31.10.02

Piqué un roupillon. Réveillé par deux sorcières d'un mètre de haut. Bête, mais j'avais beau savoir que c'est l'Halloween, il ne m'est jamais passé par la tête que des mioches pourraient sonner ici. La seule chose dans cette maison qui ressemble à des bonbons, c'est mes comprimés d'Atasol.



Eu égard au manuscrit de Fange et Furie, Vanasse m'informe que XYZ ne publie plus de poésie pour cause de «ventes anémiques». Rien de nouveau sous ce soleil. Autrefois, je m'étais livré à un petit chantage, acceptant de lui céder Vautour s'il publiait aussi Fatalis, ce qui donna lieu à la création de la collection Papiers Collés. Mais je n'ai plus envie de jouer à ça. Irai probablement voir du côté de chez Triptyque.
Dans ce journal, dans ce roman, j'énoue l'étoffe rêche d'une existence américaine, la mienne; j'époutis son tissu et j'épince sa trame, j'aspire à vide, je vacuume.
Insomnie n'est pas qu'un titre de film à la mode.



Je lis Le jugement de Dieu, une novella avant la lettre d'Henri Troyat sur l'ordalie. Comico-tragique. Le gars ne brûle pas et en veut à Dieu de lui refuser le châtiment comme à tous ses enfants. Écrit comme on n'écrit plus, hélas.

30.10.02

Trouvé cette citation de Jean-François Champollion qui me fait penser à Kevin et, dans une moindre mesure, à moi-même: «Lorsque le monde réel pèse sur notre coeur, le monde idéal doit être notre refuge, et ce monde-là, c'est l'étude: elle nous fait oublier momentanément les dégoûts de la vie en nous transportant hors de nous-mêmes; en élevant nos idées elle double notre courage et nos jours se passent moins sombres et plus rapides.»
Chaque fois que le doute s'immisce insidieusement, je repense à cette vieille dame aux joues fraîches et rouges et rondes comme celles de grand-mère, rencontrée au Salon du Livre au début des années 90. Venant vers moi, l'oeil pétillant, elle me confia que la lecture de Vautour l'avait aidée à porter le deuil de son époux, décédé subitement après cinquante ans de mariage...



Soufflé, je méditai la portée de ces paroles. Comment l'histoire d'un type de vingt-sept ans claquant du coeur pouvait-elle s'assimiler au drame vécu par cette femme? Et pourtant, elle y avait trouvé quelque chose d'utile, quelque chose d'absolument imprévu par l'auteur.



J'ai compris, alors, ce que je ne faisais que soupçonner jusque là: c'est une erreur de concevoir un roman comme une auberge espagnole, avec de tout pour tous. Ce n'est qu'en passant par le particulier qu'on peut accéder à l'universel. Les exégètes mentent en prétendant décortiquer un texte et y retrouver les intentions de l'auteur. En analyse littéraire, on fait ainsi passer les écrivains pour bien plus intelligents qu'ils ne sont en réalité, décourageant les jeunes et protégeant la mystique. "Qu'a voulu faire untel dans ce passage? Comment s'y est-il pris?"



Demandez à la vieille dame.

29.10.02

Réveillé avec la tête d'Oscar Wilde, du moins en apparence. Me surprenant dans le grand miroir de la salle de bain, n'ai même pas osé me tourner le dos; suis sorti sur la pointe des pieds à reculons.



Le restant de ma molaire est tombé avant-hier en mâchant du saumon. Adieu, partie de moi.

28.10.02

M'a fallu tout mon petit change pour ne pas enfiler mon manteau, mes bottes et mon chapeau et aller toctoctoquer à l'huis de mon ardente Annie. Me faudra toute la lente, l'humide nuit.
K pas content.



Bougon, fait la gueule, angoisse et s'impatiente. N'a rien bu depuis deux jours. Prévoit prolonger ce comportement étrange au moins jusqu'à la fin de la semaine.



Vrai, chaque session ramène son moment de vérité, quand le bulldozer ne saurait compacter davantage; alors, K se réfugie chez lui, abstème et studieux, abattant de l'ouvrage. C'est la semaine où on ne le voit pas au Bunker.



Sauf que celle-ci, de session, se passe autrement: autant ces dernières semaines il n'avait plus de Bunker où se réfugier des Catacombes, autant il n'a plus de Catacombes à lui tout seul où échapper à la sulfureuse influence du Bunker.



Conséquemment je ne sais plus, moi non plus, où me mettre.
Radio-Canada rediffuse L'Odyssée homérique. Homère, l'aède inventeur du flash-back. Du fleuve Scamandre à la plage de galets de Dexia, revoici tout le fabuleux voyage de retour d'Ulysse, le triomphe et la démolition de l'orgueil et de la ruse.



Un journal m'a demandé de citer mon premier souvenir de lecture pour un supplément à paraître, et j'ai nommé La Bible en images, mais à y bien réfléchir, j'aurais pu tout aussi bien mentionner L'Odyssée.



Quel dommage qu'on n'ait pas programmé cette superbe série à une heure où les kids sont rentrés de l'école.

27.10.02

Ce jour d'hui, recul de soixante minutes. Maintenant et à l'heure de notre mort?



K a écrit un sonnet magnifique, Captation. Pour bien faire, c'est de cent ans que j'aimerais reculer, le temps qu'il puisse en donner lecture au Château Ramezay devant l'École Littéraire de Montréal, et que Charles Gill, Arthur de Bussières et Albert Ferland puissent le ramener chez lui en triomphe sur leurs épaules. Pas sûr qu'ils viendraient jusqu'à Parc-Extension, notez, et puis qu'y trouveraient-ils sinon des vaches et des cochons?



Rêvé que Natali avait eu un autre fils de moi dont j'ignorais tout. C'est Fantasio qui m'en faisait la révélation. Son nom: Mario-Henri. Où, dans quelles eaux boueuses va-t-on parfois pêcher nos songes?

25.10.02

Le bonhomme tombe en morceaux. Aujourd'hui, c'est la branche droite de mes barniques. Kevin a effectué une réparation de fortune avec de la résine d'époxy et du fil électrique.



Pendant ce temps, j'écoutais les débats à l'Assemblée Nationale. Ministres et députés n'avaient que le mot unanimité à la bouche. Le Québec n'aime pas moins ce concept que l'Irak. Cancer du consensus.

24.10.02

Bon Jack, l'agent. Paraît qu'ils m'ont appelé deux fois lundi matin à quinze minutes d'intervalle, sans succès. Pour cette fois, il veut bien laisser couler.



Traversant le parc Jarry pour la première fois depuis trente-cinq ans, n'ai-je pas entrevu le spectre rouge de Rusty Staub se secouant les fesses avant de claquer un coup de circuit? Et celui, plus pâle, d'un petit garçon retenant son souffle...
Yann Martel, neveu de Réginald et fils d'Émile, a emballé le Booker Prize pour Life of Pi. À croire que la littérature du ROC entretient de meilleurs rapports avec sa métropole que la nôtre. Me revient en mémoire une réception chez l'ambassadeur Martel à Paris: le caniche de Claire Dé avait vomi sur le tapis et j'étais bien content que ce fût lui plutôt que moi, pour une fois.
Sans sou ni maille. Cet excellent Bertrand Laverdure, de la revue Moebius, a mis la main à sa poche pour me tirer d'affaire. C'est K qui est allé le rencontrer hier en mon nom à la bibliothèque nationale.



Plus tard aujourd'hui, je rencontre mon agent de probation. J'irai à pied en inspirant l'automne.

23.10.02

Quelques jours ago, Marlène appelle de Floride. Je l'informe de ma situation, et comment son frère Hans l'a sensiblement améliorée. Elle raconte comment sa fille trippe sur les tounes à Dan, et sur Dan, et qu'elle lui a expliqué la différence entre auteur et interprète. «I guess I fucked the wrong guy», qu'elle dit. «That's what I always thought», je dis. Elle dit: «Sauf qu'il est plus sexy que toi, ces temps-ci». «Oui, je dis; mais moi aussi, je finirai par avoir mon illumination». «T'en as eu assez, des illuminations», elle dit. «Autrement, kestu fais de ton temps depuis le divorce?» je demande. «Je baise, mon grand. J'ai trente ans!» elle répond. «Tu viendras pour les Fêtes?» je m'enquiers. «No way! Montréal, c'est fini. J'y ai vu des choses qui m'ont trop bouleversée...» On s'embrasse, on raccroche, elle rappelle, elle ajoute: «Ma fille veut te parler! Quatre ans, mais elle se souvient de toi au Jour de l'An...» Je n'y vois pas d'objection, mais la puce change d'idée. On raccroche. Décrocher, raccrocher, what the fuck, that's our life.
Justine m'envoie une liste de suggestions gentilles pour "m'enlever les maux de la bouche": mendier sur le net (Miller, le sait-elle? faisait ça dans les magazines il y a cinquante ans; Andrée Champagne recevait des conserves adressées à Donalda, et Jean-Pierre Masson des torgnoles destinées à Séraphin...), m'adresser aux dentistes en herbe de l'université, demander à Kevin de me péter la gueule puis me présenter à l'urgence...
Idée pour Vortex Violet: une série d'entretiens avec des quelqu'uns et des nobodies et des entre-deux. Titre: Vis-à-vis.
Coup de fil d'Éric Drouin. «Dis donc, Christian, je me rappelle pas trop bien: l'autre soir, est-ce que j'ai fait le cave?»



On a tous faits les caves, mon chum. T'inquiète pas avec ça.
Seconde saleté de visite à domicile. La première, le type avait l'air d'un messager à vélo. Cette fois-ci ils étaient deux, un maître flanqué d'un apprenti. L'aîné, celui qui parlait, le faisait avec un sens de l'humour en uniforme qui réveille très mal. Quand il m'a dit que ma photo ne me ressemblait pas à cette heure-là, j'ai suggéré qu'il revienne à une autre heure.



Damnées dents! J'ai toute la gueule en souffrance.



Kevin va casser la croûte avec Catherine. Pour fêter ça, il a astiqué le lavabo. Ça m'a encouragé et j'ai récuré la cuvette.

21.10.02

Au téléjournal, le gros Bureau sédentaire et stoïque nous alarme: nos jeunes sont obèses! Nos jeunes foutent rien! Nos jeunes épaississent devant la tévé! Hypertension, ostéoporose, estime de soi dégueulasse, non mais keski sont cochons nos lardons!



Hier, Drouin est venu et on s'est un peu battus, puis K a transformé le mur du couloir en gruyère; aujourd'hui, il soigne ses jointures et sa cheville au lit, enlaçant sa tristesse, et je lui fais cuire des tartes aux pommes pleines de canelle sur la pointe des pieds.

20.10.02

Catacombes




Petit poème improvisé pour KV




Sali les mains

En dessinant parmi les taches,

Taillé chemin

à l’envergure du panache;

Les faons suivront

Demain dans son rouge ravage,

Des gens vivront

De ce qu’il aura mis en gage.

La vie l’avale,

Il la digère et la recrache

Son carnaval

S’installe à peine qu’il s’arrache

Aux chapiteaux

Définitifs et au circuit

Des cirques, zoos,

Foires, parcs et camps de gypsies.







Montréal s'automnise; la cour est jonchée de feuilles jaunes et les enfants jouent dedans, de lourdes écharpes nouées à leurs cous.



Kevin planche à toute vapeur sur une dissertation relative à l'origine des universités. Justine n'est pas venue déjeûner. Blâme le syndrome pré-menstruel.

19.10.02

Le frère de Vautour me fait signe sur le Forum. D'anciens accents de guitare me reviennent en mémoire. Il écrit que son frangin serait fier de moi. Je le crois aussi et ça me serre le coeur.

18.10.02

«It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma!» disait Churchill de la Russie, et songer à Annie me fait penser à Churchill prononçant ces graves et drôles et désemparées paroles.



D'Annie, je n'ai guère parlé ici depuis des mois. L'émoi que cela lui cause m'en retenait, et j'ai plus ou moins accepté de mentir par omission en ne mentionnant pas son nom. L'intégrité de ce Journal s'en ressent fatalement, car enfin, elle est souvent l'objet de mes pensées comme de mes conversations avec Kevin. Et je la lis toujours sur le Net avec autant d'intérêt qu'avant, même si la ferveur est différente. Script, Annie et Strohem sont diverses faces d'un seul dé byzantin qui se relance infiniment lui-même sur le tapis de jeu en annonçant banco! jusqu'à l'ultime, extatique et spectaculaire saut de la banque...



Ce printemps, pour un très bref moment béni, nous savions lire entre nos lignes, mais voici venu l'automne et je ne distingue plus la fable du vraisemblable. Voilà qui devrait l'enchanter.



D'autre part, et puisque je suis d'humeur à me confier, j'ajouterai que mon décevant héritier m'évite chaque fois que j'éprouve des ennuis qui pourraient me mettre en position d'avoir besoin de lui (l'été dernier, c'était ma jambe cassée). Pas un jour ne se passe sans que je vilipende son attitude dans la zone de mon coeur que sa naissance n'a pas transformée. Mais c'est une bien petite zone, une province attardée, sans signifiante influence sur le gouvernement fédéral de l'organe en entier.
Ce cher Hans m'a appelé et, tentant un brave mais vain effort pour maquiller sa voix, a réclamé de parler sur-le-champ au "matricule quatre-vingt-neuf soixante-huit"!



Va sans dire que je l'ai reconnu tout de suite, ça fait des années que ça dure, ces farces déficientes, mais outre qu'il ait le sens de l'humour du docteur Mengele, force est de reconnaître que son coeur est à la bonne place: il m'a demandé comment j'allais et si j'avais besoin de quelque chose, il m'a témoigné cette même amitié qui m'honore depuis le premier soir, il a fait preuve de la même grandeur d'âme qui a toujours fait mon admiration et mon envie. Quelles sont les chances, à mon âge et en ce monde, pour un homme d'en connaître un autre dont il souhaite émuler les qualités? Minces, voilà ce qu'elles sont. Je suis si veinard que j'en sens bon.

17.10.02

Réjouissante nouvelle! Tardive et juste et excitante annonce! Claude m'apprend que Pierre Thibeault a enfin été nommé pour de bon à la rédaction en chef de l'hebdomadaire ICI. Ça a dû se faire sauvagement ce matin ou hier après-midi (ce journal a tout juste un lustre et deux semaines d'âge et son histoire est jalonnée de cadavres), car il n'en est fait aucune mention dans l'édition d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, je viens d'appeler le promu pour le féliciter et lui recommander de surveiller ses arrières, où ne sauraient manquer de se tapir à l'affût deux ou trois louveteaux avec couteaux (affûtés) et fourchettes (pointues). Thibeault ne s'encombre pas d'idées reçues, sa curiosité n'est en rien inhibée par son érudition et l'esprit vigoureux qui gouverne sa plume peut redonner au journal un peu de rose (aux joues) et d'épine (dorsale).



D'autre part, Wajdi Mouawad publie le roman sur lequel il travaillait déjà de l'heureux temps où j'étais avec Gil-France et qu'il venait faire son tour à la maison. Ça me cause, encore là, une grande joie.



Ai dû me faire violence (en état de légitime défense) et solliciter l'autorisation de sortir auprès des services correctionnels. Suis aller chercher le chèque de la SODRAC. Il ressort que le plus gros des droits provient de l'usage de Soirs de scotch par le Ministère de l'éducation du Québec (ne me demandez pas ce qu'ils en font)!



Puis, j'ai fait des courses à la course afin d'être de retour pour seize heures. Ils viennent juste d'appeler. M'ont demandé ma date de naissance. Ne me laisseront pas l'oublier.

16.10.02

Les premiers résultats du référendum irakien sur sa reconduction septennale donnaient Saddam Hussein, dit l'hidrosadénite, gagnant avec 100% des voix. Un recomptage minutieux révèle qu'il s'agit plutôt de 103%. Doublevé, dit le saprophyte, est s(c)eptique.
Ne sais vraiment pas trop quoi dire, et encore moins comment l'écrire, sinon que la vie en demande beaucoup à mon ami ces temps-ci, et que cette nuit la vie avait mes traits, la truie, la gueuse, l'impénitente émanation d'un dieu caduc et barbaresque, et qu'on me pende si ce diable de rouquin surnaturel n'a pas tout encaissé costaud avec le flegme d'un prytane et l'élégance d'un grand seigneur. Sourire en coin, presque, mais je n'en pourrais jurer. Tout juste comme s'il m'en préparait une bonne.



Plus tard, j'ai reçu par messager six feuillets recto-verso couverts de questions, de colles, de clés: c'était signé Circius, Emmanuel, et ça sentait sa conspiration criminelle à dix pas.



D'abord, Manu ne m'écrit rien à la machine.



Ensuite, plusieurs des points soulevés s'écartaient de ce qu'il sait, voire même de ce qu'il peut! Ce drôle, ce cynique, ce revenu-de-tout n'aurait pas pu pondre ces pages aujourd'hui. Il ne les a plus en lui. Je le connais. Je le sais.



Or, cet interrogatoire trahit une telle candeur-du-début-de-la-vie, d'idéal éclatant qu'aucun temps n'a terni, de prétention franche et d'appétits-Iscariotes en malstroms, un tel esprit étanche à l'attrait des litotes et aux dangers du rhum, que je me résous à croire que Kevin et EC s'étaient entendus pour que le premier agisse et que le second signe.



Ainsi soit-il. J'y répondrai, puisque mon livre en sortira meilleur. N'empêche que ces deux conjurés du dimanche m'ont rappelé qu'on ne peut m'aimer sans détours, ni faire mon bonheur autrement que par la force et le recours au secret. Ne savent-ils pas que je m'en serais passé?

15.10.02

Oui, bien sûr, il y a le diabète, et l'obésité, mais manger sucré facilite sacrément le lavage de vaisselle: toute la merde se dissout au contact de l'eau chaude.



K me noue le torchon autour du cou et me présente le miroir: écharpe artiste et crasseuse, jaune passé, Saigneur j'ai commencé plongeur et plongeur je finirai!



Confirmation SODRAC de sous qui rentrent. J'appelle Steve.
Ce soir, il semble qu'on mange de la morue. «Encore?! rugis-je. Et comment tu la prépares, cette fois-ci?»



«Eh bien, de répondre K, voilà où j'en suis: je la dessale, je la dépiaute, je la découpe, je fais cuire des patates et puis ensuite j'appelle ma mère...»
Une fois rendu à l'université, ce vieux K l'a trouvée désertée. Pas un chat. Il avait oublié la semaine de relâche (à cause de sa propre semaine, sa semaine dernière, de relâche). «Là, je me suis trouvé tata en tabarouette! Enfin, pas tellement tata, mais juste assez pour y voir un signe du destin...», me confie-t-il à son retour, un tiers penaud, un autre sur la défensive, un dernier moqueur. Auparavant, il m'avait adressé un courriel intitulé Fatum buissonnier: Le contre-courant, le vrai rebours, l'ultime manière de se ménager une existence en marge, c'est de boire sans répit quand les classes ont lieu, de se rendre aux cours, comme aujourd'hui, lorsque débute la semaine de lecture, les vacances... Jarnidieu!



Jarnidieu, indeed.



Quand au message, l'alerte s'est révélée fausse, mais je reste aux aguets.





Y a un message sur le répondeur et Kevin est parti et j'ai oublié le code pour le prendre et merde si c'était le contrôleur comment ai-je pu ne pas entendre ce putain de téléphone! Ma liberté ne tient qu'à ce fil torsadé...

14.10.02

À la Poly, ils ont manqué de peinture pour finir tous les murs et K est revenu tôt. Très content, de l'argent dans ses poches. Il n'avait pas décapsulé sa première bière quand le téléphone a sonné: un flic de la SQ du Cap-aux-Meules lui rappelait gentiment qu'à défaut d'acquitter l'amende pour consommation d'alcool à l'intérieur d'un véhicule (contractée à l'âge de dix-sept ans), on se chargerait de ramener son postérieur madelinot derrière les barreaux locaux.



Son pécule fondu comme mousse de pilsener, K s'en est allé au marché avec le reste afin de renouveler nos provisions. On va manger de la morue salée et séchée (sur des engins qu'aux Îles on appelle des vigneaux), puis je ferai cuire un gâteau du diable.
Claude André, mon vieux frère, mon paquet de troubles, publie sur le net un commencement de roman: J'me barre à l'aube. Claude dont tout le malheur sera d'avoir été trop beau. Me touche toujours, m'a toujours touché. J'avais vu le début de ce livre, mais j'ignorais qu'il eût déjà tant travaillé. Les premières pages, un peu brouillonnes, témoignent de cette lucidité acide qui vient brusquement un beau jour aux brillants ivrognes de haute volée. Trouvera-t-il en lui-même la fortitude de mener cet ouvrage à son terme? Ses femmes lui en laisseront-elles la force, ou se laissera-t-il sucer toute la gomme?
Notre Action de Grâces, fête des moissons, précède le Thanksgiving états-unien de plusieurs semaines (quatrième jeudi de novembre) parce qu'on se gèle déjà les couilles dans ce pays à cette époque-ci. La même logique est derrière le Noël des campeurs.



Encore un mois et je rentre au Bunker.

13.10.02

Assis dehors dans le répit d'octobre avec un gros Ludlum, à portée d'ouïe du téléphone, prêtant l'oreille aux piaillements des oiseaux et des enfants sri-lankais, respirant à fond. Ressentant les premières atteintes du syndrome de Stockholm, désirant stupidement que ce téléphone sonne et qu'on s'assure que j'y suis.
À la rubrique espale, le Larousse du XXe siècle en six volumes (1933, reliure pleine peau, négocié pour cinquante dollars par Kevin dans un bazar) donne: «Plate-forme des galères comprise, de chaque bord, entre le dernier rang des rameurs et la poupe.» Ces compagnies de tabac ont un sacré sens de l'humour.



Pas de nouvelles de Vanasse au sujet de Fange et Furie, ni à quelque autre sujet. Impression qu'il prépare sa retraite, ou qu'il se lasse de l'édition, ou de moi, qui ne suis plus un écrivain de la toute première fraîcheur.



Mes chaussettes bâillent aux orteils.

12.10.02

Cousin Jean-François, coeur d'or vingt-quatre carats, est venu me porter deux paquets de clopes et une bouteille de ketchup, plus tout ce qu'il faut pour faire un pâté chinois. Le temps d'en griller une, il m'a aussi montré comment amplifier mes fichiers audio. Cette journée s'améliore de minute en minute.
Tranquillement, tranche par tranche, un couteau à la main, je fais un sort à la poire d'une livre, je mâche longuement et je suis dans la lune... D'accord, j'ai pas le droit de boire, mais fumer? Sauf qu'il reste plus une miette de tabac, et pas question de traverser la rue pour aller en acheter, des fois que Big Brother rappliquerait (l'a pas appelé depuis deux jours, doit préparer un coup de cochon).



Je m'ennuie presque de L'Espale, le tabac des indigents qu'on distribuait parcimonieusement en prison. Ça goûtait la patience et le cri dans la nuit.



Hier, avec K (son maillot Save water, drink beer sur le dos), on a eu un flash pour stimuler mon travail sur Origines: il va ravaler son motton, faire abstraction de l'épidermique inimitié qu'il éprouve pour l'homme et se rendre voir Circius au Delta, durant l'escale-éclair que celui-ci fera lundi, entre sa conférence ici et celle de Lowell. Il le convaincra de faire comme s'il ne connaissait pas déjà les réponses, et de m'adresser par écrit une série de questions littéraires absorbantes sur lesquelles je me pencherai, m'étendrai, me laisserai aller. Montrez-moi juste un raccourci et me voilà ragaillardi!

11.10.02

Exit Mario. La joie qu'il soit venu me voir, ce vieux renard, si peu expansif d'ordinaire, et qui m'a serré dans ses bras avant de partir, mon courrier à poster dans sa poche.



Il s'apprête à se délester d'une grosse crotte qui lui ronge le coeur depuis quinze, vingt ans: une histoire authentique de la ville de Sorel, verrues et tout.



Appuie mon refus de sortir d'ici, même trois heures par semaine pour faire les courses, s'il me faut pour cela quémander la permission.



Par ailleurs, Justine m'informe que mes fichiers son sont à peine audibles. Besoin de consulter d'autres sources, d'autres machines.



Dernière heure: KV arrive, croise Mario sans le voir, harassé; prend son courrier, trouve une enveloppe de Justine pleine de goodies. Justine rouge, Mère Noël...
Ajouté un petit fichier vocal, un fichu, traitant de mon père, de marteaux, de plumes et de rasage (de maisons).
Il y a quelques années, j'ai cédé une partie de mon catalogue de chansons pour acheter des bonbons. L'acquéreur, un éditeur ravi de l'aubaine, s'assurait ainsi de la moitié de mes droits à perpétuité contre une pitance. Plus tard, il a revendu cet actif avec profit et m'a avancé une certaine somme à rembourser sur la source, soit mes redevances trimestrielles. Or, je viens d'apprendre que le solde est acquitté et que la SODRAC va recommencer à me verser mes royautés sur chaque disque vendu. Pensée émue pour Luce, Dan et Isabelle.

10.10.02

Mario nous écrit qu'il vient à Montréal demain, et est-ce que K et moi aimerions de la visite? On croirait qu'il arrive de San Francisco plutôt que de Longueuil.



Tu parles, Charles, si j'aimerais de la visite! Quant à K, il s'en va peinturer une Polyvalente. «Tu pourras plus dire que je suis pas allé à l'école cette semaine!»



Ce soir, on a appris en zigonnant à créer nos propres fichiers vocaux. J'inaugure donc une nouvelle page, Vocalises, avec le texte de WTC, paru dans Le 11 septembre des poètes du Québec.



Travail dans la pénombre. Mes Madelinots m'ont tenu éveillé toute la nuit, à boire, écouter de la musique et se promettre vainement d'aller dormir après la prochaine bière, la prochaine toune, la prochaine guerre. L'un ronfle sur le plancher à cette heure; l'autre, mon favori, dans son lit de fer. Pas allé à ses cours. Va s'en vouloir (tant mieux). Va reboire pour effacer l'inconfort.



Toute la nuit j'ai maudit le jour où je me suis assis pour écrire Boîte à bijoux, chaque fois que Maxime la remettait sous prétexte qu'elle lui donne des frissons. Quand il a su que j'étais aussi l'auteur de Soirs de scotch, il ne se tenait plus, alternativement accusant Kevin de le mener en bateau et répétant pour lui-même: «Je peux pas croire que je suis assis à côté du gars qui a écrit ça et qu'il est couché juste derrière moi...»



Vers les sept heures, quand j'ai finalement pu fermer l'oeil, le téléphone a sonné: un nouvel agent de surveillance me présentait ses respects (et me demandait le prénom de ma mère) avec la voix de CGDR.

9.10.02

Montré à K comment utiliser une éponge sur ses dessins à l'encre: que le mouvement soit!



J'approche du trente-huitième an de mon âge. La poire mûrit.
Le livre comme agrégat géologique, sédimentaire et stratifié. Fascinant d'assister à sa formation définitive. Avec K, on a imprimé les 125 premières pages, y compris les exergues, la dédicace, le faux-titre et une couverture couleur. Me suis amusé comme un débutant.



Kevin m'a acheté une sorte de poire palermitaine d'une livre, en tous cas c'est piriforme: je vais passer la journée à patiemment la regarder mûrir sur le comptoir.

8.10.02

K arrive et me parle du Journal: je lui ai commandé une préface et sa cervelle carbure à gros bouillons. «Ça se tient! s'écrie-t-il. C'est un roman! C'est fascinant! Je comprends, maintenant. Tu lis les Annales romaines de 242 avant J.-C.: en elles-mêmes, elles ne révèlent pas grand-chose sur la logique historique (si tant est qu'il y en ait une). Mais compare-les aux Annales du siècle entier et un pattern se dessine. La récurrence du quotidien, les bases sur lesquelles il se tient amènent une existence vers quelque chose qui la dépasse! Les gens, me disais-je, vont se dire: "Qui c'est ce con qui étudie et qui peint des écoles pour boire?", sauf qu'à te lire, ma foi, on comprend, JE comprends: voilà le dessin d'un protagoniste consistant, cohérent, conséquent bordel!»
Jean-Paul Brodeur, professeur à l'Institut international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, publie un texte dans Le Devoir intitulé la torture aseptisée. Il conclut à la vacuité de la notion de crime, "quand on la rapporte sans plus à des actes. Même les actes les plus barbares peuvent être tantôt dénoncés et tantôt légitimés, selon qu'ils sont perpétrés par un dément ou par l'État."

Last night, cocktail lytique de songes étranges...



Deux hommes dans un souterrain: un vieil écrivain, un jeune qui le devient. Ils s'imbibent soigneusement de whisky et de vodka jus d'orange. Songe étrange. Quelque part dans la nuit, le cadet bien beurré cuit de la bouffe pour dix, persuadé que plein de gens imaginaires errent dans l'appartement. Et de discourir, et d'engueuler cette légion d'échansons et d'anagnostes fictifs.



Au midi, le vieux tire le jeune du lit avec un café rince-cochon: ils sont contents, gueuledeboisés, libres. Le kid part pour l'école, flagada, flasque pleine dans sa poche de paletot, et l'ancêtre fait le ménage en songeant aux seins de Justine et à la croupe d'Annie et inversement (il a très faim).



Il vit dans un vacuum, superbe et panaché dans sa soupente prêtée, se prenant pour Mistral. Rien à déclarer? Si: je suis de très bonne humeur.

7.10.02

Kevin a dégotté une bouteille de whisky de contrebande chez un dépanneur des environs, de quoi remplir la flasque d'acier inoxydable que je lui ai offert la semaine dernière (pour les lendemains de veille à l'université).



Le plus dur, dans ma raspoutitsa, c'est d'être obligé de répondre au téléphone durant la sieste, au cas où il s'agirait d'un agent de surveillance.
K parti faire notre lessive, mon unique pantalon dans sa besace. Je tourne en rond de long en large aux quatre points cardinaux des Catacombes, un pour chaque point de suture qu'a requis mon voisin (Hans: «Y a des docteurs qui cousent serré!»)

6.10.02

Aujourd'hui, j'ai eu droit à une visite correctionnelle à domicile.



Calculé que je serais libre de sortir le 14 novembre, à temps pour le salon du livre.
Lecture de chevet (de toilette, en fait): Éloge de la fuite, du prof Henri Laborit. Tant qu'à vivre comme un rat, aussi bien comprendre comment fonctionne le laboratoire.

5.10.02

Téléchargé un reportage de Radio-Canada sur les peines à purger dans la communauté. Cette forme de sentence n'existe que depuis 1996; en 2000, une décision de la Cour Suprême en a renforcé l'aspect punitif et la surveillance. Un gars disait qu'à son avis, la grosse différence entre une assignation à résidence et la prison, c'est les barreaux. Pas d'accord. Pour moi, c'est le privilège d'être seul ou seulement avec des gens qu'on aime.
Kevin est parti prendre mon courrier et ma bouteille de ketchup au Bunker, de même qu'une provision de bouquins à la bibliothèque.



Hier, préparé mon pâté chinois pour les Madelinots. Succès fou. Maxime, inquiet que je ne me joigne pas à eux, à Kevin: «Est-ce que Christian mange toujours froid?»



Petit, Nick Landré accompagnait parfois son père Claude en tournée des cabarets. Après le show, en coulisses, on leur servait un repas passablement tiédi. Au gamin qui s'en plaignait, son père rétorquait: «Les chiens mangent froid». Dans une chanson écrite pour Nick et inspirée de cette anecdote, j'ai ajouté: «ce que les loups alourdis leur laissent...»

4.10.02

Woop-di-doo! 09:15 ce matin, première vérification téléphonique de mon sursis. Le type au bout du fil jovial comme si j'avais gagné à la loterie. Kevin, réveillé par la sonnerie, trouvait ça moins drôle.

3.10.02

Kevin et Mario discutent de l'internet. Mario recommande d'inscrire nos sites sur des moteurs européens et de penser globalement, tout en soulignant le risque de voir ainsi se dévaluer la propriété intellectuelle. Kevin rétorque qu'il s'agit là d'un nouvel humanisme. «Quand Christian a commencé à m'initier à l'internet, j'avais les mêmes inquiétudes, et puis je me suis rappelé la fois où, il y a cinq ou six ans, je m'étais retrouvé envahi par mes propres tableaux. Tu sais ce que j'ai fait? Je les ai alignés sur le trottoir devant chez moi, le jour des ordures. Sur l'heure du midi. Puis, je me suis installé sur le balcon avec une petite bière, et j'ai attendu. Les gens passaient, les regardaient, les emportaient. Quand le camion s'est pointé, il n'en restait plus un seul! L'internet, c'est pareil. Dieu seul sait (et le diable s'en doute) où le fruit de notre esprit circule, mais il circule!»
Visite de Mario, apportant un câble USB à Kevin pour sa nouvelle imprimante. Ai réparé ses archives blog. On évoque notre première rencontre, dans un café philosophique: quelques semaines plus tard, le croisant, je le replaçais difficilement et l'avais pris pour mon agent de probation.



Je lui explique que je suis sujet à des visites aléatoires du personnel correctionnel. «En cas d'urgence, fait-il, brosse-toi la langue!»

2.10.02

Bonne occasion de réfléchir sur l'importance relative des divers ingrédients de l'existence. Je n'ai le droit de sortir que pour les "nécessités de la vie". Quelles sont-elles, aux yeux de la Cour, donc de la communauté? Nourriture et exercice d'une religion. Pas de farce. Si je témoigne de Jéhovah, je peux faire le tour de la ville à pied en frappant aux portes. Hare Krishna: je peux passer mes journées à Dorval. Wicca: chaque nuit tout nu sur la montagne. Et le culte de Dionysos?



C'est pas drôle d'être athée, apostat de surcroît...