14.6.13

Blue by Lorka



Laure Kalangel, dont le talent m'époustoufle depuis longtemps, me fournit avec ce nouveau vidéo l'occasion d'ajouter quelque chose au portrait de Blue tel que je le brosse en mots et le publie par petits bouts. Quelque chose que je retenais faute de trouver un moyen de l'écrire sans paraître me flatter moi-même.

Blue pose un regard intensément aimant et curieux sur l'art, j'ai souvent tenté de l'expliquer, mais c'est en fait l'artiste qu'elle cherche, son intention, sa volonté, c'est lui qu'elle souhaite écouter, entendre, comprendre à travers son travail, et comme il est souvent soit mort soit ailleurs que son oeuvre, c'est l'oeuvre que Blue interroge, et qui interroge Blue. Mais il y a autre chose encore. Blue cherche la beauté, et je ne sache pas qu'elle ait échoué à la trouver, au sens où la laideur est une absurdité à ses yeux. Si quelque chose lui paraît laid a priori, elle se frotte les yeux et regarde à nouveau, autrement. L'idée qu'un créateur ait pu délibérément produire de la laideur lui est étrangère, et à la rigueur elle trouverait cela beau. Sa bonté sans fond envers tous ceux qui ne font pas exprès de créer laid ou pas l'effort de faire du beau m'exaspère bien souvent, mais c'est aussi l'un des traits qui fondent pourquoi je l'aime tant.

Enfin, car il y a autre chose encore: Blue est elle-même une oeuvre d'art, et se considère ainsi depuis trente ans, et se construit, et s'entoure de talents qui savent la voir. Patrick Natier fut probablement le premier. Qui n'a jamais cessé de la contempler, la peindre et la photographier. Je suis venu beaucoup plus tard, avec des mots. Laure Kalangel le fait avec des images qui bougent et qu'elle monte avec un style et une syntaxe aussi brillants et personnels que le pourrait un Littéraire. Un grand Littéraire...

3.6.13

Ce 3 juin

Ce 3 juin est le jour anniversaire d'une personne qui m'est chair. À qui je dois la vie. La vie qui n'est pas tous les jours un cadeau, mais que l'espèce humaine depuis qu'elle existe et tant qu'elle durera considère comme un don. Mystérieux. Créateur. Magique.

Thank you for my life.

2.6.13

Le nouveau monde

Remember this? I do. J'oublierai jamais.

J'oublierai encore moins que mon grand amour prétende ne rien voir de mal à payer pour mettre les pieds dans ce Théâtre du Nouveau Monde. Une femme qui m'a séduit, menti, fait croire qu'elle partageait mes principes. Qui m'a trahi.

16.4.13

Juste un crisse de Grilled Cheese!

Y a quelqu'un qui nous a shippé une recette de Grilled Cheese en français, mais on l'a égarée. MakesmewonderHum! croit se rappeler que l'ingrédient spécial, c'était du fromage bleu. Tonio dit que c'était du Maroilles, le cheese Ch'ti qui pue virtuellement dans le monde entier depuis le film de Dany Boon. Emcée dit que c'est des tranches de Kraft orange salé. Moé je dis fuck, c'est de la caséine anyway. Remember, la recette était en français. Ai-je besoin d'en dire plus? L'affaire est close, me semble. L'expéditeur s'est trahi. C'est manifestement une personne de l'Hexagone, et on peut d'emblée rayer trente millions de suspects du fait que la coupable est va sans dire de sexe pitoune. Les mecs bouffent des Grilled Cheese, à la rigueur ils s'en font cuire, mais ils écrivent pas la recette et la transmettent encore moins. Donc, une pitoune hexagonale de langue gauloise ignorant que caséine vient du latin caseus signifiant fromage et ignorant davantage qu'en France on s'en sert aussi (I kid you not! It's disgusting, I know, but it's all true!) comme liant de peinture. S'il n'y avait que ça, passe encore: on se souvient du scandale de l'antigel dans le Beaujolais Nouveau destiné à l'exportation (ici!). Correction: on s'en souvient pas, justement, alors imaginez ce qu'on peut s'en foutre de ce qu'ils mixent dans leur peinture, Picasso liait ses couleurs avec de la morve, Buonarroti incorporait du blanc d'oeuf à ses pigments, on va pas s'offusquer que les Français mettent du fromage dans leur acrylique. C'est quand on apprend que la caséine est aussi une colle utilisée dans les vins blancs pour les rafraîchir que là, franchement, on démissionne!

Je décrète donc que cette recette de Grilled Cheese en apparence inoffensive sentait mauvais pour cause de caséine de race floue.



24.3.13

Juste un signe de vie en flyby



Pour ceux des beaux Tribaux qui passent encore voir si chu pas mort: don't sweat, you sweet unholy bunch of brilliant caring bastards, the whole pack of you, Dawgs and Bitches and Pups, don't sweat, the dingo's got my baby, that's all, so I'm hunting dingo, you know, while chasing the dragon simultaneously, and GAWDDAAAMn it ain't as easy as it used to be. Don't run as fast, don't bite as hard no more, and those dingoes are young, Man, young and wild and triomphantly degenerate, as far as...

Oh dear! Gotta run! Chasing the dragon used to be such fun, before they let girls and Frenchmen into the game and mandatory piss tests were introduced. I'm thinking of retiring, coming back here, settle and chase cockroaches in my trailer, one or two a day, just to keep in shape, you know, and have fun, without girls, without Frenchmen, without piss tests...







18.2.13

Hier encore...

Chu trop maganné pour trouver les mots qu'il faudrait et en faire les phrases que tu mériterais en ce beau jour de ton anniversaire. Blue... Passé 40 ans, les gens dans leur immense majorité ne nouent plus d'amitiés totales, intenses, entières et virtuellement pour la perpète. Pour plusieurs raisons, toutes bonnes. Parce que ça ne se présente pas souvent, surtout. Imagine alors la valeur du cadeau que m'a fait la vie, elle qui en est avare: le cadeau de toi. D'une amitié statistiquement si improbable. Je suis passé de l'immense majorité à la micro-minorité bénie...

Je dois me hâter de terminer, héhé, sinon je raterais mon effet. Tu sais comment on a tôt appris à se moquer des fuseaux, à s'en faire un tape-cul, son centre de gravité au milieu de l'Atlantique, les extrémités de la planche sur deux continents, et nous assis dessus, balançant. On n'a jamais senti le décalage.

Ce soir, on fait exception. Tu as un an de plus depuis six heures chez toi. Ici, tu as un an de moins, Pour encore huit minutes. Tu as deux âges en même temps. T'es magique.

C'est mon cadeau. Faut je publie au plus sacrant!

16.2.13

Quatrain cadeau de Kevin Vigneau

Épitaphe pour putain putride

Ci-gît l'égérie des giries
Qui molestait mille mollesses,
Mièvres et graves maladies
Qu'a colportait du cul aux fesses.

9.2.13

Pour nourrir le ver auriculaire de l'Anonyme

La vérité Venne


J'ai promis d'essayer, pas de réussir. À contacter Stéphane Venne et obtenir ses lumières sur le texte exact de sa chanson, qui fait l'objet du précédent billet...

Eh bien, je suis dans l'obligation de vous revenir avec une claire et concise constatation. LE BOUGRE N'EST PAS UN BRANLEUX! Et de plus il est très généreux.

D'abord, il m'écrit deux lignes. La première («Je confirme: par des bouderies inutiles»valide les oreilles fines de Ginette Desmarais et MakesmewonderHum. La seconde nous félicite («Et "youppi" pour le réflexe d'aller au-delà de la surface des choses.»).

M'empressant de le remercier, j'en ai profité pour oser demander davantage. Cette histoire de virgules et de découpage du texte, ça compte, pour moi. Sauf qu'on n'imprimait pas les paroles, en général, quand on produisait un microsillon en 1971, et que les photocopieurs étaient rarissimes: outre le manuscrit original final, il ne pouvait exister que trois exemplaires originaux du tapuscrit agréé par l'auteur (vu qu'il le dactylographiait personnellement): le feuillet alpha plus deux copies carbone. L'ère de l'ordi approchait, exégètes et archivistes littéraires ignoraient encore que leurs métiers iraient bientôt rejoindre ceux de maréchal-ferrant et de typographe aux poubelles de l'Histoire. Mais pour l'heure, un auteur dépendait entièrement du papier pour archiver et conserver l'oeuvre en cours, et cette entreprise exigeait, autant que de la vigilance, d'avoir de la chance. Le papier s'égare, se perd, s'envole, se vole. Surtout, il brûle...  

Plusieurs se souviennent du cruel et violent incendie nocturne qui avait dévasté la belle vieille maison de Stéphane Venne en 2006, manquant l'asphyxier, lui, ses enfants et ses chats: au matin, une fois l'enfer éteint, le feu et l'eau et la fumée avaient tout emporté, dont quantité de manuscrits, y compris les inédits ainsi que les travaux en chantier (Venne, après vingt ans de silence, s'était remis à l'ouvrage).

J'ai donc hésité à le relancer à propos de cette question de ponctuation. À jeter de l'huile fraîche sur un vieux feu, so to speak. Ma mère s'est donnée un mal de chien à m'enseigner le tact et la délicatesse et l'empathie envers les malheurs d'autrui, et à défaut de pouvoir sans rigoler déclarer ses efforts couronnés de succès, reste qu'elle n'a pas élevé un absolu sauvage: j'ai retenu de tourner ma langue sept fois dans ma viande avant de l'utiliser. Malheureusement, maman avait sous-estimé mes besoins particuliers et souvent il s'avère que sept fois, dans mon cas, ne suffisent pas, mais enfin, c'est assez pour la plupart des situations ordinaires de tous les jours. Et je n'aurais donc pas relancé Venne, s'il s'était agi d'une situation ordinaire de tous les jours.

Sauf qu'être en communication avec Stéphane Venne, pour moi, c'est tout le contraire d'une situation ordinaire de tous les jours, c'est même à mon agenda depuis 1992. Et j'ai réalisé aussi que ce que m'inculquait ma mère valait en règle générale, pas en règle absolue. Tout dépendait de la personne à qui on s'adressait et de ce qu'on voulait lui dire. Or, Stéphane Venne allait certainement recevoir ma question dans le même esprit que je le ferais moi-même si on me la posait: en artisan du verbe pour qui les virgules ne sont pas des détails!

So I did, I dared, I thanked the man and then I asked: «Pouvez-vous m'éclairer sur la ponctuation?»

Cinq minutes après, il répondait: «Vous reviens...»

Ces points de suspension, là, ce choix plutôt qu'un point ou un point d'exclamation, soulageaient le léger doute qui me restait quant à mon intuition: pour lui, la ponctuation n'était pas une question vaine. Non, c'est pas un jeu de mots sur son nom, c'est juste un adon qu'il s'agisse du terme qui convienne.

Une heure et demie plus tard, il est revenu tel que promis, avec le texte intégral exact (mots, disposition, ponctuation), et dix lignes de propos frais en prime. Le relançant une dernière fois, j'ai sollicité la permission de les partager avec vous. Il me l'a accordée en un mot: «Go!»


Attention, la vie est courte

Paroles & musique : Stéphane Venne (1971)


Attention,
la vie est courte,
laissons tomber les jeux,
les trucs
et les scènes entre nous.

Un mariag’ d’amour,
c’est fragile.


Attention,
la vie est courte,
tout le temps qu’on passe à se battre
est foutu à jamais.

Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.

Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.

Attention,
la vie est courte,
c’est pas la peine de
l’abré-
ger davantage

par des bouderies
inutiles.

Attention,
la vie est courte,
allons nous coucher dans le lit
de la vie douce.

Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.

Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.

Tout’ la vie,
c’est tout’ la vie
mais pas une heur’
de plus.

As-tu vraiment
réfléchi
avant de dir’
« Salut »?

As-tu vraiment
réfléchi?

L’as-tu
vraiment
voulu? 

Attends, attends, atten…



Considérant la nature essentiellement orale de la chanson, je n'utilise pas la ponctuation (ni aucun autre procédé de transcription sur papier) selon ses habituels paramètres liés à la lecture ou à la littérature. C'est encore plus vrai dans le cas de cette chanson-ci, qui est encore plus "vers-libriste" que certaines de mes autres: rimes bizarres ou absentes, césures bizarres ou asymétriques, faites à la fois pour épouser la structure mélodique et à s'en distancer, de sorte que "bancal" devienne "normal", et puisse produire une singularité à la fois inattendue et non-apparente, toujours au profit de la rétention (le tandem Hugo-Brassens m'a donné le goût de ces procédés). Faut bien s'amuser... 

(SV, 6 février 2013)

1.2.13

Attention, la vie est courte

Il me revient toujours, régulièrement, des bribes de chansons de Pierre Lalonde que je chantonne, dans ma tête ou dans mon bain. Elles ne se muent jamais en vers d'oreilles haïssables. Comme les reflux de Nicole Croisille, genre, qui me font me taper le crâne sur les murs du Bunker cette semaine.

Eh oui, Pierre Lalonde.

L'une de ses chansons, enregistrée en 1971, je l'avais oubliée. C'est Ivan Le Terrible qui vient, bien involontairement, de me la rappeler, dans un comm chez lui rédigé pour désinfecter. Je l'en remercie.

J'ai d'abord, bien entendu, relu les paroles. Déformation professionnelle. Simple naturel. Lalonde n'est pas un parolier, ne s'est jamais prétendu tel, mais découvrir l'auteur réel d'une chanson sur le Web, c'est jamais une sinécure.

Attention, la vie est courte. C'est le titre. Et les paroles, sur papier, m'ont tout de suite paru provenir de la patte unique de Stéphane Venne. La chute est forte, audacieuse et brillante: oser tronquer le titre-refrain et en multiplier les possibles signifiances... Recherches acccomplies, l'intuition se confirme: Venne est le coupable; en prime, je découvre qu'il a aussi composé la mélodie.

Le texte qui suit n'est en rien garanti, vu qu'il vient du Web. Je ne connais pas d'anthologie officielle des paroles de Stéphane Venne. Ainsi, toute la ponctuation (son absence en l'occurrence) demeure sujette à caution. J'ai choisi, à l'instar de certaines versions, d'inclure une virgule après Attention, mais uniquement dans le titre, et je vais tenter de contacter l'auteur afin qu'il me, qu'il nous donne le fin mot de l'affaire. Je n'ai ajouté aucun autre signe, et j'ai corrigé l'impératif présent deuxième personne du verbe attendre en ajoutant le s final. Quant au vers Par défaut de rires inutiles, j'ai l'intime conviction qu'il résulte d'une transcription fautive, d'abord parce qu'il ne veut rien dire, ensuite parce qu'il diffère clairement de ce que chante Lalonde. Mon avis est que le véritable vers est Par étourderies inutiles: je me suis permis d'insérer cette hypothèse entre parenthèses après le vers tel que trouvé partout sur le Web.

AJOUT: Ginette Desmarais semble avoir résolu l'énigme en entendant Par des bouderies inutiles. Merci!

Attention, la vie est courte

Stéphane VENNE

Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après

Attention la vie est courte
C’est pas la peine de l’abréger davantage
Par défaut de rires inutiles (Par étourderies inutiles? Par des bouderies inutiles? 
Attention la vie est courte
Allons nous coucher dans le lit de la vie douce

Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Toute la vie c’est toute la vie mais pas une heure de plus
As-tu vraiment réfléchi avant de dire salut
As-tu vraiment réfléchi l’as-tu vraiment voulu

Attends, attends
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après

Attention la vie est courte
Attention la vie est courte
Attention la vie

J'avais sept ans, donc, quand la toune est sortie. Venne et Lalonde en avaient trente. Ils sont septuagénaires aujourd'hui. Pierre a révélé son Parkinson en 2010. J'approche la cinquantaine un jour à la fois. Attention, la vie est courte: les mots ne changent pas, mais leur sens, lui, oui, sans cesse et sans repos, avec l'implacable constance du chaos, pour qui les relit, les ressent, les revit...



*****


Hors-sujet, mais pas assez pour faire l'objet d'un billet séparé:

Mon sujet n'était évidemment pas Stéphane Venne, mais bien la chanson dont il est l'auteur, et encore, surtout son titre. Sauf que, on le comprendra, je suis incapable de considérer les mots d'une chanson sans tenir compte aussi de qui les a écrits, quand, pour qui, pourquoi, dans quel contexte. Ce n'est pas une question de principe qui me motive, parce que j'écris aussi des paroles de chanson. C'est d'en savoir l'impossible dissociation (parce que j'écris aussi des paroles de chanson).

Venne est un cas très à part, pour moi personnellement: je n'entrerai pas ici maintenant dans les raisons de cela. Mais j'ai très envie de citer un article qu'il a rédigé et publié dans Le Devoir en 2011, lors du décès de Claude Léveillée. Très envie parce qu'il s'y produit une chose rare: l'artiste décrivant simplement ce qui charpente son art quand il est du grand art, et y parvenant en parlant d'un autre artiste. À peu près tout le monde qui écouterait l'Oeuvre de Venne lui reconnaîtrait un talent d'exception et une plume personnelle, un style, une voix et une inspiration, un don de la langue, mais peu de gens sauraient dire au juste pourquoi. C'est normal. On fait bien la différence entre de grands acteurs, de bons, de médiocres et de mauvais, sans pouvoir préciser davantage. C'est parce qu'on ignore comment ils font, on n'est pas des acteurs. Il n'y a qu'eux pour nous le mettre en mots parfois, et c'est toujours en parlant du jeu d'un autre acteur. Le leur, ils croient n'en rien connaître, concrètement; pourtant, en évoquant celui d'autrui, ils éclairent le leur.

Venne, dans cet article, montre incidemment (et involontairement) à quel point il comprend, connaît, maîtrise l'art de créer la Chanson. L'art et le métier. Peu d'auteurs sont doués d'une telle introspection. Or, À peu près tout le monde que je mentionnais plus haut, soit tous ceux qui n'ont jamais écrit ou essayé d'écrire une chanson, et qui sont donc limités dans l'expression de leurs impressions, ceux-là en lisant un seul article comme ça comprennent beaucoup, énormément d'un coup, sur les chansons et ceux qui les font et comment, plus qu'en en écoutant cent. C'est comme toutes les femmes qu'un gars va trouver belles dans sa vie: si jamais il arrive à commencer à pouvoir expliquer pourquoi, ça sera pas avant la quarantaine avancée. Et ce qu'il saura jamais, pas tant qu'il s'agisse d'un secret quoiqu'il y ait un peu de ça, mais surtout parce que même en le sachant il comprend pas, ce qu'il saura jamais c'est comment s'y prend chacune pour se faire sa beauté.  Pire: elles-mêmes croient l'ignorer, mais les écouter parler de la beauté d'une autre en dit long sur la leur et sur la beauté en général. Plus que tous les magazines du monde entier consacrés au sujet depuis cent ans.





Claude Léveillée, 1932-2011 - Le son Léveillée, l'âme Léveillée


18 juin 2011 | Stéphane Venne - Auteur-compositeur |
Le Devoir





Léveillée savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.<br />
Photo : Jacques Grenier - Le DevoirLéveillée savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.

Si Claude Léveillée avait été juste un gars avec des joies allant jusqu'à l'exubérance, des peines allant jusqu'à l'anéantissement, des espoirs allant jusqu'à l'extase et des appréhensions allant jusqu'à l'effroi, s'il avait été juste un gars qui a vécu des «ennuyances» et d'exultantes retrouvailles, des deuils et des renaissances, s'il avait été juste un gars qui barbe pour museler ou dissimuler son insécurité, bref s'il avait été comme tout le monde, s'il n'avait pas écrit Frédéric, Les Rendez-vous (avec Vigneault), les Vieux Pianos, Le Boulevard du Crime (vous la connaissez?), La Source (et celle-là?), Ne dis rien, Emmène-moi au bout du monde (juste de m'en souvenir me chavire), on n'en parlerait pas, on ne le pleurerait pas.

Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.

Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.

Le socle de la chanson

La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».

La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.

Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note!

Le son Léveillée


Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.

Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).

Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.

Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.

***

27.1.13

Celle-là est pour Plum'…

J'y dois bien ça, depuis son billet du 7 janvier.

J'attendais un adon. Son billet d'hier me l'a offert. Il y est question de toutes sortes d'affaires et d'énergumèneries, on y sent Diogène de Sinope puer incognito à travers son tonneauminium et on y entend Platon par échos anonymes (ces deux-là ne pouvaient vraiment ni s'entendre ni se sentir), et Plum' à travers le temps poursuit la noble quête. Ce volet-là, il l'intitule simplement: Mais qu’est-il donc advenu de la belle éloquence d’antan?

Bon, ben, je souligne d'emblée que je l'sais pas pantoute. Ceci étant, j'offre ce qui suit en appui à la noble quête d'Ole Plum'...


«Connais-toi toi-même»


    Me suis délesté les entrailles et gargarisé avec de l'eau saturée de sel. Ressentais des envies thymiques de grand soleil, jaune impérial japonais. Suis sorti faussement souple dans le sec froid blafard, accablé de solitude à la façon des ivrognes et des poètes et des adolescents, pour les trois minutes qui me séparaient du métro vibrant et chaud d'humanité floue. Ai croisé le voisin dans l'escalier, une espèce de général à la retraite qui sortait son bouledogue. Lui ai encore trouvé une tête à traiter son frère jumeau de fils de pute.
     Je marchais donc en m'interrogeant sur la nature de mes désirs, les motifs même de mon existence. Il me semblait entendre la voix chevrotante de Socrate me commander de me connaître moi-même...  
     Le berceau de notre civilisation n'est pas un petit (im)meuble; il est l'oeuvre expérimentale d'un fort contingent d'artisans méditérannéens. Moins qu'il n'en faudrait plus tard pour ériger les cathédrales de France, moins qu'il n'en défile au générique d'un film de Spielberg, peut-être même guère plus que le nombre total de passagers de troisième classe qu'on enferma à fond de cale pour leur interdire l'accès aux chaloupes tandis que le Titanic coulait comme un mouchard mafieux botté de béton, mais ça fait quand même pas mal de monde pour un seul berceau, qui de miniature devint très gros. 
     L'un de ces ouvriers fondamentaux, recteur-fondateur athénien du Gymnase, prof et philosophe, un jour qu'il ratiocinait dans sa vieille Grèce, s'avisa soudain que le semestre tirait à sa fin . 
     Or, le raffinement du système dont il avait eu l'olympienne intuition  quand une olive—tombée du martini de Zeus lors d'une orageuse chicane théogonique—lui avait atterri sur le crâne, le captivait tant et trop depuis lors qu'il négligeait honteusement ses autres devoirs, plus prosaïques, dont le moindre n'était pas de sodomiser chaque élève au moins une fois avant le terme de la propédeutique. 
     Conception antique de l'éducation, certes, mais n'oublions pas qu'à l'époque dont je parle, la plupart des antiquités étaient flambant neuves. 
     C'était comme ça et puis c'est tout: Athènes définissait le beau, le bon, le vrai, consacrant une portion inouïe de ses vastes ressources à sculpter le corps et l'esprit de sa jeunesse mâle, et la transmission des savoirs, la culture de citoyens mûrs, libres et souverains de la première république de l'Histoire à partir de boutures ignorantes et frivoles, ce passage initiatique immémorial, Athènes estimait qu'ils étaient fonction de l'étroitesse des liens affectifs entre le pupille et son tuteur. Il va sans dire que cela n'allait pas sans mal au début, surtout pour le pupille qui se dilatait. 
     Fatalement, les plus horribles rumeurs circulaient depuis des générations dans les cours d'écoles élémentaires où les morveux, entre deux parties de pelote troyenne, leurs toges rapiécées maculées de cette boue qui facilitait tant la glissade au troisième but, mettaient en commun les bribes de désinformation véhiculées par leurs grands frères. La nature et les aléas du resserrement des liens tuteur-pupille, quels qu'en soient les véritables tenants et aboutissants, n'atteignaient donc jamais la mesure d'inconfort que l'imagination épouvantée des écoliers appréhendait. Néanmoins, les légendes nées au temps d'Empédocle vinrent à s'enfler au-delà de la masse critique; dans un topo que les survivants du défunt cours classique ne sauraient manquer de reconnaître avec déplaisir (car l'éventail des pièges grammaticaux qu'il présente et le style ampoulé propre au boustrophédon en ont fait, depuis la fondation de la Sorbonne en 1257 jusqu'à nos jours, l'outil de supplice favori des professeurs de grec ancien souhaitant punir le cancre de sa paresse et châtier le fort en thème pour quelque épigramme trop salace), le syndicat des mentors fit valoir aux membres de l'Aréopage—qui siégeait encore sur la colline d'Arès, je le mentionne pour situer tant soit peu l'époque en la distinguant de la suivante, où les sages de la cité déménagèrent leurs pénates sous le Portique Royal, au nord-est de l'Agora—la difficulté d'aborder les théorèmes euclidiens ou même la poésie d'Épiménide de Crète tout en galopant aux trousses de galopins callypiges qui détalaient à la vue d'une barbe comme si les flammes de l'Hadès, rouges langues de Minos, leur léchaient le derrière. 
     Quant à créer des liens affectifs à resserrer, il ne pouvait en être question sans user au préalable de liens moins spirituels, de préférence en solides lanières de cuir de vache. 
     Sensibles à la gravité de la situation, les sages chambardèrent leur ordre du jour- au point de reporter aux calendes grecques l'étude et l'adoption d'un projet de loi omnibus fort populaire qui aplanirait moult aspérités d'un seul gracieux coup de varlope républicaine: 
1. Décret: le monde est un vaste palet d'argile entre les mains du divin discobole et son centre est Athènes. Les insidieux sophismes relatifs à une quelconque rotondité de la terre étant de nature à troubler l'ordre public, quiconque sera trouvé coupable de les répandre sera frappé d'ostracisme, expulsé de la cité et condamné à marcher droit devant lui jusqu'à l'extrémité du monde pour s'y précipiter dans le vide.
2. Interdiction faite à l'équipe sportive féminine Les Pelotes Thessaloniciennes de rompre le contrat les liant au colisée de cette ville pour déménager à Lesbos dans le cadre de la prochaine expansion de la Ligue Nationale de Pelote Troyenne.
3. Mesure de stimulation  de l'industrie du verre et de la porcelaine: Lors de tout événement, fête publique ou privée, célébration religieuse, mariage, annonce de naissance, héritage, commémoration, etc. où l'on danse le sirtaki, les convives seront tenus de casser coupes ou assiettes aux pieds des danseurs à raison moyenne d'un morceau par convive.
4. Articles confidentiels (Ré: Commission Démétrios-Diogène, constituée l'an dernier avec mandat de trouver un honnête homme dans le grand-Athènes) Dépôt imminent: le rapport conclut à l'échec et recommande a) que la cité fasse une pension à vie au Commissaire Diogène pour services rendus à la République; b) que la cité exproprie le tonneau du Commissaire Diogène sis dans l'angle sud-est du dépotoir de la République, adjacent au quartier des lépreux, avec indemnisation préférentielle, lequel domicile fera partie de l'exposition permanente du musée des anachorètes hellènes d'Athènes après avoir été plongé dans un bain de vinaigre bouillant pour une période minimale de douze jours; c) que la cité acquière deux tonneaux neufs de forte contenance, lesquels seront déposés sur une fondation coulée dans le périmètre du terrain public des abattoirs rituels (zonage philo-boucherie) et offerts au Commissaire Diogène à titre gracieux - donation conditionnelle à l'approbation du Comité de salubrité, les grands-prêtres ayant déjà témoigné devant la Commission à l'effet que l'odeur dégagée par le Commissaire Diogène ne nuirait pas de façon significative aux opérations régulières de l'abattoir, après une raisonnable période d'adaptation (le comité des ressources éducatives étudie la possibilité de centraliser tous les stages en boucherie effectués par les ermites novices en fin d'études philosophiques aux abattoirs rituels, ce qui réduirait assurément le taux d'absentéisme pour cause de nausées chroniques prévu par les autorités religieuses suite à la relocalisation du Commissaire Diogène, du fait que les écorcheurs 3e classe- tâche: ablation des oreilles, de la queue et de l'appareil génital, ce qui les prive du masque olfactif familier disponible plus loin sur la chaîne de sacrifice, alors que les senteurs salées du sang se mêlent au fort fumet musqué montant des excréments, couvrant les ascétiques effluves distillés par les pores pestilentiels des intellectuels  dont l'aire de besogne est à proximité de l'appartement du Commissaire Diogène- auront déjà l'expérience du parfum de la philosophie ); d) le monopole d'État de l'huile d'olive fournira le carburant à lampe au Commissaire Diogène pour la durée de son existence en contrepartie de son autorisation pour l'usage perpétuel de son image de marque (incluant lampe, tonneau, mouches et peau de bête), son visage et son nom sur les étiquettes de bouteilles d'huile d'olive, qui sera renommée "Pure huile d'olive athénienne extra-vierge pressée à froid du Commissaire Diogène", de même que la permission d'utiliser le slogan :"Je cherchais un honnête homme, j'ai trouvé une extra-vierge!"
     Les sages, donc, se penchèrent gravement sur la question et Diogène n'obtint jamais son nouvel appartement. 
     Leurs délibérations menaçaient de s'éterniser, verrouillées entre les tenants du classicisme et les réformistes chevelus qui se présentaient sur la colline vêtus de toges en étoffe de Nîmes. Bref, aucune solution à la frayeur des garçons ne se profilait à l'horizon; augures et aruspices, appelés en consultation, se plongeaient dans la lecture des entrailles de volaille et y perdaient leur latin. Quant à la pythie, elle prétendait que l'oracle ne lui retournait pas ses appels. 
     En désespoir de cause, on interrogea un sage de passage, originaire d'Adorectum et séjournant à Athènes dans le cadre d'un programme d'échange de sages, un certain Bacchus Adoralanus dont la méthode qui consistait à enseigner couché tandis que la classe restait debout faisait merveille à Rome (quoique l'on murmurât qu'à la vérité, il devait bien plutôt cette étrange innovation à l'initiative de ses épigones pour qui il était trop douloureux de s'asseoir-mais les gens murmurent toujours), et ce fut lui qui trouva la solution. Il suffit, dit-il, de remplacer la ration de lait de chèvre de vos élèves par une double mesure d'hydromel, et je veux bien qu'on lise les résultats du match dans mes tripes s'ils ne filent pas doux comme des agneaux (ici, un éclaircissement s'impose: le peuple à cette époque s'informait des nouvelles du sport par l'entremise des entrailles de rat, nombreux donc bon marché du fait que l'Égypte interdisait l'exportation des chats. Ce mass médium économique donnait tous les scores des rencontres de pelote avec une surprenante exactitude, sans s'embarrasser d'éditoriaux ou de politique étrangère, mais son principal inconvénient résidait dans le fait qu'il salissait les mains). Ce qui fut fait, et il faut croire que ça marcha, autrement la Grèce Antique ne serait pas le berceau de notre civilisation. 
     Tout ça pour dire que Socrate—car c'est bien de lui que je parlais tantôt, le prof et philosophe négligeant ses devoirs prosaïques— s'avisa en consultant la liste des inscrits qu'il en était à la lettre Pi. Sans enthousiasme, il s'en alla trouver le grand Platon qui, redoutant ce moment, faisait de son mieux pour se dissimuler sous son lit; peine perdue, bien entendu, car ses pieds dépassaient. On ne l'appelait pas le grand Platon pour rien. 
     Tandis que Socrate déroulait sa toge en le suppliant de sortir de là par égard pour son âge avancé, Platon, feignant l'ingénuité, lui demanda ce qu'il faisait. Le maître répliqua: "C'est pour mieux te connaître, mon enfant!", réponse qu'il faut naturellement interpréter au sens biblique. Sur ce, profitant de ce que le vieux se trouvait emberlificoté dans les verges de tissu, Platon tira sur le tapis, l'envoyant valser au plancher et, s'enfuyant par la fenêtre, cria par-dessus son épaule d'un ton moqueur: "Connais-toi toi-même!" (Oui, il s'agit bien de la sentence que les anglo-saxons traduisent par "Go fuck yourself"). C'était la première occurrence, mais bien sûr pas la dernière, d'une phrase attribuée à Socrate dont la paternité revient en fait à Platon.
     Et c'est ce à quoi je songeais en arrivant au métro. Peut-être n'est-ce pas une si bonne idée de se connaître soi-même. Il y a certains aspects de notre propre nature que l'on se porte d'autant mieux qu'on les ignore. 
     Chaque année, Thèbes comblait l'un de ses citoyens au-delà de tous ses voeux avant de l'expulser sans espoir de retour, et ainsi se purifiait. Or, quelque chose me soufflait que j'avais  la tête de l'emploi. Qui veut être l'entière souillure de Thèbes, son phallus gangrené? Pharmakon, après tout,  signifie à la fois remède et poison...

21.1.13

Mais où est Sabrina?


La police de Montréal demande la collaboration du public afin de retrouver une adolescente âgée de 15 ans qui a disparu samedi matin, dans le nord de Montréal, présumément après avoir tenu des propos suicidaires.
Sabrina Beaubien a quitté sa résidence du quartier Ahuntsic vers 10h30.
La jeune fille mesure 1,70 m, pèse 47,5 kg, a les cheveux bruns avec des mèches rouges et les yeux bruns. Au moment de sa disparition, Mlle Beaubien portait un manteau de couleur noire, un chandail gris et un pantalon noir.
Sabrina Beaubien s'exprime en français. Elle n'aurait aucune carte d'identité ou de paiement avec elle.




Bon. Êtes-vous contents, là? Est partie un samedi matin, ça fait 48 heures, elle a 15 ans, mais faut déjà qu'on capote. Les filles sont portées disparues au moment où elles quittent leur résidence, le surlendemain elles font l'objet d'une battue publique avec photo, nom et mensurations, trois jours de plus et elles sont en vedette sur les pintes de lait, malgré qu'elles soient revenues l'avant-veille.

Pendant ce temps, dix gars du même âge crissent le camp. On n'en entend jamais parler, sont jamais publiquement portés disparus, ils ont jamais présumément tenu des propos suicidaires, et personne ne se soucie qu'ils portent un manteau de couleur noire, un chandail gris et un pantalon noir. Ils sont pas perdus, juste égarés, on sait qu'on va les retrouver, d'ici deux ou trois ans, dans la rue, magannés, acculés, interpellés, arrêtés: quand la police sera intéressée.

Pour Plum: l'oulipomachine à faire chialer mémère

C'est quasiment du Ionesco, que ça génère!

Pour Danger pis Vieux G.



PAGE D'ÉCRITURE

Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize…
Répétez ! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voilà l’oiseau-lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit l’enfant
l’entend l’enfant l’appelle :
Sauve-moi joue avec moi oiseau !
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant

Deux et deux quatre…
Répétez ! dit le maître
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui…
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux
de toute façon et ils s’en vont.

Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre
et tous les enfants entendent sa chanson
et tous les enfants entendent la musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un à un s’en vont également.
Et l’oiseau-lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants écoutent la musique
et les murs de la classe s’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.


Jack Prévert, in Paroles.

Son poème aux surdoués qui s'emmerdent à l'école.

Le Dada facile, sans sac et sans ciseaux, sans bon sens et sans besoin de copie consciencieuse au fur et à mesure qu'on sort les coupures.

C'est pas souvent que j'y fais des misères, à ma Blue. Dans un billet, je veux dire. Même que c'est la première fois. Cette histoire de Dada, de Tzara et de cut-ups, tous ingrédients hâtivement jetés dans la casserole pour improviser une sorte de soupe, ça m'a gossé du début. Blue a coutume de creuser soigneusement ses trouvailles et nous les faire découvrir ensuite. Sauf quand son enthousiasme chauffe à en péter la chaudière: là, la coutume prend congé.

J'ai jamais pu blairer Samy Rosenstock, il empestait déjà le fumiste à plein nez quand mon pif de seize ans, quoique jeune et au top olfactif mais néanmoins sans science ni expérience, le reniflait à soixante ans de distance. Quant au Dada, c'était pire qu'une vue de l'esprit, pire qu'une imposture artistique ordinaire en Europe, c'était l'invention d'une religion, sectaire et décérébrante, visant à fédérer les forces vives des jeunes créateurs contestataires internationaux sous le leadership de Tristan Tzara. Ça sentait pas bon, en fait ça puait fort. L'odeur du Livre de Mormon, l'odeur de Joseph Smith.

Anyway, pour en finir with that whole Dada bullshit, suivra le mien, de poème, et comment on s'y prend: le procédé dicté par Tristan est respecté sans triche, seuls les instruments sont modernisés, genre batteur électrique au lieu du pilon à patates.

Pour faire un poème dadaïste

Prenez un journal
Prenez des ciseaux
Choisissez dans ce journal un article  ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-le dans un sac.
Agitez doucement
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Copiez consciencieusement.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà "un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire"

Tristan Tzara, Manifeste sur l'amour faible et l'amour amer

+++

Mon article-source: Pub sociétale, blogue de Richard Martineau, journaldemontreal.com, 18 janvier 2013.

La SQ a décidé d’exposer la carcasse d’un véhicule accidenté au Salon de l’auto.

On peut pas avoir la paix, des fois? C’est quoi, la suite? Une affiche géante d’une femme qui s’est fait manger la face par ses chiens au Salon des animaux de compagnie? Le cadavre d’un noyé au Salon nautique? Des photos de gars saoûls qui se pissent dessus sur les bouteilles de vin?

Je comprends qu’on veuille nous sensibiliser, mais peut-on juste avoir du fun, des fois?

D'emblée, je réponds à ce que vous pensez: non, figurez-vous donc, j'ai pas choisi un texte de Martineau parce qu'en général il fournit du Dada déjà fait. Je l'ai choisi, celui-là, parce que pour une fois il me plaît: si surréaliste occurrence que j'y ai vu un signe.

Mon poème:


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La la bouteilles se quoi, compagnie? On vin? Salon au fois? ses Une les dessus par animaux d’un sur pas nautique? Salon suite? de cadavre la pissent chiens saoûls qui géante peut manger de femme fait noyé des de s’est gars Le au qui affiche d’une avoir des paix, C’est photos face Des

Sensibiliser, mais comprends fun, des juste fois? du nous peut-on veuille Je avoir qu’on

+++

Le raccourci technologique, astheure: Il est là. Des heures et des heures de plaisir insignifiant, d'infinies créations stériles, du Dada produit en masse à peu de frais.

Monologue d'aïeule qui ferme jamais sa yeule (extrait)

Ton grand-père, il ne reviendra plus car si tu veux faire mieux, va falloir t'y mettre. Le bar était fermé alors il a fini dans la chambre !

Ton hamster, il n'aime pas quand tu t'en occupes un peu trop et il sera toujours le meilleur, contrairement à toi ! Et la pauvre Janine, tu sais qu'elle est partie dans les toilettes !

Ton ordinateur, il s'est marié lui en tout cas, il sera toujours le meilleur, contrairement à toi ! Et la pauvre Janine, tu sais qu'elle est partie en regardant Star Academy !

Ton frère, il s'est marié lui en tout cas, c'est comme ça qu'il a réussi lui ! Il en avait tellement marre de Denise qu'il est parti au bistro du coin !

Ton chat, il n'aime pas quand tu t'en occupes un peu trop et je ne vois pas comment tu pourrais faire mieux. Et Jano, il a fini la soirée au bistro du coin !

Ton grand-père, il s'est marié lui en tout cas, il travaille lui contrairement à certains... Il en pouvait tellement plus d'entendre Denise qu'il a fini en regardant Star Academy !

Ton hamster, il a pris un bateau histoire de prendre le large car si tu veux faire mieux, va falloir t'y mettre. Et la pauvre Janine, tu sais qu'elle est partie dans la chambre !

Ton petit frère, il ne fait jamais rien car je ne vois pas comment tu pourrais faire mieux. Et pépé, il a bu comme un trou et il a fini la soirée dans les toilettes !

Ton écureil, il ne reviendra plus car c'est vraiment trop horrible pour mes oreilles. Il en pouvait tellement plus d'entendre Denise qu'il a fini dans les toilettes !

Ton écureil, il n'aime pas quand tu t'en occupes un peu trop et c'est un bon moyen de gagner sa vie, non ?! Et la pauvre Janine, tu sais qu'elle est partie dans les toilettes !

10.11.12

Ho-no-ra-bes!

Lonorabe juge Jacques, lonorabe avocat RoyMartel, lonorabe enfant de chienne Morasse ont pitché toutes les roches possibles sur le très honorable Gabriel Nadeau-Dubois.

On verra ben, on verra ben. Tas de verrats. Tas de chiens.

Mère de la Croix d'argent

Va chier!

Viens pas brailler à la tévé la veille du 11 novembre! T'as laissé ton fils aller se faire tuer outre-mer for nothing, pis t'acceptes une médaille, pis son père est où? Il a pas de peine, son père? Elle est où, sa médaille, au père?

T'as vu ça, aux nouvelles?

L'hostie de vieux crisse de pourri de boomer de péquiste à marde, préconisant de s'en prendre à Québec Solidaire aux prochaines élections? Des ennemis, qu'il dit? Vieille charogne obsessionnelle. Puante ordure après moi le déluge. Ce sera un tel soulagement de vous jeter dans la fosse publique. On vous couvrira de chaux que vous ne méritez pas.

Em Circius: à quoi ressemble-t-il?

Il ressemble à Rip Torn. OK?

Il arrachera la trachée de quiconque me veut du mal.

Il est un poète et un vaste cochon alcoolique.

Il est l'ami total.

L'ignoble morue: son vrai visage


Elle retarde la cause des femmes en politique de plusieurs années. Première première ministre? OK, tu l'as. Astheure peut-on songer à du calibre? Combien de femmes comme Françoise David sont-elles disponibles?

C'est du joli, ce gouvernement. Ce Maka Kotto à la Culture. Ce LBB de vingt ans avec un diplôme de Cégep comme député. Ce free for all de déclarations et d'annonces aussitôt rétractées. Cette bonne femme insignifiante.

6.11.12

Circius en quatre temps

Emmanuel Circius est de passage en ville. Il voulait m'interviewer, comme c'est notre coutume depuis vingt-cinq ans, vu qu'il est le seul à connaître les bonnes questions ainsi que les réponses à l'avance. Mais cette fois je lui ai demandé d'inverser le processus en renversant les rôles: il se passe ici des choses graves et j'ai voulu interroger sa lucidité sans peur et sans attaches à propos de quatre d'entre elles: Gérald Tremblay, Léo Bureau-Blouin, Gabriel Nadeau-Dubois, Joe Di Maulo.

OK, dit-il. Parce que c'est toi. Mais dans quel ordre?

Je comprends ce qu'il veut dire. Quatre sujets, tous reliés, tous importants, mais tous devant être traités équitablement. C'est à dire en tirant au hasard l'ordre de leur traitement.

Quatre, réponds-je. Coeur Carreau Pique Trèfle, disons?

Yup! convient-il. Et il va droit là où je conserve mon vieux jeu de cartes, que je n'ai pas sorti depuis dix ans, la dernière fois c'était avec lui qu'il avait servi, j'avais oublié que j'en possédais un.

On sort les quatre as. J'inscris les quatre noms sur une feuille et j'attribue sa couleur à chacun.

On mélange les as, on les aligne incognito sur le bureau entre nous deux.

Je sors un huard de ma poche: on tire à pile ou face pour savoir qui choisira la première carte.

Circius et moi ne jouons pas à pile ou face comme la plupart des gens. Celui des deux qui a misé sur le côté qui se révèle effectivement, celui-là gagne le privilège de ne pas se salir en premier dans les eaux du hasard.

Étant donné que nous jouons ainsi depuis quarante ans, il va sans dire que nous n'avons nul besoin de choisir pile ou face à chaque fois: il joue pile, je joue face, on lance la pièce et alea jacta est.

Le huard tombe face. Selon notre code, ça signifie qu'il est désigné pour choisir la première carte.

La seconde sera ma responsabilité, la troisième la sienne: la quatrième ne sera plus l'objet d'un choix.

Coeur sera Di Maulo. Carreau sera Tremblay. Pique sera Bureau-Blouin. Trèfle sera Nadeau-Dubois.

L'exercice ne sera pas entièrement objectif, puisque j'ai choisi les quatre sujets: ils ne sont pas sortis d'un tirage effectué au moyen d'un ordinateur.

Mais l'exercice, justement, sera aussi honnête qu'un dialogue humain, donc subjectif, peut s'efforcer de l'être.



Circius pose son majeur droit sur l'une des quatre cartes. Je la retourne.


7.10.12

Mêmes animaux

Moran lancera son prochain album, intitulé Sans abri, mardi prochain.

Comme les précédents, il comprend une pièce de mon cru écrite spécialement pour lui: Mêmes animaux. La voici.





Mêmes animaux
Christian Mistral


Ce que je voudrai t’enseigner,
Ce n’est pas tant ce que je sais
Que ce que je sens nécessaire
Pour que la vie soit un repas,
Un banquet riche, un festin gras
Depuis l’entrée jusqu’au dessert…

Je t’apprendrai le goût des mots,
Celui qu’ils auront eu pour moi
Sur les papilles de mon cerveau,
Toutes les saveurs de l’émoi ;
Toi la prunelle de mes yeux,
Petite fille ensemble allons
Là où la voix a feu et lieu,
Là où les sons sont des ballons.
T’apprendre le goût de ta langue
Parce que c’est la mienne aussi,
Voilà ce dont j’aurai envie
Avant qu’elle ne soit exsangue ;
Les appétits de la parole
Seront ton plus bel héritage :
Je les ai reçus en partage
Et tu sauras cette faim folle…

Je n’aurai pas beaucoup d’argent
À te laisser en trépassant
Mais tu garderas mes repères,
Les verbes et les vers de ton père.

Je te conterai des histoires,
Des vraies, des fausses, d’autres aussi,
Quand tu auras peur dans le noir,
Et de la nuit, et de la vie.
Je te dirai le goût des mots,
Celui qu’ils ont eu dans ma bouche,
Pour que tu saches quelle est ta souche,
Toi et moi : mêmes animaux !

12.9.12

La chefferie du parti libéral du Québec

Danger: Raymond Bachand teste ses appuis. Qu'un leader aussi charismatique, au magnétisme sexuel aussi agissant sur les foules, avec une telle maestria de l'imagination populaire, qu'un homme de cette trempe songe au pouvoir fait déjà trembler tous ses éventuels adversaires et me fait chier dans mes culottes.


Les sondages à l'interne le donnent déjà gagnant, à condition que la jambe de bois de Lucien Bouchard ne se présente pas.


6.9.12

Johnny Bee: les mots

Il est bien des choses. Entre autres, un grand écrivain.

Les mots
Jean Barbe


Bien sûr, leur chambre est un bordel sans nom et souvent ils préfèrent l’usage de leurs doigts à celui de la fourchette. Bien sûr, il faut leur rappeler matin et soir de se brosser les dents, et s’il n’en tenait qu’à eux, ils se conteraient la plupart du temps d’une diète composée exclusivement de chips au vinaigre, de bonbons et de crème glacée pour les temps chauds.
Mais ils s’intéressent à des choses qui ne sont pas de leur âge et, hier soir, mon fils m’a demandé de choisir pour eux des films d’Alfred Hitchcock, qu’il ne connaît pas encore, mais dont il sait qu’il est un grand du passé. Et Kubrick aussi. Il voudrait voir The Shinning.
– C’est d’après un livre de Stephen King, non ? – Oui. – Comme La ligne verte ? C’était tellement bon, La ligne verte.
C’est l’aîné. Il aura 13 ans dans deux semaines et déjà il m’arrive aux sourcils.
Bien sûr, il se chicane avec sa soeur, et parfois ça dégénère. Sans doute ont-ils appris un peu tôt l’art du sarcasme et de la dérision. Ils savent mettre les mots dans la plaie, frapper juste et sec, au défaut de l’armure, dans le noeud fragile des contradictions de l’autre. Ils font mal, les mots, quand ils sont affûtés, choisis pour blesser.
Mais ils savent aussi bercer, soigner, panser, soulager, les mots, quand ils se font doux et caressants avec la même précision. Et mes enfants se blessent parfois et s’entendent pourtant à merveille, et s’aident et s’aiment et savent aussi se le dire.
Et ils le disent non pas avec des mots que je leur ai mis en bouche, mais avec des mots qu’ils ont lus et compris.
Les mots de leurs lectures.

Le désennui
Ils n’étaient que de petites choses maladroites, bondissant partout sur leurs jambes boudinées, que déjà je leur disais :
– Je n’ai pas été mis sur terre pour vous désennuyer !
Ils étaient à l’âge où, en garderie, on ne leur laissait pas un instant de répit ; toute la journée planifiée, des activités aux demi- heures, pas question de les laisser trop longtemps contempler le ciel pour trouver des formes aux nuages. Alors, pendant les week- ends et les vacances, je m’efforçais de les désintoxiquer de ces horaires trop chargés qui deviennent comme une fuite en avant.
Je suis à cet égard décidément d’un autre temps. Ou d’une autre culture. Oh, mes enfants ont des activités, oui, cours de batterie, de natations, de nage synchronisée, de tennis. Mais jamais plus d’un à la fois, et, Bon Dieu, pas tous les jours, pas tout le temps !
Alors, forcément, parfois, ils ne savaient que faire, avec moi, en vacances, en week-end, à la campagne.
– Je n’ai pas été mis sur terre pour vous désennuyer !
Et je leur montrais les livres qui tapissent chez moi les murs et qui s’empilent en désordre un peu partout, et les livres qui me suivent toujours comme une meute fidèle. Et je leur racontais ce que m’avait dit, voilà près de quarante ans, une bibliothécaire émue en me tendant ma toute première carte d’abonné :
– Ceux qui aiment lire ne s’ennuient jamais.
Peut-être que ça n’a rien à voir avec ça. Peut-être que ça n’a rien à voir avec cette bibliothécaire, ni avec moi. Mais mes enfants lisent, beaucoup, d’abondance. Peut-être que ça n’a rien à voir. Mais le fait est que j’ai voulu qu’ils s’ennuient, parfois, afin qu’ils puissent apprendre à écouter le silence, le murmure de leurs pensées. Et dans l’espoir que, un jour, ils tendent la main vers un livre, pour ne plus le lâcher.

Penser, panser
Au cours d’une discussion, voilà quelques semaines, mon fils s’est soudain arrêté de parler. Nous attendions, ma fille et moi, en le regardant.
– Attendez un peu, je réfléchis à ce que je pense, a-t-il dit en guise d’excuse.
Nous avons éclaté de rire, sur le coup. Depuis, cette petite phrase ne cesse de m’impressionner.
Et voilà que nous pouvons partager les mêmes lectures, mes enfants et moi. J’ai lu les Hunger Games que ma fille a dévorés en quelques jours, et je viens tout juste de terminer le premier tome du Trône de fer dont mon fils a lu les 800 pages en deux semaines de vacances pourtant agrémentées de nombreuses expéditions et jeux et baignades…
Ce ne sont pas des livres simples même s’ils sont divertissants. Le trône de fer, surtout, qui est également une somptueuse série télé (Game of Thrones). S’y révèle toute la méchanceté humaine, sa cruauté, sa soif de pouvoir, sa complexité.
On y lit que les héros peuvent mourir avant la fin du premier livre et que les plus méchants savent survivre en se rendant indispensables. On y comprend qu’il n’y a pas de justice absolue, et que le chaos règne si on n’y prend garde. On y apprend que les convictions ne sont rien sans les actions qui les incarnent, mais que nos convictions peuvent se heurter à celles des autres, tout aussi légitimes.
Ce n’est pas un livre pour enfant. Justement.
Peut-être que ça n’a rien à voir avec moi. Peut-être.
Mais cette petite phrase, comme j’aimerais l’entendre plus souvent, à la télé, à la radio. Comme j’aimerais la lire plus souvent dans les journaux, sur le net.
Une toute petite phrase, qui nous permettrait peut-être d’échapper à la fuite en avant, à la bêtise de la simple réaction aux événements. Une toute petite phrase qui nous permettrait peut--être d’échapper à cette course folle, les deux mains sur le volant, qui ne conduit qu’à la désolation. Une toute petite phrase pour panser le monde et peut-être le guérir.
«Je réfléchis à ce que je pense.» La phrase de mon fils, qui a trouvé, dans les livres, les mots pour la dire.

29.8.12

Pour ben du monde, trop pour fitter dans le titre: Richard et les yankees.

Pour ce vieux Butch, ce sauvage du désespoir, qui prend les choses tellement à coeur et qui en a tant sur le coeur, et pour ce vieux Mac qui nous a saisi le coeur collectif un battement suspendu chacun puis la chamade alors que le sien si ample a failli oublier son boulot, pour Hamelin le lynx, Lamanque la panthère et Natier la femme-hibou, pour Vigneault le jeune et pour Vigneau le vieux, pour mon fils et pour Souhaïl et pour Charest et Marois et Legault et pour Caza et Danger et Terrible et monsieur Kim et Amir et la candidate moustachue et Martineau et Duchesneau et Parizeau et PKP et vous autres Tribaux dont vous savez que si je vous nommais tous on aurait l'air sectaires, pour tout le monde dans le monde, y compris les braves pitounes au Togo qui vont faire la grève du cul sept jours de temps pour renverser un régime corrompu, pour tout mon peuple humain qui est le tien comme le mien sauf les métèques à l'étage au-dessous ceux-là ont l'air louche et pis peut-être mon ex-belle-mère et tant qu'à y être BHL mais sinon c'est pour tout le monde, à une semaine des élections ici, à guère davantage avant des élections ailleurs, que le vote soit exprimé à la mine d'un crayon ou à la fleur d'un fusil.






N.B. Il s'agira ci-dessous d'un copier-coller sous toutes réserves d'une transcription trouvée sur l'internet et transmultipliée par mille à l'identique, ce qui n'en garantit aucunement l'authenticité, ainsi que je suis tristement bien placé pour le savoir.

À deux endroits, je doute que ce soit bien ce que Richard chante, ait écrit, mais entre l'appeler à l'aube pour vérifier et courir le risque de reproduire des fautes, j'ai choisi de choisir, euh, ben, dans le milieu, c'est-à-dire de couvrir mes couilles en rédigeant cette notice. On n'appelle pas Desjardins le matin pour lui demander si la nuit dort dans un verseau ou un berceau, genre. D'un autre côté, on ne lui attribue pas des mots qui ne seraient pas les siens sans un modicum de précaution, enfin pas moi, j'aurais l'air con, sinon, à notre prochain tournoi de bowling-bénéfice pour le PPDA (Parti Pour le Droit d'Auteur, à l'intention des béotiens qui le savent pas).

CM



Les yankees

Richard Desjardins

La nuit dormait dans son verseau,
les chèvres buvaient au rio
nous allions au hasard,
et nous vivions encore plus fort
malgré le frette et les barbares.

Nous savions qu´un jour ils viendraient,
à grands coups d´axes, à coups de taxes
nous traverser le corps de bord en bord,
nous les derniers humains de la terre.

Le vieux Achille a dit:
"À soir c´est un peu trop tranquille.
Amis, laissez-moi faire le guet.
Allez! Dormez en paix!"

Ce n´est pas le bruit du tonnerre
ni la rumeur de la rivière
mais le galop
de milliers de chevaux en course
dans l´œil du guetteur.

Et tout ce monde sous la toile
qui dort dans la profondeur:
"Réveillez-vous!
V´là les Yankees, v´là les Yankees
Easy come, Wisigoths,
V´là les Gringos!

Ils traversèrent la clairière
et disposèrent leurs jouets de fer.
L´un d´entre eux loadé de guns
s´avance et pogne
le mégaphone.

"Nous venons de la part du Big Control,
son laser vibre dans le pôle,
nous avons tout tout tout conquis
jusqu´à la glace des galaxies

Le président m´a commandé
de pacifier le monde entier
Nous venons en amis.

Maint´nant assez de discussion
et signez-moi la reddition
car bien avant la nuit,
nous regagnons la Virginie!"

V´là les Yankees, v´là les Yankees
Easy come, Wisigoths,
V´là les Gringos!

"Alors je compte jusqu´à trois
et toutes vos filles pour nos soldats
Le grain, le chien et l´uranium,
l´opium et le chant de l´ancien,
tout désormais nous appartient
et pour que tous aient bien compris,
je compterai deux fois
et pour les news d´la CNN:
Tell me my friend,
qui est le chef ici?
Et qu´il se lève!
Et le soleil se leva.

Hey Gringo! Escucha me, Gringo!
Nous avons traversé des continents,
des océans sans fin
sur des radeaux tressés de rêves
et nous voici devant vivants, fils de soleil éblouissant
la vie dans le reflet d´un glaive

America, America.
Ton dragon fou s´ennuie
amène-le que je l´achève.
Caligula, ses légionnaires,
ton président, ses millionnaires
sont pendus au bout de nos lèvres.

Gringo! t´auras rien de nous
De ma mémoire de titan,
mémoire de ´tit enfant:
Ça fait longtemps que je t´attends.
Gringo! Va-t-en! Va-t-en
Allez Gringo! Que Dieu te blesse!

La nuit dormait dans son verseau,
les chèvres buvaient au rio,
nous allions au hasard
et nous vivions encore plus fort
malgré le frette et les barbares.

16.8.12

Djemila Benhabib, Jean Tremblay: se crucifier et se lapider à gogo

Laïc, agnostique ou athée? Rien de ces trois trucs-là n'est le même, et on n'a toujours pas abordé les différences religieuses.

Pour ma part, j'ai abjuré la foi catholique au début de la vingtaine, parce que l'idée d'avoir été coopté avant l'âge de raison m'enrageait, mais surtout parce que je ne croyais plus en Dieu. Or, quand on a mûri depuis le berceau jusqu'à l'adolescence avancée dans une certaine idée du divin, un contexte culturel, familial, personnel, rituel, paramétrés par le concept d'une Création, d'un sens à la vie et d'une suite à la mort, ne plus croire en Dieu est une infiniment pénible perte. Personnelle. Une peine d'amour sèche, sale et sciante. Ce vide, à la rigueur, peut toujours se combler à grands renforts d'intellect: une pelletée de philosophie par-ci, un gros tas de raison pure par-là. Mais la soudaine, insondable solitude, elle, ne se soigne pas. La nature, dont la science a démontré qu'elle a horreur du vide, ne remplit pas celui-là. Dieu n'est probablement pas affaire de nature, mais de culture, alors. Eh bien, justement...

On n'a cessé, ici, de condamner l'alibi des Yankees pour leurs guerres d'agression: instaurer la démocratie, l'économie de marché, l'égalité, la liberté!

Parce que, vrai, c'est un processus. Ça prend du temps.

Or, c'est pareil pour nous. Qu'est-ce qui presse tant? N'avons-nous pas abattu assez de nos symboles historiques dans l'hystérique feu de joie qu'allumèrent les Boomers dans la seconde moitié des sixties, un incendie qui leur a échappé et qu'ils ne se sont jamais souciés d'éteindre ensuite, un brasier criminel, qui a presque tout consumé ce qui les a précédés? De cette terre brûlée, calcinée, le printemps dernier nous a donné l'espoir qu'une nouvelle germination de bleuets pourrait surgir...

Il faut comprendre les Canayens choqués par l'intervention de Djemila Benhabib. J'ai l'impression qu'elle-même les a  compris. C'est un processus. Le crucifix, le drapeau, la croix du Mont-Royal, le reliquat de la foi de nos grand-mères, les églises immenses et magnifiques bâties partout sur notre territoire au prix d'efforts et de sacrifices inouïs: la Foi était vraie, authentique, nos parents n'étaient pas des imbéciles ni des victimes du Vatican sous la botte du clergé et de l'Union Nationale.

Jean Tremblay, ce qu'il dit, à mon avis, et qui a résonné sans conteste en un tas de monde comme un battant dans une cloche qui sonne les Vêpres, c'est: «Eh! Chose! La nouvelle! OK, OK, mettons que notre mère était une putain: c'est pas une raison pour que t'en jacasses sur le perron de la Cathédrale pendant qu'on procède aux funérailles en famille...»

15.8.12

Tintamarre et cacerolazo

Bonne fête, mon frère Kevin.

Ta race de monde a inventé la casserolade, anticipant sur le Chili de 1971 et le Québec de 2012.

Extrait de Wikipédia:

Le Tintamarre est une tradition récente, peut-être inspirée par l'ancienne coutume folklorique française du Charivari. En 1955, lors des commémorations du 200e anniversaire de la Déportation des Acadiens, l'archevêque de Moncton, Norbert Robichaud, a écrit à ses paroissiens : « Une fois la prière terminée, on fera pendant plusieurs minutes, un joyeux tintamarre de tout ce qui peut crier, sonner, et faire du bruit : sifflets de moulin, claxons [sic] d'automobile, clochettes de bicyclettes, criards, jouets, etc. ». Le journaliste de Radio-Canada, René Lévesque, était à Moncton et a décrit le tintamarre dans son bulletin de nouvelles : « Ici à Moncton et dans toute l'Acadie, c'est l'heure du tintamarre. Ça... c’est le joyeux tintamarre qui résonne... partout où il y a un descendant des déportés de 1755... Il y a également la musique militaire, la fanfare de l'Assomption de Moncton qui fait des flonflons avec ses cuivres. Il y a des petits enfants qui crient... Écoutez encore, c'est la vie de l'Acadie française en 1955, deux siècles après la mort qu'on prévoyait. »

Charest n'est pas une vile charogne

Vu qu'il n'est pas mort encore.

Legault n'est pas le trou du cul d'un trou du cul

Certes, il en a tout l'air, mais sans plus!

Une taxe de cinq cennes par cheeseburger

Ça fait combien? You do the maths, moi je sais pas compter.

Enfin, un peu. Juste assez pour savoir qu'on financerait l'instruction gratis, avec un restant.


14.7.12

Pour qui?

Charest est un clown scélérat, Legault est un clone crapulatoire du précédent, et Marois pue de partout. Pour qui voter, astheure?

M'en vas camper chez Mac.

Pour Blue, Lorka, toute la smala de ma french connection



Et joyeux anniversaire à mon Emcée: toutes ses dents, et le plus joli minois qui soit, le coeur le plus doux, le rire le plus pur, l'oeil le plus tendre...


12.7.12

L'été québécois: les flos se suicident en masse

L'été d'eau d'érable. Une, deux noyades par jour. Triomphe du Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport. Les flos ne savent pas nager. Mais ils savent se noyer dès qu'on a le dos tourné.

Deux, encore, aujourd'hui. Et la soirée est jeune.

Nos HEUNES SE CRICHENT À L'EAU, MÉJAMES ZÉ MÉCHIEUX!

Peut-on les blâmer? Témoin le petit Émile Labrie, emblématique selon le JdeM: né il y a trois ans et demi (l'article date), à en croire le Torchon, avec une dette de 25 mille tomates. Qui engraisse de trois mille par année. De quoi se foutre à la flotte. Il ne l'a pas fait. Il est en réflexion, je suppose, sinon le JdeM nous en informerait.

On peut pas se suicider à deux ans? Voire. J'y songeais, moi, et au meurtre à trois.

Ou alors il y a négligence parentale? Genre, d'une génération?

Carré Rouge.

C'est pas des clôtures qu'il vous faut, tas de ploucaille pourrie, ni pour garder vos enfants dehors, ni pour les garder dedans.

Ce qu'il vous faut, c'est être grands. Pour tous.


5.7.12

Extrait de DEXTER, saison 3

«We only see two things in people: what we want to see, and what they want to show us.»

26.6.12

Mon plan en trois points pour le Québec

Premio: faire l'indépendance.

Deuzio: nationaliser Dollarama.

Troizio: déclarer la guerre à la Chine.