Je l'ai tant apprécié. J'ai si considérablement de choses à apprendre de lui toujours encore.
GUILLAUME DECAMME Agence France-Presse Washington
Adepte d'une écriture limpide, ennemi de la pédanterie, Elmore Leonard, pilier du roman noir américain et inspirateur du Jackie Brown de Quentin Tarantino, est mort mardi à Detroit à l'âge de 87 ans.
«Elmore est décédé ce matin à 07h15 chez lui, entouré de sa famille» après avoir été hospitalisé pour un malaise, rapporte sobrement le site internet qui lui est dédié.
Le front haut, la barbe en pagaille, d'éternelles lunettes chaussées sur le nez, Elmore Leonard confortait bien le cliché de l'intellectuel bosseur, doté d'une connaissance encyclopédique des sujets qu'il traitait.
Dans une interview dont le New York Times se fait l'écho dans sa nécrologie, l'auteur racontait s'être abonné au magazineArizona Highways pour se faire une idée de l'atmosphère qu'il souhaitait dépeindre dans ses westerns, genre qui l'a vu débuter avec sa nouvelle 3:10 to Yuma, adaptée deux fois au cinéma.
Mais c'est grâce au roman noir qu'Elmore Leonard a conquis un lectorat plus large.
Le romancier britannique Martin Amis le présentait comme «un génie littéraire qui écrit des thrillers à lire et à relire».
Ses oeuvres les plus connues se déroulent dans les bas fonds de Miami ou de Detroit, avec pour personnages principaux des policiers, des escrocs et des assassins. Leonard reconnaissait volontiers que ses romans ne «gravitaient pas forcément autour d'une intrigue». «Ils parlent de gens, de pistolets, et de situations désespérées».
Ses romans ont conquis un large public durant plus de cinq décennies et inspiré plusieurs films, dont le western Hombre en 1967, avec Paul Newman, la comédie Get Shorty (1995) avec John Travolta et Danny DeVito, le film Out of Sight (1998) de Steven Soderbergh.
Juste après la sortie de Jackie Brown, inspiré de son roman Rum Punch, Elmore Leonard racontait à Martin Amis la conversation qu'il avait eue avec le réalisateur Quentin Tarantino. Ce dernier était, semble-t-il, terrifié à l'idée de devoir justifier les changements apportés au scénario original: «J'ai dit (à Tarantino): "C'est toi le réalisateur. Fais ce que tu veux"».
Les adverbes, des «péchés mortels»
Plus récemment, Elmore Leonard avait travaillé à adapter deux romans et une nouvelle pour en sortir la série Justified, où un flic de Miami muté dans son Kentucky natal est aux prises avec les rustiques coutumes locales.
Né le 11 octobre 1925 à la Nouvelle-Orléans d'un père cadre chez General Motors, Elmore Leonard a déménagé à plusieurs reprises avec sa famille dans le sud du pays avant de s'installer définitivement à Detroit en 1934.
Baptisé par le New York Times comme le «plus grand auteur de polars vivant», il a d'abord servi dans la Marine, avant d'être diplômé en anglais et en philosophie, et de se marier en 1949. Il était père de cinq enfants.
Il a commencé à travailler dans une agence de publicité, Campbell Ewald, tout en écrivant chez lui plusieurs histoires de westerns, qu'il vendait à différents magazines.
Influencé par l'écrivain Ernest Hemingway, il s'est notamment inspiré de l'histoire des Apaches dans le sud de l'Arizona dans les années 1880.
En 2001, il livre au New York Times un guide dans lequel il prodigue dix règles d'écriture: «Evitez les descriptions détaillées des personnages, des lieux et des objets», «Essayez d'abandonner les passages que les lecteurs ont tendance à sauter» .
Mais son conseil le plus saillant concernait l'usage des adverbes, ces «péchés mortels».
Au moment de sa mort, Elmore Leonard travaillait sur un 46e roman.
Les nasales pirouettes vocales de cet animal de foire (Dion, bête de scène, un compliment paraît-il, ou monstre sacré, choisissez, it's all the same) sombrent aux abysses quand une voix sort d'une gorge de cantatrice.
There's a Blue Girl up there in the Nooooorth, she loves that true shit...
Can you believe it? Jerry Lee's as Southern as you can imagine, and Blue, well, let's just say she's très septentrionale. Still, je les laisserais pas seuls ensemble le temps d'aller pisser.
Mon père me qualifiait de rêveur. De sensible. Il n'avait pas tort. Peut-être avait-il tort de considérer cela comme une tare. Je l'ignore. À chacun selon son jugement.
J'ai acheté deux poulets pour dix piasses en spécial y a cinq jours. Le second est trop faisandé maintenant, je dois le jeter. Et j'ai honte qu'il soit né, ait vécu et soit mort pour rien, qu'il finisse aux vidanges sans qu'on l'ait mangé.
Où que soient Marie-Noëlle Dumas et Mario Lemoine: ce méchant Gaétan Blais m'a forcé à penser à vous, ce qui n'est vraiment pas nécessaire, since I do anyway, most every other day.
Ça va faire dix ans. Sophie m'avait retrouvé un clip que je cherchais pour faire marrer Antoine, mon Colosse Mariste Orthodoxe de Bordeaux. Aucun de nous trois, je crois, ne s'était encore rencontré. L'avenir y a vaqué, héhé.
Bon, astheure, y a ma Blue qui poursuit un périple selon un pattern Patton/Garibaldi, mais qui va bientôt rentrer avec un reliquat de mélancolie introspective, that's how she feels these days, don't ask me how I know, I just do.
He may even be coming right this minute, although I doubt it. Not his style. He's the kind to take a lady for a walk and talk, take interest, make her smile, confess a dozen or two of his sins and learn spanish before they've been around the park, and then they'll go somewhere and come.
All the while, that bastard's hooked me on Gangs of New York again. So here. Une dose de DDL. Premier en ligne de succession pour le trône de meilleur acteur du monde. Gérard devrait pas tarder à se crasher soul en scooter sur une route de Tchétchénie.
Quand on songe au quatrième, le plus jeune, mort en premier pour n'avoir jamais été de la troïka, c'est encore pire. Et Maurice, jumeau de Robin, sans vraiment de voix, ni cheveux, ni rien de son côté dans sa gemmellité. Et Barry, le plus vieux, le plus joli, le plus grand, l'aîné responsable d'eux tous depuis l'adolescence et laissé seul même s'il a eu plein d'enfants.
Sauf pour leur soeur aînée, Lesley. Not many people know about her.
Cash et Perkins lui ont suggéré de jouer debout. He did. Il jouait avec ses pieds, il mettait le feu au clavier. Il pitchait le piano au bout de ses bras. Les filles s'embrasaient, les gars s'écrasaient...
I think the Old Man, my grand-daddy, would have liked to find a way, et je crois que Papa aussi, but they never did. Ça ne va pas nous arriver à nous. No fucking way.
Mon père, Réjean, était fort comme un cheval. Il l'est toujours, que je sache: un vieux cheval...
En 1978, je fus opéré aux deux pieds pour des ongles incarnés, j'avais quatorze ans, je mesurais déjà plus d'un mètre 80, et je reçus en même temps l'invitation d'un éditeur à le rencontrer pour discuter d'un manuscrit que je lui avais adressé.
Mes pieds étaient pansés, lourdement bandés. Je ne pouvais pas marcher. Je ne vivais pas à Montréal.
Mon père m'a emmené en truck, en plein hiver, il a fallu se garer deux rues plus bas que l'adresse des Éditions Quinze, sur Côte-des-Neiges, et il m'a pris dans ses bras pour grimper la pente glacée et m'a porté jusque là, et a gravi l'escalier...
L'éditeur, c'était Pierre Turgeon. J'ai publié Vacuum chez lui, vingt ans plus tard, et mon fils a travaillé pour lui. Pierre n'a jamais su que j'étais le même géant gamin costumé et cravaté que mon père avait déposé dans son bureau jadis.
Quant à Papa, ma foi... Il était fier de moi et je ne le comprenais même pas.
Tu as changé ma vie, pour le meilleur et pour le mieux, et tu soignes et guéris les gens, et tu vivras jusqu'à cent ans. Tu es belle comme la lune et forte comme une bête lumineuse de légende, tu es souple, agile et tête de pioche, tes lèvres savent rire, bouder et embrasser, tes seins gonflent ton chandail, tes yeux enflent mon coeur...
J'étais Place de la Concorde ce 14 juillet 1989, quand Jessye Norman, drapée dans une robe tricolore conçue par Azzedine Alaïa, entonna La Marseillaise. Suis pas près d'oublier ce soir-là. Cet hymne, probablement le plus sanguinaire qui soit, exprimait pourtant toute une histoire d'espoir, de justice, de bonne volonté, de Lumières...
Ce pays fou, celui de mes ancêtres, de mes amis maintenant, de mes anciens cousins, que je châtie souvent parce que je l'aime tant, le pays de Blue, je lui souhaite demain une belle et bonne Fête Nationale.
Fait trop longtemps que j'ai pas évoqué cet homme étonnant, cet ogre doux, qui digère la noirceur et chie de la lumière, son esprit brillant gouvernant son corps géant, et son coeur qui règne au centre.
Y a rien à jeter, dans l'ouvrage de Gaétan Bouchard, on peut y entrer au hasard par cent portes comme dans un manoir, on sera pas déçu de la visite. On peut entrer par la peinture, par la musique, par la littérature...
Les Tribaux full patch connaissent déjà bien Butch, mais à l'intention des prospects, voici un châssis parmi cent par lequel pénétrer sa maison.
Cent portes, cent châssis...
Et juste par précaution, parce que je truste de moins en moins la légende du contenu web éternel, et parce que je sais qu'il ne m'en voudra pas, je le recopie ici, ce châssis...
dimanche 13 juillet 2008
REYNOLDS! REYNOLDS! MANGE D'LA MARDE T'AURAS PAS NOT' PEAU!
Je vais paraître ringard et le suis sans doute à ma façon. Mes idoles, quand j'étais jeune, c'était mes parents. Je voyais bien qu'ils se fendaient le cul pour leurs quatre gros et grands enfants mâles à l'appétit vorace. Même au temps des pires calamités, ils trouvèrent le moyen de nous faire sentir que nous ne manquions de rien.
Mes parents n'ont jamais eu d'auto et leurs bicyclettes étaient rouillées.
Ils nous ont mis au-dessus de leurs intérêts primaires et égoïstes. Ils bûchaient dur, croyez-moi. Ils buvaient de l'eau ou du Seven-Up et ne sortaient jamais. Ils vivaient pour que nous vivions.
Je revois ma mère en train de coudre des montagnes de chemises payées quelques sous la pièce sur sa Singer légendaire. Je la revois revenir épuisée après une journée de ménage chez des particuliers ou bien après une nuit de travail de préposée aux bénéficiaires au foyer pour personnes âgées. Elle occupait ses temps libres à nous faire de la bonne bouffe et des desserts qu'on gobait tout rond sans même mâcher, comme des ogres.
Je revois mon père en train de faire le Père Noël chez Zeller's, sur la rue des Forges. C'était pendant une grève de la compagnie d'aluminium Reynolds, pour ajouter un peu de pognon au chèque hebdomadaire du fonds de grève. Je nous revois sur ses genoux de Père Noël, moi et mon plus jeune frère.
-Qu'est-ce qu'on va awouère à Noël Pa? que nous lui demandions, les yeux plein de signes de piastres.
-Crétak! E'l'Père Noël est pas ben ben riche c't'année... Ses lutins sont en grève...
-Ok d'abord...
Je ne me souviens pas quel cadeau j'ai reçu ce Noël-là. Peut-être des figurines G.I. Joe que nous avions décapités à coups de hache deux ou trois mois plus tard.
Hormis mon frère aîné, qui nous servait de point de repère moral pour tempérer notre stupidité naturelle, nous avions cette manie de trouver un plaisir pathologique à briser nos jouets. Nous décapitions nos figurines, envoyions nos petites autos à la casse à coups de pic à glace, n'importe quoi pourvu que les parents ne nous voient pas et que les amis nous applaudissent pour notre audace.
LE CHAPELET ET LE VOTE DE GRÈVE
Comme la Reynolds était souvent en grève ou en lock-out, mon père ne pouvait pas vivre seulement sur son statut de Père Noël à temps très partiel. Aussi, il devint agent de sécurité. De nuit, il faisait ses rondes. De jour, il tenait sa pancarte avec ses camarades grévistes.
Je me souviens d'un fameux vote de grève. C'était dans le tournant des années '80.
Ma mère capotait. «Comment va-t-on arriver? Si la Reynolds tombe en grève, comment va-t-on se nourrir, s'habiller?»
Pour conjurer le sort, elle nous mit un chapelet entre les mains, moi et mon frère. On s'est ensuite mis à réciter des Je vous salue Marie, des Notre Père et des quossins qui ont trait au Rosaire, au Roger ou bien au je ne plus trop.
-On va prier pour que les employés de la Reynolds votent contre la grève! Prenez votre chapelet et prions ensemble...
Nous récitions à pleine vitesse, sans marquer de pause.
On récitait vite en tabarnak. Fiou! C'était à en attraper des ampoules aux doigts, tellement le chapelet défilait vite dans nos mains. Plus je priais et plus j'avais mal aux genoux. Et plus j'avais mal aux genoux et plus je doutais de la sagesse de Dieu. Je faisais semblant de marmonner ces incantations, ces youppi-amen-mes-culottes-sont-pleines, pour ne pas déplaire à ma mère.
Nous étions encore en train de prier lorsque mon père fit irruption dans notre modeste logement de la rue Cloutier, macaron de la CSN sur sa chemise, droit comme un i, fier, debout et digne.
-Reynolds ! Reynolds! chantait-il, mange d'la marde t'auras pas not'peau!
Du coup, nous nous mîmes à rire, moi et mon frère, au grand dam de ma mère, contristé, inquiète du sort qui nous attendait.
-Les gars, j'en ai une autre, disait mon père. C'est sur l'air de Savez-vous planter des choux.
Savez-vous planter des boss À la mode, à la mode Savez-vous planter des boss À la mode de chez-nous -Une autre Pa! Une autre!
-Ok. So-so-so solidarité! So-so-so solidarité!
-So-so-so solidarité!
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
-Tu vas pas leur faire répéter ça Conrad! Quel exemple tu donnes aux enfants!
-Dans ' vie, ma Jeannine, faut pas s'faire piler sur les pieds!
-Comment c'que c'est qu'on va arriver? Ma Foi du Saint-Ciel!
-On va s'en sortir pis les crisses de baveux de la Reynolds vont nous payer!
Après le chapelet, il n'y avait rien de mieux qu'un peu de révolte. Alors, nous nous sommes tous mis à chanter avec le père:
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul! La grève dura près de deux ans.
Les travailleurs de la Reynolds étaient les travailleurs de l'aluminium les plus mal payés de toute l'Amérique du Nord. Les conditions de travail étaient aussi parmi les moins bonnes. Tout ce qu'il fallait pour faire une bonne grève.
Cette grève est allée une coche plus loin que les autres grèves. Elle a frisé la révolution sociale. Même les policiers du Cap-de-la-Madeleine ont pris partie pour les grévistes de la Reynolds, à l'époque, prêts à affronter la brigade anti-émeute de la Sûreté du Québec pour défendre les grévistes. Les policiers du Cap ne se voyaient pas en train de frapper leur frère, leur oncle, leur beau-frère.
REYNOLDS, CORUS PUIS ALERIS...
Mon père est décédé d'un cancer en 1996. Il avait pris sa retraite à 62 ans. Il bénéficiait de sa pleine retraite mais une petite clause de son contrat élaborée par quelque minable actuaire laissait entendre que la veuve ne disposerait pas du fonds de retraite s'il décédait avant 65 ans. Il est mort l'année suivante. Imaginez le reste.
Mon père est mort jeune, comme plusieurs anciens travailleurs de la Reynolds du Cap-de-la-Madeleine: l'huile, la bauxite, les quarts de travail, ça scrappe son homme.
La Reynolds a eu sa peau, mais pas son âme. Teddy, c'est ainsi que l'appelaient ses chums de la shop, n'a jamais pris le parti des boss. Il était corps et âme pour sa famille et ses camarades.
Puis la Reynolds est passée entre les mains de Corus puis, plus récemment, du groupe Aleris.
Vendredi dernier, les travailleurs en lock-out de l'usine Aleris ont voté à 80,3% contre les offres patronales. La compagnie menaçait de fermer et a finalement mis sa menace à exécution.
Quoi qu'il advienne, quoi qu'en disent le maire Lévesque et tous les gérants d'estrade, mon coeur penche du côté des quelques 80,3% des employés pour qui la dignité porte encore un nom. -Aleris! Aleris! Mange d'la marde t'auras pas leur âme!
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Votre ami est votre besoin qui a trouvé une réponse.
Il est le champ que vous semez avec amour et moissonnez avec reconnaissance.
Il est votre table et votre foyer.
Car vous venez à lui avec votre faim, et vous cherchez en lui la paix.
Lorsque votre ami parle de ses pensées vous ne craignez pas le "non" de votre esprit, ni ne refusez le "oui".
Et quand il est silencieux votre cœur ne cesse d’écouter son cœur ;
Car en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans une joie muette.
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous désolez pas ;
Car ce que vous aimez en lui peut être plus clair en son absence, comme la montagne pour le randonneur est plus visible vue de la plaine.
Et qu’il n’y ait d’autre intention dans l’amitié que l’approfondissement de l’esprit.
Car l’amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n’est pas l’amour, mais un filet jeté au loin : et ce que vous prenez est vain.
Et donnez à votre ami le meilleur de vous-même.
Et s’il doit connaitre le reflux de votre marée, laissez le connaitre aussi son flux.
Car qu’est-ce que votre ami si vous venez le voir avec pour tout présent des heures à tuer ?
Venez toujours le voir avec des heures à faire vivre.
Car il est là pour remplir vos besoins, et non votre néant.
Et dans la tendresse de l’amitié qu’il y ait le rire et le partage des plaisirs.
Car dans la rosée de menues choses, le cœur trouve son matin et sa fraîcheur.
Comment Jean Lapointe, un burlesque ivrogne de vaudeville durant trente ans, sans formation de Conservatoire, est-il devenu le plus grand acteur naturel qu'on ait produit?
Laure Kalangel, dont le talent m'époustoufle depuis longtemps, me fournit avec ce nouveau vidéo l'occasion d'ajouter quelque chose au portrait de Blue tel que je le brosse en mots et le publie par petits bouts. Quelque chose que je retenais faute de trouver un moyen de l'écrire sans paraître me flatter moi-même.
Blue pose un regard intensément aimant et curieux sur l'art, j'ai souvent tenté de l'expliquer, mais c'est en fait l'artiste qu'elle cherche, son intention, sa volonté, c'est lui qu'elle souhaite écouter, entendre, comprendre à travers son travail, et comme il est souvent soit mort soit ailleurs que son oeuvre, c'est l'oeuvre que Blue interroge, et qui interroge Blue. Mais il y a autre chose encore. Blue cherche la beauté, et je ne sache pas qu'elle ait échoué à la trouver, au sens où la laideur est une absurdité à ses yeux. Si quelque chose lui paraît laid a priori, elle se frotte les yeux et regarde à nouveau, autrement. L'idée qu'un créateur ait pu délibérément produire de la laideur lui est étrangère, et à la rigueur elle trouverait cela beau. Sa bonté sans fond envers tous ceux qui ne font pas exprès de créer laid ou pas l'effort de faire du beau m'exaspère bien souvent, mais c'est aussi l'un des traits qui fondent pourquoi je l'aime tant.
Enfin, car il y a autre chose encore: Blue est elle-même une oeuvre d'art, et se considère ainsi depuis trente ans, et se construit, et s'entoure de talents qui savent la voir. Patrick Natier fut probablement le premier. Qui n'a jamais cessé de la contempler, la peindre et la photographier. Je suis venu beaucoup plus tard, avec des mots. Laure Kalangel le fait avec des images qui bougent et qu'elle monte avec un style et une syntaxe aussi brillants et personnels que le pourrait un Littéraire. Un grand Littéraire...
Ce 3 juin est le jour anniversaire d'une personne qui m'est chair. À qui je dois la vie. La vie qui n'est pas tous les jours un cadeau, mais que l'espèce humaine depuis qu'elle existe et tant qu'elle durera considère comme un don. Mystérieux. Créateur. Magique.
J'oublierai encore moins que mon grand amour prétende ne rien voir de mal à payer pour mettre les pieds dans ce Théâtre du Nouveau Monde. Une femme qui m'a séduit, menti, fait croire qu'elle partageait mes principes. Qui m'a trahi.
Y a quelqu'un qui nous a shippé une recette de Grilled Cheese en français, mais on l'a égarée. MakesmewonderHum! croit se rappeler que l'ingrédient spécial, c'était du fromage bleu. Tonio dit que c'était du Maroilles, le cheese Ch'ti qui pue virtuellement dans le monde entier depuis le film de Dany Boon. Emcée dit que c'est des tranches de Kraft orange salé. Moé je dis fuck, c'est de la caséine anyway. Remember, la recette était en français. Ai-je besoin d'en dire plus? L'affaire est close, me semble. L'expéditeur s'est trahi. C'est manifestement une personne de l'Hexagone, et on peut d'emblée rayer trente millions de suspects du fait que la coupable est va sans dire de sexe pitoune. Les mecs bouffent des Grilled Cheese, à la rigueur ils s'en font cuire, mais ils écrivent pas la recette et la transmettent encore moins. Donc, une pitoune hexagonale de langue gauloise ignorant que caséine vient du latin caseus signifiant fromage et ignorant davantage qu'en France on s'en sert aussi (I kid you not! It's disgusting, I know, but it's all true!) comme liant de peinture. S'il n'y avait que ça, passe encore: on se souvient du scandale de l'antigel dans le Beaujolais Nouveau destiné à l'exportation (ici!). Correction: on s'en souvient pas, justement, alors imaginez ce qu'on peut s'en foutre de ce qu'ils mixent dans leur peinture, Picasso liait ses couleurs avec de la morve, Buonarroti incorporait du blanc d'oeuf à ses pigments, on va pas s'offusquer que les Français mettent du fromage dans leur acrylique. C'est quand on apprend que la caséine est aussi une colle utilisée dans les vins blancs pour les rafraîchir que là, franchement, on démissionne!
Je décrète donc que cette recette de Grilled Cheese en apparence inoffensive sentait mauvais pour cause de caséine de race floue.
Pour ceux des beaux Tribaux qui passent encore voir si chu pas mort: don't sweat, you sweet unholy bunch of brilliant caring bastards, the whole pack of you, Dawgs and Bitches and Pups, don't sweat, the dingo's got my baby, that's all, so I'm hunting dingo, you know, while chasing the dragon simultaneously, and GAWDDAAAMn it ain't as easy as it used to be. Don't run as fast, don't bite as hard no more, and those dingoes are young, Man, young and wild and triomphantly degenerate, as far as...
Oh dear! Gotta run! Chasing the dragon used to be such fun, before they let girls and Frenchmen into the game and mandatory piss tests were introduced. I'm thinking of retiring, coming back here, settle and chase cockroaches in my trailer, one or two a day, just to keep in shape, you know, and have fun, without girls, without Frenchmen, without piss tests...
Chu trop maganné pour trouver les mots qu'il faudrait et en faire les phrases que tu mériterais en ce beau jour de ton anniversaire. Blue... Passé 40 ans, les gens dans leur immense majorité ne nouent plus d'amitiés totales, intenses, entières et virtuellement pour la perpète. Pour plusieurs raisons, toutes bonnes. Parce que ça ne se présente pas souvent, surtout. Imagine alors la valeur du cadeau que m'a fait la vie, elle qui en est avare: le cadeau de toi. D'une amitié statistiquement si improbable. Je suis passé de l'immense majorité à la micro-minorité bénie...
Je dois me hâter de terminer, héhé, sinon je raterais mon effet. Tu sais comment on a tôt appris à se moquer des fuseaux, à s'en faire un tape-cul, son centre de gravité au milieu de l'Atlantique, les extrémités de la planche sur deux continents, et nous assis dessus, balançant. On n'a jamais senti le décalage.
Ce soir, on fait exception. Tu as un an de plus depuis six heures chez toi. Ici, tu as un an de moins, Pour encore huit minutes. Tu as deux âges en même temps. T'es magique.
J'ai promis d'essayer, pas de réussir. À contacter Stéphane Venne et obtenir ses lumières sur le texte exact de sa chanson, qui fait l'objet du précédent billet...
Eh bien, je suis dans l'obligation de vous revenir avec une claire et concise constatation. LE BOUGRE N'EST PAS UN BRANLEUX! Et de plus il est très généreux.
D'abord, il m'écrit deux lignes. La première («Je confirme: par des bouderies inutiles») valide les oreilles fines de Ginette Desmarais et MakesmewonderHum. La seconde nous félicite («Et "youppi" pour le réflexe d'aller au-delà de la surface des choses.»).
M'empressant de le remercier, j'en ai profité pour oser demander davantage. Cette histoire de virgules et de découpage du texte, ça compte, pour moi. Sauf qu'on n'imprimait pas les paroles, en général, quand on produisait un microsillon en 1971, et que les photocopieurs étaient rarissimes: outre le manuscrit original final, il ne pouvait exister que trois exemplaires originaux du tapuscrit agréé par l'auteur (vu qu'il le dactylographiait personnellement): le feuillet alpha plus deux copies carbone. L'ère de l'ordi approchait, exégètes et archivistes littéraires ignoraient encore que leurs métiers iraient bientôt rejoindre ceux de maréchal-ferrant et de typographe aux poubelles de l'Histoire. Mais pour l'heure, un auteur dépendait entièrement du papier pour archiver et conserver l'oeuvre en cours, et cette entreprise exigeait, autant que de la vigilance, d'avoir de la chance. Le papier s'égare, se perd, s'envole, se vole. Surtout, il brûle...
Plusieurs se souviennent du cruel et violent incendie nocturne qui avait dévasté la belle vieille maison de Stéphane Venne en 2006, manquant l'asphyxier, lui, ses enfants et ses chats: au matin, une fois l'enfer éteint, le feu et l'eau et la fumée avaient tout emporté, dont quantité de manuscrits, y compris les inédits ainsi que les travaux en chantier (Venne, après vingt ans de silence, s'était remis à l'ouvrage).
J'ai donc hésité à le relancer à propos de cette question de ponctuation. À jeter de l'huile fraîche sur un vieux feu, so to speak. Ma mère s'est donnée un mal de chien à m'enseigner le tact et la délicatesse et l'empathie envers les malheurs d'autrui, et à défaut de pouvoir sans rigoler déclarer ses efforts couronnés de succès, reste qu'elle n'a pas élevé un absolu sauvage: j'ai retenu de tourner ma langue sept fois dans ma viande avant de l'utiliser. Malheureusement, maman avait sous-estimé mes besoins particuliers et souvent il s'avère que sept fois, dans mon cas, ne suffisent pas, mais enfin, c'est assez pour la plupart des situations ordinaires de tous les jours. Et je n'aurais donc pas relancé Venne, s'il s'était agi d'une situation ordinaire de tous les jours.
Sauf qu'être en communication avec Stéphane Venne, pour moi, c'est tout le contraire d'une situation ordinaire de tous les jours, c'est même à mon agenda depuis 1992. Et j'ai réalisé aussi que ce que m'inculquait ma mère valait en règle générale, pas en règle absolue. Tout dépendait de la personne à qui on s'adressait et de ce qu'on voulait lui dire. Or, Stéphane Venne allait certainement recevoir ma question dans le même esprit que je le ferais moi-même si on me la posait: en artisan du verbe pour qui les virgules ne sont pas des détails!
So I did, I dared, I thanked the man and then I asked: «Pouvez-vous m'éclairer sur la ponctuation?»
Cinq minutes après, il répondait: «Vous reviens...»
Ces points de suspension, là, ce choix plutôt qu'un point ou un point d'exclamation, soulageaient le léger doute qui me restait quant à mon intuition: pour lui, la ponctuation n'était pas une question vaine. Non, c'est pas un jeu de mots sur son nom, c'est juste un adon qu'il s'agisse du terme qui convienne.
Une heure et demie plus tard, il est revenu tel que promis, avec le texte intégral exact (mots, disposition, ponctuation), et dix lignes de propos frais en prime. Le relançant une dernière fois, j'ai sollicité la permission de les partager avec vous. Il me l'a accordée en un mot: «Go!»
Attention, la vie est courte
Paroles & musique : Stéphane Venne (1971)
Attention,
la vie est courte,
laissons tomber les jeux,
les trucs
et les scènes entre nous.
Un mariag’ d’amour,
c’est fragile.
Attention,
la vie est courte,
tout le temps qu’on passe à se battre
est foutu à jamais.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Attention,
la vie est courte,
c’est pas la peine de
l’abré-
ger davantage
par des bouderies
inutiles.
Attention,
la vie est courte,
allons nous coucher dans le lit
de la vie douce.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Tout’ la vie,
c’est tout’ la vie
mais pas une heur’
de plus.
As-tu vraiment
réfléchi
avant de dir’
« Salut »?
As-tu vraiment
réfléchi?
L’as-tu
vraiment
voulu?
Attends, attends, atten…
Considérant la nature essentiellement orale de la chanson, je n'utilise pas la ponctuation (ni aucun autre procédé de transcription sur papier) selon ses habituels paramètres liés à la lecture ou à la littérature. C'est encore plus vrai dans le cas de cette chanson-ci, qui est encore plus "vers-libriste" que certaines de mes autres: rimes bizarres ou absentes, césures bizarres ou asymétriques, faites à la fois pour épouser la structure mélodique et à s'en distancer, de sorte que "bancal" devienne "normal", et puisse produire une singularité à la fois inattendue et non-apparente, toujours au profit de la rétention (le tandem Hugo-Brassens m'a donné le goût de ces procédés). Faut bien s'amuser...
Il me revient toujours, régulièrement, des bribes de chansons de Pierre Lalonde que je chantonne, dans ma tête ou dans mon bain. Elles ne se muent jamais en vers d'oreilles haïssables. Comme les reflux de Nicole Croisille, genre, qui me font me taper le crâne sur les murs du Bunker cette semaine.
Eh oui, Pierre Lalonde.
L'une de ses chansons, enregistrée en 1971, je l'avais oubliée. C'est Ivan Le Terrible qui vient, bien involontairement, de me la rappeler, dans un comm chez lui rédigé pour désinfecter. Je l'en remercie.
J'ai d'abord, bien entendu, relu les paroles. Déformation professionnelle. Simple naturel. Lalonde n'est pas un parolier, ne s'est jamais prétendu tel, mais découvrir l'auteur réel d'une chanson sur le Web, c'est jamais une sinécure.
Attention, la vie est courte. C'est le titre. Et les paroles, sur papier, m'ont tout de suite paru provenir de la patte unique de Stéphane Venne. La chute est forte, audacieuse et brillante: oser tronquer le titre-refrain et en multiplier les possibles signifiances... Recherches acccomplies, l'intuition se confirme: Venne est le coupable; en prime, je découvre qu'il a aussi composé la mélodie.
Le texte qui suit n'est en rien garanti, vu qu'il vient du Web. Je ne connais pas d'anthologie officielle des paroles de Stéphane Venne. Ainsi, toute la ponctuation (son absence en l'occurrence) demeure sujette à caution. J'ai choisi, à l'instar de certaines versions, d'inclure une virgule après Attention, mais uniquement dans le titre, et je vais tenter de contacter l'auteur afin qu'il me, qu'il nous donne le fin mot de l'affaire. Je n'ai ajouté aucun autre signe, et j'ai corrigé l'impératif présent deuxième personne du verbe attendre en ajoutant le s final. Quant au vers Par défaut de rires inutiles, j'ai l'intime conviction qu'il résulte d'une transcription fautive, d'abord parce qu'il ne veut rien dire, ensuite parce qu'il diffère clairement de ce que chante Lalonde. Mon avis est que le véritable vers est Par étourderies inutiles: je me suis permisd'insérer cette hypothèse entre parenthèses après le vers tel que trouvé partout sur le Web.
AJOUT: Ginette Desmarais semble avoir résolu l'énigme en entendant Par des bouderies inutiles. Merci!
Attention, la vie est courte
Stéphane VENNE
Attention la vie est courte Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous Un mariage d’amour c’est fragile Attention la vie est courte Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais Viens mon amour viens faisons la paix Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte C’est pas la peine de l’abréger davantage Par défaut de rires inutiles (Par étourderies inutiles? Par des bouderies inutiles? Attention la vie est courte Allons nous coucher dans le lit de la vie douce
Viens mon amour viens faisons la paix Nous pourrons guérir nos égratignures après Toute la vie c’est toute la vie mais pas une heure de plus As-tu vraiment réfléchi avant de dire salut As-tu vraiment réfléchi l’as-tu vraiment voulu
Attends, attends Attention la vie est courte Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous Un mariage d’amour c’est fragile Attention la vie est courte Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais Viens mon amour viens faisons la paix Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte Attention la vie est courte Attention la vie
J'avais sept ans, donc, quand la toune est sortie. Venne et Lalonde en avaient trente. Ils sont septuagénaires aujourd'hui. Pierre a révélé son Parkinson en 2010. J'approche la cinquantaine un jour à la fois. Attention, la vie est courte: les mots ne changent pas, mais leur sens, lui, oui, sans cesse et sans repos, avec l'implacable constance du chaos, pour qui les relit, les ressent, les revit...
*****
Hors-sujet, mais pas assez pour faire l'objet d'un billet séparé:
Mon sujet n'était évidemment pas Stéphane Venne, mais bien la chanson dont il est l'auteur, et encore, surtout son titre. Sauf que, on le comprendra, je suis incapable de considérer les mots d'une chanson sans tenir compte aussi de qui les a écrits, quand, pour qui, pourquoi, dans quel contexte. Ce n'est pas une question de principe qui me motive, parce que j'écris aussi des paroles de chanson. C'est d'en savoir l'impossible dissociation (parce que j'écris aussi des paroles de chanson).
Venne est un cas très à part, pour moi personnellement: je n'entrerai pas ici maintenant dans les raisons de cela. Mais j'ai très envie de citer un article qu'il a rédigé et publié dans Le Devoir en 2011, lors du décès de Claude Léveillée. Très envie parce qu'il s'y produit une chose rare: l'artiste décrivant simplement ce qui charpente son art quand il est du grand art, et y parvenant en parlant d'un autre artiste. À peu près tout le monde qui écouterait l'Oeuvre de Venne lui reconnaîtrait un talent d'exception et une plume personnelle, un style, une voix et une inspiration, un don de la langue, mais peu de gens sauraient dire au juste pourquoi. C'est normal. On fait bien la différence entre de grands acteurs, de bons, de médiocres et de mauvais, sans pouvoir préciser davantage. C'est parce qu'on ignore comment ils font, on n'est pas des acteurs. Il n'y a qu'eux pour nous le mettre en mots parfois, et c'est toujours en parlant du jeu d'un autre acteur. Le leur, ils croient n'en rien connaître, concrètement; pourtant, en évoquant celui d'autrui, ils éclairent le leur.
Venne, dans cet article, montre incidemment (et involontairement) à quel point il comprend, connaît, maîtrise l'art de créer la Chanson. L'art et le métier. Peu d'auteurs sont doués d'une telle introspection. Or, À peu près tout le monde que je mentionnais plus haut, soit tous ceux qui n'ont jamais écrit ou essayé d'écrire une chanson, et qui sont donc limités dans l'expression de leurs impressions, ceux-là en lisant un seul article comme ça comprennent beaucoup, énormément d'un coup, sur les chansons et ceux qui les font et comment, plus qu'en en écoutant cent. C'est comme toutes les femmes qu'un gars va trouver belles dans sa vie: si jamais il arrive à commencer à pouvoir expliquer pourquoi, ça sera pas avant la quarantaine avancée. Et ce qu'il saura jamais, pas tant qu'il s'agisse d'un secret quoiqu'il y ait un peu de ça, mais surtout parce que même en le sachant il comprend pas, ce qu'il saura jamais c'est comment s'y prend chacune pour se faire sa beauté. Pire: elles-mêmes croient l'ignorer, mais les écouter parler de la beauté d'une autre en dit long sur la leur et sur la beauté en général. Plus que tous les magazines du monde entier consacrés au sujet depuis cent ans.
Claude Léveillée, 1932-2011 - Le son Léveillée, l'âme Léveillée
18 juin 2011 | Stéphane Venne - Auteur-compositeur |
Si Claude Léveillée avait été juste un gars avec des joies allant jusqu'à l'exubérance, des peines allant jusqu'à l'anéantissement, des espoirs allant jusqu'à l'extase et des appréhensions allant jusqu'à l'effroi, s'il avait été juste un gars qui a vécu des «ennuyances» et d'exultantes retrouvailles, des deuils et des renaissances, s'il avait été juste un gars qui barbe pour museler ou dissimuler son insécurité, bref s'il avait été comme tout le monde, s'il n'avait pas écrit Frédéric, Les Rendez-vous (avec Vigneault), les Vieux Pianos, Le Boulevard du Crime (vous la connaissez?), La Source (et celle-là?), Ne dis rien, Emmène-moi au bout du monde (juste de m'en souvenir me chavire), on n'en parlerait pas, on ne le pleurerait pas.
Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.
Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.
Le socle de la chanson
La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».
La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.
Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note! Le son Léveillée
Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.
Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).
Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.
Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.
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