Il me vient que peut-être mon fils et moi ne sommes pas si fondamentalement différents. Des idées, des projets, des plans de nègre, n'en ai-je pas treize à la douzaine qui fulgurent dans la vaste avide noirceur de mon esprit crépusculaire (celui qui flanque, faux-frère, mon esprit lumineux)? Et je les tire à vue, tout de suite après avoir joui de leur brillance, je fume une cigarette et je m'endors. Ce qui nous distingue, c'est qu'il en parle sans réserve, mais peut-être est-ce sa façon de les organiser, ces idées, les liquider, les hiérarchiser, les mettre à l'épreuve. Peut-être aussi est-il un homme si différent de moi qu'il peut jongler à l'aise avec plusieurs destins possibles sans connaître l'angoisse. Peut-être ne ressent-il pas le désir, n'éprouve-t-il pas la nécessité de se réfugier dans une idée fixe.
Parlant d'idée fixe: il s'est renseigné sur la barologie. Le cours dure trente heures et coûte trois cents dollars. Trouvez-moi une profession consacrée comme celle-là qui paie autant et qu'on peut apprendre en si peu de temps!
Fisto mio venu souper. Conversation comme autrefois, bi-directionnelle, profondément satisfaisante. Ratio 90/10: il a tant de projets, c'est vertigineux, je le regarde parler et je songe à mon père qui me traitait de rêveur, et je m'efforce de faire confiance à Jean-Christian comme j'aurais voulu que papa me fasse confiance, aveuglément, sans comprendre. Comprendre quoi, d'ailleurs? Sinon que la liste bukowskienne des choses que je n'ai pas envie de faire ou d'être rivalise en longueur avec celle des choses que Johnny souhaite entreprendre.
God, I love that kid.
Chevauché sept heures sur le premier sachet, vingt-six sur le second, les mots venant et s'alignant à la parade, divers, chamarrés, dociles, comme des régiments de zouaves pontificaux et de lanciers du Bengale. Je ne m'inquiète pas de ce que valent les phrases ainsi forgées: je fais le pari qu'elles tiendront. Mais non, c'est la valeur de la joie légère que j'éprouve à les écrire qui m'importe, si semblable à mes premiers émois de littérateur adolescent. Ces instants se font si cruellement désirer, davantage chaque année, et c'est toujours plus difficile et moins satisfaisant de compenser le déficit de coeur qu'accusent mes pages par un surcroît de technique et de magie blanche.
Bernard Landry a été bien avisé de désavouer les commentaires fin-de-régime de certains parlementaires PQ, à l'effet qu'une gouvernance adéquiste serait handicapée de façon rédhibitoire par leur manque d'expérience. Tas de putrides boomers pissous! Décrépits sapajous! Comment Serge Ménard ose-t-il se désintégrer ainsi, dilapider un capital moral patiemment accumulé en quelques secondes d'appétît partisan? Fuck him. Fuck le baby boom. Fuck le flot de catastrophes inextinguible que ces anomalies humaines continuent de déverser sur les restants du vingtième siècle.
Bigras commentant la rage débile de Roots Racine, son rôle dans Le Dernier Chapitre (I & II): «On a tous un peu de ça en nous.» La stupéfiante capacité de Dan à identifier le monde à lui m'ébahit tout autant aujourd'hui qu'il y a dix ans. S'attribuer le travail de son chum? «On a tous un peu de ça en nous.» Des gaz intestinaux? «On a tous un peu de ça en nous.» Des joutes de boxe barbare, infantiles, filmées, exhibées sans rougir sous couvert d'art et de sociologie? Hé! «On-a-tous-un-peu-de-ça-en-nous!!!»
Maudit vieux Dan.
Lessivé mes haillons par acquit de conscience, mais le saint détergent qui les rédimera n'a pas encore été saponifié.
J'ai décidé de demander à Kevin de disposer pour moi du pot de fleurs qu'Annie m'avait offert. Je me suis bravement et loyalement battu pour les garder en vie, pas un jour n'a passé sans que je les arrose, j'ai changé leur orientation afin qu'elles bénéficient du maigre soleil d'après-midi: basta! Seul le bégonia persévère, et si Kevin sait comment faire, nous tenterons peut-être de le transplanter.
Je le prierai aussi de faire en sorte que le kimono bleu ciel ne soit plus dans ma penderie. Il m'étonnerait qu'elle vienne jamais le renfiler.
Quand j'ai divorcé de mon chat Whisky, je n'aurais confié à personne la tâche difficile de faire ce qui devait être fait, mais le cas présent me semble différent. Ce vêtement, ces plantes mortes ne sont rien sans l'âme de leur propriétaire.
E-mail à ma semence:
Objet: Father's food, feelings and futilities.
Fridge fucking full, bon temps pour venir bouffer avec ton vieux, anyway write or call fisto mio kiss kiss.
Papa
L'Angleterre jouit depuis quelques années d'une navrante avance en matière d'érosion systémique des libertés individuelles. Caméras parsemées serré sur le domaine public et truffant le domaine privé, coalition des banques de données ministérielles et judiciaires, tout se passe comme si les mandarins du Civil Service, hommes en gris et autres Humphrey Appleby prenaient Brazil et 1984 pour un projet de société. Or, l'Union Européenne glisse vers ce pôle fascisant comme la civilisation sur le dos d'un néo-Hitlerjugend. Dernière trouvaille: forcer les fournisseurs de services internet à conserver la trace de toutes les communications initiées ou reçues par leur clientèle. Courriels, blogs, surfings: on gardera ces dossiers, qu'envierait la Stasi, de 12 à 24 mois, et chaque pays membre y accédera sans restriction. Le motif? Évidemment, le terrorisme, mais il n'y a pas que ça, ce refrain s'use et cette soupe s'affadit, faut l'épicer pour espérer la faire avaler aux Anglais qui mangent pourtant n'importe quoi, aussi ajoute-t-on la pédophilie et le racisme entre autres sujets de conversation à expurger. Maudits blokes blancs dégénérés, peuple de pédés, culture anale et malfaisante, engeance de rats et d'abuseurs confinée à son ilôt et finalement réduite à s'opprimer elle-même!
À ce train, L'UE, tous ses gouvernements fusionnés en un seul, donnera par contraste aux USA totalitaires des airs de squat anarchiste.
La commissaire à l'information (!) britannique, Élizabeth France (!!), chuchote quelque chose à l'effet que cette nouvelle charogne de législation serait susceptible d'entrer en conflit avec une autre charogne de législation, plus mûre et pourtant moins puante.
Au début, Justine m'a fait attendre, et j'ai attendu. J'aurais attendu jusqu'au Jugement Dernier du dernier bagnard damné en des temps révolus, s'il l'avait fallu. Je savais qu'elle pigerait. De fait, elle a fini par voir que ça me déplaisait d'une façon qui ne lui procurait ni défi ni plaisir et s'est empressée de s'en lasser. Justine est une femme unique parce qu'elle sait être toutes les femmes.
Quand mon ordinateur m'a mangé deux mille mots tantôt, je l'ai suspendu au-dessus du grand canyon de ma ruelle, décidé à en finir avec ce méchant vieux bestiau emphysémateux, décidé presque, décidé pas assez, j'ai pensé à Justine et j'ai composé son numéro, mon mail matinal demeuré sans réponse me semblait soudain le plus urgent assemblage d'électrons qui soit...
Sa voix venait claire comme lorsqu'elle me murmure d'exquises cochonneries à l'oreille, son corps interdit moulé au mien, excepté que la créature se prélassait sur une putain de plage niçoise, pas désolée du tout, j'ai failli lui souhaiter une tempête de mistral avant de l'embrasser en riant pour la remercier d'être là et d'être elle à portée de satellite, et d'avoir sauvé mon ordinateur d'un plongeon infâmant.
E-mail d'Emmanuel:
Objet: Mollo Daddy-O.
Cri,
Sit back, relaxe, je t'écris comme je t'ai dit que j'allais le faire, et aussi parce que tu me l'as demandé. Oui, c'est vrai, hier j'ai trouvé que tu y allais un peu fort sur Kevin. Je trouvais que tu l'acculais dans ses coins avec une férocité que j'aime pas te voir. T'en attends trop de lui. C'est jamais qu'un tout jeune homme, après tout, merde! Surdoué je veux bien, mais justement! Tu l'étais bien, toi, et la pression t'a jamais rien valu de bon. T'as beau chanter ton cantique ancien ("Si on attend le meilleur des gens, on l'obtient, et c'est la même chose pour le pire, et cetera!"), n'empêche qu'à trop vouloir parer les coups pour lui, les coups classiques, les coups connus, soit tu vois pas ceux que t'ignores, et alors il en est pour ses frais et toi, mon pauvre vieux, tu te le pardonneras jamais, soit ça marche et alors il est fait, comme un fromage sur le comptoir il est fait et refait, parce que rien de ce qu'il pourrait apprendre de toi ne vaudra jamais l'empirique apprentissage. À quoi ça sert de l'engueuler pour qu'il change de lunettes? À quoi ça sert de lui expliquer ce que seront ses yeux dans dix ans? De lui dicter ce qui est important? Que sais-tu de ce qui est important, à part ce que tu as compris par toi-même après l'avoir perdu par toi-même? Fous-lui la paix. En bout de ligne, tu sais aussi bien que moi que ses yeux ne sont pas ton souci. Tu veux juste l'armer, le caparaçonner de raison et de détermination pour blinder son coeur tendre et son talent, exposés à toutes les prédations. T'es un con. Et je t'aime, comme de raison.
Circius
J'ai battu Kevin au pool. Le chèque est arrivé, on a fait les courses, on s'est accroché les pieds dans un bar, on a fait un billard, puis deux, et juste quand K allait couler la 8, un vieux pochard providentiel a trébuché, s'est retenu à la table, exit la 8, a tout fallu recommencer, Kevin en beau maudit, accumulant une faute sur l'autre et chacune engendrant la suivante, et c'est ainsi que ça s'est passé, bing bang, coup sur coup, à quoi sert un journal sinon à documenter les occurrences rarissimes: j'ai battu Kevin au pool!
Assis entre les chiottes et la machine à cigarettes, Circius se marrait en Français, équivoque et soucieux de ne pas se mouiller. Je l'ai mis au défi et Kevin lui tendait déjà sa baguette quand Manu a dit: «OUI, je veux BIEN, mais là NON, c'est pas FAIR-PLAY!»
Cet enfoiré voulait pas jouer à moins qu'on trouve une table de billard français. À Montréal. Christ.
Vendredi, Mario est venu; il a conçu un nouveau film Flash pour la frontispice du site. Circius est content, depuis le temps qu'il voulait des lettres qui viennent et vont (de) nulle part. Le motif choisi s'appelle Vortex, comme par hasard. Tout se met en place, puis s'envole dans un joli tourbillon, comme emporté par un coup de vent.
La NASA travaille à un dispositif visant à interpréter les pensées des voyageurs dans les aéroports. Des senseurs électro-encéphalographiques ne nécessitant aucun contact, à la façon de détecteurs de métal. On cherchera à identifier la zone du cerveau qui est stimulée à l'instant précis où le sujet traverse le champ.
Appelé Kevin pour le prévenir de s'attendre à une ruée vers son site, qui figure aujourd'hui parmi les nouveautés culturelles de la Toile du Québec.
Rêve troublant: je tombe sur un livre manufacturé par ma mère à l'intention de son mari, cousu main, magnifique, chaque page constituée d'émaux cuits sur papier en images d'un puissant érotisme, sauf certaines plus claires qui parlent de moi: «Chaque couple a son drame... Le nôtre, c'est Christian...»
Les trois dernières me représentent en divers états progressifs d'adolescence et laissent percer la promesse que je partirai bientôt. À la fin, perplexe, j'interroge maman du regard. Elle hausse les épaules, l'air de dire: «C'est comme ça!», se lève et s'en va d'un pas jeune et agile de femme amoureuse.
Il faut se préserver des phagocytes qui bavent de l'acide sur ce qu'ils ne pourront jamais posséder.
Justine, l'oeil mutin, m'a parlé du règne de Vénus, cette période dans la vie d'une personne, d'une durée élastique, où elle est incandescente et sexy, désirable sans égard à sa jeunesse où l'harmonie de ses traits. Mélancolie.
Le Net est infecté des élucubrations geignardes de pathétiques bas-bleus qui s'inventent des amies pour tromper leur abjecte solitude.
Soupçon de dépression post-party.