3.7.02

Parlant de secrets: quand j'ai rencontré O', c'était en rencontrant Script, et cela n'est pas secret, ce qui l'est c'est où O' se trouvait à ce moment-là, et donc moi, et donc Script, d'où les deux-tiers de pseudonymes dans cette histoire, et le plus drôle est que je ne sais toujours pas pourquoi c'est un secret, elles ne me l'ont pas dit et je ne l'ai pas demandé, mais pour autant que je sache ça l'est toujours et je suis donc tenu de le garder, voilà pourquoi cette intro est longue à chier, c'est la faute à O' et c'est à elle que vous adresserez vos réclamations.



Ce qui m'amène quand même, on s'en doutait, à mon sujet. Cette O', j'en ai parlé déjà, ça fait un bail qu'elle figure dans mes rares Liaisons Dangereuses. Hier (le jour d'avant?), elle a changé le titre de son Journal. Cela s'appelle dorénavant L'Immédiate.





J'ai lu la première entrée: à vue de nez, c'est bien le même sensuel tissu de mots en lettres minuscules issus du même diable de petit vicieux machin de bonne femme trop douée pour sa santé, c'est souvent beau à hoqueter quand on se souvient de respirer, c'est étranger à l'expérience des hommes et expurgé de celle des femmes mûres, c'est O' qui s'enseigne à elle-même à écrire, voilà ce que je pense, malgré qu'elle pourrait en remontrer à à peu près tout le monde que je connais, comme si O' savait ce qu'elle ignore encore et le chemin de sa destination, j'en suis pas sûr mais j'ai le sentiment très fort qu'elle fait des pompes. Son Journal n'est pas un agenda quotidien comme le mien, pour tout dire c'est un roman, mais je la suspecte d'avoir switché de titre pour marquer son intention de se lancer dans les vraies choses (ce qu'elle observe, ce qu'elle en pense, où ça se passe). Si c'est ça, alors allez-y: en cliquant sur ce lien, vous assisterez à la naissance d'un écrivain.



D'autre part, Annie me manque comme d'habitude, et ce soir, ce sont ses conseils dont l'absence se fait le plus cruellement sentir. Pas des conseils, vraiment, mais la façon qu'elle avait de comprendre que je ne comprenais pas toujours mon gars, ni mon devoir, ni ma propre perplexité. Et de m'aider à m'en pardonner.



That's it, folks. Go home to your loved ones. Show's over for now...
D'ici, de mon bureau, j'embrasse tout mon minuscule et précieux univers. Ma vue, ma tévé, mon lit, mon frigidaire, ma bibliothèque et mon Kevin endormi sur le sofa dans un drap léger de coton propre, un micro-ventilo calculé pour lui flatter la couenne à l'air chaud charrié, ses derniers mots ont été merci de veiller sur moi et il s'en est allé dans la paix temporaire qu'il fréquente si peu.



On a bu sans abus. La visite de JC l'a troublé autant que moi, en un sens, en plusieurs. L'a obligé à se re-situer, se redéfinir, se redire ce qu'il est, cet homme et cet enfant, et, n'est-ce pas, l'un n'est pas la suite de l'autre avec une évidence aussi aveuglante qu'on l'aimerait croire.



En regard de la loi du silence qui règne dans ma famille, l'omertà sicilienne fait figure de note de service, au pire d'aimable consigne. Tout me crie de me taire sur mon fils et ce qui me remue et m'empêche de dormir ce soir. Je l'ai fait, me taire, toute ma vie en cette matière. Ma famille est-elle fière?

2.7.02

Mon fils sort à l'instant. Déconcertant. Kevin est allé faire un tour dans le Parc pour nous laisser aborder en privé les sujets délicats, s'il en est. Or, selon monsieur mon kid, il n'en est pas. Qu'il vive à nouveau ses journées dans la rue n'est pas un sujet délicat. Qu'il dorme ses nuits au Refuge de Bigras n'est pas un sujet délicat. Qu'il croie en l'Atlantide, les bases lunaires états-uniennes secrètes et le troisième oeil de Lobsang Rampa n'est pas un sujet délicat. Tout baigne, papa, t'en fais pas.



Il jasait avec Kevin et j'étais bien content, ça sonnait rationnel au début et Vigneau, comment dire, si je l'avais connu comme mon aîné, disons à vingt ans, qui sait les sommets que j'aurais atteints aujourd'hui? Je veux dire: ça me semble un beau cadeau à faire, un cadeau de père, à faire à mon petit, de le mettre en rapport avec un Kevin (qui, est-il besoin de le préciser, ne se trouve pas sous le pas d'un cheval, sauf en fin de cuite au festival western de St-Tite).



Ils partagent un soyeux souvenir de jeunesse: une série animée japonaise intitulée Les Cités d'Or, historiquement située au temps de Cortez. Or, cette merde criminelle est rediffusée ces jours-ci à Radio-Canada, et nous en avons subi un épisode à trois heures et demie. J'ai tout compris. Des frégates armées à l'énergie solaire, des Olmèques extra-terrestres, des enfants du soleil, des tatouages héréditaires mystiques, en veux-tu du nippon en voilà. Quand je pense que ma mère interdisait à JC de regarder les Simpson's, de crainte que ça ne lui pollue l'esprit. Et tout ce temps je me croyais un père, sinon adéquat, du moins vigilant! Résultat, toute conversation cartésienne ou constructive avec mon fils est impossible, un esprit brillant a été bâti sur des fondations de sable avec du bois rongé par les termites. Il a vingt ans! Que pourrais-je faire pour le redresser à vingt ans? C'est pas juste. Il valait tellement mieux.
Kevin a laissé la peinture en plan avant de tomber de l'échelle et le voilà ici, prenant soin de sa petite bière. Le boulot c'est bien beau, mais faut pas virer fou.
Justine passée en coup de vent, les bras chargés de bouteilles. Le mécénat prend de nombreux visages, y compris les plus jolis, et quand il se déhanche, ma foi, ça ne gâche rien.
Sur toutes les chaînes, les bulletins de nouvelles ne sont qu'avis de chaleur accablante. Si vous voyez en ville un type qui me ressemble et qui a l'air de s'en payer une tranche, ce ne sera pas moi. Je reste dans un rayon d'un mètre de mon ventilateur en zappant jusqu'à ce que je trouve des nouvelles fraîches.

1.7.02

Visite de Kevin, suivi d'Éric. La bière se met à bouillir dans les verres avant qu'on les cale.
Premier juillet. Cela divise l'année, comme une raie une coiffure.

(John Steinbeck,

L'hiver de notre mécontentement)



Ce lundi gluant comme la gaine d'algues des sushi, doux comme le vin juif. Je me demande parfois si l'on vieillit vraiment, des jours tels que celui-ci.
Rien à signaler. Vraiment rien. J'aime ça comme ça.

30.6.02

habeas corpus. Show me your body.
Me voici donc que je reviens de l'épicerie ouske je vais depuis cinq ans (et demi); l'y avait là un grand nazi de 17 ans étudiant en techniques policières un blond stagiaire pris par la nouvelle administration pour observer la clientèle et débusquer ceux qui volent à l'étalage. Pendant ce temps que vos impôts paient, les musulmans propriétaires sont à Bagdad pour dire adieu à leur grand-mère (ils sont 4 frères). Personne a songé à prévenir ce grand crétin du danger qu'il y a à tourner autour d'un vieux précieux client solide, spécialement si ce client c'est moi, anyway je lui câlice un coup de coude dans l'arête aryenne qui ne le sera plus jamais le sang pisse sur le pain Weston je continue mes petites courses et puis je paie en fronçant les sourcils de l'air de dire y a ti kekun ki veut me dire kekchose et puis je rentre avec ma crème glacée.
Elle m'a écrit un mail joli, gentil, féminin, explicatif, apologétique, noble et docile à la fois, je ne sais pas, je ne sais pas, je vais faire un tour dehors et respirer très fort.
Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore (dixit Justine) avec de plus en plus d'inconfort, un point dans le dos, dans les sombres parages des poumons, et mon coeur crampe sans avertir, à moins que ce ne soit l'avertissement, mais je crains tant que toute ma force ne fonde au creuset de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.



Mon appareil respiratoire est une méchante machine métis en chemin vers Batoche, Riel et Dumont (Louis et Gabriel) associés dans un rêve, une action inexorables.
Ces maudites fleurs croissent et embellissent à vue d'oeil, à croire que le pot va craquer, on dirait qu'après un temps de choc et d'hésitation elles ont accepté la transplantation et décidé de vivre ici. C'était un beau cadeau, en fin de compte.
Elle a retiré de ses sites tous les liens vers ici, stalinienne, comme si je n'avais jamais existé. Or, phénomène comique, mon trafic a augmenté en même temps. Je débouche une quille à votre santé, qui savez vous servir de Google et des signets, et qu'elle s'étouffe dans le fiel.
Sacré paquet de courriels en retard. Justine qui voulait venir hier. Si elle peut aujourd'hui, j'aurai pas besoin de travailler pour me changer les idées. Ce qui me fait songer à ce pauvre Kevin qui va de job de déménagement en job de peinture quand il fait trente degrés à l'ombre. Pour gagner de quoi étudier l'Antiquité. Admirable et déconcertant, comme tout ce qui est grand.
Gare aux plaies de lit! J'ai du pain sur la planche. L'ouvrage va m'aider à placer tout le sordide épisode derrière moi. Toujours triste et fâché, autant l'un que l'autre je pense, le contraire serait surprenant, mais je n'ai qu'à ne pas perdre de vue qu'aucun bon moment des derniers mois ne mérite un souvenir attendri puisqu'ils émanaient du mensonge. Mon instinct, lui, ne mentait pas. Brave bête.
Dormi 24 heures. Un bon début. J'y retourne.

29.6.02

Ce Journal a une douzaine de semaines et son lectorat augmente de façon régulière, sans sursauts suspects, suivant une courbe qui suggère que nous avons affaire à du solide. Et je trouve ça franchement fascinant. Les outils de mesure de fréquentation propres au web n'ont pas encore d'équivalent dans l'édition traditionnelle, et ceux dont on dispose, quoique plus précis, détaillés et rapides qu'il y a dix ans, demeurent d'arides rapports comptables à l'usage de l'éditeur: leur principal intérêt est de permettre une gestion plus serrée des inventaires, se traduisant en fin d'exercice par de substantielles économies, notamment au chapitre des frais d'entreposage.



Bon, j'ai pas fermé l'oeil depuis 85 heures et l'incohérence menace...

28.6.02

Il y avait tant de cheveux déchus gisant sur le plancher du barbershop, un tas énorme et rondouillard, on aurait dit une petite bête, un gros tribble ou ce qui reste d'un chow-chow équarri dans un party goth.



C'était à moi, le tas entier, quoiqu'un peu moins déjà: la crinière de Christian, cavalièrement congédiée, donnant son show d'adieu. J'avais acheté une caméra jetable pour documenter les derniers instants de cette belle plante couleur de marrons rôtis au brasero, au cas où j'aurais le bon sens de ne plus attendre si longtemps la prochaine fois. Trois pépés attendaient leur tour en discutant restauration de baignoires.