Good fucking morning to one and all. Deux trois jours que je rédige des communications délicates comme l'égo d'un papillon, des textes dont le mécanisme fait passer l'horlogerie suisse pour de la construction de cabanes en bâtons de popsicles. J'ai l'esprit en feu (pour de vrai, et c'est très dangereux, c'est la fièvre et ça fait mal, l'esprit qui brûle, quand on le sent se consumer, quand ça sent le chauffé parce qu'il carbure à fond de réservoir sur l'odeur de lui-même).
Faut que je me détende un peu. Que j'écrive juste pour m'amuser. Voyons voir ce sur quoi je pourrais bien me défouler...
Tiens, ceci fera l'affaire.
Des groupes religieux jugent la question du mariages des gais trop importante pour être laissée aux seuls politiciens. C'est dans La Presse de ce matin, faute d'accord y compris, et c'est accompagné d'une photo de deux mecs qui viennent tout juste de se marier, on dirait bien qu'ils sont contents, on dirait pas qu'ils sont conscients des périls de l'amour promis, en fait on dirait surtout qu'ils viennent de gagner un procès, et c'est bien sûr un peu cela, sauf que c'est pas la même joie, c'est comme les gens qui viennent au monde à Noël, ils profitent jamais tout à fait de leur anniversaire, et je me demande de quoi, dans vingt ans, le couple conservera le plus vif souvenir: la victoire politique ou l'union de leurs vies.
Oui, bon, il paraît que les 8000 membres Québécois de l'Association des Eglises Baptistes et, on suppose, les milliers d'autres qui ne le sont pas, de concert avec les 800 membres de L'Association des Eglises protestantes évangéliques La Bible Parle, il paraît qu'ils ne sont pas chauds à l'idée que le gouvernement du Dominion s'adresse à la Cour Suprême pour faire avaliser, corriger, légitimer, bénir l'avant-projet de loi visant à élargir aux conjoints de même sexe la possibilité de se marier. Moi non plus, je n'aime pas ça. Chaque fois que les élus abdiquent leurs responsabilités en les refilant aux juges, je suis forcé de me rappeler que la démocratie est illusoire et qu'elle ne marche pas, que les gens sont des brutes épaisses et dangereuses, que, laissées à la volonté populaire, les questions de sodomie, d'avortement et de peine de mort auraient trouvé réponse en la pendaison d'Henry Morgentaler dans la cour de Bordeaux, cependant que des homos incarcérés pour raison d'amour, rassemblés au pied de la potence, auraient été forcés d'assister à l'ignoble besogne.
Mais ce n'est pas pourquoi les 8800 croyants syndiqués protestent, ni même parce qu'ils sont protestants. C'est parce qu'ils craignent un avis favorable de la Cour. Ils calculent: On n'accède plus à la Cour Suprême sans avoir fréquenté l'université au moins un peu, donc on est sophistiqué, donc on a l'esprit large, on a vécu en ville, on a lu des livres imprimés après 1952, on mange du fromage troué, on se lave quotidiennement les pieds, on fréquente des juifs à l'opéra, on est biaisé en faveur de l'autorité civile au détriment des édits de Dieu, on prêche pour sa paroisse laïque, à tout le moins on insiste pour respecter la Charte des droits, ce qui est presque du bolchevisme, imaginez, si les gens se mettaient à lire la Constitution, où irions-nous sinon en guerre civile! C'est farci de faussetés, ce torchon satanique, cette Charte maudite, cet instrument du malin, et laissé à l'interprétation d'une phalange de païens, fussent-ils attifés de toges Christian Dior, Dieu sait ce qui peut arriver!
Bien sûr qu'ils ne sont pas contents, les Ned Flanders de ce pays. C'est d'ailleurs leur droit constitutionnel absolu, qu'ils voient plutôt comme un devoir. S'ils s'en torchaient, comme la plupart des gens qui ne sont ni gais ni chrétiens fervents, ils ne seraient pas membres de ces associations. Ils feraient partie d'une ligue de bowling ou d'un club Kiwanis ou de l'Union des écrivains.
Ce qui m'agace, c'est la manoeuvre maladroite, le spin à cinq cennes dont on devine qu'il est le fruit d'un document de stratégie préparé par un ex-journaliste populaire en Gaspésie ou en Abitibi ou dans un trou quelconque et qu'on a mis dehors parce qu'il s'est fait prendre la main dans le sac de ristournes et l'autre entre les cuisses de Gina la fille du conseiller municipal. Il se sera réinventé en relationniste à gages, Can lie, will travel, il se sera improvisé Machiavel des pauvres, offrant des tarifs compétitifs à la portée du plus désargenté des lobbys wannabees, même celui qui représente 8000 Baptistes, à condition qu'il se résigne à coopter encore 800 évangélistes, même s'ils parlent en langues et manipulent des serpents, car il faut bien rassembler les cinq cennes pour le payer.
Il leur aura conseillé de mettre Yawveh en sourdine. Pas sexy, pas porteur, pas vendeur. Il leur aura dit que le moyen d'ameuter les passives populations est d'évoquer une menace moderne qui résonnera dans le coeur de chaque citoyen. «Le chemin de leur coeur, c'est la peur! Mais pas des orages de grenouilles ni des statufications en sel ou des malédictions divines pour cent générations: le monde n'y croit plus, ils rigolent quand on en parle; ça devient de plus en plus difficile de les effrayer, vous savez, faut être créatif comme le diable!»
Puis, ne trouvant rien d'assez épeurant, il aura ajouté: «Ou alors, vous les informez qu'on les prive de quelque chose! Même s'ils en ignoraient l'existence jusque-là, ils se sentiront volés de leur juste butin gratuit, ils rouspèteront, ils demanderont où est leur part de cette chose dont on a parlé à la tévé et dont ils ne se rappellent pas le nom! Je sais pas, moi, on pourrait dire qu'ils sont outrageusement dépouillés par de sinistres canailles de leur droit sacré de se prononcer sur tout et d'exercer leur influence civique et d'exprimer des opinions stupides sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien.»
Il aura sans doute voulu savoir pourquoi l'Eglise catholique ne joignait pas sa voix à leur cause et son argent à leur argent. L'argent n'a pas d'odeur, pas même l'odeur de sainteté. On lui aura répondu qu'il n'y a plus de Catholiques en Nouvelle-France, même si on murmure que certains subsistent dans la clandestinité, maquisards de Jésus.
Ils auront approuvé ce leitmotiv: «La redéfinition universelle et historique du mariage ne peut être changée sans le consentement de la population canadienne». Ils passeront sous silence qu'ils se soucient du consentement de la population canadienne comme de la dernière chemise de Yasser Arafat, c'est-à-dire pas du tout. Elle a pourtant bien besoin d'attention, d'un blanchisseur et d'une ravaudeuse et d'un inspecteur du Ministère Palestinien de la gestion des déchets toxiques.
Le plan prévoit aussi que les pieux activistes se retiennent d'évoquer les commandements du Très-Haut, surtout à cause du mot «commandement», tombé en défaveur par un malencontreux effet de mode. S'ils pouvaient dire «suggestion» à la place, suggestion du Très-Haut, alors là ça irait, encore qu'une fois là, aussi bien ne pas tenter le diable et remplacer Très-Haut par Haut, juste Haut, Haut tout court: ça fait plus accessible, plus modeste, moins snob, les Québécois aiment leurs idoles humbles et simples, ordinaires jusqu'au délire, en fait le mieux serait de l'appeler Moyen, voilà c'est ça, faut adapter le message au marché: plutôt que «les commandements du Très-Haut», dites «les suggestions du Moyen». Du Très-Moyen, si vous voulez. L'important, c'est qu'il reste naturel, sans prétention, un dieu du peuple, quoi, qui ne se prend pas pour un autre, qui se mêle de ses affaires, qui est très généreux et gentil, qui nous reconnaît quand on le croise au dépanneur, un dieu pas compliqué qui nous ressemble, qui prend sa petite bière sur le balcon, qui passe les fêtes en Floride, qui est du bord de José Théodore.
Ces pauvres gens de si bonne foi sont au fin fond du désespoir. Ils écopent avec un gobelet tandis que le navire prend l'eau de partout à la fois. Le pont déjà est submergé, mais ces malheureux tentent toujours de sauver les mâts, croyant ainsi éviter le naufrage. Ils ne voient pas qu'ils ont déjà sombré corps et âme. La famille, la cellule clanique, cet immémorial rempart contre la tyrannie, a cédé sous les assauts bien avant le mariage gai. Se concentrer sur ça, ce phénomène périphérique, c'est pathétique. Ca trahit le désarroi touchant et la cécité convenue des derniers descendants de Luther. Le mariage de deux hommes dévaluerait le leur, j'imagine que c'est cela qu'ils craignent, sans s'admettre que le mariage ne signifie plus rien depuis trente ans au moins, et que les hommes, fifs ou pas fifs, n'en sont pas la cause. S'ils veulent vraiment attirer l'attention de Joe Blow dans son salon, qu'ils lui disent donc pourquoi il a soupé d'une pizza surgelée passée au micro-ondes, pourquoi il paie une pension alimentaire pour des enfants qu'il ne peut jamais voir, pourquoi son ex-femme travaille vingt-cinq heures/semaine au salaire minimum comme caissière dans une Caisse Populaire afin de ne pas se faire reprocher par ses copines et par les magazines de ne pas avoir de carrière, de ne pas être épanouie, d'être une misérable femme au foyer qui ne sait rien faire de mieux qu'élever ses enfants. Qu'on explique à Joe Blow pourquoi son petit gars lui arrache sa cigarette de la gueule quand il vient en visite, qu'on lui dise que c'est l'Etat qui est le vrai papa de cet enfant, même si c'est Joe Blow qui paie, que c'est l'Etat qui a les droits sur sa personne et sur son sang, que c'est l'Etat qui l'instruit, le façonne, lui inculque ses valeurs standardisées pour le bien de la communauté, et que l'une d'elles est le danger de fumer, et qu'il est correct d'arracher la clope des lèvres de ce vieux type qui se prétend votre parent. Dites à Joe Blow que le gouvernement le maîtrise, qu'il maîtrise son ex-femme, et son ex-fils, et la soeur aînée de ce dernier. Dites-lui que c'est pourquoi on a favorisé leur division. Qu'on n'aurait pu les asservir quand ils étaient ensemble. Dites-lui cela si vous voulez vraiment préserver le mariage, la famille, la liberté, la résistance. Ca fera autant d'effet que de pisser dans une flûte traversière, mais au moins vous aurez tenté quelque chose d'honnête et vous pourrez périr tranquilles en même temps que la civilisation que vous avez aimée.
«Le débat public n'a pas été fait. Les intellectuels et les scientifiques n'ont pas été consultés, n'ont pas pris la parole. Dans ce pays, on passe plus de temps à se questionner sur la couleur de la margarine qu'on peut en passer à redéfinir la notion du mariage», déplore le porte-parole du groupe.
Plein de marde. Depuis quand les Protestants se soucient-ils de consulter les intellectuels et les scientifiques? Ils font toujours à Darwin le même sort que les Catholiques réservaient à Galilée. Le temps est passé de redéfinir la notion du mariage. Elle s'est redéfinie toute seule, en s'éteignant paisiblement dans l'apathie béate de tous. Le chien est mort et ne reviendra pas. Faut l'enterrer dans la cour et s'acheter un poisson rouge.
«Quant au public, M. Lanthier perçoit qu'il ne réalise pas la portée du geste que s'apprête à faire le gouvernement.» Sans blague?
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