13.6.03

Toute ma vie, j'ai rêvé de la partager avec une femelle qui aimerait les lettres autant que moi et de la même façon. Est-ce trop espérer de l'existence? Je ne crois pas. Il est sensé que j'aie souhaité dormir et m'éveiller à côté de quelqu'un dont les intérêts sont aussi les miens. Passer mes jours et mes nuits avec une créature qui protège mes intérêts et compte sur moi pour veiller aux siens. Baiser une gonzesse qui ne soigne pas les grafignes qu'elle m'a faites dans le dos avec l'idée de découvrir le meilleur endroit où planter son couteau. Or, il a fallu que je m'abouche avec ces banshees jalouses, insécures et vindicatives au talent dénaturé. Ce fut Marie-Raspberry Scott, c'est Annie Strohem. Sleeping with the enemy. Ça veut ne rien devoir à personne, comme si on leur demandait des comptes, ça veut paraître jaillir de la cuisse de Jupiter, ça ne pige pas qu'on y soit plutôt qu'elles, ça éponge tout ce que vous offrez, comme un essuie-tout triple épaisseur, puis ça hurle: «Je t'ai rien demandé!»



Ça s'est quand même offert, au début, sous prétexte d'admirer votre génie et la grâce de votre démarche ou la douceur de vos paumes. Ça minaudait, c'était suintant de luxure et ça dégoulinait de loyauté. Ça affirmait sa différence, bien parfumée, fondamentale: «Moi, je ne suis pas comme celles-là! Moi, je ne ferais jamais ça!». On prétendait, donc, ce qu'il fallait. L'esprit de lucre se dissimulait sous ses oripeaux ordinaires, immémoriaux, ceux que chaque génération d'hommes doit pourtant réapprendre à partir de zéro, car une seule vie suffit rarement, nos pères étaient chrétiens et canadiens-français, c'est-à-dire qu'ils ne disposaient que d'une seule vie employée à ne pas instruire leurs fils.



Pour ces gens, ceux qui gueulent :«Je t'ai rien demandé!» quand vous avez tout donné, rien de ce que vous ferez ne sera jamais assez. Je le dis à l'intention des jeunes qui ne le savent pas encore et à qui ça pourrait servir, bien qu'il faille payer certaines connaissances du sur prix de l'expérience.



Et c'est si triste pour les lecteurs qui ne liront jamais ces livres qui ne seront jamais écrits par ces écrivains qui ne le seront jamais tout à fait devenus. À force de s'y croire déjà (le nirvana des écrivains, là où l'on siège sur un nuage de gloire en guimauve émouvante, répondant au téléphone si ça nous chante, cependant que les livres s'écrivent tout seuls dans l'arrière-salle du paradis). Comme s'ils s'imaginaient que la littérature est soluble dans la sauce marxiste, qu'il s'agit d'une émanation de la lutte des classes, et que le monde est divisé entre ceux qui lisent et ceux qui écrivent, ces derniers précédant les premiers dans la chaîne alimentaire.



Qu'est-ce qui distingue un vétérinaire d'un dentiste? Un actuaire d'un avocat? Un barbier d'un dermatologue? Un agent d'artiste d'un artiste? La réponse est: pas grand-chose, sinon leurs intérêts particuliers. Chacun le sait, sauf ces millions de milliasses de pathétiques sacs-à-fiel qui se veulent écrivains parce qu'ils aiment lire et qu'ils ont appris à écrire et qu'ils connaissent l'alphabet et qu'ils ne voient pas la différence entre moi et un vétérinaire. Ils ont vingt ans ou cinquante-cinq, ils se promènent en ville avec leur chef-d'oeuvre en envoyant chier d'avance quiconque demandera de quoi ça parle et qui en est l'auteur. Ils croient que la condition d'écrivain publié, confirmé, les placera au-dessus de toutes les malodorantes vicissitudes de l'existence humaine. Ils croient avoir signé leur propre passeport pour la transcendance.



Ces ahuris-là sont légion, et certains font assez illusion pour qu'on les publie, puis ils sombrent dans un trou noir de leur propre invention. Ce ne sont pas des écrivains, sinon brièvement; ce ne sont certainement pas des artistes. L'art requiert plus, infiniment plus que du talent, et quiconque ne sait pas ça devrait écosser des pois chiche ou empaqueter du crabe ou torcher des vieillards ou s'employer à n'importe quoi d'utile sans encombrer les lieux de l'art.



Cela dit, je suis coupable aussi. N'ai-je pas toujours prétendu qu'on juge un homme à ses amis? Cela doit également s'appliquer à son choix de compagnes et au choix que font celles-ci de continuer, ou pas, à l'accompagner. Ainsi, je songe à Guillaume, à Hans, à Louis. Trois de mes plus chers amis, bien que laids comme autant de péchés capitaux (Hein? Mens-je? Vigneault, Marotte, Hamelin? Des visages abominables, des faciès révoltants, des bouilles à renvoyer son souper), ont pourtant trouvé le moyen de vivre avec et de se faire aimer de très belles et très intelligentes nanas, durant des années, des années, des années bordel! Et je vous jure bien qu'aucun d'entre eux n'est un enfant de choeur, en fait aucun ne l'a même jamais été, sinon seraient-ils mes amis, bien sûr que non, vous voyez mon problème. Ils savent quelque chose que j'ignore. Si, encore, ce n'était que ça. Nous passons notre temps à échanger de l'information, des idées, des flashes. Nous nous en nourrissons. Mais cela, qu'ils savent et que je ne connais pas, il est manifeste que je suis incapable de l'apprendre, et eux de me l'enseigner. C'est un morceau qui manque, dès la sortie de l'usine. On peut toujours improviser, un bout de temps, comme quand Kevin filtrait son café avec des Tampax ou que mon père pissait dans le réservoir quasi-vide de la Volks pour qu'on teuf-teufe depuis Beauceville jusqu'à Saint-Georges, mais vient un temps où on se rend à l'évidence, ou alors l'évidence nous vainc violemment: cette machine-là vaut pas un clou. On la garde parce qu'on y est attaché, ou parce que c'est la seule qu'on a et qu'on aura jamais. Quand la machine s'adonne à être votre corps, votre esprit, votre personnalité, combinés en ce que vous appelez vous, va sans dire que ça s'applique.



N'empêche, c'est pas parce qu'il y a des connards déficients qu'il n'y a pas de salopes.

Aucun commentaire: