Rappelle-toi: elle t'offrira cela
ou quelque chose comme ça. Ce sera le soir, la lumière diffusée dans la pièce par quelques sources avares tirera sur le jaune et le cendré tandis qu'une ombre sur le mur, la tienne, te semblera trembler, puis te regarder.
Elle parlera doucement, un murmure, sain et serein, ventilé par de longs silences taillés pour accomoder tes sanglots, ceux qui surviendront bientôt sans s'être annoncés, des silences cousus aux mesures de tes désarrois soudains, qui auront l'air de tissus chers et de somptueuses, lourdes étoffes exotiques hors de prix, précieuses aussi, surtout, du fait qu'elles soient coupées pour toi, puis assemblées à la taille et aux formes que prendra le chagrin, ton chagrin, vêtures étouffant les sons durs et les accents cruels, pas l'habituelle muraille de mutisme érigée autour d'une forteresse insonorisée, elle dedans et toi dehors.
Puis, quand un grand calme soulagé comblera lentement les cavités insoupçonnées d'où jaillissaient tes pleurs, quand tu seras sur le point d'ouvrir les bras pour l'étreindre et sceller ses mots dans la cire encore molle de ta peau, tu la verras se lever, tourner le dos, partir, tes yeux pleins d'eau comme d'aqueux rideaux la regarderont s'éloigner, incrédules et brûlants comme des ronds de poêle, aveugles autant que tes oreilles étaient sourdes, mais tu entendras la porte qui se referme une dernière fois, ce sera même le seul son qui subsistera en toi, car déjà tu seras dans l'ouvrage de rassembler quelques choses parmi celles qu'elle a dites avec cette voix si douce, rescaper, ramasser, réunir, renflouer le rafiot qu'est un souvenir d'homme. Ce sera en pure perte. N'ayant rien entendu, tu échoueras, cela va de soi, chacun des sites mis en chantier entre ton esprit et ton coeur sera fouillé, labouré, tes recherches documentées à fond: à la fin, rien.
Souviens-toi, tout petit, quand vert de terreur et les lèvres soudées pour retenir tes vomissures, tu sentais enfin le gros manège de La Ronde ralentir, puis s'arrêter. Six minutes en avaient semblé cent et tu avais meublé chaque seconde du hurlement MAMAAAAN! pareil aux poilus de 1917 périssant par pathétiques paquets de plusieurs multipliés par sept et décimés par douzaines sur le Chemin des Dames...
Ooooohhhh, those were good times, weren't they?
Mais les poilus couraient en panique tandis que leurs tripes accrochées aux barbelés se déroulaient sur le champ dans les brouillards de gaz moutarde, tandis que toi tu as crié, sitôt ton renvoyat ravalé: «Encore! Je veux y retourner!»
Et tourne, retournait le manège.
Elles, c'est l'exacte même affaire.