Lemieux a compté pour moi, il compte toujours, c'est un peu ce que je lui écrivais il y a quelques semaines, vingt-cinq ans après. J'ai pas le texte, je l'ai rejoint par le biais d'un formulaire sur son site, j'ai pas le texte et c'est rarissime que yours truly n'ait pas le texte, I mean je suis celui qui conserve ses listes d'épicerie pour le futur bénéfice des exégètes, je suis celui qui dort avec un extincteur sous son oreiller, je suis le notaire barbare des temps éteints, celui qui épingle chaque éclat de sa vie comme un papillon tropical et qui documente, documente, archive, documente, documente, réitère trois fois le verbe pour s'assurer que c'est documenté, mais j'ai pas ce texte-là et c'est tant mieux, lui l'a, c'était privé, parfois j'ai du mal à tracer la ligne entre le public et le privé, je vais donc de mémoire me paraphraser: je lui exprimais, vingt-cinq ans après, que son invitation au restaurant quand j'avais dix-huit ans suite à ma lettre parue dans le courrier des lecteurs du Devoir m'avait durablement marqué, de plus en plus avec le temps. Il devait avoir l'âge que j'ai maintenant, il était une sommité dans son boulot en plus d'un essayiste publié en France, et il était passé par-dessus mon extrême jeunesse, à côté de mon écoeurante maladresse, il s'était intéressé à ce que pouvait avoir en lui le signataire de cette lettre. Or, au fil des ans et de ma propre carrière, je me suis retrouvé souvent, je m'y retrouve chaque jour davantage, dans la position de garder contact avec la jeunesse agissante et de retarder le naturel qui m'inciterait à contourner la jeunesse agissante, ces abrutis de boutonneux ignares qui m'encombrent, n'est-ce pas, ces ados maigres qui ne savent pas que tout a été soldé par Hamelin et moi et que rien ne sert d'écrire encore, ces innocents attendrissants qui nous regardent de travers dans les lancements parce qu'on tend à se parler entre nous, du bon vieux temps, comme si on était des croûtons, comme si on était...
Comme si on était Claude Beausoleil et Lucien Francoeur, quand Louis et moi avions vingt ans, et qu'on les regardait se jaser d'un temps avant nous autres, de partys auxquels on n'avait pas été invités, de nuits de la poésie qu'on ne pouvait appréhender que sur film, alors qu'eux y étaient, de Gatien Lapointe et de Vanier à quatorze ans, de Hubert et de Réjean... Cibole, c'est donc nous maintenant. On le voulait si fort, être eux et pas des gamins velléitaires, et Christ on l'a eu, ce qu'on a voulu, cela et plus, ça s'est passé si vite, comme dans un mix entre une fable de La Fontaine et un conte arabe...
C'est alors, dans ces occasions-là, que je me souviens de Pierre Lemieux, et chaque fois je trouve le goût et l'énergie de parler au sacraman de jeune qui monte. Ché pas si vous comprenez. J'ai de la misère à l'expliquer. En tout cas, c'est ce qu'il m'a donné, et à des jeunes qui ne le connaissent pas, à travers moi.
Cela dit, il a besoin d'une sweet dose de la tribu, et ce M. Vallée aussi. Secouez-les moi un peu.