Eh oui, Pierre Lalonde.
L'une de ses chansons, enregistrée en 1971, je l'avais oubliée. C'est Ivan Le Terrible qui vient, bien involontairement, de me la rappeler, dans un comm chez lui rédigé pour désinfecter. Je l'en remercie.
J'ai d'abord, bien entendu, relu les paroles. Déformation professionnelle. Simple naturel. Lalonde n'est pas un parolier, ne s'est jamais prétendu tel, mais découvrir l'auteur réel d'une chanson sur le Web, c'est jamais une sinécure.
Attention, la vie est courte. C'est le titre. Et les paroles, sur papier, m'ont tout de suite paru provenir de la patte unique de Stéphane Venne. La chute est forte, audacieuse et brillante: oser tronquer le titre-refrain et en multiplier les possibles signifiances... Recherches acccomplies, l'intuition se confirme: Venne est le coupable; en prime, je découvre qu'il a aussi composé la mélodie.
Le texte qui suit n'est en rien garanti, vu qu'il vient du Web. Je ne connais pas d'anthologie officielle des paroles de Stéphane Venne. Ainsi, toute la ponctuation (son absence en l'occurrence) demeure sujette à caution. J'ai choisi, à l'instar de certaines versions, d'inclure une virgule après Attention, mais uniquement dans le titre, et je vais tenter de contacter l'auteur afin qu'il me, qu'il nous donne le fin mot de l'affaire. Je n'ai ajouté aucun autre signe, et j'ai corrigé l'impératif présent deuxième personne du verbe attendre en ajoutant le s final. Quant au vers Par défaut de rires inutiles, j'ai l'intime conviction qu'il résulte d'une transcription fautive, d'abord parce qu'il ne veut rien dire, ensuite parce qu'il diffère clairement de ce que chante Lalonde. Mon avis est que le véritable vers est Par étourderies inutiles: je me suis permis d'insérer cette hypothèse entre parenthèses après le vers tel que trouvé partout sur le Web.
AJOUT: Ginette Desmarais semble avoir résolu l'énigme en entendant Par des bouderies inutiles. Merci!
Attention, la vie est courte
Stéphane VENNE
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
C’est pas la peine de l’abréger davantage
Par défaut de rires inutiles (Par étourderies inutiles? Par des bouderies inutiles?
Attention la vie est courte
Allons nous coucher dans le lit de la vie douce
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Toute la vie c’est toute la vie mais pas une heure de plus
As-tu vraiment réfléchi avant de dire salut
As-tu vraiment réfléchi l’as-tu vraiment voulu
Attends, attends
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
Attention la vie est courte
Attention la vie
J'avais sept ans, donc, quand la toune est sortie. Venne et Lalonde en avaient trente. Ils sont septuagénaires aujourd'hui. Pierre a révélé son Parkinson en 2010. J'approche la cinquantaine un jour à la fois. Attention, la vie est courte: les mots ne changent pas, mais leur sens, lui, oui, sans cesse et sans repos, avec l'implacable constance du chaos, pour qui les relit, les ressent, les revit...
*****
Hors-sujet, mais pas assez pour faire l'objet d'un billet séparé:
Mon sujet n'était évidemment pas Stéphane Venne, mais bien la chanson dont il est l'auteur, et encore, surtout son titre. Sauf que, on le comprendra, je suis incapable de considérer les mots d'une chanson sans tenir compte aussi de qui les a écrits, quand, pour qui, pourquoi, dans quel contexte. Ce n'est pas une question de principe qui me motive, parce que j'écris aussi des paroles de chanson. C'est d'en savoir l'impossible dissociation (parce que j'écris aussi des paroles de chanson).
Venne est un cas très à part, pour moi personnellement: je n'entrerai pas ici maintenant dans les raisons de cela. Mais j'ai très envie de citer un article qu'il a rédigé et publié dans Le Devoir en 2011, lors du décès de Claude Léveillée. Très envie parce qu'il s'y produit une chose rare: l'artiste décrivant simplement ce qui charpente son art quand il est du grand art, et y parvenant en parlant d'un autre artiste. À peu près tout le monde qui écouterait l'Oeuvre de Venne lui reconnaîtrait un talent d'exception et une plume personnelle, un style, une voix et une inspiration, un don de la langue, mais peu de gens sauraient dire au juste pourquoi. C'est normal. On fait bien la différence entre de grands acteurs, de bons, de médiocres et de mauvais, sans pouvoir préciser davantage. C'est parce qu'on ignore comment ils font, on n'est pas des acteurs. Il n'y a qu'eux pour nous le mettre en mots parfois, et c'est toujours en parlant du jeu d'un autre acteur. Le leur, ils croient n'en rien connaître, concrètement; pourtant, en évoquant celui d'autrui, ils éclairent le leur.
Venne, dans cet article, montre incidemment (et involontairement) à quel point il comprend, connaît, maîtrise l'art de créer la Chanson. L'art et le métier. Peu d'auteurs sont doués d'une telle introspection. Or, À peu près tout le monde que je mentionnais plus haut, soit tous ceux qui n'ont jamais écrit ou essayé d'écrire une chanson, et qui sont donc limités dans l'expression de leurs impressions, ceux-là en lisant un seul article comme ça comprennent beaucoup, énormément d'un coup, sur les chansons et ceux qui les font et comment, plus qu'en en écoutant cent. C'est comme toutes les femmes qu'un gars va trouver belles dans sa vie: si jamais il arrive à commencer à pouvoir expliquer pourquoi, ça sera pas avant la quarantaine avancée. Et ce qu'il saura jamais, pas tant qu'il s'agisse d'un secret quoiqu'il y ait un peu de ça, mais surtout parce que même en le sachant il comprend pas, ce qu'il saura jamais c'est comment s'y prend chacune pour se faire sa beauté. Pire: elles-mêmes croient l'ignorer, mais les écouter parler de la beauté d'une autre en dit long sur la leur et sur la beauté en général. Plus que tous les magazines du monde entier consacrés au sujet depuis cent ans.
Claude Léveillée, 1932-2011 - Le son Léveillée, l'âme Léveillée
18 juin 2011 | Stéphane Venne - Auteur-compositeur |
Le Devoir
Si Claude Léveillée avait été juste un gars avec des joies allant jusqu'à l'exubérance, des peines allant jusqu'à l'anéantissement, des espoirs allant jusqu'à l'extase et des appréhensions allant jusqu'à l'effroi, s'il avait été juste un gars qui a vécu des «ennuyances» et d'exultantes retrouvailles, des deuils et des renaissances, s'il avait été juste un gars qui barbe pour museler ou dissimuler son insécurité, bref s'il avait été comme tout le monde, s'il n'avait pas écrit Frédéric, Les Rendez-vous (avec Vigneault), les Vieux Pianos, Le Boulevard du Crime (vous la connaissez?), La Source (et celle-là?), Ne dis rien, Emmène-moi au bout du monde (juste de m'en souvenir me chavire), on n'en parlerait pas, on ne le pleurerait pas.
Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.
Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.
Le socle de la chanson
La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».
La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.
Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note!
Le son Léveillée
Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.
Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).
Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.
Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.
***
Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.
Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.
Le socle de la chanson
La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».
La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.
Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note!
Le son Léveillée
Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.
Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).
Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.
Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.
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