Chaque fois que l'un de nous s'est trouvé mal en point, Annie et moi avons remisé nos désaccords, psschhtt! évaporés, à se demander ce qui nous empêche de le faire en temps normal, quoi qu'il en soit ce soir encore nous étions réunis par un train d'électrons et elle m'écrivait des choses parfaites, mesurées avec soin, livrées dans un ordre suisse à intervalles subtils comme ceux d'une partition de Satie. On aurait dit qu'elle désamorçait une bombe.
Puis, elle m'a ressorti un mail que je lui avais adressé il y a plus d'un an. Un parmi mille et quelques que nous avons échangés. Un jour, son ordinateur a flanché et elle a tout perdu, mais celui-là, elle l'avait conservé, imprimé, souvent relu. Il y était question du journal comme cabanon inflammable impropre à loger une prose incandescente, et du roman qui prend de l'expansion à la chaleur, et de l'alchimie qui transmute le réel en oeuvre d'art. Je ne reconnaissais rien de ce que j'avais écrit, mais je trouvais ça plutôt puissant, et on ne peut plus approprié. Ainsi, Annie avait mis un peu de mon esprit de côté, en sûreté à la banque Strohem, comme en prévision d'un jour où j'en aurais besoin à mon tour.
Puis Ginette m'a écrit aussi, et ça a achevé de me remettre d'aplomb, avec ce ton qu'elle a, toujours juste, jamais trop ni trop peu, un don rare qui ne s'enseigne nulle part.
J'allais fermer boutique, éteindre la lucarne pour ce qui reste de la nuit, quand un dernier message a déboulé en grondant. Mon fils. La différence entre dormir en paix et dormir heureux. Il disait Dad on les encule (je paraphrase). Il parlait de boucs miteux et il disait: «Encore une fois tu lances un livre sur le marché qui est impossible à cerner», et il ajoutait que je les boufferais pour déjeûner, eux, les autres; enfin, il me servait de grandes rasades de la médecine dont il sait qu'elle me soigne, au goût de coup de fouet sucré.
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