher, comme des ogres.
Je revois mon père en train de faire le Père Noël chez Zeller's, sur la rue des Forges. C'était pendant une grève de la compagnie d'aluminium Reynolds, pour ajouter un peu de pognon au chèque hebdomadaire du fonds de grève. Je nous revois sur ses genoux de Père Noël, moi et mon plus jeune frère.
-Qu'est-ce qu'on va awouère à Noël Pa? que nous lui demandions, les yeux plein de signes de piastres.
-Crétak! E'l'Père Noël est pas ben ben riche c't'année... Ses lutins sont en grève...
-Ok d'abord...
Je ne me souviens pas quel cadeau j'ai reçu ce Noël-là. Peut-être des figurines G.I. Joe que nous avions décapités à coups de hache deux ou trois mois plus tard.
Hormis mon frère aîné, qui nous servait de point de repère moral pour tempérer notre stupidité naturelle, nous avions cette manie de trouver un plaisir pathologique à briser nos jouets. Nous décapitions nos figurines, envoyions nos petites autos à la casse à coups de pic à glace, n'importe quoi pourvu que les parents ne nous voient pas et que les amis nous applaudissent pour notre audace.
LE CHAPELET ET LE VOTE DE GRÈVE
Comme la Reynolds était souvent en grève ou en lock-out, mon père ne pouvait pas vivre seulement sur son statut de Père Noël à temps très partiel. Aussi, il devint agent de sécurité. De nuit, il faisait ses rondes. De jour, il tenait sa pancarte avec ses camarades grévistes.
Je me souviens d'un fameux vote de grève. C'était dans le tournant des années '80.
Ma mère capotait. «Comment va-t-on arriver? Si la Reynolds tombe en grève, comment va-t-on se nourrir, s'habiller?»
Pour conjurer le sort, elle nous mit un chapelet entre les mains, moi et mon frère. On s'est ensuite mis à réciter des Je vous salue Marie, des Notre Père et des quossins qui ont trait au Rosaire, au Roger ou bien au je ne plus trop.
-On va prier pour que les employés de la Reynolds votent contre la grève! Prenez votre chapelet et prions ensemble...
Nous récitions à pleine vitesse, sans marquer de pause.
-Jevoussaluemariepleinedegrâcesleseigneurestavecvousetspiritussanctiyouppiamen.
On récitait vite en tabarnak. Fiou! C'était à en attraper des ampoules aux doigts, tellement le chapelet défilait vite dans nos mains. Plus je priais et plus j'avais mal aux genoux. Et plus j'avais mal aux genoux et plus je doutais de la sagesse de Dieu. Je faisais semblant de marmonner ces incantations, ces youppi-amen-mes-culottes-sont-pleines, pour ne pas déplaire à ma mère.
Nous étions encore en train de prier lorsque mon père fit irruption dans notre modeste logement de la rue Cloutier, macaron de la CSN sur sa chemise, droit comme un i, fier, debout et digne.
-Reynolds ! Reynolds! chantait-il, mange d'la marde t'auras pas not'peau!
Du coup, nous nous mîmes à rire, moi et mon frère, au grand dam de ma mère, contristé, inquiète du sort qui nous attendait.
-Les gars, j'en ai une autre, disait mon père. C'est sur l'air de Savez-vous planter des choux.
Savez-vous planter des boss
À la mode, à la mode
Savez-vous planter des boss
À la mode de chez-nous
-Une autre Pa! Une autre!
-Ok. So-so-so solidarité! So-so-so solidarité!
-So-so-so solidarité!
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
-Tu vas pas leur faire répéter ça Conrad! Quel exemple tu donnes aux enfants!
-Dans ' vie, ma Jeannine, faut pas s'faire piler sur les pieds!
-Comment c'que c'est qu'on va arriver? Ma Foi du Saint-Ciel!
-On va s'en sortir pis les crisses de baveux de la Reynolds vont nous payer!
Après le chapelet, il n'y avait rien de mieux qu'un peu de révolte. Alors, nous nous sommes tous mis à chanter avec le père:
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
La grève dura près de deux ans.
Les travailleurs de la Reynolds étaient les travailleurs de l'aluminium les plus mal payés de toute l'Amérique du Nord. Les conditions de travail étaient aussi parmi les moins bonnes. Tout ce qu'il fallait pour faire une bonne grève.
Cette grève est allée une coche plus loin que les autres grèves. Elle a frisé la révolution sociale. Même les policiers du Cap-de-la-Madeleine ont pris partie pour les grévistes de la Reynolds, à l'époque, prêts à affronter la brigade anti-émeute de la Sûreté du Québec pour défendre les grévistes. Les policiers du Cap ne se voyaient pas en train de frapper leur frère, leur oncle, leur beau-frère.
REYNOLDS, CORUS PUIS ALERIS...
Mon père est décédé d'un cancer en 1996. Il avait pris sa retraite à 62 ans. Il bénéficiait de sa pleine retraite mais une petite clause de son contrat élaborée par quelque minable actuaire laissait entendre que la veuve ne disposerait pas du fonds de retraite s'il décédait avant 65 ans. Il est mort l'année suivante. Imaginez le reste.
Mon père est mort jeune, comme plusieurs anciens travailleurs de la Reynolds du Cap-de-la-Madeleine: l'huile, la bauxite, les quarts de travail, ça scrappe son homme.
La Reynolds a eu sa peau, mais pas son âme. Teddy, c'est ainsi que l'appelaient ses chums de la shop, n'a jamais pris le parti des boss. Il était corps et âme pour sa famille et ses camarades.
Puis la Reynolds est passée entre les mains de Corus puis, plus récemment, du groupe Aleris.
Vendredi dernier, les travailleurs en lock-out de l'usine Aleris ont voté à 80,3% contre les offres patronales. La compagnie menaçait de fermer et a finalement mis sa menace à exécution.
Quoi qu'il advienne, quoi qu'en disent le maire Lévesque et tous les gérants d'estrade, mon coeur penche du côté des quelques 80,3% des employés pour qui la dignité porte encore un nom.
-Aleris! Aleris! Mange d'la marde t'auras pas leur âme!