5.11.02

Hier, Steve est venu faire son tour et Kevin a mitonné cette fondue savoyarde qu'il promettait depuis deux bourses. Ça valait le coup d'attendre. Je n'ai malheureusement pas le droit de dire ce qu'elle contenait, car certains ingrédients me sont interdits. On a aussi fait des prises de vue avec la caméra de Catherine. En soirée, on s'est regardé un film starring Crowe et Pacino. Je jouais avec mon nouvel anneau en essayant d'imaginer celui qui l'a originellement porté, un légionnaire ou un boucher romain, quelqu'un avec du sang sur les mains, une femme et des enfants, une mère et une mort et l'humain désarroi de disparaître.



Kevin boit de mieux en mieux, scientifique et sérieux, avec la sérénité que confère le libre-abitre. Prend juste ce qu'il lui faut. S'endort sans crainte. S'éveille joyeux. Dompte le feu de l'homme.
Aujourd'hui, si la tendance se maintient, ce Journal-Toile va franchir le cap des dix mille visiteurs. Get a life, people!
Ma poésie me pose problème. Encore. Des années après en avoir divorcé, elle me harcèle et réclame toujours une sorte de pension alimentaire, malgré la laideur des enfants que je lui ai faits, ou peut-être est-ce à cause de cela, car il est vrai que je promettais beaucoup...



Poésie, premières amours. Je la concevais avec un siècle de retard dans un simili-pays qui engendrait des poètes par centaines, tous plus hippies les uns que les autres, avant de se faire couper les tifs et d'aller enseigner leur truc et le publier et le lire entre eux. Puis, j'ai fondu mes "mauvais" poèmes en une prose lyrique incandescente et on m'a célébré sans relever l'imposture, car me dénoncer aurait été se pointer eux-mêmes du doigt. Quand j'ai connu Franz-Emmanuël Schürch, il avait dix-neuf ans et sa poésie ressemblait fort à ce que la mienne aurait dû être si elle m'avait obéi, aussi j'ai renoncé d'un coeur léger au travail du poème, confiant que Franz s'en chargerait et que ça resterait dans la famille. Cela ne s'est pas concrétisé. Mon fils, plus tard, m'a fait miroiter de riches possibilités. Sa plume annonçait une hallucinante marchandise qui ne fut, ni ne sera, vraisemblablement jamais livrée. Il y a maintenant Kevin, qui fait face au même lot de difficultés: comment être poète hors des normes poétiques?



Un ami, directeur littéraire, m'adresse ces quelques mots qui me causent un certain souci: «Si je peux me permettre une confidence un peu rude, cher Christian, j'ai tout lu ton oeuvre de prose que je considère comme importante et fort bien écrite (je suis un fana de ton journal et j'ai eu de beaux moments d'émotion en y lisant mon nom à deux reprises). Par ailleurs, j'ai quelques doutes quant à ta poésie. Je voulais te signaler mes propres préjugés avant que tu ne te décides à nous faire parvenir tes oeuvres. Parce que je sais que ton nom seul est un gage symbolique assez fort pour publier tout ce que tu peux soumettre à un éditeur. Mais je t'invite tout de même, ne connaissant rien de ton dernier opus, chaleureusement, à nous soumettre ton recueil. Es-tu ouvert au peaufinement et au travail pré-éditorial? Je compte sur ton ouverture d'esprit et ton professionnalisme littéraire."



Ceux qui ne connaissent l'édition que de l'extérieur ignorent à quel point ces propos sont rares, donc précieux. Pour tout dire, personne ne m'a parlé comme ça depuis 1988. Est-ce que ça me fait plaisir? Non. Ça me heurte et ça me trouble. Je le prends pour ce que c'est, cependant: l'opinion franche d'un honnête homme qui s'adresse amicalement à un autre honnête homme, pas à un symbole, pas à une image.



Suis-je ouvert au peaufinage? Non. Au travail pré-éditorial? Foutre non. Cela ternit-il mon professionnalisme littéraire? Tout dépend de ce que l'on entend par là. Non, je ne suis pas un professionnel du poème et ne compte pas le devenir. J'aurais pu, bien entendu, par la vertu de mon nom seul, ce gage symbolique. Mais je crois que la poésie professionnelle a perdu son chemin, qui est celui du coeur des hommes. Je crois que mes poèmes devraient être publiés tels quels, verrues et tout, comme partie intégrante de mon oeuvre, celle d'un (p)artisan sérieux, engagé, dérisoire et lumineux. Je n'ai jamais voulu publier au prix de ma personnalité. Mes lecteurs le savent et l'apprécient, c'est même pourquoi ils sont mes lecteurs. Ce gage symbolique que représente ma signature ne m'est pas tombé du ciel, il est fondé sur du vrai, du solide et du tendre, il est assis sur de l'historique en béton armé. Irais-je leur donner à lire, à ces gens qui m'aiment, m'aimeront, qui me font, qui me feront confiance, des vers peaufinés par un autre avant qu'on ne les soumette à un travail pré-éditorial? Faire cela serait engager ce gage symbolique, le mettre au clou, sans espoir de le récupérer jamais; or, j'ai tout porté au pawn shop dans ma vie, sauf mon art.



N'empêche, mieux vaut se faire opposer un refus par un ami, et avec cette élégance. J'ai presque rien senti.



L'Amériq regorge de ressources.

4.11.02

Cette année, Kevin s'est surpassé. À mon dernier anniversaire, il m'avait offert deux pièces de monnaie millénaires frappées à l'effigie de l'empereur Constance II. Voilà qu'il m'arrive avec un anneau de bronze romain, probablement un anneau de citoyen, découvert lors de fouilles archéologiques en Bulgarie, anciennemment la Thrace. Je le passe à mon doigt avec beaucoup d'émotion. L'histoire, coulée et martelée dans ma main droite. L'amitié infrangible et circulaire. La perennité de l'airain.
Hier, passé l'après-midi avec Mario Lemoine à jouer au Scrabble, et la soirée à écouter des vieux disques en chiâlant.



Ce matin, deuxième neige. Moins drôle. Cependant, à Paris, Guillaume vient de remporter le prix France-Québec.

3.11.02

Justine a débarqué avec des croissants et du jus d'orange, du café frais moulu, du fromage et du beurre salé. Déjeûner me rend redoutable. J'irais défricher un bout de forêt si j'avais le droit de sortir.

2.11.02

Ce soir, Annie me fait le soyeux cadeau de se dénuder un peu, oh! juste un tout petit peu, pour moi, mes yeux, sur le confessionnal cathodique. Quand elle n'est pas occupée à suggérer que je suis une sorte d'assassin, elle écrit de très belles et très pertinentes choses sur le genre si particulier du journal.



Ce que serait cette créature si on ne l'avait trop tôt meurtrie, je n'ose me le représenter, de peur de retomber en amour avec ce qu'elle sait parfois être.



Je vais dormir, bordel de Dieu. Seul et serein. For he's a jolly good fellow, for he's a jolly good fellow...
turcotte.jpg

Quelqu'un peut-il me murmurer à l'oreille le nom de l'enfant de salaud schizo-castrat qui a choisi d'illustrer la une du dernier Voir avec cette épouvantable photo d'une femme superbe? Déja que ce canard snobinard dégueulasse ne se laisse plus lire qu'avec des gants de caoutchouc, faut-il encore qu'on déconcrisse le lisse et doux visage d'Élise Turcotte?



Tshi, le photographe, on croirait un Chinois mais ce n'est qu'un Français, j'ai eu à faire à lui déjà, il te balance une vieille Hasselblad rescapée de la guerre de Corée sous le nez puis il se met à te pomper d'un ton égal et cauteleux: «Précipite ton visage vers l'objectif! Écarquille les yeux, donne du menton! C'est bon, c'est bon!» Il a même un carré de scotch blanc collé au bord de la lentille, à l'endroit précis où il souhaite que l'on louche. J'ai posé pour des mug shots plus sympathiques que les clichés de ce sinistre kid kodak.



Qu'on fiche la paix aux réfugiés algériens et qu'on envoie Tshi faire du bertillonnage à Fleury-Mérogis.



Voir. Cet infect gang de babas débiles fout la nausée à toute la ville depuis bien trop longtemps avec la feuille de chou pourri qu'ils nous excrètent chaque jeudi après-midi. Si seulement les annonceurs réalisaient que les chiffres de distribution sont aussi gonflés que la rédaction!



Fucking piece of crap. Wouldn't wipe my dog's ass with the stinking rag.
J'aurai trente-huit ans à minuit.



Jamais je n'ai été si fort, si la force est tranquille et consciente de son inanité.



Mais si la force est appétît et joie des jarrets jeunes, alors je n'ai jamais été si faible.



Trente-huit ans, impatient sans passion, sédentaire édenté, grand poète raté, père absent payant pour maintenant, bon amant de l'ancien temps, tour à tour écrivain et brillant mais si peu simultanément, et je m'ennuie de ma maman comme à chacun de mes inexorables anniversaires.
Durer vingt ans, durer vingt ans... L'INSCRIPTION ARAMÉENNE (Jacques fils de Joseph frère de Jésus, traduction libre) SUR L'OSSUAIRE (coffre en pierre à chaux couleur sable) DONT LA DÉCOUVERTE EN ISRAËL FUT ANNONCÉE LE MOIS DERNIER, elle a duré deux mille putains d'années sans que personne ne la lise ni ne s'avise d'un quelconque intérêt. Hier, lors de son déplacement vers un musée de Toronto, la relique a craqué de partout, au point qu'on propose en rougissant d'en combler les fêlures avec une sorte de plastic limestone pigmenté, cependant qu'on blâme impacts et vibrations attribuables aux aléas inévitables d'un tel transport, et cependant que les Églises se mobilisent pour discréditer cette bouleversante trouvaille, et cependant que les actuaires font des heures supplémentaires et tout ce temps je m'interroge sur tes questions, KV: qui sait ce que durera l'écrit, et qui sait où se situe la substance de l'écrit, depuis la pensée jusqu'à son expression, et de celle-ci à l'impression produite dans l'esprit du lecteur, et de là par sa bouche de conteur jusqu'aux ouïes de ses petits-enfants? Que vaut un mot qu'on ne voudra pas lire ou qu'on incomprendra ou dont on cassera ce sur quoi il est gravé?



Impacts. Vibrations. Transports. Ya'akov bar Yosef akhui di Yeshua...
Toujours, à chaque instant me rappeler que l'on envisage différemment l'histoire, celle du monde et la sienne propre, selon qu'on est ici et maintenant ou autrefois là-bas, quand elle paraissait une possibilité fraîche et riche, non encore mise à l'épreuve, une traversée à venir dénuée de précédent, un sol en friche, un vertueux péché de jeunesse en micro-jupe d'organdi et gants de peau et rien d'autre.
Kevin, candide, m'informe qu'il compte fonder sa préface sur l'ignorance et l'inquiétude. Goutte de glace le long de mon dos large. Inquiétude que ce livre ne tienne pas le coup vingt ans, ce qui revient à ne pas se trouver suffisamment intéressant. Ignorance de mes livres précédents: il se refuse à lire de moi autre chose que Vautour, et doute cependant à voix haute que Vacuum s'encadre élégamment dans le cycle VV. Je me fâche: Tu ne vas tout de même pas me pondre un de ces travaux de bachelier finement et vitement torchés pour la note? Je te l'ai demandé à toi parce que tu sais des choses de moi que nul autre ne soupçonne. Mais si tu n'as rien compris autrement que de travers, s'il t'est impossible de concevoir que ton meilleur ami puisse être cet écrivain dont on discute et que je sois lui et qu'il soit celui qui écrit ceci, alors c'est que tu voles trop à ras de terre pour jamais t'abstraire de cette pesanteur qui t'effraie.



Arrache-toi! Pense de façon souple, sérieuse et scandaleuse! Exécute la dernière ascension, grimpe la dernière marche, pose un acte de foi, garroche-toi dans l'éther!



Si ce n'est toi, un autre finira fatalement par le faire.
Ma tribu bénéficie de moi, et moi d'elle. Un homme n'est rien sans une tribu, sinon un homme, mais rien de plus...



Hier, je me suis payé la traite.



J'ai beau conserver un appartement sur le Plateau, il n'empêche que je ne jouis plus du privilège de l'approcher à moins de 100 mètres, d'ici au 14 novembre, si bien qu'à toutes fins utiles, je me suis retrouvé en sortant de la Caisse avec une envie de chier jupitérienne et nulle part où la satisfaire dans la légalité. Christian Mistral réduit à ça: sans endroit pour chier sur le Plateau. Au PFK, fallait des clés. J'ai donc arpenté Papineau, pressé, pathétique et callipyge par la force des choses, jusqu'à ce que l'épiphanie me frappe de plein fouet: Perrazino! Paul Perazzino, mon barbier! Je suis entré dans son échope et j'ai demandé si je pouvais utiliser sa toilette, attendu que je me ferais raser de près, après...



O, Paolo! Tu rases comme au temps de Capone; la mousse menthol brûle et la serviette est chaude avant la froide, et ta main tient ce rasoir à main avec la ferme et douce décision d'un père. Tu aurais voulu que je te laisse me couper les cheveux, mais je les garde pour la durée de l'hiver. Sois donc patient, car au printemps j'irai suant sacrifier ma samsonerie sur ton plancher de formica.

1.11.02

Spider-man

Chouette journée. Première neige paresseuse, flosculeuse, enfantine. Descendu chercher du fric en ville avec Kevin. Tandis que je faisais la queue à la Caisse, il m'attendait dehors sur un banc du Parc Lafontaine et une mitraille de grêle lui a chatouillé la citrouille.



La case postale du Bunker débordait d'invitations à de capiteux partys littéraires auxquels je ne pourrai assister. Toute la fichue saison d'automne me passe sous le nez. Tous ces vins de ruelle et tous ces faux sourires, ce meilleur et ce pire qu'on soupire dans nos dos mutuels, ce nettoyage des os qui tant nous occupe ailleurs, écrivains ! Tout ça me manquera, tout cela me revient. Devrais les envoyer au voisin, ces cartons chic, qu'il en profite au moins...



Loué Spider-Man. Éric Drouin vient d'arriver les mains pleines.
Guère le choix de solliciter à nouveau l'autorisation de sortir. Chèque à changer, air à respirer, ville à fouler.

31.10.02

Piqué un roupillon. Réveillé par deux sorcières d'un mètre de haut. Bête, mais j'avais beau savoir que c'est l'Halloween, il ne m'est jamais passé par la tête que des mioches pourraient sonner ici. La seule chose dans cette maison qui ressemble à des bonbons, c'est mes comprimés d'Atasol.



Eu égard au manuscrit de Fange et Furie, Vanasse m'informe que XYZ ne publie plus de poésie pour cause de «ventes anémiques». Rien de nouveau sous ce soleil. Autrefois, je m'étais livré à un petit chantage, acceptant de lui céder Vautour s'il publiait aussi Fatalis, ce qui donna lieu à la création de la collection Papiers Collés. Mais je n'ai plus envie de jouer à ça. Irai probablement voir du côté de chez Triptyque.
Dans ce journal, dans ce roman, j'énoue l'étoffe rêche d'une existence américaine, la mienne; j'époutis son tissu et j'épince sa trame, j'aspire à vide, je vacuume.
Insomnie n'est pas qu'un titre de film à la mode.



Je lis Le jugement de Dieu, une novella avant la lettre d'Henri Troyat sur l'ordalie. Comico-tragique. Le gars ne brûle pas et en veut à Dieu de lui refuser le châtiment comme à tous ses enfants. Écrit comme on n'écrit plus, hélas.

30.10.02

Trouvé cette citation de Jean-François Champollion qui me fait penser à Kevin et, dans une moindre mesure, à moi-même: «Lorsque le monde réel pèse sur notre coeur, le monde idéal doit être notre refuge, et ce monde-là, c'est l'étude: elle nous fait oublier momentanément les dégoûts de la vie en nous transportant hors de nous-mêmes; en élevant nos idées elle double notre courage et nos jours se passent moins sombres et plus rapides.»
Chaque fois que le doute s'immisce insidieusement, je repense à cette vieille dame aux joues fraîches et rouges et rondes comme celles de grand-mère, rencontrée au Salon du Livre au début des années 90. Venant vers moi, l'oeil pétillant, elle me confia que la lecture de Vautour l'avait aidée à porter le deuil de son époux, décédé subitement après cinquante ans de mariage...



Soufflé, je méditai la portée de ces paroles. Comment l'histoire d'un type de vingt-sept ans claquant du coeur pouvait-elle s'assimiler au drame vécu par cette femme? Et pourtant, elle y avait trouvé quelque chose d'utile, quelque chose d'absolument imprévu par l'auteur.



J'ai compris, alors, ce que je ne faisais que soupçonner jusque là: c'est une erreur de concevoir un roman comme une auberge espagnole, avec de tout pour tous. Ce n'est qu'en passant par le particulier qu'on peut accéder à l'universel. Les exégètes mentent en prétendant décortiquer un texte et y retrouver les intentions de l'auteur. En analyse littéraire, on fait ainsi passer les écrivains pour bien plus intelligents qu'ils ne sont en réalité, décourageant les jeunes et protégeant la mystique. "Qu'a voulu faire untel dans ce passage? Comment s'y est-il pris?"



Demandez à la vieille dame.

29.10.02

Réveillé avec la tête d'Oscar Wilde, du moins en apparence. Me surprenant dans le grand miroir de la salle de bain, n'ai même pas osé me tourner le dos; suis sorti sur la pointe des pieds à reculons.



Le restant de ma molaire est tombé avant-hier en mâchant du saumon. Adieu, partie de moi.

28.10.02

M'a fallu tout mon petit change pour ne pas enfiler mon manteau, mes bottes et mon chapeau et aller toctoctoquer à l'huis de mon ardente Annie. Me faudra toute la lente, l'humide nuit.
K pas content.



Bougon, fait la gueule, angoisse et s'impatiente. N'a rien bu depuis deux jours. Prévoit prolonger ce comportement étrange au moins jusqu'à la fin de la semaine.



Vrai, chaque session ramène son moment de vérité, quand le bulldozer ne saurait compacter davantage; alors, K se réfugie chez lui, abstème et studieux, abattant de l'ouvrage. C'est la semaine où on ne le voit pas au Bunker.



Sauf que celle-ci, de session, se passe autrement: autant ces dernières semaines il n'avait plus de Bunker où se réfugier des Catacombes, autant il n'a plus de Catacombes à lui tout seul où échapper à la sulfureuse influence du Bunker.



Conséquemment je ne sais plus, moi non plus, où me mettre.
Radio-Canada rediffuse L'Odyssée homérique. Homère, l'aède inventeur du flash-back. Du fleuve Scamandre à la plage de galets de Dexia, revoici tout le fabuleux voyage de retour d'Ulysse, le triomphe et la démolition de l'orgueil et de la ruse.



Un journal m'a demandé de citer mon premier souvenir de lecture pour un supplément à paraître, et j'ai nommé La Bible en images, mais à y bien réfléchir, j'aurais pu tout aussi bien mentionner L'Odyssée.



Quel dommage qu'on n'ait pas programmé cette superbe série à une heure où les kids sont rentrés de l'école.

27.10.02

Ce jour d'hui, recul de soixante minutes. Maintenant et à l'heure de notre mort?



K a écrit un sonnet magnifique, Captation. Pour bien faire, c'est de cent ans que j'aimerais reculer, le temps qu'il puisse en donner lecture au Château Ramezay devant l'École Littéraire de Montréal, et que Charles Gill, Arthur de Bussières et Albert Ferland puissent le ramener chez lui en triomphe sur leurs épaules. Pas sûr qu'ils viendraient jusqu'à Parc-Extension, notez, et puis qu'y trouveraient-ils sinon des vaches et des cochons?



Rêvé que Natali avait eu un autre fils de moi dont j'ignorais tout. C'est Fantasio qui m'en faisait la révélation. Son nom: Mario-Henri. Où, dans quelles eaux boueuses va-t-on parfois pêcher nos songes?

25.10.02

Le bonhomme tombe en morceaux. Aujourd'hui, c'est la branche droite de mes barniques. Kevin a effectué une réparation de fortune avec de la résine d'époxy et du fil électrique.



Pendant ce temps, j'écoutais les débats à l'Assemblée Nationale. Ministres et députés n'avaient que le mot unanimité à la bouche. Le Québec n'aime pas moins ce concept que l'Irak. Cancer du consensus.

24.10.02

Bon Jack, l'agent. Paraît qu'ils m'ont appelé deux fois lundi matin à quinze minutes d'intervalle, sans succès. Pour cette fois, il veut bien laisser couler.



Traversant le parc Jarry pour la première fois depuis trente-cinq ans, n'ai-je pas entrevu le spectre rouge de Rusty Staub se secouant les fesses avant de claquer un coup de circuit? Et celui, plus pâle, d'un petit garçon retenant son souffle...
Yann Martel, neveu de Réginald et fils d'Émile, a emballé le Booker Prize pour Life of Pi. À croire que la littérature du ROC entretient de meilleurs rapports avec sa métropole que la nôtre. Me revient en mémoire une réception chez l'ambassadeur Martel à Paris: le caniche de Claire Dé avait vomi sur le tapis et j'étais bien content que ce fût lui plutôt que moi, pour une fois.
Sans sou ni maille. Cet excellent Bertrand Laverdure, de la revue Moebius, a mis la main à sa poche pour me tirer d'affaire. C'est K qui est allé le rencontrer hier en mon nom à la bibliothèque nationale.



Plus tard aujourd'hui, je rencontre mon agent de probation. J'irai à pied en inspirant l'automne.

23.10.02

Quelques jours ago, Marlène appelle de Floride. Je l'informe de ma situation, et comment son frère Hans l'a sensiblement améliorée. Elle raconte comment sa fille trippe sur les tounes à Dan, et sur Dan, et qu'elle lui a expliqué la différence entre auteur et interprète. «I guess I fucked the wrong guy», qu'elle dit. «That's what I always thought», je dis. Elle dit: «Sauf qu'il est plus sexy que toi, ces temps-ci». «Oui, je dis; mais moi aussi, je finirai par avoir mon illumination». «T'en as eu assez, des illuminations», elle dit. «Autrement, kestu fais de ton temps depuis le divorce?» je demande. «Je baise, mon grand. J'ai trente ans!» elle répond. «Tu viendras pour les Fêtes?» je m'enquiers. «No way! Montréal, c'est fini. J'y ai vu des choses qui m'ont trop bouleversée...» On s'embrasse, on raccroche, elle rappelle, elle ajoute: «Ma fille veut te parler! Quatre ans, mais elle se souvient de toi au Jour de l'An...» Je n'y vois pas d'objection, mais la puce change d'idée. On raccroche. Décrocher, raccrocher, what the fuck, that's our life.
Justine m'envoie une liste de suggestions gentilles pour "m'enlever les maux de la bouche": mendier sur le net (Miller, le sait-elle? faisait ça dans les magazines il y a cinquante ans; Andrée Champagne recevait des conserves adressées à Donalda, et Jean-Pierre Masson des torgnoles destinées à Séraphin...), m'adresser aux dentistes en herbe de l'université, demander à Kevin de me péter la gueule puis me présenter à l'urgence...
Idée pour Vortex Violet: une série d'entretiens avec des quelqu'uns et des nobodies et des entre-deux. Titre: Vis-à-vis.
Coup de fil d'Éric Drouin. «Dis donc, Christian, je me rappelle pas trop bien: l'autre soir, est-ce que j'ai fait le cave?»



On a tous faits les caves, mon chum. T'inquiète pas avec ça.
Seconde saleté de visite à domicile. La première, le type avait l'air d'un messager à vélo. Cette fois-ci ils étaient deux, un maître flanqué d'un apprenti. L'aîné, celui qui parlait, le faisait avec un sens de l'humour en uniforme qui réveille très mal. Quand il m'a dit que ma photo ne me ressemblait pas à cette heure-là, j'ai suggéré qu'il revienne à une autre heure.



Damnées dents! J'ai toute la gueule en souffrance.



Kevin va casser la croûte avec Catherine. Pour fêter ça, il a astiqué le lavabo. Ça m'a encouragé et j'ai récuré la cuvette.

21.10.02

Au téléjournal, le gros Bureau sédentaire et stoïque nous alarme: nos jeunes sont obèses! Nos jeunes foutent rien! Nos jeunes épaississent devant la tévé! Hypertension, ostéoporose, estime de soi dégueulasse, non mais keski sont cochons nos lardons!



Hier, Drouin est venu et on s'est un peu battus, puis K a transformé le mur du couloir en gruyère; aujourd'hui, il soigne ses jointures et sa cheville au lit, enlaçant sa tristesse, et je lui fais cuire des tartes aux pommes pleines de canelle sur la pointe des pieds.

20.10.02

Catacombes




Petit poème improvisé pour KV




Sali les mains

En dessinant parmi les taches,

Taillé chemin

à l’envergure du panache;

Les faons suivront

Demain dans son rouge ravage,

Des gens vivront

De ce qu’il aura mis en gage.

La vie l’avale,

Il la digère et la recrache

Son carnaval

S’installe à peine qu’il s’arrache

Aux chapiteaux

Définitifs et au circuit

Des cirques, zoos,

Foires, parcs et camps de gypsies.







Montréal s'automnise; la cour est jonchée de feuilles jaunes et les enfants jouent dedans, de lourdes écharpes nouées à leurs cous.



Kevin planche à toute vapeur sur une dissertation relative à l'origine des universités. Justine n'est pas venue déjeûner. Blâme le syndrome pré-menstruel.

19.10.02

Le frère de Vautour me fait signe sur le Forum. D'anciens accents de guitare me reviennent en mémoire. Il écrit que son frangin serait fier de moi. Je le crois aussi et ça me serre le coeur.

18.10.02

«It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma!» disait Churchill de la Russie, et songer à Annie me fait penser à Churchill prononçant ces graves et drôles et désemparées paroles.



D'Annie, je n'ai guère parlé ici depuis des mois. L'émoi que cela lui cause m'en retenait, et j'ai plus ou moins accepté de mentir par omission en ne mentionnant pas son nom. L'intégrité de ce Journal s'en ressent fatalement, car enfin, elle est souvent l'objet de mes pensées comme de mes conversations avec Kevin. Et je la lis toujours sur le Net avec autant d'intérêt qu'avant, même si la ferveur est différente. Script, Annie et Strohem sont diverses faces d'un seul dé byzantin qui se relance infiniment lui-même sur le tapis de jeu en annonçant banco! jusqu'à l'ultime, extatique et spectaculaire saut de la banque...



Ce printemps, pour un très bref moment béni, nous savions lire entre nos lignes, mais voici venu l'automne et je ne distingue plus la fable du vraisemblable. Voilà qui devrait l'enchanter.



D'autre part, et puisque je suis d'humeur à me confier, j'ajouterai que mon décevant héritier m'évite chaque fois que j'éprouve des ennuis qui pourraient me mettre en position d'avoir besoin de lui (l'été dernier, c'était ma jambe cassée). Pas un jour ne se passe sans que je vilipende son attitude dans la zone de mon coeur que sa naissance n'a pas transformée. Mais c'est une bien petite zone, une province attardée, sans signifiante influence sur le gouvernement fédéral de l'organe en entier.
Ce cher Hans m'a appelé et, tentant un brave mais vain effort pour maquiller sa voix, a réclamé de parler sur-le-champ au "matricule quatre-vingt-neuf soixante-huit"!



Va sans dire que je l'ai reconnu tout de suite, ça fait des années que ça dure, ces farces déficientes, mais outre qu'il ait le sens de l'humour du docteur Mengele, force est de reconnaître que son coeur est à la bonne place: il m'a demandé comment j'allais et si j'avais besoin de quelque chose, il m'a témoigné cette même amitié qui m'honore depuis le premier soir, il a fait preuve de la même grandeur d'âme qui a toujours fait mon admiration et mon envie. Quelles sont les chances, à mon âge et en ce monde, pour un homme d'en connaître un autre dont il souhaite émuler les qualités? Minces, voilà ce qu'elles sont. Je suis si veinard que j'en sens bon.

17.10.02

Réjouissante nouvelle! Tardive et juste et excitante annonce! Claude m'apprend que Pierre Thibeault a enfin été nommé pour de bon à la rédaction en chef de l'hebdomadaire ICI. Ça a dû se faire sauvagement ce matin ou hier après-midi (ce journal a tout juste un lustre et deux semaines d'âge et son histoire est jalonnée de cadavres), car il n'en est fait aucune mention dans l'édition d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, je viens d'appeler le promu pour le féliciter et lui recommander de surveiller ses arrières, où ne sauraient manquer de se tapir à l'affût deux ou trois louveteaux avec couteaux (affûtés) et fourchettes (pointues). Thibeault ne s'encombre pas d'idées reçues, sa curiosité n'est en rien inhibée par son érudition et l'esprit vigoureux qui gouverne sa plume peut redonner au journal un peu de rose (aux joues) et d'épine (dorsale).



D'autre part, Wajdi Mouawad publie le roman sur lequel il travaillait déjà de l'heureux temps où j'étais avec Gil-France et qu'il venait faire son tour à la maison. Ça me cause, encore là, une grande joie.



Ai dû me faire violence (en état de légitime défense) et solliciter l'autorisation de sortir auprès des services correctionnels. Suis aller chercher le chèque de la SODRAC. Il ressort que le plus gros des droits provient de l'usage de Soirs de scotch par le Ministère de l'éducation du Québec (ne me demandez pas ce qu'ils en font)!



Puis, j'ai fait des courses à la course afin d'être de retour pour seize heures. Ils viennent juste d'appeler. M'ont demandé ma date de naissance. Ne me laisseront pas l'oublier.

16.10.02

Les premiers résultats du référendum irakien sur sa reconduction septennale donnaient Saddam Hussein, dit l'hidrosadénite, gagnant avec 100% des voix. Un recomptage minutieux révèle qu'il s'agit plutôt de 103%. Doublevé, dit le saprophyte, est s(c)eptique.
Ne sais vraiment pas trop quoi dire, et encore moins comment l'écrire, sinon que la vie en demande beaucoup à mon ami ces temps-ci, et que cette nuit la vie avait mes traits, la truie, la gueuse, l'impénitente émanation d'un dieu caduc et barbaresque, et qu'on me pende si ce diable de rouquin surnaturel n'a pas tout encaissé costaud avec le flegme d'un prytane et l'élégance d'un grand seigneur. Sourire en coin, presque, mais je n'en pourrais jurer. Tout juste comme s'il m'en préparait une bonne.



Plus tard, j'ai reçu par messager six feuillets recto-verso couverts de questions, de colles, de clés: c'était signé Circius, Emmanuel, et ça sentait sa conspiration criminelle à dix pas.



D'abord, Manu ne m'écrit rien à la machine.



Ensuite, plusieurs des points soulevés s'écartaient de ce qu'il sait, voire même de ce qu'il peut! Ce drôle, ce cynique, ce revenu-de-tout n'aurait pas pu pondre ces pages aujourd'hui. Il ne les a plus en lui. Je le connais. Je le sais.



Or, cet interrogatoire trahit une telle candeur-du-début-de-la-vie, d'idéal éclatant qu'aucun temps n'a terni, de prétention franche et d'appétits-Iscariotes en malstroms, un tel esprit étanche à l'attrait des litotes et aux dangers du rhum, que je me résous à croire que Kevin et EC s'étaient entendus pour que le premier agisse et que le second signe.



Ainsi soit-il. J'y répondrai, puisque mon livre en sortira meilleur. N'empêche que ces deux conjurés du dimanche m'ont rappelé qu'on ne peut m'aimer sans détours, ni faire mon bonheur autrement que par la force et le recours au secret. Ne savent-ils pas que je m'en serais passé?

15.10.02

Oui, bien sûr, il y a le diabète, et l'obésité, mais manger sucré facilite sacrément le lavage de vaisselle: toute la merde se dissout au contact de l'eau chaude.



K me noue le torchon autour du cou et me présente le miroir: écharpe artiste et crasseuse, jaune passé, Saigneur j'ai commencé plongeur et plongeur je finirai!



Confirmation SODRAC de sous qui rentrent. J'appelle Steve.
Ce soir, il semble qu'on mange de la morue. «Encore?! rugis-je. Et comment tu la prépares, cette fois-ci?»



«Eh bien, de répondre K, voilà où j'en suis: je la dessale, je la dépiaute, je la découpe, je fais cuire des patates et puis ensuite j'appelle ma mère...»
Une fois rendu à l'université, ce vieux K l'a trouvée désertée. Pas un chat. Il avait oublié la semaine de relâche (à cause de sa propre semaine, sa semaine dernière, de relâche). «Là, je me suis trouvé tata en tabarouette! Enfin, pas tellement tata, mais juste assez pour y voir un signe du destin...», me confie-t-il à son retour, un tiers penaud, un autre sur la défensive, un dernier moqueur. Auparavant, il m'avait adressé un courriel intitulé Fatum buissonnier: Le contre-courant, le vrai rebours, l'ultime manière de se ménager une existence en marge, c'est de boire sans répit quand les classes ont lieu, de se rendre aux cours, comme aujourd'hui, lorsque débute la semaine de lecture, les vacances... Jarnidieu!



Jarnidieu, indeed.



Quand au message, l'alerte s'est révélée fausse, mais je reste aux aguets.





Y a un message sur le répondeur et Kevin est parti et j'ai oublié le code pour le prendre et merde si c'était le contrôleur comment ai-je pu ne pas entendre ce putain de téléphone! Ma liberté ne tient qu'à ce fil torsadé...

14.10.02

À la Poly, ils ont manqué de peinture pour finir tous les murs et K est revenu tôt. Très content, de l'argent dans ses poches. Il n'avait pas décapsulé sa première bière quand le téléphone a sonné: un flic de la SQ du Cap-aux-Meules lui rappelait gentiment qu'à défaut d'acquitter l'amende pour consommation d'alcool à l'intérieur d'un véhicule (contractée à l'âge de dix-sept ans), on se chargerait de ramener son postérieur madelinot derrière les barreaux locaux.



Son pécule fondu comme mousse de pilsener, K s'en est allé au marché avec le reste afin de renouveler nos provisions. On va manger de la morue salée et séchée (sur des engins qu'aux Îles on appelle des vigneaux), puis je ferai cuire un gâteau du diable.
Claude André, mon vieux frère, mon paquet de troubles, publie sur le net un commencement de roman: J'me barre à l'aube. Claude dont tout le malheur sera d'avoir été trop beau. Me touche toujours, m'a toujours touché. J'avais vu le début de ce livre, mais j'ignorais qu'il eût déjà tant travaillé. Les premières pages, un peu brouillonnes, témoignent de cette lucidité acide qui vient brusquement un beau jour aux brillants ivrognes de haute volée. Trouvera-t-il en lui-même la fortitude de mener cet ouvrage à son terme? Ses femmes lui en laisseront-elles la force, ou se laissera-t-il sucer toute la gomme?
Notre Action de Grâces, fête des moissons, précède le Thanksgiving états-unien de plusieurs semaines (quatrième jeudi de novembre) parce qu'on se gèle déjà les couilles dans ce pays à cette époque-ci. La même logique est derrière le Noël des campeurs.



Encore un mois et je rentre au Bunker.

13.10.02

Assis dehors dans le répit d'octobre avec un gros Ludlum, à portée d'ouïe du téléphone, prêtant l'oreille aux piaillements des oiseaux et des enfants sri-lankais, respirant à fond. Ressentant les premières atteintes du syndrome de Stockholm, désirant stupidement que ce téléphone sonne et qu'on s'assure que j'y suis.
À la rubrique espale, le Larousse du XXe siècle en six volumes (1933, reliure pleine peau, négocié pour cinquante dollars par Kevin dans un bazar) donne: «Plate-forme des galères comprise, de chaque bord, entre le dernier rang des rameurs et la poupe.» Ces compagnies de tabac ont un sacré sens de l'humour.



Pas de nouvelles de Vanasse au sujet de Fange et Furie, ni à quelque autre sujet. Impression qu'il prépare sa retraite, ou qu'il se lasse de l'édition, ou de moi, qui ne suis plus un écrivain de la toute première fraîcheur.



Mes chaussettes bâillent aux orteils.

12.10.02

Cousin Jean-François, coeur d'or vingt-quatre carats, est venu me porter deux paquets de clopes et une bouteille de ketchup, plus tout ce qu'il faut pour faire un pâté chinois. Le temps d'en griller une, il m'a aussi montré comment amplifier mes fichiers audio. Cette journée s'améliore de minute en minute.
Tranquillement, tranche par tranche, un couteau à la main, je fais un sort à la poire d'une livre, je mâche longuement et je suis dans la lune... D'accord, j'ai pas le droit de boire, mais fumer? Sauf qu'il reste plus une miette de tabac, et pas question de traverser la rue pour aller en acheter, des fois que Big Brother rappliquerait (l'a pas appelé depuis deux jours, doit préparer un coup de cochon).



Je m'ennuie presque de L'Espale, le tabac des indigents qu'on distribuait parcimonieusement en prison. Ça goûtait la patience et le cri dans la nuit.



Hier, avec K (son maillot Save water, drink beer sur le dos), on a eu un flash pour stimuler mon travail sur Origines: il va ravaler son motton, faire abstraction de l'épidermique inimitié qu'il éprouve pour l'homme et se rendre voir Circius au Delta, durant l'escale-éclair que celui-ci fera lundi, entre sa conférence ici et celle de Lowell. Il le convaincra de faire comme s'il ne connaissait pas déjà les réponses, et de m'adresser par écrit une série de questions littéraires absorbantes sur lesquelles je me pencherai, m'étendrai, me laisserai aller. Montrez-moi juste un raccourci et me voilà ragaillardi!

11.10.02

Exit Mario. La joie qu'il soit venu me voir, ce vieux renard, si peu expansif d'ordinaire, et qui m'a serré dans ses bras avant de partir, mon courrier à poster dans sa poche.



Il s'apprête à se délester d'une grosse crotte qui lui ronge le coeur depuis quinze, vingt ans: une histoire authentique de la ville de Sorel, verrues et tout.



Appuie mon refus de sortir d'ici, même trois heures par semaine pour faire les courses, s'il me faut pour cela quémander la permission.



Par ailleurs, Justine m'informe que mes fichiers son sont à peine audibles. Besoin de consulter d'autres sources, d'autres machines.



Dernière heure: KV arrive, croise Mario sans le voir, harassé; prend son courrier, trouve une enveloppe de Justine pleine de goodies. Justine rouge, Mère Noël...
Ajouté un petit fichier vocal, un fichu, traitant de mon père, de marteaux, de plumes et de rasage (de maisons).
Il y a quelques années, j'ai cédé une partie de mon catalogue de chansons pour acheter des bonbons. L'acquéreur, un éditeur ravi de l'aubaine, s'assurait ainsi de la moitié de mes droits à perpétuité contre une pitance. Plus tard, il a revendu cet actif avec profit et m'a avancé une certaine somme à rembourser sur la source, soit mes redevances trimestrielles. Or, je viens d'apprendre que le solde est acquitté et que la SODRAC va recommencer à me verser mes royautés sur chaque disque vendu. Pensée émue pour Luce, Dan et Isabelle.

10.10.02

Mario nous écrit qu'il vient à Montréal demain, et est-ce que K et moi aimerions de la visite? On croirait qu'il arrive de San Francisco plutôt que de Longueuil.



Tu parles, Charles, si j'aimerais de la visite! Quant à K, il s'en va peinturer une Polyvalente. «Tu pourras plus dire que je suis pas allé à l'école cette semaine!»



Ce soir, on a appris en zigonnant à créer nos propres fichiers vocaux. J'inaugure donc une nouvelle page, Vocalises, avec le texte de WTC, paru dans Le 11 septembre des poètes du Québec.



Travail dans la pénombre. Mes Madelinots m'ont tenu éveillé toute la nuit, à boire, écouter de la musique et se promettre vainement d'aller dormir après la prochaine bière, la prochaine toune, la prochaine guerre. L'un ronfle sur le plancher à cette heure; l'autre, mon favori, dans son lit de fer. Pas allé à ses cours. Va s'en vouloir (tant mieux). Va reboire pour effacer l'inconfort.



Toute la nuit j'ai maudit le jour où je me suis assis pour écrire Boîte à bijoux, chaque fois que Maxime la remettait sous prétexte qu'elle lui donne des frissons. Quand il a su que j'étais aussi l'auteur de Soirs de scotch, il ne se tenait plus, alternativement accusant Kevin de le mener en bateau et répétant pour lui-même: «Je peux pas croire que je suis assis à côté du gars qui a écrit ça et qu'il est couché juste derrière moi...»



Vers les sept heures, quand j'ai finalement pu fermer l'oeil, le téléphone a sonné: un nouvel agent de surveillance me présentait ses respects (et me demandait le prénom de ma mère) avec la voix de CGDR.

9.10.02

Montré à K comment utiliser une éponge sur ses dessins à l'encre: que le mouvement soit!



J'approche du trente-huitième an de mon âge. La poire mûrit.
Le livre comme agrégat géologique, sédimentaire et stratifié. Fascinant d'assister à sa formation définitive. Avec K, on a imprimé les 125 premières pages, y compris les exergues, la dédicace, le faux-titre et une couverture couleur. Me suis amusé comme un débutant.



Kevin m'a acheté une sorte de poire palermitaine d'une livre, en tous cas c'est piriforme: je vais passer la journée à patiemment la regarder mûrir sur le comptoir.

8.10.02

K arrive et me parle du Journal: je lui ai commandé une préface et sa cervelle carbure à gros bouillons. «Ça se tient! s'écrie-t-il. C'est un roman! C'est fascinant! Je comprends, maintenant. Tu lis les Annales romaines de 242 avant J.-C.: en elles-mêmes, elles ne révèlent pas grand-chose sur la logique historique (si tant est qu'il y en ait une). Mais compare-les aux Annales du siècle entier et un pattern se dessine. La récurrence du quotidien, les bases sur lesquelles il se tient amènent une existence vers quelque chose qui la dépasse! Les gens, me disais-je, vont se dire: "Qui c'est ce con qui étudie et qui peint des écoles pour boire?", sauf qu'à te lire, ma foi, on comprend, JE comprends: voilà le dessin d'un protagoniste consistant, cohérent, conséquent bordel!»
Jean-Paul Brodeur, professeur à l'Institut international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, publie un texte dans Le Devoir intitulé la torture aseptisée. Il conclut à la vacuité de la notion de crime, "quand on la rapporte sans plus à des actes. Même les actes les plus barbares peuvent être tantôt dénoncés et tantôt légitimés, selon qu'ils sont perpétrés par un dément ou par l'État."

Last night, cocktail lytique de songes étranges...



Deux hommes dans un souterrain: un vieil écrivain, un jeune qui le devient. Ils s'imbibent soigneusement de whisky et de vodka jus d'orange. Songe étrange. Quelque part dans la nuit, le cadet bien beurré cuit de la bouffe pour dix, persuadé que plein de gens imaginaires errent dans l'appartement. Et de discourir, et d'engueuler cette légion d'échansons et d'anagnostes fictifs.



Au midi, le vieux tire le jeune du lit avec un café rince-cochon: ils sont contents, gueuledeboisés, libres. Le kid part pour l'école, flagada, flasque pleine dans sa poche de paletot, et l'ancêtre fait le ménage en songeant aux seins de Justine et à la croupe d'Annie et inversement (il a très faim).



Il vit dans un vacuum, superbe et panaché dans sa soupente prêtée, se prenant pour Mistral. Rien à déclarer? Si: je suis de très bonne humeur.

7.10.02

Kevin a dégotté une bouteille de whisky de contrebande chez un dépanneur des environs, de quoi remplir la flasque d'acier inoxydable que je lui ai offert la semaine dernière (pour les lendemains de veille à l'université).



Le plus dur, dans ma raspoutitsa, c'est d'être obligé de répondre au téléphone durant la sieste, au cas où il s'agirait d'un agent de surveillance.
K parti faire notre lessive, mon unique pantalon dans sa besace. Je tourne en rond de long en large aux quatre points cardinaux des Catacombes, un pour chaque point de suture qu'a requis mon voisin (Hans: «Y a des docteurs qui cousent serré!»)

6.10.02

Aujourd'hui, j'ai eu droit à une visite correctionnelle à domicile.



Calculé que je serais libre de sortir le 14 novembre, à temps pour le salon du livre.
Lecture de chevet (de toilette, en fait): Éloge de la fuite, du prof Henri Laborit. Tant qu'à vivre comme un rat, aussi bien comprendre comment fonctionne le laboratoire.

5.10.02

Téléchargé un reportage de Radio-Canada sur les peines à purger dans la communauté. Cette forme de sentence n'existe que depuis 1996; en 2000, une décision de la Cour Suprême en a renforcé l'aspect punitif et la surveillance. Un gars disait qu'à son avis, la grosse différence entre une assignation à résidence et la prison, c'est les barreaux. Pas d'accord. Pour moi, c'est le privilège d'être seul ou seulement avec des gens qu'on aime.
Kevin est parti prendre mon courrier et ma bouteille de ketchup au Bunker, de même qu'une provision de bouquins à la bibliothèque.



Hier, préparé mon pâté chinois pour les Madelinots. Succès fou. Maxime, inquiet que je ne me joigne pas à eux, à Kevin: «Est-ce que Christian mange toujours froid?»



Petit, Nick Landré accompagnait parfois son père Claude en tournée des cabarets. Après le show, en coulisses, on leur servait un repas passablement tiédi. Au gamin qui s'en plaignait, son père rétorquait: «Les chiens mangent froid». Dans une chanson écrite pour Nick et inspirée de cette anecdote, j'ai ajouté: «ce que les loups alourdis leur laissent...»

4.10.02

Woop-di-doo! 09:15 ce matin, première vérification téléphonique de mon sursis. Le type au bout du fil jovial comme si j'avais gagné à la loterie. Kevin, réveillé par la sonnerie, trouvait ça moins drôle.

3.10.02

Kevin et Mario discutent de l'internet. Mario recommande d'inscrire nos sites sur des moteurs européens et de penser globalement, tout en soulignant le risque de voir ainsi se dévaluer la propriété intellectuelle. Kevin rétorque qu'il s'agit là d'un nouvel humanisme. «Quand Christian a commencé à m'initier à l'internet, j'avais les mêmes inquiétudes, et puis je me suis rappelé la fois où, il y a cinq ou six ans, je m'étais retrouvé envahi par mes propres tableaux. Tu sais ce que j'ai fait? Je les ai alignés sur le trottoir devant chez moi, le jour des ordures. Sur l'heure du midi. Puis, je me suis installé sur le balcon avec une petite bière, et j'ai attendu. Les gens passaient, les regardaient, les emportaient. Quand le camion s'est pointé, il n'en restait plus un seul! L'internet, c'est pareil. Dieu seul sait (et le diable s'en doute) où le fruit de notre esprit circule, mais il circule!»
Visite de Mario, apportant un câble USB à Kevin pour sa nouvelle imprimante. Ai réparé ses archives blog. On évoque notre première rencontre, dans un café philosophique: quelques semaines plus tard, le croisant, je le replaçais difficilement et l'avais pris pour mon agent de probation.



Je lui explique que je suis sujet à des visites aléatoires du personnel correctionnel. «En cas d'urgence, fait-il, brosse-toi la langue!»

2.10.02

Bonne occasion de réfléchir sur l'importance relative des divers ingrédients de l'existence. Je n'ai le droit de sortir que pour les "nécessités de la vie". Quelles sont-elles, aux yeux de la Cour, donc de la communauté? Nourriture et exercice d'une religion. Pas de farce. Si je témoigne de Jéhovah, je peux faire le tour de la ville à pied en frappant aux portes. Hare Krishna: je peux passer mes journées à Dorval. Wicca: chaque nuit tout nu sur la montagne. Et le culte de Dionysos?



C'est pas drôle d'être athée, apostat de surcroît...

30.9.02

Ç'aurait pu être pire, je suppose...



Comparution ce matin. Plaidé coupable. Sentence: mon refuge transformé en prison. Pour les prochains quarante-cinq jours, je suis assigné à résidence dans les Catacombes de KV. Heureusement, le geôlier est sympathique et point trop sourcilleux.



À part ça, Sa Seigneurie m'a souhaité bonne chance pour mon livre. Je suis revenu à pied sous la pluie, une pluie très fine, ç'aurait pu être pire. J'ai croisé Bertrand, qui me cherche partout depuis un mois. Son père est au plus mal. Il y a des fois, ça ne peut pas aller plus mal.

28.9.02

Pas moyen de mettre la narine dehors sans tomber sur la mine réjouie de Johnny Taxi, ce bon gros pégrillon libanais aux chemises de soie éblouissantes qui faisait ma vaisselle quand j'étais déprimé. En voilà un que la taule n'a pas découragé de sortir.



Suis passé voir JF qui réglait la sono d'une copine chanteuse dans un café bistro rue Beaubien. M'a prêté des sous. La famiglia è sacra!



Au retour, croisé Pat Lebel devant son nouveau magasin d'électronique qu'il inaugure lundi. A pris de la bouteille. M'a fait faire un bout de chemin en bagnole.



Suis passé par le Marché Jean-Talon obscur et déserté; un seul étal restait ouvert. Ai acheté un panier de poires abîmées pour un dollar. Loué deux DVD chez Blockbuster. Maxime, l'autre Madelinot, vient d'appeler pour annoncer son arrivée avec une caisse de 24. Let the good times roll.



Pas écrit une damnée phrase. Tout le talent du monde et toute la puissance créatrice et tous les gimmicks ne remplaceront jamais la discipline dont je suis dépourvu. J'ai honte de ne pas travailler, je ne travaille pas parce que j'ai honte.
K parti garder sa nièce. Fini les folies: je m'asseois et je travaille. À moins que j'aille faire une promenade.
On a dormi douze heures récupératrices; les Catacombes sentent l'homme, l'étable et le cadavre, comme il se doit. Sabbat morne et pluvieux. Quête de chance et de pognon. Le bon vieux temps, c'est peut-être maintenant.

26.9.02

Ce soir, Kevin est allé boire un pot chez Zeffino, histoire de lui remonter le moral dans l'épreuve galante qu'il traverse, et aussi de scanner quelques monotypes par la même occasion. M'a informé qu'il ne rentrera pas dormir. Comme il disait à Eddie, quand Eddie vivait ici et qu'il venait chez nous. Angoisse d'amour. Snif.
J'émergeais de la rencontre de groupe, la tête pleine d'arguments convaincants, les mains pleines de prospectus, quasiment décidé à me chercher de l'ouvrage, quand je me suis retrouvé en plein bouchon de circulation, tout un trafic de travailleurs harassés pressés de rentrer à la maison, tout un banc de poissons pris au filet, et la cacophonie des klaxons m'a choqué, j'ai jeté la paperasse dans une poubelle proche et je me suis enfui à toutes jambes en direction de la bibliothèque.
Cet après-midi, convoqué par la sécurité (du revenu) à une rencontre de groupe. Objet: réinsertion au travail. Je n'ai rien à perdre et tout à gagner: des fois qu'ils me diraient comment me remettre à mon livre!

25.9.02

Enrichi ma recette. Ajouté de l'Atasol. Toutes mes blondes en ont pris pour leurs douleurs menstruelles, qu'elles comparaient à des rages de dents.



Émaillé la journée de roupillons. Kevin s'amusait avec Tirésias (l'ordinateur), à créer des merveilles comme ce Chromo:

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© 2002 Kevin Vigneau




Et, non, on n'a pas pris d'acide.
Quand Justine m'a appris qu'elle allait chez le dentiste et que je me suis écrié: «Chanceuse!», elle a cru que je blaguais. Je me lève la nuit pour me concocter des cocktails d'Advil et d'Oragel.



K me décrit les senteurs de l'automne et je ferme les yeux.

24.9.02

Dans sa chronique d'aujourd'hui, un papier revenant sur l'affaire Péan et mettant en cause André Vanasse, Pierre Foglia me qualifie de poids lourd de notre littérature. Faut vraiment que je me mette au régime.
Miracle! J'ai vu un homme passer de l'âge de pierre à l'ère du silicium en quelques secondes. Kevin, ce pêcheur, ce navigateur, vient de se gréer d'un G4 puissant comme un galion espagnol, toutes proportions gardées. Pour ma part, je nous ai branchés par modem téléphonique sur mon compte internet par câble, et nous voici back in business. Toutes proportions gardées...

21.9.02

En temps vrac (Vraiment râflé aux cochons):



-Cesser de répondre à Hans que tout est bien là-bas, dans le sous-terrain, ce qui est vrai en quelque sorte, mais enfin, ça ne peut pas durer, Kevin en a déjà fait plus qu'assez, et je veux très fort rentrer, chez moi, chez moi! Mon vieux bochu Robin des Bois comprendra ça, il plaidera, il feulera, il me fera rendre mes clés, et rendre gorge à ces curés!



-Parlé toute la nuit avec KV d'une pièce de théâtre mettant en scène deux ivrognes dont l'un attend sa mère. Avons ajourné quand sa mère est venue le chercher.



-Sensible, ce rouquin dur, sensible et frère et si fâché que je m'en veuille retourner faire office de cobaye pour une transnationale pharmaceutique. Prêt à vendre son sang plutôt que de m'imaginer louant le mien, et refusant d'envisager la rouge, ferreuse loi du marché.



-Vais fournir un livre étrange et palpitant à ce Lévy de Trois-Pistoles. Probablement, du moins c'est ainsi que je le (re)vois maintenant, une conjonction de ce Journal et d'Origines...



-Claude, amoureux pour la première fois de cette façon et souffrant de l'absence temporaire de Sarah, se désennuie en convoquant sa députée à venir lui changer un chèque à domicile. Attention les enfants: cet exploit est réalisé par un professionnel et il n'est pas recommandé d'essayer ça à la maison sans la supervision du Directeur Général des Élections.
Je vous écris de là où j'en pourrois pâtir si ça venoit à se savouir. J'ai point le droit, j'ai point le jouir de gratter le moindre mot depuis ce lieu-ci, ancien lieu saint. Pour tout dire, et juste au cas où on vous le demande, c'est K qui tape ceci depuis là-bas, sauf que c'est faux, sauf que c'est safe...



Bon, doux bordel, que voici assez de langage codé entre nous! Juste assez pour confondre les inquisiteurs, juste pas trop pour mes lecteurs. Faut que je chuchote en clavardant, mes enfants, faut pas que je tousse, faut pas que je recule ma chaise de telle façon qu'elle érafle, sonore, la marquetterie, bref faut que j'éteigne mon cellulaire et toutes les cellules tonitruantes en moi, de même que les murmuratrices, tout ce qui trahirait mon infraction aux aimeux de police.







20.9.02

Je l'ai déjà écrit, je vais un peu à l'université par procuration, à travers Kevin. Il m'apporte beaucoup. Cette semaine, il m'en a rapporté une grippe carabinée. Chu malaade!



Son prêt-ordinateur approuvé, on part en expédition de shopping au mastodonte.

18.9.02

Hier, comparution pro forma en cour municipale, remise au 30 avec assignation de témoin. C'est pas demain la veille que je redormirai au Bunker.



Kevin a invité deux amis Madelinots et ils ont improvisé une java d'enfer avec tapage de pieds et jouage de cuillers en bois et chansons à répondre et niagaras de bière.



Les productrices m'avisent que le travail sur Vago ne recule pas.

15.9.02

Provenance: bibliothèque du Patro Le Prévost, tandis que KV lit des BD à la table à côté.



Hier vers les cinq heures, après avoir peint un huitième d'une toile à l'huile, Kevin s'est mis à tourner dans les catacombes comme un lion en cage assoiffé de sang chrétien. «Faut que j'me soûle la gueule, faut que j'me soûle la gueule», psalmodiait-il, et ainsi fut fait; cependant qu'il s'imbibait consciencieusement, je lisais Sherlock Holmes.



On a passé la soirée à écouter ses vieux disques, les voix éraflées de Renaud, Ferré et Georges Dor, Dylan, Charlebois et Georges Langford, Styx, Simon & Garfunkel et Georges Moustaki. À la fin, très émus, on s'est remerciés de ce qu'on faisait l'un pour l'autre. Rendu au concerto no2 pour violon de Mendelssohn, il m'a lâché que ce qu'il trouve bien chez moi, c'est ma façon de transcender ce qui s'incruste dans le réel. Je me suis endormi aux impossibles arpèges de Rachmaninov.

14.9.02

Hier, rencontré Hans au marché Jean-Talon pour discuter de ma défense. Un vieux vendeur itinérant a réussi à lui faire acheter deux paires de verres fumés. On a bien ri en relisant le rapport de police où il est fait mention qu'à leur arrivée, quelqu'un (Kevin) frappait à ma porte avec une bible (Lolita!)



Kevin est revenu tôt de son contrat de peinture, exaspéré par le vieil Israélite qui le suivait partout en le pressant, anxieux de voir le travail prendre fin avant la tombée du jour et le début du shabbat.



En veine de grande bouffe, il a préparé un gigot de mouton auxquels Mario et Steve furent conviés. Ni l'un ni l'autre ne s'est fait prier et on a passé une très agréable, très médiévale soirée, sur fond de cassette des Rois Maudits. Mario m'a remis le premier exemplaire du Moebius dans lequel figure son texte, dédicacé aux presses du Bunker, ce qui m'a touché. Je travaille maintenant à marier Kevin à la revue Estuaire.



L'autre nuit, écrit seize pages d'Origines. Aucune idée encore de ce qu'elles valent.

12.9.02

D'autre part, et dans l'intérêt d'être tout à fait franc, j'ai passé toute cette obscure soirée à lorgner le généreux corsage de Justine à ma dextre, et à me marrer avec KV à ma senestre. Justine avait fumé un gros pétard gras juste avant le show et rigolait (ON VA S'AMUSER, OUEEEHH!).
Là où je suis, la radio diffuse un discours de Castro qui ne fait rien pour favoriser la concentration.



Hier, lancement à la Bibliothèque Nationale de Le 11 septembre des poètes du Québec, un recueil paru chez Trait d'Union dans lequel je figure. Fait un bout d'entrevue avec Danielle Laurin pour Bouquinville, l'émission radio de Stan Péan.



Préparé un pâté chinois pour lutter contre mon mal du bunker. A fallu dévisser les poignées, susceptibles de fondre, pour mettre le plat au four. Kevin n'est pas équipé pour ça.



Désireux d'ajouter un beau livre à sa somptueuse bibliothèque, et venant juste de recevoir son prêt étudiant, il a finalement opté pour une édition originale de la suite des Mille et une nuits dont, improbable Schéhérazade, je lui ai fait la lecture pour l'endormir.

9.9.02

Suis venu à l'université avec Kevin. Passant devant mon ancien appartement, rue Édouard-Montpetit, ai cru croiser les fantômes vamps de Blue Jean, Baptiste et Fantasio...



À l'U de M, le ratio mecs/nanas est de 1 pour 3. Le pouvoir de demain. Les gars décrochent longtemps avant d'arriver ici. Selon K, c'est dû à ce que le système soit fait pour elles: depuis qu'on n'a plus le droit de se bagarrer durant la récré, aucun garçon survolté n'est capable de se concentrer l'après-midi.

7.9.02

Justine et mon père m'ont montré comment ramasser mon courriel à distance, mais tous deux ont omis de me mettre en garde contre le piton qui efface tout d'un coup (ils me croient très intelligent). Aussi, vous qui m'avez écrit depuis dix jours, serez-vous gentil en m'adressant copie conforme, aussi peu pertinent le propos vous paraisse-t-il: c'est, comme on dit, le geste qui compte.
Juste avant de pénétrer ici (W.U.), je me suis assis sur un banc public en fumant un mégot pour songer à ceci: c'est la première fois de ma carrière que je paie ou me déplace pour le privilège de publier. La première fois depuis Genèse d'un poète, quand j'avais quatorze ans, une foi fumante et l'argent accumulé en plongeant.



Jeudi, lancement collectif des Forges, fini chez le fils de Dyane Gagnon, compagne de ce cher vieux Yves Boisvert. Kevin s'est réconcilié avec Marc-Aurèle.



Cette nuit, rêvé de Natali telle qu'elle était il y a vingt ans, la dernière fois que je l'ai vue, et notre fils était présent, tel qu'il est maintenant. Par deux reprises, je les ramenais à la maison en métro, mais chaque fois j'arrivais seul, ma famille évaporée.



Je fais du camping chez Kevin, je dors au pied de son lit de fer sur un tapis turc que nous nous sommes fait une joie de battre dans le jardin. Je vis dans sa vie, qui est une somptueuse bibliothèque et un refuge contre les fragiles valeurs de l'extérieur. Ce matin, tandis qu'il était sorti travailler au noir, j'ai passé l'éponge sur la photo de ses parents enlacés, qui trône sur mon magnétoscope, qui trône sur sa tévé. L'autre soir, mon ami, des sanglots de colère plein la voix, échangeait au téléphone avec sa mère sur l'anéantissement de leur lignée, symbolisé par la perte de quelques ultimes arpents de terre madelinote. Je n'ai pas souvenir d'avoir tant partagé la peine d'un tiers. Pour ma part, ma mère m'a raccroché au nez cette semaine, lorsque après lui avoir fait part de mon arrestation (pour me prémunir contre l'accusation coutumière de lui cacher des choses), elle a réagi par des reproches et des leçons dont je lui ai dit que je n'en avais pas besoin de sa part. Des cours sur l'art de ne pas effrayer son voisin? D'elle?



Parlé avec Hans, qui a aussi appris quelque chose de mon récent désagrément: un avocat qui plaide au criminel et qui accepte un mandat de l'aide juridique doit acheminer à celle-ci le même jour sa requête de paiement par voie de fax. Je me réjouis tellement d'avoir insisté auprès de ce vieux H pour qu'il passe son examen du Barreau!



4.9.02

Kevin lessive ses fringues schlinguantes à la buanderie adjacente. Il vient de passer faire un tour cependant que je cherchais le code de l'accent grave sur ce clavier anglais.



Justine a su la raison de mon silence; ça me rassure qu'elle soit rassurée. Quant au petit cadeau glissé sous ma porte, je ne peux guère en parler sans rompre les conditions de ma libération.



Nulla dies sine linea. Pas un jour sans une ligne. La devise préférée de Zola, et la mienne ces temps-ci, même si je doute que nous parlions de la même chose.

3.9.02

La fédération mondiale de bridge vient de retirer sa médaille d'argent à une championne ayant refusé le test anti-dopage. Les officiels nient pourtant, de façon absurde, que l'usage de drogues puisse améliorer la performance. Comme si turbo-compresser le jus qui irrigue les neurones n'agissait en rien sur la créativité.



J'écris depuis un bureau de change de la Western Union, comme Miller à Paris en 1932. Attendant un (re)virement. Kevin a commencé sa session ce matin avec un cours sur l'Histoire de l'Antiquité. Je loue des films chez Blockbuster et je mange à m'en éclater les tripes, avec une pensée pour les pauvres types emprisonnés dans la puanteur de Rivière-des-Prairies. There but for the grace of God goes I...

2.9.02

Nouvelles à la sauvette...



J'ai fait quelques jours de cabane suite à un désaccord avec mon voisin sur le volume de sa musique d'élection. Ce n'est qu'à l'amitié lumineuse de Kevin et aux talents de plaideur de Hans que je dois ma remise en liberté d'ici la fin des procédures. Toutefois, il m'est interdit de rentrer chez moi et je vis chez Kevin en attendant que les choses se tassent. Privé d'ordinateur, je ne pourrai probablement pas alimenter le Journal autant que je le souhaiterais.



Semper fidelis.