B est passé, straight de l'école de soudure (après avoir réalisé sa première sculpture, un indien en érection, intitulée En rut vers la gloire!: le prof a décidé d'en faire la mascotte de la classe). Il prend l'avion ce soir pour Maliotenam, où l'on attend impatiemment ses talents d'artificier combinés à sa suicidaire absence de souci pour sa sécurité personnelle. Il va leur faire un feu du feu de Dieu!
Mario guette nerveusement l'horloge, histoire de ne pas louper son rancard avec ses deux costauds déménageurs (attendus demain entre midi et trois heures). Mes voisins de part et d'autre ont filé: hâte de voir sur quoi je vais tomber pour les remplacer. Deux d'un coup, c'est plus forçant à intimider.
Justine, tristounette, a demandé à venir faire un tour pour recharger ses batteries.
Remis à Vanasse le manuscrit retrouvé de Fange et Furie, mes poèmes de jeunesse; les relisant, j'hésite entre la haine et la détestation, mais je fais un bien mauvais juge en la matière. Quoi qu'il en soit, la collection Phrases détachées a été créée par XYZ pour accueillir Fatalis, le long poème que j'avais généré en état de grâce en testant ma nouvelle machine à écrire électrique...
Le fermier bolivien qui remplace la culture de la coca par celle du café ou de la banane voit son déjà maigre revenu amputé de 90%. Le marché de la banane est à la baisse. Je dis: laissons ce pauvre fermier revenir à sa culture d'élection et encourageons-le en consommant sa production! Peut-être aussi serait-il sain d'envisager la création de coopératives Coke équitable sur le modèle de celles qui canalisent l'exportation du café à juste prix.
Je fais ce qu'on pourrait qualifier d'esprit d'escalier par anticipation. Tout ce qu'on aurait dû faire, accomplir, réaliser, et auquel on songe le soir venu, trop tard, en gravissant l'escalier de chez soi. Sauf que moi j'y pense maintenant, avant. Et qu'en imagination, je ne monte pas l'escalier, je le descends, et c'est un escalier roulant vers les entrailles de l'existence naturelle, quelque purgatoire gris.
Depuis deux, trois jours, à tout propos, j'éprouve un satané vilain frisson le long de l'échine à l'idée de choses râpeuses comme des langues de chat ou des ongles qui crissent sur un tableau noir ou un pied de rhubarbe frotté sur les palettes du bas. C'est-y normal, docteur?
Mario arrive en jurant ses grands dieux qu'on ne l'y reprendra plus à boire. À croire qu'il y a un écho dans le Bunker.
La tabatière ressemble à la rivière Chaudière au mois d'août. On tire sur la même cigarette à petites bouffées précieuses.
Je mène une vie de sybarite, le luxe et le raffinement en moins.
Serait-ce si grave si je n'écrivais rien aujourd'hui? Oups! Trop tard.
Travail d'écriture ralenti par la nécessité d'écraser les papillons attirés par l'écran cathodique, semant ici et là de gras petits pâtés sanguinolents.
Déguste de grands verres d'eau glacée aromatisée à la menthe fraîche. La classe.
Marie-Josée m'a apporté de la rhubarbe: méchant flashback acidulé au jardin de grand-mère, ce temps de sucre blanc dans un godet d'aluminium...
Elle m'a aussi composé un bouquet de menthe sauvage, thym en fleurs et ciboulette. Des effluves dont le Bunker a bien besoin.
38 degrés à l'ombre. Faut-il s'étonner qu'on n'ait jamais découvert grand chose en Afrique? Que le Sud ait perdu la Guerre Civile? Fait trop chaud! J'ai fermé les rideaux pour m'isoler au frais, mais à travers l'épais tissu j'entends briller le soleil.
N'empêche, la météo, c'est bien pratique pour dépanner l'inspiration.
Les gens d'argent états-uniens, ceux qui en ont, ceux qui en veulent, ceux qui en veulent plus, tous ces obèses ignares sentent la vichyssoise chaude, s'égaillent comme des poulets décapités, pratiquent la pensée magique du désespoir. C'est beau à voir... Pour ma part, à supposer que je fasse bien attention, des efforts sans faille, que j'exerce une vigilance de tous les instants, j'ai confiance de réussir à ne pas devenir millionnaire. Jusqu'à maintenant, je ne me suis pas trop mal débrouillé.
J'ai un brûlant crush adolescent sur Sophie Chiasson, Miss Météomédia. Vague de chaleur, mais rien d'accablant; humidex à la hausse.
Le pape homélise sous la pluie à Toronto. Je donnerais cher pour que ça me fasse quelque chose. Souvenir de mon émotion à l'annonce du décès de Paul VI: courant au-dehors, traversant le petit pont en criant pour avertir ma mère en promenade sur l'île: «Le pape est mort! Le pape est mort!»
Songé à détacher ce Journal d'Origines pour en faire au bout d'un an le quatrième tome de Vortex Violet: VACUUM!
Perplexe: mes fleurs dépérissent à fond de train. Peut-être cela a-t-il à voir avec l'habitude du voisin du dessus de laver son balcon à grands jets d'eau javellisée avant de domper le surplus chez moi?
Me suis esquivé à l'entracte. Remarquez, c'était réussi, dans le genre Kids in the hall. La tragi-comédie commençait à l'entrée, ou un type équipé de nichons impossibles à dissimuler s'efforçait d'écouler des t-shirts du Repercussion Theatre.
JF a découvert qu'on ne peut inscrire Boîte à bijoux au festival de la chanson de Granby parce que j'ai "atteint la notoriété". Ah, n'avoir rien fait de ma vie, ou l'avoir fait dans l'ombre, je sais pas, moi, quelque chose...
Bientôt, je vais prendre une de nos tounes et une caisse de 24 et JF va m'enregistrer en train d'essayer de chanter.
J'entends d'ici maman se marrer tristement: je n'ai jamais été insouciant.
Mario est passé. On a convenu d'aller voir Shakespeare in the park ce soir. Tout Willie en trois heures. Ou c'est abrégé, ou les acteurs parlent très vite.
Rêve de rapports honteux avec des créatures interdites. Succulent. Décadent. Ennuyant.
Les poils blancs drus de ma barbe me narguent crûment, me rappellent chaque matin davantage et sans la moindre compassion que je ne travaille pas assez, ni assez sérieusement. On a beau négliger le temps qui passe, lui ne risque pas de nous oublier. Inlassable, il s'occupe activement de notre pomme, la repeint, l'actualise, la met à jour comme une page web, un palimpseste d'où l'on aurait gratté la jeunesse et l'insouciance.
Ce vieux Mario, venu chercher du tabac, s'est endormi sur le sofa, ses lunettes dans le poing.
Marie Trintignant est magnifique. Je ne devrais pourtant pas être fou de ce visage, ces méplats accusés, ces yeux de biche blessée, ces os d'oiseau fragile. Mais elle n'a pas l'air du genre à écouter tous vos secrets pour vous les renvoyer à la face quand ça l'arrange. Autant dire qu'elle n'a pas l'air d'une femme.
Retour de chez JF. Monté à pied avec Kevin, revenu de même solo, un peu moins pauvre, un peu plus endetté.
Installé un bidule pour constituer une liste d'abonnements à une circulaire (pour newsletter) qui n'existe pas encore, mais qui servira à informer mes lecteurs privilégiés de mes apparitions, publications, inspirations, arrestations, etc...
Le traumatisme humain primordial: se situer dans l'orchestre cosmique, entendre la musique des sphères. Où suis-je? Depuis quand? Pour combien de temps? Quel jour, quelle heure sommes-nous?
Kevin dort dur. A passé la soirée à se fâcher contre lui-même parce qu'il cherche ses mots et se sent une patate chaude dans la bouche. Un sentiment que j'éprouve à l'année longue.
Appelé Bertrand. Son père a répondu. D'ordinaire, je confonds leurs voix. Pas cette fois. Le Big C fait sa méchante oeuvre. Tout de même, Monsieur S a puissamment apostrophé son fils au sous-sol pour l'enjoindre de décrocher l'autre combiné: Bertrand assure que la chimio lui fait du bien.
Quand les premiers jihadistes de Mahomet sont arrivés à Alexandrie, ils ont ordonné la destruction de tous les livres contenus dans la Grande Bibliothèque qui s'opposaient à l'Islam.
Cela fait, ils ont derechef décidé qu'on brûlerait aussi tous ceux qui l'appuyaient. Ils n'étaient pas nécessaires.
Suis monté admirer les feux d'artifice français sur le balcon de CGDR. Ce vieux dharma bum sait recevoir. Tout en savourant le sucre à la crème de sa sainte femme de mère, on écarquillait les yeux au spectacle des pyrogerbes tonnantes et triomphantes dans le ciel enfumé de Montréal, un ciel de lune gravide et d'avions clignotants. Pour la circonstance, j'ai étrenné l'horrible chemise de soie multicolore dont Kevin m'a fait cadeau.
Mario a trouvé six verres à vin dans les poubelles et m'en a donné trois. Pas de danger qu'il trouverait du vin.
J'ai failli buter dedans: un putain de gros scarabée, de la taille de mon zippo, au beau milieu de la chambre, se chauffant au soleil! J'ai regardé alentour, j'ai aperçu Un homme, un vrai (le dernier Tom Wolfe: 800 pages) et CRUNCH! Un ex-scarabée. J'ai ramassé ce qui restait avec le papier-cul rugueux de la bibliothèque.
Je serai pas sorti pour rien.
Passé à la bibliothèque. En ai rapporté le dernier Tom Wolfe et du papier de toilette.
Em m'envoie un jeu rigolo: il s'agit de la prétendue formule de George Lucas pour élaborer les noms des personnages qui peuplent Star Wars. En gros, pour le prénom, vous prenez les 3 premières lettres de votre patronyme et vous y ajoutez les deux premières lettres de votre prénom. Quant au "nom de famille", il requiert les deux premières lettres du nom de jeune fille de votre mère auxquelles on accolle les 3 premières lettres du nom de votre ville de naissance. Plus compliqué que le film, mais très amusant, parole de Misch Bomon.
Mario m'a demandé de lui expliquer le raisonnement derrière le crime de guerre commis hier par Israël, soit le largage d'un missile en plein Gaza, l'un des lieux les plus densément peuplés du monde, pour buter un dirigeant du Hamas et des tas de gamins du même souffle, juste quand la paix pointait son nez. Il insistait: pourquoi? Je suis resté coi. Une fois n'est pas coutume.
Claude André me propose un démo d'émission littéraire.
Me suis résolu à retourner voir du côté de la solidarité sociale. Peux guère continuer à laisser Kevin se saigner aux quatre veines tandis que j'attends une bourse qui n'arrivera peut-être pas.
Au retour, croisé Marcel dans le parc, princier sur son nouveau vélo. La cinquantaine, cheveux courts argentés, en meilleure forme que moi. L'ai connu en barman dans le temps. Avait lu mes livres, les savait mieux que moi-même. A dû changer de métier quand la bête du jeu l'a piqué: tous ses pourboires passaient dans la machine à sous. S'est reconverti dans l'informatique et l'art de vivre. Marie-Josée, qui l'a connu il y a trente ans, disait que c'était le plus bel homme qu'elle ait jamais vu, avec une crinière digne d'Absalon.
Pas grand-chose dans le cigare. Sombre dans une stupeur aigre-douce.
Prépare des spaghettini pour Mario tandis qu'il télécharge des Gymnopédies d'Érik Satie.
Me semble soudain que si j'écris peu ces temps-ci, c'est que je prête moins attention à ce qui se passe et se dit autour de moi. Fatalement, la veine s'épuise.
L'autre soir, Simard me demande comment ça se fait que je ne gagne pas autant de pognon que Marie Laberge. Il trouve que je vis dans des conditions lamentables. Je lui réponds par une autre question: toi qui es maçon, serais-tu capable d'ériger un mur avec des briques disjointes et du ciment qui bave, en supposant que ça rapporte plus? «Je saurais même pas comment!» convient-il avec un haussement d'épaules. Eh bien voilà. Moi non plus.
Jour après jour après longueur de jour, vivre l'immense vie que j'ai en tête, allongé sur le lit... Malaxer d'impensables flashes, des cailloux dans le crâne comme dans l'estomac d'un dinosaure, pour faciliter la digestion. Le temps fuit, le temps file, et tu le regardes faire sans lever l'auriculaire.
Mes lecteurs sont en congé. Les chiffres baissent. Je ne pensais pas être si populaire auprès des travailleurs de la construction.
Le juge Jean-Guy Boilard vient de se retirer du procès des 17 Hell's Angels après quinze semaines de procédures. Les gars doivent sacrer: le nouveau Palais de Justice adjacent à la prison est sûrement climatisé, ce qui n'est pas le cas de Bordeaux. Chaleur accablante.
L'interprète qui poussait ma chanson à Granby a fait chou blanc. On remet boîte à bijoux dans le coffre aux trésors.
En même temps qu'une provision de bière, Justine m'a apporté un clavier tout neuf, net, sec et nerveux.
Debout les damnés de la terre!
Lever à 14:00. Tout rentre tranquillement dans l'ordre. Si je peux ranimer mon enthousiasme pour cette machine et ses possibilités, je gagnerai encore quelques heures.
Day for night et night for day. Deux jours que je me lève pile à 17 heures. Hier soir, je suis resté rivé devant l'émission de Daniel Pinard jusqu'à ce qu'il me livre le secret du poulet du Général Tao. Un péché mignon que je partage avec Angel Forrest. Pour mémoire, les ingrédients sont: 1/2 t. d'eau, 1/2 t. de vinaigre, 1/2 t. de sucre blanc, du soja, du ketchup, 1 cuillerée à soupe de fécule dans 1/2 t. de flotte froide, des légumes, du riz, de l'huile, de l'ail et du suprême de poulet trempé dans fécule/oeuf/chapelure.
J'ai marié tout ça et au moment où j'allais consommer l'union, Steve est arrivé, m'amenant Marc Simard! Venu d'Hamilton, Ontario, en route pour le lac Saint-Jean, il profitait des vacances de la construction pour nous visiter et présenter sa blonde, une chouette anglo d'ascendance germano-polonaise. Ils pensaient dormir dans leur camion, mais bien sûr c'était hors de question et on a gonflé leur matelas de camping dans mon salon. Pour rien, finalement: Marc avait fait le plein et on a blanchi le coin du bureau en même temps que la nuit. Pas mangé non plus, ça va sans dire. Mon général Tao est resté au garde-à-vous dans le frigo jusqu'à cet après-midi.
Em est venue souper hier. J'étais si ému que Mario a dû s'occuper des pâtes. C'est le début d'un temps nouveau!
Annie m'a donné un coup de main: on était deux à planter nos ordinateurs sur cette saloperie de bogue. En définitive, on dirait bien que les choses se sont arrangées toutes seules. We're back in business, people!
Problème majeur avec Blogger. «Thank you, come again!»
Mario venu bidouiller davantage. J'effectue quelques recherches sur mon grand-oncle Raoul Roy, inventeur du terme indépendantiste.
Rien ne se perd, rien ne se crée, rien ne se passe.
Éric sonne à minuit. J'ouvre, le découvre manchot. «Keskia?» je crie, affolé. «Je suis juste venu te rassurer!» qu'il rigole, ce grand con, et il me montre l'attelle dissimulée sous son chandail.
Avec Kevin, on a posé les boutons de portes dans la cuisine, vilbrequinant à tour de rôle.
Bertrand passe faire un tour. Son père est au plus mal. Mon vieux pote se change les idées avec la femme d'un gardien de prison.
-T'es fou?
-Elle est superbe, kestu veux que je fasse?
-Je veux que tu fasses attention...
Mario sort, Éric arrive. «Comment va?» m'enquis-je. «Pas mal. Je m'en vas à l'Urgence...»
-Comment ça?
-Ben, j'me suis cassé l'épaule à vélo!
-Qu'est-ce que tu fais ici?
-J'suis venu te dire bonjour, quelle question!
Mario a travaillé sur Anthroponymes tandis que je m'offrais un gros roupillon cochon. Il écume Google et ajoute des liens vers les personnages historiques.
Ce matin, à Jeunesse au Soleil, ils lui ont donné trois canettes de fixatif à cheveux. Ne restait plus de pain. Fais-toi beau et trouve-toi du boulot!
Il a décidé de retourner chez sa mère. Dans la chambre du chat, plus vaste que la sienne. Là, il pourra écrire sans passer ses journées à courir pour s'assurer une maigre subsistance, tout en aidant sa maman.
Un peu plus tôt, je suis allé me balancer paresseusement sur l'une des grandes escarpolettes du Parc, observant le manège d'un jeune et brun footballeur qui s'entraînait à contrôler le ballon entre les cônes orange qui balisent les travaux de voirie.
Bon, voici Kevin. Bunker et gare centrale.
J'apprends qu'à trente-sept ans, huit mois et des poussières, j'ai très exactement l'âge médian canadien tel qu'établi par les dernières données démographiques, soit la ligne de démarcation précise entre le nombre des plus jeunes et celui des plus vieux. It's all downhill from here.
Le programme Tips de doublevé Bush se propose d'enrôler 4% des États-Uniens pour espionner leurs concitoyens. Qui s'ennuyait de la Stasi? Levez la main!
L'affûteur de lames en tous genres passe dans la ruelle en agitant sa cloche. Me manque la litanie du marchand de fruits et légumes. «Deeees navets des patates des carottes des bananes des fraaaises!»
Pas un jour ne passe sans que Bush le liberticide ne me fasse invoquer les mânes de Booth et de Ravaillac.
Enfin déniché Hell's Angels de Hunter Thompson, le livre pour lequel on le laissa pour mort dans un fossé après qu'il eut refusé d'en partager les droits d'auteur avec les éponymes. Indescriptible, la joie de tomber sur un titre longtemps cherché en vain!
M'engageant dans le Parc, je flaire un relent de chlore et de chair fraîche: ce sont des mioches qui barbotent et pataugent dans le bassin de béton, et je songe que l'ogre omnivore des contes n'était somme toute qu'un pauvre bougre affligé de nostalgie enfantine.
Vais faire un tour à la bibliothèque et une petite partie de chasse à la bière.
Depuis mon balcon, je m'efforce de distinguer à travers les branches chargées de feuilles la maison où je suis né, là en-bas sur la rue Fabre, et je songe à tous les endroits où je suis allé en ce monde pour revenir vivre ici.
Fini ma seconde digestion des 900 pages de Centennial, par James Michener. La première remonte à plus de vingt ans. Ce qui me remet en mémoire une promesse faite à moi-même à cette époque, soit relire tout le cycle zolien des Rougon-Macquart, vingt volumes, lorsque j'arriverais à mon âge actuel.
Pour autant que je puisse en juger, mon nouveau voisin est un luron gai pourtant fichu comme l'as de pique, à la voix aigrelette et dont la sonnerie de cellulaire imite l'air de L'amour est enfant de bohème.
Vous connaissez celle sur Bizet? Comment il aurait été condamné à trente jours de prison pour avoir voulu introduire un balai dans l'ouverture de Carmen?
Yousuf Karsh est mort hier dans un hosto de Boston. Des suites d'une opération, mais bon, il avait 93 ans et demi. Quand on est très vieux, les et demi, ça compte autant que lorsqu'on est très petit. Fuyant l'Arménie déchirée, il est venu au Canada en 1924, a étudié la photographie et est devenu le plus célèbre portraitiste du monde avec un cliché de Churchill réalisé en 1941. Peu de temps auparavant, il avait croqué ma grand-mère dans toute sa jeune splendeur, et ce portrait est toujours accroché dans sa chambre. Elle a 90 ans et demi.
Ceci est un portrait d'Ernest Hemingway par Yousuf Karsh. Requiescat in pace.
Ce vieux K est tombé d'épuisement sur le divan. Lui ai retiré godasses et lunettes. Toute la soirée, on filait l'un et l'autre assez mal, ou enfin pas trop bien, je ne digérais pas ma salade de thon et il a besoin d'un jour entier sans rien à faire, quoi qu'il en soit on s'est contentés d'être ensemble sans échanger plus de paroles qu'absolument nécessaire.
Ici, j'avais écrit quelque chose de méchant parce que j'étais en colère, et puis je l'ai enlevé.
On devait, Mario et moi, aller voir Lumumba au Théâtre de Verdure, sauf qu'il s'est passé des choses. Quand il est arrivé, je l'ai entraîné en bas avec moi, il m'a aidé à transférer le linge mouillé dans les sécheuses tandis que je lui parlais du kidnapping de Crooks. On se sentait plus impuissants que jamais. Puis, en remontant, on a trouvé un mail de Marie-Josée: Pinochet a démissionné, mais on peut lui trouver un remplaçant dans n'importe quel poste de police américain. As-tu vu aux nouvelles de ce soir ce que les policiers ont fait au vidéaste amateur qui les avait filmés en train de tabasser un jeune noir dans une station-service? J'ai une grosse colère au coeur et fallait que j'en parle à quelqu'un.
Et voilà, c'est ça, on a passé la soirée à en parler. Pour faire quelque chose. Mario a mitonné un pâté chinois horizontal. J'ai écrit à MJ: "Le cri de cet homme dans cette voiture noire aux vitres aveugles. Que puis-je faire, Marie? Dis-moi ce que je dois faire." Et elle a répondu: " S'cuse mes nombreuses fautes j'essaie d'écrire plus vite que mon ombre... Je ne sais pas ce que je peux te dire, j'ai le même hostie de sentiment d'impuissance...mais une chose me rassure, au moins on réagit, on est encore vivant, sensible...c'est une bien mince consolation mais moi ça me prouve une chose: ils ne nous ont pas tout bouffé le cerveau et le coeur et l'âme."
Pas tout, non. Parce qu'il n'y a pas de Ils. Ce serait trop facile. L'ennemi est ici, dans notre chienne intérieure, lovée en petit tas chaud de honte poilue, l'absence de fierté d'exister en ce temps.
Peut-on encore parler de porcs, de cochons, de chiens sales, pour qualifier ces flics sans faces qui ont kidnappé Crooks devant CNN? Crooks (what an unfortunate name) est le vidéaste amateur qui a croqué l'arrestation brutale d'un jeune black Californien. Quelques menaces de mort plus tard, des agents anonymes l'embarquent dans un SUV noir luisant aux vitres aveugles, cependant qu'on entend «Heeeelp!» filtrer deux fois à travers la tôle.
Kevin avait acheté un billet de 6/49 pour l'anniversaire de Steve, lundi. J'ai oublié de le lui donner. Tantôt, en file au dépanneur avec ma quille et mes tubes à cigarettes, je l'ai retrouvé dans mon portefeuille. Je l'ai tendu au kid Laotien pour qu'il le passe dans la machine de Loto-Québec et celle-ci a émis un drôle de bruit, une trille, une harmonie bizarre. J'avais gagné dix dollars. Je suis sorti du dépanneur avec plus d'argent qu'en y entrant. J'ai appelé Kevin. Il est habitué à gagner aux jeux de chance et de hasard. Moi, ça ne m'était jamais arrivé, sinon par procuration. «Je conserve ta part au chaud», j'ai dit, mais il m'a enjoint d'en faire ce qui me plairait. Alors j'ai fait ma lessive. Converti tout ce fric en piécettes et entrepris de laver mon linge. À cette heure, sept étages sous moi, deux engins de plastique chaud brassent mes frusques et en expriment la puanteur d'une vie pleinement vécue. Dans une heure, ces sous mal acquis serviront à sevrer les sécheuses. Une heure de plus et je serai à nouveau un salaud chic & swell.
Franz Liszt valait la moitié de l'Ukraine aux yeux de la princesse Caroline Sayn-Wittgenstein. Suis-je moins génial ou séduisant que Liszt, et que vaut l'Ukraine, et y a-t-il encore des Carolines?
J'avais quatorze ou quinze ans quand j'ai conçu le projet d'un grand livre, un cycle sur les sources de ma famille, en commençant avec Marin Boucher et qui descendrait jusqu'à Hector. C'était dans la mouvance de Racines, qui déclencha la folie des recherches généalogiques, et j'avais choisi comme titre Origines, et je me croyais très fûté.
Au cours des années, j'ai mis ce projet de côté jusqu'à quasiment l'abandonner. J'ai recyclé le titre de deux ou trois façons, car je suis comme je suis, tête dure et coeur mou, et je n'imaginais aucun repos tant que cette maison ne serait pas habitée.
Le canal D annonce une série intitulée Origines pour l'automne. Procrastination, quand tu nous castres...
Hier, 16 heures: Kevin arrive du boulot, s'écrase avec un six-pack de Bolduc, l'air ahuri. Au bout d'un temps: «Je commence à comprendre le caractère aliénant du travail physique. J'ai connu des tas de gars en qui je devinais une intelligence, aigüe parfois, pourtant après une journée à s'échiner au soleil, ils n'avaient plus envie de rien, rien d'autre qu'une bière et un fauteuil profond...» Gorgée. «Faut que je me force à lire mes trente pages par jour...» ajoute-t-il, désorienté.
-Ma foi, dis-je, c'est peut être vrai, je ne saurais dire, vu que j'ai jamais rien foutu de ma vie. Mais se pogner le cul aussi, c'est aliénant. Tu sais ce qu'on va faire? On va faire une tarte aux pommes!
Et on a fait une tarte aux pommes. Ça l'a réveillé, il a décidé d'aller acheter deux gros homards des Îles et une bouteille de vodka. Mario, venu emprunter du tabac, est arrivé juste à temps pour partager notre repas et on en a fait une cérémonie à la mélancolie de notre ami, qui nous a appris avec un enthousiasme sensible à dépecer l'exosquelette pour en extraire jusqu'aux plus infimes parcelles de chair rose. Puis, Mario a lavé la vaisselle et on a écouté des chansons tristes. C'était très réussi. Le homard et la tarte aux pommes maison présentent un caractère singulièrement désaliénant.
Je jase, je jase: entre nous, je n'écris rien qui vaille. Mes femmes trouvent mes fringues douteuses et ma vision impénétrable. Or, j'ai un livre à livrer à VLB pour les Fêtes, et si j'échoue, c'est foutrement plus qu'une avance de 500$ que je lui devrai, c'est une poignée de main et mon chapeau, mon feutre noir, mon plus précieux...
Kevin venu boire avec moi, chercher des mots dans les livres, crever savamment quelques tripes du temps qui passe. Lui ai dit: «Marie, qui ne t'a jamais rencontré, trouve que tu es le personnage le mieux dessiné dans ce Journal, dont je veux faire un livre.»
Kevin: «Moi aussi! Je me disais justement, en le relisant, que mes monotypes et ma peinture industrielle, c'est conséquent, c'est toujours moi, je veux dire que ma vie et mes choix ne sont pas aussi absurdes qu'ils m'apparaissent parfois! Faut vraiment que je sois tordu profond, tu trouves pas? Je veux dire: on vit pratiquement de façon contigüe et je corrige ta grammaire pendant que tu prends en note ce qui te fait flasher dans notre existence; même quand t'inventes mon dialogue, je rechigne pas, mais enfin, y a littéraire et littéraire...
@}--}---- N'est-ce pas joli? Ma soeur Em a signé ainsi son dernier mail ce soir. Si on est soûl et couché sur le côté, ça ressemble tout à fait à une rose trémière. Les Mistral ne se satisfont pas d'émoticons ordinaires.
Sauf que, cependant qu'elle séduit à distance le sinistre Pastis, qui lui cause de Bukowski, je lui déniche cette image de sa pierre tombale, admonestant Don't try:
Et je lui demande d'essayer encore. Parce que c'est Em, ma chair, mon sang, ma puce, parce que Buk ne savait rien de rien qui puisse ou doive la toucher, pas maintenant anyway.
Retour de la vallée du Richelieu. On offrait tout un show, Marie-Jo et moi, à quatre pattes sur la tombe de grand-père, cherchant des traces de thym. Je venais de renoncer quand elle en a débusqué une touffe et, pour me prouver qu'il s'agissait bien de ça, me l'a frottée dans le creux de la main, libérant le parfum. La tradition était sauve.
À la chocolaterie, on dégustait dans le jardin quand mon cellulaire a résonné. C'était Mario, fort alarmé, qui souhaitait me prévenir que mon site affichait soudain plein de caractères chinois. Je ne m'en suis pas trop fait. Ce n'est pas la première fois que ça lui arrive.
J'ai rendez-vous avec du chocolat, et j'ai déjà mal aux dents. Coïncidence? I think not.
Éric est passé hier soir. On a regardé The Sopranos en se marrant au spectacle des impatiences de Richie Aprile. L'art de sauter une coche, deux, trois...
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emportaRutebeuf (1230-1285)
La Complainte (extrait)
Marie-Josée vient de me fixer rendez-vous pour demain matin onze heures: on va faire un tour à Saint-Marc sur la tombe d'Hector, où on avait planté du thym il y a deux ans. Au retour, on fera un croche par La Cabosse d'Or à Saint-Hilaire et on savourera le meilleur chocolat du monde en regardant les yeux des petites filles qui lèchent leurs cornets de crème glacée au fudge.
Généré quelques nouvelles entrées pour Proverbes.
Mario récupère son imprimante. J'en ai jamais eu avant, maintenant je me demande comment je vais m'en passer.
Courriel de Justine:
Where the fuck have you been baby? that's a funny game!
1. un ami t'a invité pour quelques jours dans une maison de campagne cossue
2. chez ta nouvelle maîtresse
3. dans mes pensées
4. peinard au bunker mais tu fausses les pistes
5. dans un garden-party
6. à new york
Elle est craquante, cette cocotte-là.
Passé chez Jean Coutu faire traiter mon rouleau de film. Ils offrent une option Excellence qui est ni plus ni moins que l'ajout d'un cadre blanc autour des photos, comme il y a trente ans. Mario et Kevin se sont livrés à des expériences avec la caméra et moi comme modèle. Dans le but d'obtenir un cliché de «l'écrivain en situation d'écriture». À suivre.
À part ça, eh bien, je dégivre mon congélateur.
Deux jours de congé, à lire et dormir, n'étaient pas un luxe. Cette femme n'a rien de mieux à faire depuis quelques week-ends qu'inventer des moyens de me foutre en rogne. Cette fois-ci, c'était l'effacement systématique et stalinien de toute référence à mon existence dans son Journal public. Plus ses protestations d'innocence et la ridicule attribution de cet enfantillage à un mystérieux piratage. Finalement, poussée dans ses ultimes retranchements, elle a changé de tactique et revendiqué son bon droit. À vomir. J'ai tout débranché, le temps de me refaire une humeur.
Mario s'est joint à nous pour la séance cinoche.
L'autre soir, juste avant de se faire expulser du Café Central avec son chum Eddie, Kevin est tombé sur Éric Drouin qui l'a chargé de me transmettre un message. «Quand ma mère est morte, je ne m'en serais pas sorti sans Christian.» À la question de savoir pourquoi il ne me le disait pas lui-même, Éric a répondu que ça le plongerait dans l'embarras. Alors voilà, c'est fait. De rien, Éric.
Kevin m'a proposé par courriel une journée bière/cinéma (il veut voir Un homme d'exception en VHS). C'était si foutrement original que je me suis empressé d'accepter. Vais aussi essayer de trouver Rue de la sardine, d'après Steinbeck.
Dans une heure, on met en vente les billets pour le show de Supertramp au Centre Molson. Je n'ai jamais de ma vie assisté à un concert rock, mais si j'avais du pognon, j'irais voir et entendre celui-là. J'irais me replonger pour une couple d'heures dans les affres et les délices de mon adolescence glorieusement torturée. Retrouver en pensée les visages des filles aimées qui ne m'aimaient pas, et celui de celle qui m'aima. J'irais, faire la file en ville pour acheter un billet, un seul, parce qu'on est toujours seul avec son passé. Le passé, c'est donc aussi du luxe, faut du pognon pour se l'offrir.
Ce week-end, les flics de Virginia Beach inaugurent leur nouveau joujou: un réseau de caméras reliées à un système de reconnaissance des traits. Comme de juste, les plaisanciers y vont des âneries habituelles proférées chaque fois que Gros Frère enfle davantage: «I think it's a good idea!», «If it's there to protect us, I'm all for it!», et la classique «If you're not doing anything wrong, then you've got nothing to worry about!»
Tas d'infâmes faquins. Chair à dictature.
La banque de données contiendra, outre des faces de "terroristes", les fiches anthropométriques bertillonnées de fugitifs et de fugueurs. Fugueurs, c'est à peu de chose près ce que nous étions, Nat's et moi, quand nous aboutîmes à Virginia Beach en juillet 1981. S'ils avaient eu ce système-là, on ne se serait pas mariés. On n'aurait pas non plus conçu notre fils une nuit tiède sur la plage.
D'abord, on a manqué d'électricité à cause de feux de forêt à la Baie James. Goodbye ma crème glacée au chocolat. Ensuite, c'est Blogger qui suspend la publication pour cause d'entretien du serveur. J'écris ceci sans savoir quand je pourrai le mettre en ligne. Et moi qui craignais de manquer de jus pour mes jérémiades.
Suis sorti marcher ma ville, tête légère sous ses cieux spacieux. Arrêté chez XYZ, prendre mon courrier, rapporter le clavier et souhaiter de bonnes vacances à tout le monde. Un biais par la bibliothèque et zoum! à la fruiterie, où j'ai fait le plein de nectarines. Si jamais j'ai une fille, je l'appellerai Nectarine. Nectarine Mistral. Quelqu'un sait-il si c'est bon pour la santé d'en dévorer huit d'un coup?
eworldmusic.com vend des chansons en ligne, à l'album ou à la pièce. Dont celles de Mario Peluso, y compris celles que j'ai écrites pour lui. Mario n'est jamais pressé de souligner la contribution de ses paroliers. En cela, il ne diffère pas de nombre d'autres chanteurs. Ne trouvant mon nom nulle part, j'ai écrit aux administrateurs de ce site, qui se sont empressés de corriger l'omission. Tout à leur honneur.
Bon, eh bien, j'ai mis la main sur le dernier roman de William Kennedy, Roscoe, et je vais de ce saut dans mon lit m'y plonger.
Il ne fait plus assez chaud pour me plaindre. Manque de pot: je n'ai rien d'autre à dire.
Vingt-trois ans que je fume. Serait temps d'arrêter. J'étouffe, par tous les diables!
Peut-être commencer par passer du format King Size au Régulier. Quelques années comme ça, et puis on verra.
Longtemps que j'avais pas mis le nez dehors. Aujourd'hui, un type est mort d'insolation en traversant la rue. Mais j'étais à court de popsicles. Le jardin devant le building est luxuriant, une véritable jungle amazonienne! Je me sens comme Rip Van Winkle.
Mario s'est tout de même arraché au confort relatif de sa chambre. Chez moi, paraît-il, c'est mieux. Moins pire, en tous cas. J'ai fait un pâté chinois. Faut être malade dans la tête, pour allumer le four. L'homme peut-il survivre sur une diète de bière et de popsicles à la banane?
Deux cents petits boutons de chaleur constellent mon torse comme ces dessins d'enfant faits de points numérotés à relier entre eux.
N'était la température, on se demande souvent de quoi on parlerait. Mes reins exigent sourdement, mais il fait bien trop chaud pour baiser à deux.
Mario m'appelle pour savoir si j'arrive à bouger. Lui, dort toute la journée devant le ventilateur. Il me parle du Théâtre de Verdure. Y est allé deux fois. Chaque année, je me dis que je devrais en profiter; j'ai qu'à traverser la rue, après tout. Faudrait une panne de télé.
Réveillé Kevin avec le mp3 de Daniel Boone et deux oeufs cuits durs. En partant, il a dit merci deux fois derrière moi, mais je n'ai pas su quoi répondre, ni n'aurais trouvé le coeur de le faire.
Parlant de secrets: quand j'ai rencontré O', c'était en rencontrant Script, et cela n'est pas secret, ce qui l'est c'est où O' se trouvait à ce moment-là, et donc moi, et donc Script, d'où les deux-tiers de pseudonymes dans cette histoire, et le plus drôle est que je ne sais toujours pas pourquoi c'est un secret, elles ne me l'ont pas dit et je ne l'ai pas demandé, mais pour autant que je sache ça l'est toujours et je suis donc tenu de le garder, voilà pourquoi cette intro est longue à chier, c'est la faute à O' et c'est à elle que vous adresserez vos réclamations.
Ce qui m'amène quand même, on s'en doutait, à mon sujet. Cette O', j'en ai parlé déjà, ça fait un bail qu'elle figure dans mes rares Liaisons Dangereuses. Hier (le jour d'avant?), elle a changé le titre de son Journal. Cela s'appelle dorénavant L'Immédiate.
J'ai lu la première entrée: à vue de nez, c'est bien le même sensuel tissu de mots en lettres minuscules issus du même diable de petit vicieux machin de bonne femme trop douée pour sa santé, c'est souvent beau à hoqueter quand on se souvient de respirer, c'est étranger à l'expérience des hommes et expurgé de celle des femmes mûres, c'est O' qui s'enseigne à elle-même à écrire, voilà ce que je pense, malgré qu'elle pourrait en remontrer à à peu près tout le monde que je connais, comme si O' savait ce qu'elle ignore encore et le chemin de sa destination, j'en suis pas sûr mais j'ai le sentiment très fort qu'elle fait des pompes. Son Journal n'est pas un agenda quotidien comme le mien, pour tout dire c'est un roman, mais je la suspecte d'avoir switché de titre pour marquer son intention de se lancer dans les vraies choses (ce qu'elle observe, ce qu'elle en pense, où ça se passe). Si c'est ça, alors allez-y: en cliquant sur ce lien, vous assisterez à la naissance d'un écrivain.
D'autre part, Annie me manque comme d'habitude, et ce soir, ce sont ses conseils dont l'absence se fait le plus cruellement sentir. Pas des conseils, vraiment, mais la façon qu'elle avait de comprendre que je ne comprenais pas toujours mon gars, ni mon devoir, ni ma propre perplexité. Et de m'aider à m'en pardonner.
That's it, folks. Go home to your loved ones. Show's over for now...
D'ici, de mon bureau, j'embrasse tout mon minuscule et précieux univers. Ma vue, ma tévé, mon lit, mon frigidaire, ma bibliothèque et mon Kevin endormi sur le sofa dans un drap léger de coton propre, un micro-ventilo calculé pour lui flatter la couenne à l'air chaud charrié, ses derniers mots ont été merci de veiller sur moi et il s'en est allé dans la paix temporaire qu'il fréquente si peu.
On a bu sans abus. La visite de JC l'a troublé autant que moi, en un sens, en plusieurs. L'a obligé à se re-situer, se redéfinir, se redire ce qu'il est, cet homme et cet enfant, et, n'est-ce pas, l'un n'est pas la suite de l'autre avec une évidence aussi aveuglante qu'on l'aimerait croire.
En regard de la loi du silence qui règne dans ma famille, l'omertà sicilienne fait figure de note de service, au pire d'aimable consigne. Tout me crie de me taire sur mon fils et ce qui me remue et m'empêche de dormir ce soir. Je l'ai fait, me taire, toute ma vie en cette matière. Ma famille est-elle fière?
Mon fils sort à l'instant. Déconcertant. Kevin est allé faire un tour dans le Parc pour nous laisser aborder en privé les sujets délicats, s'il en est. Or, selon monsieur mon kid, il n'en est pas. Qu'il vive à nouveau ses journées dans la rue n'est pas un sujet délicat. Qu'il dorme ses nuits au Refuge de Bigras n'est pas un sujet délicat. Qu'il croie en l'Atlantide, les bases lunaires états-uniennes secrètes et le troisième oeil de Lobsang Rampa n'est pas un sujet délicat. Tout baigne, papa, t'en fais pas.
Il jasait avec Kevin et j'étais bien content, ça sonnait rationnel au début et Vigneau, comment dire, si je l'avais connu comme mon aîné, disons à vingt ans, qui sait les sommets que j'aurais atteints aujourd'hui? Je veux dire: ça me semble un beau cadeau à faire, un cadeau de père, à faire à mon petit, de le mettre en rapport avec un Kevin (qui, est-il besoin de le préciser, ne se trouve pas sous le pas d'un cheval, sauf en fin de cuite au festival western de St-Tite).
Ils partagent un soyeux souvenir de jeunesse: une série animée japonaise intitulée Les Cités d'Or, historiquement située au temps de Cortez. Or, cette merde criminelle est rediffusée ces jours-ci à Radio-Canada, et nous en avons subi un épisode à trois heures et demie. J'ai tout compris. Des frégates armées à l'énergie solaire, des Olmèques extra-terrestres, des enfants du soleil, des tatouages héréditaires mystiques, en veux-tu du nippon en voilà. Quand je pense que ma mère interdisait à JC de regarder les Simpson's, de crainte que ça ne lui pollue l'esprit. Et tout ce temps je me croyais un père, sinon adéquat, du moins vigilant! Résultat, toute conversation cartésienne ou constructive avec mon fils est impossible, un esprit brillant a été bâti sur des fondations de sable avec du bois rongé par les termites. Il a vingt ans! Que pourrais-je faire pour le redresser à vingt ans? C'est pas juste. Il valait tellement mieux.
Kevin a laissé la peinture en plan avant de tomber de l'échelle et le voilà ici, prenant soin de sa petite bière. Le boulot c'est bien beau, mais faut pas virer fou.
Justine passée en coup de vent, les bras chargés de bouteilles. Le mécénat prend de nombreux visages, y compris les plus jolis, et quand il se déhanche, ma foi, ça ne gâche rien.
Sur toutes les chaînes, les bulletins de nouvelles ne sont qu'avis de chaleur accablante. Si vous voyez en ville un type qui me ressemble et qui a l'air de s'en payer une tranche, ce ne sera pas moi. Je reste dans un rayon d'un mètre de mon ventilateur en zappant jusqu'à ce que je trouve des nouvelles fraîches.
Visite de Kevin, suivi d'Éric. La bière se met à bouillir dans les verres avant qu'on les cale.
Premier juillet. Cela divise l'année, comme une raie une coiffure.
(John Steinbeck,
L'hiver de notre mécontentement)
Ce lundi gluant comme la gaine d'algues des sushi, doux comme le vin juif. Je me demande parfois si l'on vieillit vraiment, des jours tels que celui-ci.
Rien à signaler. Vraiment rien. J'aime ça comme ça.