Allé voir Catch me if you can avec Mario. Ce Frank Abagnale Jr m'avait donné de bien vilaines idées il y a vingt et quelques années, une façon de nourrir ma jeune femme enceinte, qui m'avaient foutu dans une merde bien grasse, mais heureusement on m'avait jugé au tribunal juvénile, qui avait tenu compte de l'influence du livre sur mon esprit délicat.
Passé par Trait d'Union. Joie de voir mon fils y travailler dans la joie. De savoir où le trouver quelques heures par jour.
Mario: «Faut qu'on maigrisse, Christian. L'autre jour, dans le métro, je vois un de ces jeunes salopards en train de remonter l'escalier roulant descendant, à reculons! Je l'aurais étranglé, si j'avais pu l'attraper...»
Pas mis le nez dehors de toute la fin de semaine. Suis sage comme un mort.
Passé la nuit en rêve à extraire des tacots des eaux glauques de la Richelieu.
Une chance que mes amis (Phaneuf, Lemoine, Laverdure) ont la radio et qu'ils l'écoutent, sinon j'ignorerais encore que Jean Fugère a chaudement recensé Origines à R-C ce matin.
Finalement vu La dernière tentation du Christ. À Paris, en 1989, les intégristes incendiaient les cinémas et j'avais remis l'expérience à plus tard.
Bush joue au jeu du shah et de la Syrie.
Jésus est-il vraiment ressuscité, ou est-ce que Pâques n'est qu'un très vieux poisson d'avril?
Hier, Mario m'a apporté deux copies papier de son roman Accroires, une pour Kevin, l'autre pour moi. Il en a remis une troisième à Bertrand Laverdure, rencontré dans le métro. La machine littérature tourne. Ai recommandé au Lemoine de se reposer deux ou trois semaines avant qu'on s'enfonce les dentiers dans sa prose.
Passé la nuit dans le cosmos du manuscrit de Mario, livré tout chaud, cinquante mille mots sur écran cathodique, les yeux me sortent de la tête et le coeur me sort du thorax, il a travaillé comme une bête et c'est bon, je crois, je pense, je me fais pas confiance, pas encore, il a besoin que je sois impitoyable et sans passion pour être sûr que j'aime ce que j'aime, enfin la tribu de nous trois s'y mettra, lui pis moi pis le Madelinot, on va fesser dans le tas de texte et voir ce qu'il a dans les tripes et essayer de le décrisser phrase à phrase et s'il tient par dieu on fêtera le roman de mon pote.
Jasmin, cette grise guenille de fils de pute, évoquant mon livre dans son Journal web: «Origines (Trois-Pistoles, éditeur) du jeune batteur de femme, Christian Mistral. Des aveux, une confession, un conte fou.» Pour lui, Guillaume Vigneault sera toujours le fils de Gilles, et moi l'enfant de mes condamnations. J'ai si hâte qu'on soit tous morts depuis cent ans, histoire de mesurer ce qui reste.
En attendant, j'aurais aimé qu'il me dise ça ce week-end à Québec, au lieu de me faire des yeux de poisson mort. Il serait revenu avec les idées plus claires sur ce que je suis disposé à battre si on m'y force.
Le Éric s'est résigné à s'endormir sur le sofa, vu que je refusais de le laisser sortir dans cet état. Le Kevin s'est gréé d'un clavier flambant neuf («lactescent», m'écrit-il) et ça m'est d'un grand réconfort, car je ressentais les premières morsures du manque. Sa passion exigeante pour Cynthia conjuguée à sa récente incapacité de m'écrire me causaient un certain désarroi, et je crois que c'est ce qui l'a poussé à abréger sa phase retour au Moyen-Âge: peut-être aussi s'ennuie-t-il de mes lettres, car quelle que soit la technologie employée, il faudra toujours donner des nouvelles pour en recevoir.
La Dominique est passée. On a parlé bizness. En partant, elle a demandé: «Vas-tu écrire que je suis venue?» J'ai répondu: «Oui, bien entendu.» Elle a poussé un soupir exaspéré: «Je vais encore recevoir quatre e-mails demain avec l'extrait de ton Journal et un point d'interrogation ou d'exclamation ou quelque chose, quatre crétins qui s'imaginent que je suis pas au courant!»
C'est ta faute, je réplique. T'as qu'à leur dire de se mêler de leurs affaires. C'est quoi, que tu leur dis?
Je leur dis rien, elle avoue. Ou alors je leur raconte que tu as créé un personnage, moitié moi, moitié fiction.
Ah bon, je rétorque. Alors, y a pas de problème.
Jean-Christian semble abattre du bon boulot chez Trait d'Union, ce qui m'emplit de fierté et de satisfaction. Il a appris un nouveau mot: népotisme.
Rogers a enregistré une hausse de revenus de 16% dans sa division sans-fil au cours du premier trimestre. Directement attribuable, j'en suis sûr, au paiement de ma facture.
Le constant report de la sortie de Vacuum (dernière date: mi-mai) m'irrite fort, surtout parce qu'on ne m'en avise pas et que je dois sans cesse aller aux renseignements.
Je m'en lave un peu les mains en me plongeant dans la lecture de Chesapeake, par James Michener.
Il m'écrit, sous le titre Petite rectification: «Je t'envoie ce mini-courriel pour te dire que Éric McComber a publié un roman chez Triptyque intitulé Antarctique, et non un recueil de poésie, ergo, il doit donc être considéré comme un romancier. Mais je comprends que l'on puisse aussi utiliser le terme de "poète" comme Aristote l'utilisait dans sa Poétique. Je te laisse le bénéfice du doute.»
Il me laisse, à moi, le bénéfice du doute. C'est si délicat de sa part que je n'ai guère le choix d'en faire autant, et c'est pourquoi je tais son nom. Peut-être a-t-il trop bu. Peut-être a-t-il soupé de fruits de mer avariés. Il doit avoir une bonne raison pour faire semblant de croire qu'il faut avoir publié un recueil de poèmes pour être poète, et que la publication d'un roman fait d'un homme un romancier à l'exclusion de toute autre qualité, et que je vais tolérer sans réagir incontinent qu'on intervienne ainsi dans ma relation avec la langue française. La Poétique d'Aristote, calvaire. Bénéfice du doute, indeed.
Rouge orage hier sur l'anti-pays. Dimanche, Gaston L'Heureux m'avait déjà fourni des chiffres semblables, qu'il tenait de Bernard Derome, et Gaston soudain portait bien mal son nom...
Enfin, l'épouse du nouveau Premier Ministre n'est pas vilaine à regarder.
Quant à la campagne d'Irak, elle est à peu près finie, et si Bush peut se retenir un mois d'avaler la Syrie, je pourrai peut-être mener ma propre campagne pour Vacuum en paix.
Samedi, au stand, un caméraman s'est campé derrère moi, un genou en terre. J'ai dû m'y reprendre à trois fois avant qu'il consente à me révéler pour qui il travaillait: Mario Dumont et son entourage approchaient, et on espérait tourner du métrage pour les infos de six heures. J'ai décliné, éberlué: ou bien ma cote remonte, ou bien Mario savait déjà qu'il allait perdre big time et se fichait de tout.
En retournant à l'hôtel, j'ai croisé McComber, à qui j'ai dit en blaguant que j'étais là incognito. «Moi, répondit-il, je serai toujours incognito».
«On sait jamais, Éric, ça pourrait changer!» lançai-je avant de m'éclipser. Le lendemain, j'apprends que le poète était passé au Canal Nouvelles pour avoir refusé de serrer la main de Mario. Depuis le matin, trois adéquistes l'avaient déjà insulté en plein Salon. Le début de la gloire.
Le plus drôle, ce week-end, c'était quand Michel Chartrand venait nous visiter. Jasmin et lui commençaient à s'engueuler gentiment à propos de Nathalie Rochefort et soudain cent, cent cinquante personnes s'agglutinaient devant le stand (Victor-Lévy: «Vous savez, on a aussi des livres!»). Kevin, parti chercher de la bière, revenait et, voyant ça, craignait que j'aie créé un esclandre...
Sitôt Chartrand parti, la foule s'évaporait et Jasmin retournait à la lecture de mon livre et moi à celle du sien.
Glorieux week-end à Québec, sobre et serein, avec Kevin. Salon du livre. Stand Trois-Pistoles. N'avais pas apporté mon chapeau, ni K sa pipe, pour laisser toute sa place à VLB. Belles longues périodes avec Guillaume. Comme dit Kevin, «on sentait que ce n'était pas la première fois». Bons brefs moments avec Solène et Louis. Chambre d'hôtel telle qu'à Paris. Rencontré de bons lecteurs.
Relu Origines. La maïeutique du dernier tiers, articulée par Kevin, demeure la meilleure part.
Pas vu Pénélope. Vu, par contre, Sylvie Pierron, ma doctoresse en littérature, qui m'a apporté la transcription de notre entretien du 6 février. Drôle et pas con.
Cette semaine, le travail sur Vacuum a vraiment merveilleusement progressé, grâce surtout à Sophie Ginoux qui s'est investie above & beyond the call of duty, allant jusqu'à blanchir une nuit pour réviser les corrections des révisions et traquer les espaces trop larges ou pas assez et harmoniser la typo de la première à la dernière page. Pour finir, ce matin, elle a suggéré qu'on utilise un papier crème et une couverture satinée lustrée. Ça va être beau en tabarnak.
Descendu à pied dans le Vieux-Montréal, étourdi, allégé par cette superbe journée d'avril. Livré ma demande de bourse au CALQ. Au retour, acheté Un amour de Swann et Le Rouge et le Noir. Le vent tourne du bon bord, on dirait bien.
Jean-Philippe Gaudet a livré le logo de ma collection.
Maxime est à Bordeaux, Eddy s'est fait casser le nez dans une bagarre et Kevin ne sort du lit que pour me passer un coup de fil rassurant, avant d'y retourner rejoindre sa délicieuse.
Rassuré Laverdure au chapitre de mon appartenance politique. Je ne vote plus depuis l'instauration d'une liste électorale permanente. Je suis un libertaire.
Chez Trait d'Union, encore des corrections, et impossible de trouver un dictionnaire dans toute la boîte.
Revenant des bureaux du journal ICI, hier, j'ai eu envie de me payer la traite. Suis arrêté chez Blackburn où j'ai fait l'achat, pour deux dollars chacun, de La bonne chanson et autres poèmes de Verlaine, et des Poésies de Mallarmé. Érik s'est exclamé, ravi: «Retour aux sources?!»
Plus tôt, émergeant du métro, j'étais tombé sur Nathalie Rochefort qui distribuait sa documentation électorale. Je me suis présenté. «Oh! elle a dit, l'ami de Claude!»
J'en ai convenu, rappelant tout de même que j'étais aussi le père de Jean-Christian, qu'elle connaît depuis longtemps et qui était même parmi ses invités dans les tribunes de l'Assemblée Nationale le jour de son intronisation. Expression interloquée, puis grand éclat de rire: le kid ne lui avait jamais rien dit.
Sarah m'envoie les premières images de son ouvrage: la petite Noa, copyright 2003... Pour l'heure, elle ressemble un peu à son père un lendemain de brosse, mais pour elle, ça va s'arranger.
Douce, destroy, divine et dingue, tour à tour et en même temps. Annie dans ses oeuvres. Hier elle écrivait sur moi, demain elle l'effacera. Flamme créatrice, elle appelle ça.
Créer comme crée la marée haute lorsqu'elle vient araser les châteaux de sable de vacanciers en Espagne. Créer comme crée le Joker en virée au musée de Gotham, avec du vitriol et des bombes aérosol. Créer, comme on en cause...
Ce matin encore, un lien vers une page d'intérêt littéraire local. Je ne les cherche pas, je tombe dessus comme ça, en chassant un autre gibier. Celle-là est vraiment mal foutue: on a dompé tous les textes en tas sur la même page, et j'ai honte de dire que c'est le fait de l'UNEQ, mais enfin, ils font de grands et douloureux efforts, depuis qu'on a mis cette chose en ligne, pour apprendre à diffuser l'écrit sur le Net selon un autre modèle que celui de Gutenberg.
Pour autant que je puisse en juger, ce fouillis est divisé en trois parties. La première est plate. La seconde est fascinante: il s'agit essentiellement de la conférence que donne Charles Montpetit sur la censure au Canada, avec une liste ahurissante de cas réels.
La dernière est le Mémoire présenté à la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec par l'UNEQ en 2001. En voici un extrait, inespéré, désespérant:
Deuxième menace pédagogique, deuxième contradiction systématique avec l'esprit de la Loi 101 : le misérable mensonge de l'évaluation scolaire. Nous connaissons tous des professeurs auxquels on interdit de couler les étudiants qui ne savent pas écrire, nous avons entendu la plainte scandalisée des correcteurs aux examens de français, qui doivent appliquer des barèmes aberrants afin de diplômer les illettrés. En ces matières, celui qui dit la vérité passe pour un élitiste ou un snob qui méprise le peuple.
Un véritable jdanovisme règne en pédagogie : d'abord on érige en dogme le principe idéologique, ensuite on déforme la réalité, jusqu'à l'absurde, pour la rendre conforme à l'idéologie. Comme sous Staline où l'on enseignait que c'était des Russes qui avaient inventé toute la science moderne grâce aux lumières du matérialisme dialectique, on en arrive à formuler, au nom de principes généreux et faux, des aberrations comme celle que le système d'éducation devra produire cent pour cent de diplômés. Il suffirait pour y arriver qu'au lieu d'être mis en concurrence avec les autres, tout élève le soit avec lui-même ! Se prendre soi-même comme modèle, être évalué à partir de soi-même, tout notre héritage rationnel, toute notre culture, pour ne rien dire du simple bon sens, affirment que c'est la formule même de la folie.
Soumettre des ignorants à de faux examens, qu'on corrige ensuite de manière à en laisser passer le plus grand nombre possible, afin de justifier les programmes, les pédagogues et le ministre, puis se faire péter les bretelles de quatre-vingt-cinq pour cent de réussite en français – sans oublier de dénoncer les Anglais qui écrivent « stop » au coin de la rue ! – cela dure depuis vingt ou trente ans, la guéguerre contre l'anglais servant à maquiller la défrancisation des francophones. Ceux qui tiennent en otage la jeunesse, le ministère et presque toute l'Université, ceux qui définissent les programmes et forment les maîtres, ceux qui président encore eux-mêmes aux réformes qu'exigent continuellement, depuis trente ans, les désastres successifs de leurs politiques, hypothèquent gravement l'avenir du français au Québec.
Il convient de le répéter, car c'est si gros qu'un véritable mur de surdité semble empêcher d'entendre cet avertissement vital : les patrons de l'éducation travaillent pour la culture amnésique mondialisée, contre le patrimoine conquis par la Révolution tranquille.
Jdanovisme? What the fuck is that? Le Trésor de la Langue Française ne le recense même pas, mais un Trotskyste repenti le connaîtrait... Anyway, je n'en reviens pas de lire ça dans un document de l'UNEQ. Peut-être y a-t-il moins de membres enseignants, Boomers et social-démocrates que je l'ai toujours cru, ou alors ils rêvent aussi d'encre rouge, à temps perdu...
Arpentant Mont-Royal avec Éric, on est tombés sur Falardeau. Comme chaque fois, on s'est mis à s'insulter chaleureusement; tandis qu'on se serrait la main, il jetait des regards anxieux alentour, faisant mine de s'inquiéter qu'on le voie avec moi.
J'ai mal aux dents j'ai mal aux dents c'est lancinant j'ai mal aux dents.
Dix-neuf états US ont triplé la taxe sur la bière pour aider à financer l'effort de guerre. À terme, ça devrait contribuer à la rendre impopulaire.
Julie a démissionné vendredi midi, sans prévenir. C'est un coup dur. Je m'étais pas mal démené pour elle. Mais, comme le disait mon vieux prof Adrien Leblanc, il faut faire confiance aux gens. Une phrase que je n'ai comprise que bien plus tard, mais qui a changé ma vie. On peut se mettre à l'abri des déceptions en se méfiant a priori de tous, mais ça nous fait passer à côté de ceux, la minorité, qui ne nous baiseront pas la gueule.
Suis passé voir Guillaume au Boudoir vendredi soir. L'ai embrassé sur le front en partant.
Steve a voulu à tout prix parier avec moi. Prétendait que Yves Desgagnés incarnait Abel dans Race de monde. Je savais bien qu'il s'agissait de Jean-Luc Montminy. L'ai prévenu trois fois de ne pas insister. Voulait gager 100$. Finalement, j'ai remené l'enjeu à 40$ et on est descendus au Bunker pour consulter Internet. Il est remonté en boudant. Sans réaliser qu'il venait de gagner 60$...
Découvert ce renseignement passionnant sur le site de l'ANEL:
De 1940 à 1947, 21 millions de livres ont été imprimés en français, au Québec. Dans l'introduction de son ouvrage Les tribulations du livre québécois en France, Josée Vincent, membre du Groupe de recherche sur l'édition littéraire au Québec (GRELQ) de l'Université de Sherbrooke, rappelle cet épisode singulier : « Paralysée par l'occupation allemande, la France ne peut plus approvisionner ses marchés extérieurs en livres. Les éditeurs québécois profitent de cette occasion unique pour se lancer à la conquête d'un public mondial. Presque du jour au lendemain, des livres québécois sont diffusés aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, en Algérie, etc. Par contre, les liens directs avec la France sont rompus. Seuls les Français exilés en Amérique du Nord entretiennent des relations avec le milieu du livre au Québec. Lorsque l'armistice est signé en 1945, les Québécois détiennent un quasi-monopole de l'édition francophone.»
Est-il utile de préciser que ça n'a pas duré?
Dominique m'écrit que Réginald l'éreinte dans La Presse d'aujourd'hui. Elle a l'air de prendre ça comme une grande fille. Le Martel peut y aller fort quand il est d'humeur à enfoncer un clou.
Les journalistes tombent comme des mouches en Irak. Pourtant, la qualité de l'information n'en souffre pas: elle est aussi mauvaise qu'avant.
Claude et Louis-Étienne sont arrivés dans la nuit de vendredi à samedi. À voir la tête du premier, on aurait pu croire que c'était lui qui venait d'accoucher. Le second m'a demandé une chanson pour son prochain album.
CNN frôle le fond. Diffusant un vidéo de Saddam Hussein paradant présumément dans Bagdad, et sous-entendant qu'il s'agit d'un sosie, la chaîne sous-titre: «Selon les services de renseignement US, Saddam veut que les Irakiens pensent qu'il est toujours vivant». Tu parles d'une vie éternelle! Continuer à mener la guerre après sa mort, à désirer, à vouloir.
À force de vouloir le beurre et l'argent du beurre et les pis de la vache, ces cons de Yankees s'enfoncent: on ne peut à la fois prétendre avoir tué un homme et lui prêter une vivante volonté post-mortem sans lui conférer une aura d'immortalité qui reviendra nous mordre le cul.
Trente pages à revoir et j'ai fini, faut encore que je me douche, à deux heures je vais rencontrer les gens d'Édipresse avec Pierre et Lili Gulliver: montrer des visages humains à ceux qui distribueront nos livres aux multiples coins du Québec. On sonne sans le code à la porte du Bunker: je choisis d'ouvrir. C'est un messager qui me livre les premiers exemplaires d'Origines. Pas le temps d'ouvrir la boîte! La boucle est presque bouclée.
Dominique est malade, au lit et seule, prise aux poumons.
Richard Chamberlain en Blackthorne indigné (Shogun): «Est-ce que j'ai l'air d'un de ces maudits sodomites? Mes coutumes intimes, Madame, n'incluent pas les garçons!»
Ça, c'est un acteur! Aussi crédible que Sean Connery déguisé en Japonais dans un James Bond.
Mon dépanneur ammanite, penché sur La Presse, le front soucieux, me demande la signification de l'expression canard boiteux.
À l'heure qu'il est, fiston doit être en grande conversation avec Turgeon, qui a peut-être un boulot dans ses cordes à lui proposer. Le népotisme est un jeu dangereux.
Mon héritier a écrit à Pénélope pour lui offrir d'aller spinner à l'Odyssée. Devrait y avoir un club goth qui s'appelle l'Oedipe.
Noa André est née hier en soirée, toute menue, toute légère, toute pleine d'avenir, lequel comme chacun sait est très léger. Coup de fil du père pour annoncer la nouvelle, sa voix comme s'il avait les flics aux trousses.
Bunker transformé en ruche, en une sorte de Correctorium moyenâgeux: Kevin, Mario et moi, sprintant toute la veillée pour terminer la révision. Vers minuit, je déclare forfait et je tombe endormi, suivi de Mario une heure plus tard, et Kevin finit tout seul au son de nos ronflements eurythmiques, penché sur la pile de papier jusqu'à l'aube. Première fois dans l'histoire littéraire qu'un personnage corrige l'oeuvre tandis que l'auteur dort. Réminiscences de Citizen Kane.
À travers tout ça, Fred Desjardins a débarqué, première fois en deux ans, vraiment au pire mauvais moment, et dans un triste état, mais de l'amitié plein les lèvres et des branches de laurier plein les bras.
Éteint le téléphone pour ne pas être réveillé. Rêvé qu'il sonnait, me suis levé pour y répondre.
Soixante heures et le compteur tourne toujours comme un derviche overdosé. Éric campe ici en attendant de trouver la fortitude de passer sa première nuit dans la chambre qu'il a louée hier. Le Vigneau nouveau est arrivé puis reparti: entre les deux, il a roupillé quasi un tour d'horloge sur le divan désoeuvré, cuvant son idylle toute neuve, puis s'est levé échevelé, le regard soûl et la cervelle inefficace, en amour, en amour, en amour, bon à rien qu'à nous enfiler d'inoffensives âneries qui me laissaient décarcassé, rongeant mon frein, enseveli. Et encore, s'il n'y avait que ça, mais l'infâme scélérat s'entête à me manger davantage de saucisses que de pains à hot-dogs, ce qui n'est rien moins, à mes yeux, qu'un iconoclaste assaut vicieux contre l'équilibre et l'harmonie, un crime crapuleux envers l'équation cosmogonique, sans parler que ça me fiche à tous les coups une intarissable épistaxis.
Et le boulot s'empile, implacable et sans coeur, la couleur de l'avalanche obscurcit ma vision cependant que l'air s'empuantit de malsaines senteurs.
Ça a fait un an hier que je nourris cette chose, ce journal, ce roman, ce blog.
Aujourd'hui, lunch avec Turgeon. Je prendrai du poisson d'avril.
Une heure durant, cette page a été remplacée par un blog en espagnol. Un bogue de blog. Et Kevin d'appeler, affolé, craignant qu'on m'ait kidnappé ou quelque chose. Il garde l'oeil ouvert, celui-là, et le bon. A abattu cent pages d'ouvrage sur les épreuves, restent cent-soixante et quelques. Il a beau avoir tout lu à mesure, en plus de le vivre, il ne s'était jamais tapé le Journal au complet, d'une seule traite. Ce n'est que maintenant, avec le recul, qu'il peut comprendre à fond pourquoi je parle de roman. Même pour lui, il y a une limite à la capacité d'embrasser abstraitement la globalité de mes concepts avant d'être confronté au tangible résultat.
Samedi, a fallu que je m'y reprenne à trois fois avant que ma famille m'écoute porter mon toast. Les conférences à 200$ l'heure étaient loin. Doux sein d'humilité. Matrice d'heure juste.
J'ai discuté le plan projeté de Goth avec mon fils. Il accepte que j'emprunte des morceaux de sa vie. Je crois qu'il est tout à fait conscient que je n'ai pas coutume de demander la permission.
J'ai réparé mon magnétoscope. Joe Tournevis, c'est moi. Maintenant, si je pouvais seulement apprendre à payer mes factures.
Vingt-et-unième anniversaire de mon rejeton. Hier, fête chez maman: nous étions tous réunis pour la première fois depuis dix ans. Je me suis rétrogradé et papa a repris son bout de table.
Kevin est reparti avec les épreuves de Vacuum. Va les passer à l'égreneuse. J'en tremble pour elles.
Justine est morte. Vive Dominique.
Le Kevin tout joyeux, tout léger, tout jeune homme, au sommet de ses moyens, beau, le sourcil détendu, le front déplissé, la semelle printanière, et je sais bien que ses retrouvailles prévues plus tard cet après-midi avec la vraie maîtresse, pas l'onirique, n'y étaient pas étrangères, à son état, mais il n'y avait pas que ça, c'était comme si, pour la première fois, il vivait en paix sans regret et en parfaite intelligence avec ses choix, tous ses choix, fondus enfin en quelque chose de plus réel, de plus tangible à ses yeux qu'une cruelle et dérisoire allégorie du libre-arbitre.
Mon allocation mensuelle est arrivée plus tôt, sûrement par erreur, mais enfin, je n'ai pas chicané sur la couleur de la bride et j'en ai profité pour partager le cheval. Ça m'a permis de prêter à un incurable romantique de ma connaissance de quoi offrir du bon vin à sa douce, laquelle n'a pas l'air du genre à cracher dedans.
Quand je pense que cet être invraisemblable m'a appelé ce matin après avoir lu mon Journal, me devinant fébrile, juste pour me rassurer dans la vie éveillée à défaut d'avoir pu intervenir dans mes rêves...
Monté corriger un texte antiguerre de CGDR. Lui ai appris à copier-coller. Je suis son nouveau dieu.
Seconde séance avec DD. Les premiers clichés étaient trop flous pour illustrer une quatrième de couverture pleine page au format 6 pouces par neuf. C'est, en effet, le ton très new yorkais que j'ai résolu de donner à Graal, en plus des rabats. On a donc délaissé le numérique pour revenir au bon vieux Kodak.
Kevin arrive avec l'impression du projet Goth pour ma demande de bourse.
J'apprends par La Presse que les résidents de Bagdad s'appellent des Bagdadis. Ça s'invente pas. D'autre part, je me réjouis que l'emploi du terme états-unien se généralise (pas dans La Presse, toutefois, ni à la télévision). Nous leur avons trop longtemps cédé le monopole de l'identité américaine.
Réveillé en sursaut par une espèce de cauchemar. Kevin et moi, on entrait dans un bistro en camion. Je continuais le chemin sur un haut tabouret qui avançait tout seul et que K s'avérait impuissant à stopper. Puis, on se retrouvait au violon avant d'aboutir chez lui, où un gros beu attendait patiemment, ses bajoues fendues d'un faux sourire, qu'on exhibe nos papiers. Une maîtresse de Kevin s'extirpait du plumard et, me reconnaissant bien qu'elle me rencontrât pour la première fois, se mettait à me peloter avec des gestes hystériques, et une fois encore, K n'y pouvait rien. Moi, en désespoir de cause, j'ai fui le sommeil et la situation.
Fin de la grève de dix mois à Vidéotron. Depuis le début des votes syndicaux, le serveur de courrier déconne dur.
Par ailleurs, Jean-Pierre Cloutier reprend ses Chroniques de Cybérie, pour mon plus grand plaisir, sans parler de mon instruction. La première du nouveau cycle m'envoie d'ailleurs des lecteurs à la tonne, ce qui explique l'affolement de mon compteur de visites.
Mon texte complètement fou sur la folie paraît aujourd'hui, à quatre jours du premier avril, dans l'excellentissime journal ICI
Madame MacLean, la concierge en second, n'en a plus pour très longtemps; un mal mystérieux la ronge. Elle et Larry, son mari, déménagent samedi à Drummondville et elle m'a tricoté des pantoufles en cadeau d'adieu. Ai embrassé chaudement ses chères joues parcheminées.
Hier, rencontre d'affaires avec Julie à la brasserie Cherrier. Elle m'a battu au billard, puis on a monté la campagne de presse. Son idée pour le lancement: commander à Kevin cinq cents litres de bagosse de première qualité.
La remise est déjà démolie à moitié. Le conteneur est plein de débris, de planches et de bouts de madriers. Démolir, c'est une affaire de rien, c'est molir qui est dur.
Regarde Sonatine à la télé. Marcia est une enfant, une garçonne, pour l'éternité, au Canal D.
Je songe à mon prochain appartement. Si Maxime-Olivier n'y voit pas d'objection, je le baptiserai le Moutier, qui signifie monastère...
Joie de la redécouverte! Malherbe écrivait «à cause que» et Henri IV «arsoir» (ce soir).
Vais tenter de convaincre Pierre d'inclure des rabats à la couverture de Vacuum, quitte à le vendre un peu plus cher.
M'échine à décrire le projet Goth pour ma demande de bourse au Conseil des Arts.
Allé vendre quelques livres à L'Échange. Au retour, croisé Richard Martineau. On a jasé quelques minutes sur le coin d'une rue. Il regardait ma barbe et moi la sienne. Je crois qu'on réalisait, stupéfaits, qu'on avait blanchi ensemble dans ce business.
Suis à lire le Marie de Médicis d'André Castelot. Fasciné de constater qu'on parle toujours ici comme à cette époque, qui vit nos ancêtres quitter la France et l'histoire se diviser. On n'a jamais, ici, rapetissé le déjeuner, et le soir on soupe encore.
C'était une journée à arcs-en-ciel: faisait soleil et mouillait en même temps. Une journée d'arches et d'alliances. Aussi ai-je accepté de diriger ma création, la collection Graal. Vais d'abord l'inaugurer, ensuite on verra bien.
Quand Pierre a loué mon professionnalisme, j'ai rougi comme une jeune fille.
Suis passé aux Catacombes. Kevin avait oublié de me laisser la clé. Suis revenu sous la pluie, la queue entre les jambes et le coeur pourtant léger. Il vient de m'appeler à l'instant. N'a pas d'argent mais ne doit rien au dépanneur. Autant dire qu'il est riche. Vais peut-être remonter.
Sous ma fenêtre, deux iconoclastes à col bleu s'affairent à démancher ce qui est peut-être la dernière shed du Plateau Mont-Royal. Vrai, c'étaient des nids à feu, mais quel charme disparaît avec elles. Denys, en s'en servant comme arrière-plan hier, ne se doutait pas qu'il capturait l'histoire à ce point.
Terminé la révision des premières révisions. Me sens plein de paix et de satisfaction.
Sommeil troublé. Ne connaîtrai pas le repos avant d'être venu à bout des corrections. Justine veut aller se promener dans le parc. Pas le temps. Voudrais faire des phrases complètes. Pas le temps.
Ce midi, power lunch avec Turgeon, puis rencontre avec l'agent de probation. La vie est une oeuvre de fiction.
Séance de prises de vue pour la maquette de Vacuum, au Bunker avec Denys Demers, puis l'ai emmené rencontrer Sophie Ginoux chez Trait d'Union. Rapporté les premières révisions du manuscrit. De l'ouvrage par-dessus la tête et j'adore ça. Reste à décoller Kevin de sa traversée de la Mer Rouge afin qu'on se mette à réviser les révisions.
Allé regarder les Oscars chez Jean-François, qui avait préparé un pâté chinois géant pour l'occasion. Étrange soirée: 3 500 glitterati assemblés les fesses serrées, plus Michael Moore qui leur en a mis plein la gueule.
À force de s'auto-censurer, les médias US commencent à manquer de jus. Al-Jazeera montre morts et prisonniers de guerre états-uniens, et Rumsfeld se lamente: «C'est contraire à la convention de Genève d'exhiber des prisonniers de façon humiliante!» Celui-là, il me tue. Pendant ce temps, un soldat US lance trois grenades sous autant de tentes de son propre camp, et on n'en parle pas, sinon pour suggérer qu'il se serait converti à l'Islam.
Le docteur Goebbels bande dans sa tombe à l'idée de disposer d'un outil de propagande comme CNN. Le jingoïsme télévisé, l'hybris en pixels: se taper une érection par-delà le décès.
Maudits pédés d'États-uniens, armés jusqu'aux dentiers, tirant sur du sable et appelant ça une guerre. «Coalition tanks fire at iraqi troops!» Fuck your blasted soul, cette coalition, ce n'est que vous et les Britishs, pédés et descendants de pédés, hooligans et sauvages et brutales créatures.
Aujourd'hui, Kevin a vingt-cinq ans. «Un quart de siècle, soupire-t-il en contemplant rêveusement le plafond; comme si le siècle était toujours possible!» Lui ai offert une biographie de Napoléon et un réveil-matin. Il entend fêter ça tout seul en écoutant de la musique classique.
Couché tôt, enlacé à ma rage de dents. Essayé de joindre Steve, mon pharmacien, au téléphone. Une musique d'enfer tonitruait derrière. «Chu dans un isoloir avec une danseuse!», il a hurlé en riant. J'ai raccroché.
Kevin arrivé tout chic, après une journée de peinture. À cinq heures et demie, ses clients ont fichu poliment le goy dehors. Le voici cravaté et vestonné, expérimentant un noeud de Fink, élaboré par un mathématicien à l'aide d'un ordinateur. Lui a fallu des heures pour le maîtriser.
Levé à seize heures. Mal aux cheveux. Faut croire que l'opération «Choc et stupeur» m'endort. Hier, manqué mon rendez-vous avec l'agent de probation: glissé sur une plaque de glace. En ai profité pour rencontrer clandestinement quelqu'une qui m'est très chère.
Cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom», quiconque prétend qu'elle ne l'arrange pas au moins un peu ment effrontément, ou par pure ignorance des avantages qu'elle lui procure. Les morts Irakiens, ceux de ce matin et ceux qui mourront demain? Ils crèveront en croyant défendre la patrie. À bon droit, d'ailleurs, car c'est bien ce qu'ils font: ils font preuve d'héroïsme dérisoire, la plus noble forme d'héroïsme qui soit, et d'héroïsme patriotique conditionné, la forme la plus débile.
Moi, ce que j'y gagne, c'est un alibi. J'étais sur le point de m'éprendre d'une fille qui n'a pas le temps, qui habite au diable vauvert et dont le coeur, offert sans prudence, a été cavalièrement malmené. «Malcommode!», me disais-je, imaginant cette relation; «Investissement à fonds perdus! Grave responsabilité!», me martelais-je dans le crâne en ignorant le reste de mon corps, coeur y compris, sans parvenir à me convaincre tout à fait d'oublier ça.
Mais voici que cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom» remet les choses en perspective: comment décemment songer à ça cependant qu'on agresse en mon nom et contre mon gré, alors que pour une fois je partage l'avis de la majorité de mes contemporains... Sous tous les horizons hormis celui sur lequel flottent cinquante étoiles impérialistes et despotiques, des populations hétéroclites de bonne volonté ont marché contre, apparemment en vain. Toute ma vie intellectuelle, j'ai milité artistiquement pour un rapprochement avec l'américanité qui est notre héritage au même titre que la francitude. Je prônais, je suppose, comme le Voir sous Barbe, puis Martineau, puis le petit nouveau, qu'il n'est pas si grave de se faire enculer si ça ne fait pas mal et qu'on reçoit la protection de l'enculeur et que l'enculeur ne s'en vante pas. Ce qui m'a transformé d'allié en dénonciateur enragé tient sans doute beaucoup à cette arrogance boursouflée du pouvoir qui s'annonce et se nomme et n'éprouve plus la moindre trace de honte. Le pouvoir du barbare, du taré, de l'inculte, cette insulte et ce défi à l'individu qu'incarnent désormais les États-Unis d'Amérique. Le déclin de l'empire ne s'est pas amorcé avec Nixon, ni quand Truman a largué Fat Man et Little Boy dans le cadre d'une guerre aux enjeux humains majeurs. Le déclin s'amorce au pinacle, de la même façon qu'un virage à droite survient à la fin de virer à gauche ou d'aller tout droit. Et cela, c'était hier soir, quand l'empire a agressé un pays qui ne l'agressait pas pour prévenir une future agression. Même Tony Soprano n'agit jamais ainsi; non pas qu'il soit un ange, mais il sait que ça nuit aux affaires, à long terme. Quand les gangsters mafieux, dont l'organisation est modelée sur les structures de l'empire romain, font preuve de plus de clairvoyance que le gouvernement états-unien, alors rien ne va plus. Et qu'on ne vienne pas m'objecter que Tony Soprano est un personnage de fiction créé de toutes pièces dont chaque phrase est scénarisée, alors que George Bush, lui...
Une intuition: je fais la tournée de mes blogs préférés (une poignée, littéralement: cinq). Les trois gars ont réagi à la frappe, à peu près en même temps que moi, mais aucun d'eux n'a l'habitude de blogger à minuit. Les deux filles sont muettes. Sûr, les mecs sont devant la télé, bavant des bulles de chienne, d'indignation, d'impuissance et de rage. Les cocottes, c'est moins clair. Annie, que je connais le mieux, ne publie pas à chaud, et cette guerre la dégoûte trop pour qu'elle ne doute pas des mots. Quant à Pénélope, que je comprends le mieux, elle est bouleversée par le geste d'un jeune homme de sa connaissance, qui est parti in extremis pour le théâtre des hostilités afin de se constituer en bouclier humain. Le genre de geste qui vous éclabousse avec votre propre mauvaise conscience, dont vous ignoriez jusque là l'existence. Qui met la barre plus haut, si haut, inaccessible, et vous décourage de déplorer la guerre. Quand vous avez vingt ans. À trente-huit, on trouve ça con, l'acte d'un illuminé sans culture politique. On sait que l'histoire est un tank qui passe sur le corps de martyrs anonymes bien intentionnés, pénétrés de principes et de foi. On sait que les morts ont toujours tort et qu'il y a une arrogance chrétienne occidentale gâtée pourrie à s'imaginer que les armées de l'empire vont respecter davantage la vie d'un nord-américain que celle d'un enfant de Babylone. Et on souhaite très fort que le jeune homme ait été refoulé aux frontières, afin qu'il revienne et vive pour protester un autre jour, parce que Pénélope serait vraiment trop triste si cet idiot généreux se ramassait un obus dans la tronche.
Les premières frappes ont débuté il y a trois heures. C'est Steve qui m'en a informé, alors que j'étais absorbé dans ma conversation émouvante avec Bertrand, arrivé à l'improviste après son dernier examen de soudeur pour m'annoncer son succès.
M'a fallu tout ce temps pour allumer la télé. Steve encore, redescendu, m'apprend que Saddam Hussein s'exprime sur RDI. Je ne capte que les dernières minutes de son allocution, puis on passe aux experts. Trois têtes parlantes assemblées autour de Stéphane Bureau, et tout ce quatuor de s'interroger: «Venons-nous d'assister à un discours en direct? L'a-t-il enregistré avant? L'a-t-il improvisé?» Aucun de ces cracks ne remarque l'énorme paire de barniques épaississimes dont le tyran a chaussé son sémitique appendice nasal. Or, pour Saddam Hussein, selon Le Monde du 18 mars, «La faiblesse engendre le défi, le coup d'État. Il teint en noir ses cheveux gris et évite de lire avec des lunettes en public. Lorsqu'il doit faire un discours, ses conseillers lui fournissent un texte en lettres énormes, quelques lignes seulement par page.»
Ce soir, par contre, il farfouille dans ses feuilles, myope et binoclard, revient en arrière, récite de la poésie, et l'aéropage payé par vos impôts se demande pourtant toujours s'il s'est soigneusement préparé. Tirez vos glaives, indeed!
«Il faudra bien le capturer», ajoute-t-on savamment. Là, je sais pas. Moi, me semble, j'aurais choisi l'exil doré, mais la tyrannie, c'est comme la littérature, c'est comme n'importe quoi: le talent ne suffit pas. Faut vouloir à toute force être tyran, ou écrivain, ou soudeur, ou avocate, et ne vouloir que ça, pour réussir. Quand on a réussi, les nuances de la personnalité peuvent s'exprimer. Moi, la tyrannie, je suis assez doué pour, mais pas assez pour devenir un tyran: je ne veux pas suffisamment. Cependant, si j'avais oeuvré dans cette branche, je serais devenu plus un Duvalier qu'un Hitler, plus un Reza Pahlavi qu'un Mussolini, c'est-à-dire que je me serais tiré au soleil plutôt que dans la tête ou dans le pied en attendant qu'on vienne me pendre la poire en bas comme un pourceau. Hussein n'a pas voulu partir. Donc, soit il disjoncte au point de croire qu'il peut s'en sortir une fois encore, soit il songe à sa place dans les livres d'Histoire, ce qui me le rendrait déjà plus estimable, mais alors c'est qu'il entend se suicider. Un tel homme ne saurait se laisser prendre vivant. Un tel homme va au bout de sa logique. À mon sens, le discours de ce soir était son testament. Ma foi, on verra.
Inch Allah.
François Lemay a torturé son ordinateur, qui lui a finalement restitué l'enregistrement de notre entrevue du 15 février. Vais pouvoir vérifier s'il est vrai que je parle comme j'écris. Comment prononce-je les virgules?
Quelque part dans le courant de la nuit, mes Quotidienneries ont reçu leur vingt millième visite. Semper fidelis.
Le Vigneau s'est claquemuré avec une gentille cocotte, incommunicado. Le printemps approche. Arrive demain, en fait. Love is in the air.
Pénélope semble avoir apprécié son séjour, même si je n'ai pas saupoudré assez de paprika (mot hongrois) sur son pâté chinois.
Kevin, ou l'un de ses invités, a renversé du houblon sur son clavier. Notre correspondance, d'ordinaire abondante, s'en ressent.
Me suis enfin décidé à retourner à la clinique. Toujours pas de toubib de garde, et aucune réceptionniste en vue. À se demander pourquoi, et comment, ils paient le loyer. Ai tourné les talons et suis allé m'acheter du chocolat.
À mon retour au Bunker, une ambulance se rangeait devant le building.
Hussein n'aura pas le loisir de céder ses actions à ses fils pour éviter tout conflit (militaire). À ma montre, il reste trente-huit heures à la smala Baas pour quitter le pays (Bagdodge City) et ainsi, peut-être, éviter la guerre. S'ils partent tout de suite, ils peuvent se rendre à pied à la frontière la plus proche. Marcher pour la paix.
Kevin a expliqué sans rire à son client, amateur d'art mosaïque, qu'en sa qualité d'artiste, on ne pouvait décemment espérer de lui qu'il copie une toile sans la voir. Le type est allé emprunter l'objet en question et le lui a apporté.
Visite de fiston. Avons causé guerre, gothisme, carrière, épicerie et poésie. L'ai rempli de saumon rôti et de tarte aux pommes.
Les rats quittent le navire, c'est-à-dire que tout ce qui n'a pas de racines en Irak est invité à décamper au plus sacrant. Parfum de poudre, de gaz et de microbes.
BL m'envoie une photo numérique prise par Pascal Lysaught lors du lancement du 13 mars. À la voir, je comprends qu'on ne vienne pas souvent me déranger.
Signé le bon à tirer d'Origines; départ pour l'imprimerie aujourd'hui. N'ai pas choisi la couleur de la couverture, caca d'oie gavée aux épinards. Mais la typo est superbe.
Vendredi, rassemblement monstre au Bunker: Kevin, Éric, Jean-Christian, Amélie et Pénélope, bière, cabernet sauvignon et pâté chinois, plus Steve qui allait et venait. Ai veillé sur le sommeil de Sekhmet, un peu déçue, mais je lui ai préparé un bon petit déjeuner et elle est allée se rattraper avec saint Patrick.
Retour du pow-wow. Avec Kevin et Mario, je suppose qu'on a l'air d'un gang à nous tous seuls su sein de la mafia Moebius. On est descendus à pied; au passage, on est arrêté voir les fondations de la Grande Bibliothèque. Ça monte mollo.
Laverdure était très chic dans sa chemise savamment fripée. La chroniqueuse CIBlienne faisait office de barmaid; on a emmené son amant fumer dehors avec nous. Triptyque sort une belle brochette de bouquins, bien équilibrée et plutôt substantielle pour la saison. Julie, de Trait d'Union, toujours à couper le souffle, semblait se demander ce qui se passe au juste dans sa maison. Mario s'est engagé à envoyer son manuscrit à BL d'ici trois semaines. La machine littérature fonctionne à plein régime.
La production de Vacuum va à fond de train, la machine est bien graissée, tous ses éléments carburent en harmonie que c'en est une beauté. Le graphiste Jean-Philippe Gaudet a livré une maquette superbe, dont je n'ai eu à modifier que quelques éléments mineurs. Quant à Turgeon, il est allé en Cour Supérieure faire ravaler leurs affidavits à ses diffamateurs.
Hier, visite de Jean-Christian. Il se sent changer pour le mieux, à la charnière d'un nouveau mode de gestion des aléas de l'existence. Bonheur d'assister au spectacle de sa vie d'homme naissante.
Sauté une journée dans le Journal, histoire de fermer un peu le robinet à Stéphane Laporte. Le drôle n'écrivait-il pas dans La Presse d'hier que pour éviter l'apparence de conflit d'intérêts, Paul Martin devrait céder ses actions aux fils de Jean Chrétien? Putain, je comprends que le gars n'est pas capable de couper sa viande tout seul, mais est-ce une raison pour picosser dans mon assiette?
Ce soir, lancement de Triptyque à la BN.
L'ex-Honorable et toujours onéreux Paul Martin (prononcer avec un fort accent bloke) désire vraiment beaucoup devenir Premier Ministre du Canada. Au point de consentir à se départir de ses actifs dans la Canada Steamship Lines. Au profit de son fils. Afin d'écarter tout soupçon de conflit d'intérêts. Or, je crains que ce noble geste ne suffise pas à l'abriter des méchantes langues, aussi me sens-je obligé de lui recommander ceci: vos actions, donnez-les plutôt à mon fils à moi. De cette façon, personne ne vous accusera jamais de rien et vous pourrez gouverner sans passer pour un crosseur. Non, surtout ne me remerciez pas. La joie de rendre service se suffit à elle-même.
Pour la première fois depuis que l'émission existe, je me suis permis de regarder Origines au canal Historia. Mes épreuves corrigées du livre identiquement intitulé sont rendues à Trois-Pistoles, et je peux enfin assouvir ma curiosité.
Ça parlait de l'esclavage au Canada, à travers la figure de Marie-Madeleine Renard, une indienne asservie, puis affranchie, puis épousée par son maître. Je n'ai vu que les dix ou quinze dernières minutes. Les portions éducatives étaient fournies en alternance par Marcel Trudel et un autre homme dont je n'ai pas saisi le nom, un noir francophone aussi intéressant qu'élégant, par exemple il exposait sans passion pourquoi il aurait été bien malaisé pour le clergé de reconnaître dans les livres d'Histoire, qu'il rédigeait, l'existence des esclaves, qu'il possédait (aussi). Sauf qu'à la fin, on voit Trudel répéter (il a été le premier à le dire, et je le crois, et je le cite de mémoire): «Montrez-moi un Québécois pure laine et je le ferai encadrer. Un Québécois pure laine, ça n'existe pas!» Il parle bien sûr de notre métissage avec les Sauvages, sauf que l'instant d'après, voilà ce type noir comme le poêle qui confirme (oui, oui, je cite de mémoire): «On sait qu'en cas de métissage, après trois générations , la pigmentation noire disparaît. Ainsi, on peut rencontrer quelqu'un aux yeux verts...»
J'en revenais guère. Origines, ça s'appelle, et c'est financé par les ressources du pays qu'on n'est pas encore et qu'on n'est pas parti pour être. Couper Trudel au milieu de son importante révélation et en accoller la moitié insignifiante au discours saugrenu de ce nègre inconnu sirupeux comme un ministre, vouloir nous faire croire qu'on est peut-être descendants d'Africains au lieu de nous apprendre une fois pour toute qu'on a tous du sang amérindien, c'est tellement dégueulasse que j'en faillis vomir mon pemmican.
Y a qu'à voir mes soeurs pour savoir qu'on a de l'Abénaki dans la famille, pas loin en haut de l'arbre. Vous autres aussi, si vous êtes Canadien-Français et que votre présence ici remonte au dix-septième siècle, voire au début du dix-huitième, de l'Algonquin et du Huron et de tous ces noms qui signifient Indien, vous en avez dans les veines. On a kidnappé votre trisaïeulle toute petite dans une réserve et on l'a baptisée d'un nom chrétien et on l'a «civilisée» et on l'a mariée à votre trisaïeul. Croyez tout de même pas que c'est seulement avec les Filles du Roy qu'on a peuplé ce pays-là?
Mais fonder des familles sur des unions mixtes entre blancs et noirs dans la Nouvelle-France, puis le Bas-Canada, ça non, c'est jamais arrivé, c'est trahir l'histoire que de le laisser croire, trahir nos enfants ignorants qui veulent apprendre et trahir la mémoire des Sénégalais morts dans les fers autrefois sans pouvoir se perpétuer librement et trahir les squaws assimilées de force qui devinrent les mères de notre nation.
Christ, je ne vais pas faire une profession d'évoquer Claude Jasmin, mais Mario, mine de rien, me ramène au réel et m'oriente vers un texte où je ne risque pas de ne pas trouver de grosses conneries, même avec la meilleure volonté du monde et du masking tape sur mes barniques. Le Petit-Patriote appelle les indépendantistes à se taire pour ne pas nuire au PQ. Misère de misère. Mon regretté grand-oncle Raoul Roy lui aurait tranché une réponse à l'en faire se bouffer les fantômes de ses couilles.
J'ai été dur avec Jasmin l'autre jour, trop sans doute, et ça me tarabustait depuis. Ce soir, je me suis dit: «Va sur son site, consulte une page au hasard et tu te remettras d'accord avec toi-même.» Je suis tombé sur son journal en date du 17 avril 2002. Fait défiler la page à toute pompe, cherchant une grosse connerie. En vain. Fallait que j'atterrisse sur un de ses bons jours. Peut-être en a-t-il plusieurs. Changer de page aurait été injuste. Le septième point de son agenda cette journée-là parle du réconfort qu'apportent les religions aux malheureux de ce monde, et n'exclut pas (intelligemment) que lui-même puisse y avoir recours un sombre jour. Touchant.
Zappais. Me suis fait accrocher par l'entrevue de Guillaume Vigneault avec Marc Labrèche. G a fait d'immenses progrès dans l'art de gérer le temps TV et de réagir au grotesque. Note parfaite. Je lui attribuerais même onze sur dix s'il avait, quand Marc a imité Gilles Vigneault, répondu en faisant Aristide Cassoulet (Gaétan Labrèche dans le Major Plum Pudding), mais Guigui est trop jeune pour se rappeler ça. INTER-POLLL!
Tous les numéros de JF sont débranchés, de même que son adresse e-mail. A fallu que je passe par Angel pour le retrouver. L'est pas mort, va même très bien. On va essayer de remettre ça cette année: passer la soirée des Oscars ensemble et rire du beau monde et nous mettre à jour dans nos nouvelles mutuelles et passer la soirée ensemble et passer la soirée ensemble.
L'amitié, ça peut parfois consister à envoyer son ami au Nunavut. Éric a besoin de changer d'air et d'un nouveau départ. Je lui ai raconté l'histoire de Denys, et ça l'a fasciné. Ce dernier va lui fournir d'autres informations utiles et précises. Le grand nord n'a qu'à bien se tenir.
Stéphane Laporte, concepteur extraordinaire, reste fidèle à sa technique éprouvée de création: trouver une idée (chez quelqu'un d'autre) et la piquer. Justine me signale que son clin d'oeil dans La Presse d'aujourd'hui suggère d'envoyer des sacs de bretzels à Bush pour qu'il s'étouffe avec sa guerre.
Terminé et livré la correction des épreuves d'Origines. Victor-Lévy a réussi à faire 106 pages avec 60 et le livre sera vraiment très beau.
C'est rare que je rate une année: d'habitude, le 8 mars, je réponds à l'invitation de Claudine Bertrand et me présente comme un seul homme à l'événement qu'elle organise annuellement pour fêter les femmes. Elle a beau diriger la revue Arcade, c'est aussi une proche et précieuse amie, indéfectible, et malicieuse comme une fillette élevée dans une grange par des motards. Elle m'invite à ces trucs-là juste pour voir la tête de ses copines qui ne sont pas encore au parfum. D'année en année, il y en a de moins en moins, mais c'est bien le diable si on n'arrive pas chaque fois à en faire freaker une, quelque grébiche fondamentaliste revenue récemment à la cause et qui manque se péter une veine en me voyant.
Hier, j'ai dit fuck. Les gars commencent de plus en plus à s'autoriser à envisager de refuser de faire semblant, je parle des gars qui ont des blondes, j'en connais quelques-uns, et je me dois d'appuyer leur début de libération, de bénir par ma solidarité ce foetus de reconquête de soi. Il y a de vraies victimes dans le monde, et j'ai passé deux heures hier à rédiger des lettres pour réclamer la libération de prisonniers politiques. Ça faisait longtemps que je n'avais pris la peine. Ma cotisation à Amnistie Internationale est échue depuis un bail. Mais je ne voulais pas protester passivement contre l'image malhonnête de la femme-victime, perpétuée par d'autres femmes pour des motifs stratégiques, je ne voulais pas me contenter de rester assis sur ma lune, je voulais consacrer un effort équivalent à tenter d'aider du monde qui l'ont vraiment dans le cul. Finalement, j'ai écrit six lettres traitant de trois cas, trois personnes incarcérées pour leurs opinions. Un homme. Une femme. L'autre, je suis pas sûr, c'est un nom sanskrit et la photo est brouillée.
La petite hébreuse pourrait naître à tout instant. Sarah doit être grosse comme un kibboutz. J'écris à Claude, lui laisse de petits messages fraternels sur son répondeur. Personne ne songe jamais à s'occuper du père en ces heures-là, et ensuite on s'étonne qu'il tourne de l'oeil ou tourne les talons en arrivant à l'hôpital.
Cette nuit, au bar, eu une passionnante et trop brève discussion avec JV (esprit obstiné, incisif et fin; nature fiable: peu avant l'entrevue de Justine, elle venait de subir un accident d'auto et s'était néanmoins présentée au studio, pâle comme un drap, tremblante, mais la voix ferme), l'une des chroniqueuses CIBLiennes rencontrées voici quelques samedis, et son amant, JFR, dont elle n'est pourtant pas l'amie (paraît qu'il n'en a pas, d'amis. Je m'en suis étonné, vu qu'il m'a tout de suite été sympathique: costaud, intelligent, rieur, l'oeil pétillant et tout son être vibrant d'un sincère découragement au spectacle de son époque. «Tu n'en veux pas, d'amis? C'est pour ça que tu n'en as pas?» j'ai demandé. «Non, a-t-il répondu, l'air d'y penser pour la première fois. Non, c'est pas ça. Je n'en ai pas, c'est tout.» «Je vais l'être, moi, ton ami, si tu veux, proposai-je sincèrement, simplement et sans apitoiement. Tu ressembles à ceux que j'ai déjà!» Il m'a regardé aussi franchement, il a vu que ce n'était pas une blague ou de la charité condescendante, j'ai vu dans ses yeux qu'il décidait de ne pas dire non.
Mais je veux en venir, avec cette anecdote, à ce bout d'épisode qui m'était sorti de la tête pour faire place à l'article du Devoir: la jeune femme m'a appris que la station a perdu l'enregistrement de mon entrevue. Ensuite, son amant m'a confié qu'il en avait vu ou entendu des tas, d'entrevues de moi, au fil des ans, et que celle-là était de loin la meilleure. Tu parles d'une cruelle chose à dire!
Pour faire se bidonner le Saigneur, écrivais-je, faites-lui part de vos projets. Certains s'imaginent que j'exagère, qu'il s'agit d'une métaphore.
Cette nuit, je suis allé m'en jeter un petit au bar du coin pour célébrer la signature de mon contrat. Ce matin, le Devoir titrait avec un enthousiasme louche: L'éditeur Pierre Turgeon en difficulté: Après plusieurs rebondissements dans diverses affaires judiciaires, l'éditeur Pierre Turgeon et sa maison Trait d'Union éprouvent un durcissement dans leurs relations avec les imprimeurs. Marc Veilleux imprimeur, une entreprise spécialisée dans le livre depuis des années, refuse désormais d'imprimer les ouvrages de l'éditeur. La
maison a obtenu mercredi de la Cour supérieure un bref de saisie pour le paiement d'une facture de 107 857,85 $, soit celle des livres imprimés par Veilleux entre le 8 novembre 2002 et le 7 février 2003. Ce bref a été exécuté jeudi dans la journée.
Et ça continue comme ça sur plusieurs paragraphes, et le Saigneur se tord de rire. Moi, je vais me coucher.
Bertrand Laverdure m'envoie l'une des cartes postales à mon effigie dont il a fait l'achat. Tel Champollion, je me penche sur ses pattes de mouches et m'échine à les déchiffrer. On est vraiment bien assortis, moi et lui: un kid kodak et un collectionneur d'images d'écrivains.
Et moi aussi, un jour, j'ajouterai quelque chose au vase de tristesse, au graal des poètes romantiques (BARRÈS, Cahiers, t. 1, 1897, p. 128).
Une nouvelle qui passe dans le beurre: après avoir d'abord parlé de crise cardiaque et d'embolie pulmonaire, l'armée états-unienne reconnaît maintenant que deux prisonniers capturés en Afghanistan en décembre ont été tués durant leur interrogatoire à la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul. Les certificats de décès rendus publics établissent clairement qu'il s'agit d'homicides dus à des coups. Jusqu'à maintenant, les officiels n'admettaient le recours qu'à des «traitements humains» tels que: privation de sommeil, refus de médication pour blessures encourues au combat, obligation de demeurer debout ou agenouillé des heures durant la tête recouverte d'un capuchon, exposition à des bruits stridents et de soudains flashes lumineux, ainsi que contrainte de se soumettre à des pratiques culturellement humiliantes telles que recevoir des coups de pied de la part d'officiers féminins. Amnistie Internationale et Human Rights Watch ne partagent pas l'avis des USA sur l'humanité de ces traitements et n'hésitent pas à parler de torture telle que définie par les traités internationaux. Également critiquée, la politique US de remettre ses suspects à des pays comme la Jordanie, l'Égypte ou le Maroc, qui ne prennent pas de gants, sinon des gants de boxe. HRW ne fait pas de distinction légale entre torturer directement et user de sous-contracteurs. Franchement, moi non plus, et je suis sûr que la nuance échappe aussi aux mecs qu'on passe au cash en cachette.
Ces deux-là s'appelaient Dilawar, 22 ans, de la région de Khost, et Mullah Habibullah, 30ans. On ne sait pas le nom complet du premier, et on ignore d'où provient le second.
Pour moi, la seule chose qui m'empêche de me faire musulman, c'est que je ne crois plus en Dieu.
Il paraît que pour faire rigoler le Bon Dieu, on n'a qu'à lui confier nos projets. C'est pourquoi je suis demeuré coi quant aux miens ces derniers jours. Hier, Kevin a couraillé la ville pour imprimer ma version révisée du contrat que me proposait Trait d'Union. Son imprimante était à sec; à l'université, déserte à cause de la semaine de relâche, rien ne marchait sauf les employés, dehors, brandissant des pancartes. Finalement, il s'est ramassé chez Zeffino et a pu terminer la job.
Si bien que, ce midi, Pierre Turgeon est venu dîner et qu'on a signé cet excellent contrat. Entre la poire et le fromage, il nous restait du temps, aussi en a-t-on profité pour créer une collection par la même occasion. Elle s'appellera Graal et Pierre m'en a proposé la direction, mais on verra ça plus tard. Pour l'heure, je préfère qu'il en assume la responsabilité.
Le livre sortira en avril, pour le Salon du livre de Québec, en même temps qu'Origines. Turgeon, Beaulieu, deux amis de trente ans, sinon plus: tout devrait baigner dans l'huile.
Pour la couverture, il veut jouer ma face, si bien que je dois reporter le recours aux peintures de Kevin.
Par ailleurs, j'apprends que Lili Gulliver a signé avec eux ce matin et que Pierre fait chez lui le ménage qui s'impose. Tout ça augure vraiment très bien. Pour fêter cette association attendue depuis vingt-cinq ans (j'en avais treize la première fois que je suis allé aux éditions Quinze, propriété de PT), j'ai fumé le reste du cigare de Justine.
Un sondage Léger & Léger révèle que l'immense majorité des non-francophones prévoit voter pour le parti libéral. Léger, en effet. Devraient s'appeler La Palice & La Palice. À quand un sondage sur d'autres brûlantes questions? Un pour déterminer si l'immense majorité des Hell's Angels a déjà commis des actes criminels. Un autre pour confirmer que l'immense majorité des Montréalais d'origine jamaïcaine ignore les paroles de «Gens du pays»...
Aphane, le premier, a songé à ressusciter Lisystrata d'Aristophane pour tenter d'éviter la guerre d'agression qui sera bientôt livrée.
Bon, ça ne va pas marcher, mais c'était quand même une chouette et généreuse idée.
Maintenant, je propose d'ajuster la tactique à l'urgence de la situation: envoyons, depuis tous les pays du monde, des sacs de bretzels à la Maison-Blanche, aux soins de George Bush, en espérant qu'il s'étouffe avec le message. Des milliers, des millions de bretzels postés vers la trachée de l'empire. Chaque sac un souhait de décès sous forme de provision de bouche. Venant de pacifistes pragmatiques préférant voir crever cette ordure que les dizaines de centaines qui mourront bientôt par sa faute.
Elle demande pourquoi je dis et pourquoi je fais ces affaires qui me font perdre des boulots lucratifs. Je réponds que ce qui a de la valeur doit nécessairement coûter quelque chose. Elle insiste: «Tu paies trop cher!» Je plaide: «Il faut payer en premier, puis le monde se convainc de payer à son tour.» Elle me lance un oreiller. Je vais dormir tout habillé, si je dors.
Une high school student montréalaise, interrogée aujourd'hui en pleine manif, répond: «Because my kids are going to ask where were you in 2003 and what were you doing about what was going on and I don't want to have to answer that I wasn't doing anything».
Voilà. Sur papier, on dirait un cliché, mais le ton de cette jeune femme excluait tout calcul et tout automatisme, elle était d'une incontestable sincérité, bouleversante pour un vieux Vamp de ma trempe, pour qui ces mots n'ont jamais résonné quand c'était le temps, et c'est d'eux dont je veux parler, les squatters, les anti-zlea, les bouffeurs de lacrymogènes, les itinérants Goths de dix-huit ans, qui croient en la famille, rêvent d'enfants et de comptes à rendre, tous ces déshérités qui travaillent à transmettre ce qu'ils n'ont jamais reçu tout en réparant ce qu'on endommage.
À Radio-Canada, entrevue avec un bouclier humain en partance pour Bagdad. Me demande si c'est un métier d'avenir, ça, bouclier humain. Le programme est-il très contingenté?
Journée chez Kevin. L'amitié, c'est la civilisation, et inversement.
Il s'est racheté des lunettes (deux paires, une pour sortir, l'autre pour rentrer) et va se mettre à sa grande toile représentant la partition de la mer Rouge. On a loué le second Star Wars et on a tripé en comparant chaque plan aux BD de Druillet.
Me suis pris un joyeux coup de vieux, hier, chez mon père. La fille de sa blonde me raconte que son prof de physique au Cégep lui a parlé de moi, de notre ancienne amitié. Ce prof, c'est Luc Richer, et la dernière fois qu'on s'est vus avant que la vie nous sépare, on était nous-mêmes au collège, il étudiait les sciences pures et moi les lettres. Tout un pan de ma jeunesse émerge des profondeurs vagues.
Passé mon tour, hier soir. Kevin voulait qu'on aille se faire quelques billards avec Eddy. Je voulais juste me parquer dans mon pucier, lire et récupérer un peu. Lui ai demandé de couler une huit pour moi.
C'est arrivé hier, à deux pas d'ici, sur Christophe-Colomb près de Rachel. Un gars de vingt ans sort pour prendre sa marche dominicale. À cent cinquante mètres de chez lui, passant sous un gros arbre, il entend crac! et se ramasse une branche sur le crâne. Il expire quelques heures plus tard. Les émondeurs plaignent le patrimoine arboricole.
Pèlerinage à Longueuil, lunch avec papa.
Vivre sous l'aile et dans l'ombre d'un grand singe volant tel que doublevé, avec sa face de chimpanzé et son programme politique dicté par l'OSM (Ouestèrne Sorcière Méchante), sentir qu'on va-t-en guerre mondiale grâce au mot du mignon Rumsfeld (le mot: old, comme dans old Europe)... Ce sale chien prétentieux excite les passions de Paris à Saint-Pétersbourg, et les Turcs élus au Parlement ont bien fait, en refusant de coucher leur terre maternelle sous les coucous concupiscents des soldiaux US de 19 ans, ignorants et pleins de slogans jusqu'au ras de leurs petits yeux de rats surnourris. Si Orwell avait su qu'il donnerait aux tyrans futurs l'idée de diviser le monde en trois parties engagées dans une guerre perpétuelle dont seules changent les alliances, se serait-il logé une balle dans le crâne avant d'écrire le premier mot?
Cupide, stupide, antéchristique à son insu, Georgy doublevé est le jouet d'un mal en mouvement que Machiavel n'aurait pas su anticiper: à son époque, l'exercice du pouvoir ne supposait ni la possible destruction de la planète, ni son épuisement sûr et lent, ni l'asservissement systématique de l'homme dès le berceau.
Jasmin jasera avec Denise Bombardier, sur l'invitation de cette dernière des dernières, à la télé. Du moins on l'annonce, et je me tiens les reins de rire jaune. Un vieil écrivain fini acceptant la charité d'une vieille écrivaine jamais commencée. «Je renonce à faire la révolution avec l'homme tel qu'il est!» Bouhouhou. Fallait y penser avec l'homme tel qu'il fut, au lieu de te planquer au sous-sol de Radio-Can et de faire des décors pour les textes des autres en attendant ta pension, vieux con. L'homme tel qu'il est te pisse au cul, en espérant irriguer tes dernières années de plante plastique.
J'aime la bière comme une femme aime un homme: ça sent le diable, ça goûte amer, ça fait se sentir bien, ça donne un gros ventre, on se défait du contenant...
Le tueur moucheté est de retour! On croirait assister à la projection de la bande-annonce d'un film-catastrophe. Je me prépare des côtelettes de porc endiablées en écoutant la tv, et j'apprends que je possède une immunité résiduelle à la variole (supposément éradiquée de la planète en 1977) parce que j'ai plus de trente ans et que j'ai reçu le vaccin. C'est toujours ça de pris, et bon appétit.
Émerge douloureusement, lentement du brouillard nerveux. On a passé une nuit, avec Claude et Éric, à l'Esco après la fermeture, et les autres au Bunker, des jours et des nuits de grand nord, qui durent en apparence vingt-deux heures d'une traite.