Je devrais travailler à Origines. Le verbe devoir revient souvent aujourd'hui. Je devrais travailler mais le coeur n'y est pas, n'y est plus depuis longtemps, des années, or personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire. Avoir écrit, j'aime bien. Parfois, dans mes marathons de nuit soutenus au carburant blanc, je m'amuse vraiment, tout entier à la joie d'accomplir des prouesses, sans ce constant sentiment d'avoir mieux à faire ou d'oublier quelque chose. Sans, surtout, la compulsion de faire vite, de hâter le texte, de boucler la chose à dire en deux paragraphes, ce qui paradoxalement fait traîner toutes mes entreprises. D'auteur prolifique, je suis devenu celui qui livre au compte-gouttes, et le mieux est que j'intègre cette conception de moi-même le plus totalement possible. Or, alors même que j'écris ces lignes, je sais que cela est résolument hors de question. Je n'y croirai jamais. J'y crois, je change; je change, je crève.
Le fait qu'Origines soit une sorte d'essai où la fantaisie doit être réduite au minimum n'arrange pas les choses. Je vois la créativité qu'implique un tel effort mais je ne la ressens pas, pas suffisamment pour me porter, me faire éprouver l'apesanteur et la vélocité d'une flèche.
Ce journal, c'est autre chose. Longtemps je m'y suis refusé, incapable de substituer l'acte d'écrire à celui de vivre, certain que le processus ne pouvait déboucher que sur l'absurde. De plus, je tenais ce genre pour particulier en ce qu'il s'adressait à des lecteurs futurs; or, cela me créait une obligation de dépeindre la vérité, toute ma vérité, un exercice aussi périlleux que futile auquel je répugnais à me soumettre. Mais le fait de tenir un journal pour des lecteurs immédiats change la donne, à mon sens: c'est le vrai contre la vérité sélective, ou ce qu'on appelle aujourd'hui avec quelque abus l'autofiction. De plus, la seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.
Enfin, il n'est pas impensable que la grâce, ce fuyant état propre à la vingtaine, ne revienne jamais que par bouffées intermittentes séparées les unes des autres par des intervalles de plus en plus longs, et que je me sois, en quelque sorte, volé à moi-même mes meilleures années. Cette idée ne laisse pas d'être profondément déconcertante.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire