6.11.12

Circius en quatre temps

Emmanuel Circius est de passage en ville. Il voulait m'interviewer, comme c'est notre coutume depuis vingt-cinq ans, vu qu'il est le seul à connaître les bonnes questions ainsi que les réponses à l'avance. Mais cette fois je lui ai demandé d'inverser le processus en renversant les rôles: il se passe ici des choses graves et j'ai voulu interroger sa lucidité sans peur et sans attaches à propos de quatre d'entre elles: Gérald Tremblay, Léo Bureau-Blouin, Gabriel Nadeau-Dubois, Joe Di Maulo.

OK, dit-il. Parce que c'est toi. Mais dans quel ordre?

Je comprends ce qu'il veut dire. Quatre sujets, tous reliés, tous importants, mais tous devant être traités équitablement. C'est à dire en tirant au hasard l'ordre de leur traitement.

Quatre, réponds-je. Coeur Carreau Pique Trèfle, disons?

Yup! convient-il. Et il va droit là où je conserve mon vieux jeu de cartes, que je n'ai pas sorti depuis dix ans, la dernière fois c'était avec lui qu'il avait servi, j'avais oublié que j'en possédais un.

On sort les quatre as. J'inscris les quatre noms sur une feuille et j'attribue sa couleur à chacun.

On mélange les as, on les aligne incognito sur le bureau entre nous deux.

Je sors un huard de ma poche: on tire à pile ou face pour savoir qui choisira la première carte.

Circius et moi ne jouons pas à pile ou face comme la plupart des gens. Celui des deux qui a misé sur le côté qui se révèle effectivement, celui-là gagne le privilège de ne pas se salir en premier dans les eaux du hasard.

Étant donné que nous jouons ainsi depuis quarante ans, il va sans dire que nous n'avons nul besoin de choisir pile ou face à chaque fois: il joue pile, je joue face, on lance la pièce et alea jacta est.

Le huard tombe face. Selon notre code, ça signifie qu'il est désigné pour choisir la première carte.

La seconde sera ma responsabilité, la troisième la sienne: la quatrième ne sera plus l'objet d'un choix.

Coeur sera Di Maulo. Carreau sera Tremblay. Pique sera Bureau-Blouin. Trèfle sera Nadeau-Dubois.

L'exercice ne sera pas entièrement objectif, puisque j'ai choisi les quatre sujets: ils ne sont pas sortis d'un tirage effectué au moyen d'un ordinateur.

Mais l'exercice, justement, sera aussi honnête qu'un dialogue humain, donc subjectif, peut s'efforcer de l'être.



Circius pose son majeur droit sur l'une des quatre cartes. Je la retourne.


6 commentaires:

Danger Ranger a dit...

THIS IS FUCKING EXCITING vite! J'ai hâte!!!

Danger Ranger a dit...

You're still the master, the dealer.

Awaiting for the drawing.

Mistral a dit...

T'en as de bonnes, toi. Vite! J'ai hâte! S'il ne s'agissait que de moi, je dis pas, mais EC n'est pas vraiment le mec qu'on presse, you know. T'sais, ton récent malheureux épisode avec la chaise et la rage et le blackout et la peur faite aux amis? J'ai rien dit parce qu'il était trop tôt, tu devais vivre avec ta propre vie. Mais ça m'a pris tout mon petit change et me retenir à quatre mains et me mordre la langue pour ne pas t'écrire et te réconforter. Parce que je sais ce que c'est. Je l'ai fait. Plusieurs fois. Autrefois. Jusqu'au jour où j'ai piqué ma crise avec Circius. Lui, il n'a pas eu peur. Il m'a laissé faire mes sparages. Qui faute de carburant n'ont pas duré longtemps. Puis il m'a ôté la chaise des mains et l'a replacée à table, on s'est rassis, il nous a versés deux verres comme si de rien n'était, chu parti à brailler, on a bu et fumé comme ça sans un mot jusqu'au bout de la nuit, et j'ai plus jamais pété de coche pareille: je suis devenu pour d'autres ce qu'il avait été pour moi.

Tu veux pas qu'on te dise quoi faire. Tu sais que j'ai respecté ça. Je suis pareil, après tout. Mais ton comm ici en rapport avec Circius me fait flasher et l'opportunité est trop belle pour la rater. C'est pourquoi je relate l'anecdote qui précède, pour la première fois publiquement. Uniquement à ton intention, vu que t'es le seul à pouvoir en saisir le sens: il m'a rien dit, il m'a montré. Je me suis dit quoi faire tout seul, cette nuit-là, près de lui, je me suis dit tout ce que je savais déjà, mais qui devait venir de moi. Il le savait, ça, lui, car il avait été pareil: un gars si furieusement hostile à toute ingérence d'autrui dans sa vie qu'il rejette le bon comme le mauvais jusqu'à s'anéantir. Un gars comme ça doit trouver son maître, et comme il ne peut en avoir qu'un, lui-même, il s'agit de favoriser leur rencontre au bon moment, puis de se tenir tranquille, en versant les verres et en vidant les cendriers.

Danger Ranger a dit...
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Pat Caza a dit...

j'seconde Christian, moi si j'ai la langue full pleine de morsures

Gral a dit...

J'aime ce commentaire Mistral

gral