Cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom», quiconque prétend qu'elle ne l'arrange pas au moins un peu ment effrontément, ou par pure ignorance des avantages qu'elle lui procure. Les morts Irakiens, ceux de ce matin et ceux qui mourront demain? Ils crèveront en croyant défendre la patrie. À bon droit, d'ailleurs, car c'est bien ce qu'ils font: ils font preuve d'héroïsme dérisoire, la plus noble forme d'héroïsme qui soit, et d'héroïsme patriotique conditionné, la forme la plus débile.
Moi, ce que j'y gagne, c'est un alibi. J'étais sur le point de m'éprendre d'une fille qui n'a pas le temps, qui habite au diable vauvert et dont le coeur, offert sans prudence, a été cavalièrement malmené. «Malcommode!», me disais-je, imaginant cette relation; «Investissement à fonds perdus! Grave responsabilité!», me martelais-je dans le crâne en ignorant le reste de mon corps, coeur y compris, sans parvenir à me convaincre tout à fait d'oublier ça.
Mais voici que cette guerre, cette razzia, cette opération «Iraqi Freedom» remet les choses en perspective: comment décemment songer à ça cependant qu'on agresse en mon nom et contre mon gré, alors que pour une fois je partage l'avis de la majorité de mes contemporains... Sous tous les horizons hormis celui sur lequel flottent cinquante étoiles impérialistes et despotiques, des populations hétéroclites de bonne volonté ont marché contre, apparemment en vain. Toute ma vie intellectuelle, j'ai milité artistiquement pour un rapprochement avec l'américanité qui est notre héritage au même titre que la francitude. Je prônais, je suppose, comme le Voir sous Barbe, puis Martineau, puis le petit nouveau, qu'il n'est pas si grave de se faire enculer si ça ne fait pas mal et qu'on reçoit la protection de l'enculeur et que l'enculeur ne s'en vante pas. Ce qui m'a transformé d'allié en dénonciateur enragé tient sans doute beaucoup à cette arrogance boursouflée du pouvoir qui s'annonce et se nomme et n'éprouve plus la moindre trace de honte. Le pouvoir du barbare, du taré, de l'inculte, cette insulte et ce défi à l'individu qu'incarnent désormais les États-Unis d'Amérique. Le déclin de l'empire ne s'est pas amorcé avec Nixon, ni quand Truman a largué Fat Man et Little Boy dans le cadre d'une guerre aux enjeux humains majeurs. Le déclin s'amorce au pinacle, de la même façon qu'un virage à droite survient à la fin de virer à gauche ou d'aller tout droit. Et cela, c'était hier soir, quand l'empire a agressé un pays qui ne l'agressait pas pour prévenir une future agression. Même Tony Soprano n'agit jamais ainsi; non pas qu'il soit un ange, mais il sait que ça nuit aux affaires, à long terme. Quand les gangsters mafieux, dont l'organisation est modelée sur les structures de l'empire romain, font preuve de plus de clairvoyance que le gouvernement états-unien, alors rien ne va plus. Et qu'on ne vienne pas m'objecter que Tony Soprano est un personnage de fiction créé de toutes pièces dont chaque phrase est scénarisée, alors que George Bush, lui...
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