21.9.02

Je vous écris de là où j'en pourrois pâtir si ça venoit à se savouir. J'ai point le droit, j'ai point le jouir de gratter le moindre mot depuis ce lieu-ci, ancien lieu saint. Pour tout dire, et juste au cas où on vous le demande, c'est K qui tape ceci depuis là-bas, sauf que c'est faux, sauf que c'est safe...



Bon, doux bordel, que voici assez de langage codé entre nous! Juste assez pour confondre les inquisiteurs, juste pas trop pour mes lecteurs. Faut que je chuchote en clavardant, mes enfants, faut pas que je tousse, faut pas que je recule ma chaise de telle façon qu'elle érafle, sonore, la marquetterie, bref faut que j'éteigne mon cellulaire et toutes les cellules tonitruantes en moi, de même que les murmuratrices, tout ce qui trahirait mon infraction aux aimeux de police.







20.9.02

Je l'ai déjà écrit, je vais un peu à l'université par procuration, à travers Kevin. Il m'apporte beaucoup. Cette semaine, il m'en a rapporté une grippe carabinée. Chu malaade!



Son prêt-ordinateur approuvé, on part en expédition de shopping au mastodonte.

18.9.02

Hier, comparution pro forma en cour municipale, remise au 30 avec assignation de témoin. C'est pas demain la veille que je redormirai au Bunker.



Kevin a invité deux amis Madelinots et ils ont improvisé une java d'enfer avec tapage de pieds et jouage de cuillers en bois et chansons à répondre et niagaras de bière.



Les productrices m'avisent que le travail sur Vago ne recule pas.

15.9.02

Provenance: bibliothèque du Patro Le Prévost, tandis que KV lit des BD à la table à côté.



Hier vers les cinq heures, après avoir peint un huitième d'une toile à l'huile, Kevin s'est mis à tourner dans les catacombes comme un lion en cage assoiffé de sang chrétien. «Faut que j'me soûle la gueule, faut que j'me soûle la gueule», psalmodiait-il, et ainsi fut fait; cependant qu'il s'imbibait consciencieusement, je lisais Sherlock Holmes.



On a passé la soirée à écouter ses vieux disques, les voix éraflées de Renaud, Ferré et Georges Dor, Dylan, Charlebois et Georges Langford, Styx, Simon & Garfunkel et Georges Moustaki. À la fin, très émus, on s'est remerciés de ce qu'on faisait l'un pour l'autre. Rendu au concerto no2 pour violon de Mendelssohn, il m'a lâché que ce qu'il trouve bien chez moi, c'est ma façon de transcender ce qui s'incruste dans le réel. Je me suis endormi aux impossibles arpèges de Rachmaninov.

14.9.02

Hier, rencontré Hans au marché Jean-Talon pour discuter de ma défense. Un vieux vendeur itinérant a réussi à lui faire acheter deux paires de verres fumés. On a bien ri en relisant le rapport de police où il est fait mention qu'à leur arrivée, quelqu'un (Kevin) frappait à ma porte avec une bible (Lolita!)



Kevin est revenu tôt de son contrat de peinture, exaspéré par le vieil Israélite qui le suivait partout en le pressant, anxieux de voir le travail prendre fin avant la tombée du jour et le début du shabbat.



En veine de grande bouffe, il a préparé un gigot de mouton auxquels Mario et Steve furent conviés. Ni l'un ni l'autre ne s'est fait prier et on a passé une très agréable, très médiévale soirée, sur fond de cassette des Rois Maudits. Mario m'a remis le premier exemplaire du Moebius dans lequel figure son texte, dédicacé aux presses du Bunker, ce qui m'a touché. Je travaille maintenant à marier Kevin à la revue Estuaire.



L'autre nuit, écrit seize pages d'Origines. Aucune idée encore de ce qu'elles valent.

12.9.02

D'autre part, et dans l'intérêt d'être tout à fait franc, j'ai passé toute cette obscure soirée à lorgner le généreux corsage de Justine à ma dextre, et à me marrer avec KV à ma senestre. Justine avait fumé un gros pétard gras juste avant le show et rigolait (ON VA S'AMUSER, OUEEEHH!).
Là où je suis, la radio diffuse un discours de Castro qui ne fait rien pour favoriser la concentration.



Hier, lancement à la Bibliothèque Nationale de Le 11 septembre des poètes du Québec, un recueil paru chez Trait d'Union dans lequel je figure. Fait un bout d'entrevue avec Danielle Laurin pour Bouquinville, l'émission radio de Stan Péan.



Préparé un pâté chinois pour lutter contre mon mal du bunker. A fallu dévisser les poignées, susceptibles de fondre, pour mettre le plat au four. Kevin n'est pas équipé pour ça.



Désireux d'ajouter un beau livre à sa somptueuse bibliothèque, et venant juste de recevoir son prêt étudiant, il a finalement opté pour une édition originale de la suite des Mille et une nuits dont, improbable Schéhérazade, je lui ai fait la lecture pour l'endormir.

9.9.02

Suis venu à l'université avec Kevin. Passant devant mon ancien appartement, rue Édouard-Montpetit, ai cru croiser les fantômes vamps de Blue Jean, Baptiste et Fantasio...



À l'U de M, le ratio mecs/nanas est de 1 pour 3. Le pouvoir de demain. Les gars décrochent longtemps avant d'arriver ici. Selon K, c'est dû à ce que le système soit fait pour elles: depuis qu'on n'a plus le droit de se bagarrer durant la récré, aucun garçon survolté n'est capable de se concentrer l'après-midi.

7.9.02

Justine et mon père m'ont montré comment ramasser mon courriel à distance, mais tous deux ont omis de me mettre en garde contre le piton qui efface tout d'un coup (ils me croient très intelligent). Aussi, vous qui m'avez écrit depuis dix jours, serez-vous gentil en m'adressant copie conforme, aussi peu pertinent le propos vous paraisse-t-il: c'est, comme on dit, le geste qui compte.
Juste avant de pénétrer ici (W.U.), je me suis assis sur un banc public en fumant un mégot pour songer à ceci: c'est la première fois de ma carrière que je paie ou me déplace pour le privilège de publier. La première fois depuis Genèse d'un poète, quand j'avais quatorze ans, une foi fumante et l'argent accumulé en plongeant.



Jeudi, lancement collectif des Forges, fini chez le fils de Dyane Gagnon, compagne de ce cher vieux Yves Boisvert. Kevin s'est réconcilié avec Marc-Aurèle.



Cette nuit, rêvé de Natali telle qu'elle était il y a vingt ans, la dernière fois que je l'ai vue, et notre fils était présent, tel qu'il est maintenant. Par deux reprises, je les ramenais à la maison en métro, mais chaque fois j'arrivais seul, ma famille évaporée.



Je fais du camping chez Kevin, je dors au pied de son lit de fer sur un tapis turc que nous nous sommes fait une joie de battre dans le jardin. Je vis dans sa vie, qui est une somptueuse bibliothèque et un refuge contre les fragiles valeurs de l'extérieur. Ce matin, tandis qu'il était sorti travailler au noir, j'ai passé l'éponge sur la photo de ses parents enlacés, qui trône sur mon magnétoscope, qui trône sur sa tévé. L'autre soir, mon ami, des sanglots de colère plein la voix, échangeait au téléphone avec sa mère sur l'anéantissement de leur lignée, symbolisé par la perte de quelques ultimes arpents de terre madelinote. Je n'ai pas souvenir d'avoir tant partagé la peine d'un tiers. Pour ma part, ma mère m'a raccroché au nez cette semaine, lorsque après lui avoir fait part de mon arrestation (pour me prémunir contre l'accusation coutumière de lui cacher des choses), elle a réagi par des reproches et des leçons dont je lui ai dit que je n'en avais pas besoin de sa part. Des cours sur l'art de ne pas effrayer son voisin? D'elle?



Parlé avec Hans, qui a aussi appris quelque chose de mon récent désagrément: un avocat qui plaide au criminel et qui accepte un mandat de l'aide juridique doit acheminer à celle-ci le même jour sa requête de paiement par voie de fax. Je me réjouis tellement d'avoir insisté auprès de ce vieux H pour qu'il passe son examen du Barreau!



4.9.02

Kevin lessive ses fringues schlinguantes à la buanderie adjacente. Il vient de passer faire un tour cependant que je cherchais le code de l'accent grave sur ce clavier anglais.



Justine a su la raison de mon silence; ça me rassure qu'elle soit rassurée. Quant au petit cadeau glissé sous ma porte, je ne peux guère en parler sans rompre les conditions de ma libération.



Nulla dies sine linea. Pas un jour sans une ligne. La devise préférée de Zola, et la mienne ces temps-ci, même si je doute que nous parlions de la même chose.

3.9.02

La fédération mondiale de bridge vient de retirer sa médaille d'argent à une championne ayant refusé le test anti-dopage. Les officiels nient pourtant, de façon absurde, que l'usage de drogues puisse améliorer la performance. Comme si turbo-compresser le jus qui irrigue les neurones n'agissait en rien sur la créativité.



J'écris depuis un bureau de change de la Western Union, comme Miller à Paris en 1932. Attendant un (re)virement. Kevin a commencé sa session ce matin avec un cours sur l'Histoire de l'Antiquité. Je loue des films chez Blockbuster et je mange à m'en éclater les tripes, avec une pensée pour les pauvres types emprisonnés dans la puanteur de Rivière-des-Prairies. There but for the grace of God goes I...

2.9.02

Nouvelles à la sauvette...



J'ai fait quelques jours de cabane suite à un désaccord avec mon voisin sur le volume de sa musique d'élection. Ce n'est qu'à l'amitié lumineuse de Kevin et aux talents de plaideur de Hans que je dois ma remise en liberté d'ici la fin des procédures. Toutefois, il m'est interdit de rentrer chez moi et je vis chez Kevin en attendant que les choses se tassent. Privé d'ordinateur, je ne pourrai probablement pas alimenter le Journal autant que je le souhaiterais.



Semper fidelis.

26.8.02

K et moi, on a gratté de-ci de-là jusqu'à trouver de quoi payer ses dettes à l'université. Lui l'argent qu'il a gagné, moi celui qu'il m'a prêté. Le voilà fin prêt, frais, dispos et pauvre, à attaquer la prochaine session.



D'autre part, j'ai disposé moi-même du pot de fleurs; il s'avère que Kevin a le coeur encore plus tendre que moi.

24.8.02

J'ai failli faire mon droit. J'ai choisi la littérature. Vingt ans après, force m'est de constater certaines choses, dont ceci: les dents de l'avocat moyen, même très moyen, sont en meilleur état que celles de l'écrivain qui vivote de sa plume. Trois ans que je n'ai pu consulter un dentiste, et cette nuit, une de mes molaires a résolu sa crise de nerf en explosant.



L'autre chose est que tous deux, le droit et le métier des lettres, consistent essentiellement à faire surgir des lapins de son chapeau.
Kevin et moi célébrons le premier anniversaire de notre rencontre. «Ça fait une semaine qu'on fête! bougonne-t-il. Ça fait un an!»



La bourse m'a été refusée. «Nous espérons que vous trouverez malgré tout les moyens voulus pour continuer votre démarche artistique...» L'hiver sera dur.



Mario a lancé son blog, Les temps post-modernes.

22.8.02

Comme si je risquais jamais de l'oublier, Sylvie Demers, la Liv des romans, me rappelle périodiquement et sans faire le moins du monde exprès pourquoi elle fut, reste et sera mon plus durable, mon plus inoxydable amour... Aujourd'hui, c'est par courrier électronique.



E-mail de Sylvie:



Objet: Synesthétique



Bonjour Christian,



Causant synesthésies, voici un extrait du texte «Richard Wagner et Tannhauser» de Charles Baudelaire dans lequel il commente brièvement les deux premières strophes de son poème «Correspondances». Le vers central «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent» renvoie, entre autres, au vers final de ce sonnet qui «chante(nt) le transport de l’esprit et des sens».



Extrait du texte «Richard Wagner et Tannhauser» de Charles Baudelaire :



M'est-il permis à moi-même de raconter, de rendre avec des paroles la traduction inévitable que mon imagination fit du même morceau, lorsque je l'entendis pour la première fois, les yeux fermés, et que je me sentis pour ainsi dire enlevé de terre ? Je n'oserais certes pas parler avec complaisance de mes rêveries, s'il n'était pas utile de les joindre ici aux rêveries précédentes. Le lecteur sait quel but nous poursuivons : démontrer que la véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents. D'ailleurs, il ne serait pas ridicule ici de raisonner a priori, sans analyse et sans comparaisons ; car ce qui serait vraiment surprenant, c'est que le son ne pût pas suggérer la couleur, que les couleurs ne pussent pas donner l'idée d'une mélodie, et que le son et la couleur fussent impropres à traduire des idées ; les choses s'étant toujours exprimées par une analogie réciproque, depuis le jour où Dieu a proféré le monde comme une complexe et indivisible totalité.



La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers ?



Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.



(Correspondances)




La voilà, ma Sylvie, soucieuse de m'éviter les embarras qui suivraient certainement ma réinvention sous un autre nom d'une doctrine énoncée en premier par Chuck B il y a cent quarante ans. Surprenant que Kevin n'ait pas d'emblée fait ce lien: il mange du Chuck B au petit déjeûner, le connaît mieux que les asticots du cimetière Montparnasse qui se repaissent de la carcasse, et je plains le pauvre diable qui lui apprendra la mort du poète...



Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, c'est le titre complet de cette étude, d'abord publiée dans la Revue européenne le 1er avril 1861 avant de paraître en plaquette au mois de mai suivant. À première vue, Chuck B et moi parlons bien de la même chose, et pourtant non. «Le lecteur sait», écrit-il, «quel but nous poursuivons : démontrer que la véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents.» Ce n'est certes pas le but que je poursuis, ne serait-ce que parce que je ne crois pas que ce soit le cas. En fait, je sais d'expérience que c'est faux: un même stimuli ne produit pas le même effet chez chacun, l'effet est tributaire de cent facteurs extrinsèques au stimuli et l'artiste fera bien d'user son précieux temps à démontrer que la véritable musique suggère des sensations et/ou des idées dans des natures différentes, sans se soucier de l'analogie. Quelle répugnante pensée, d'ailleurs, que celle de susciter d'identiques réactions en diverses personnes. C'est un travail de prêtre et de politicien, pas de poète. La synesthétique dont nous nous amusons à définir les propriétés, qui n'est qu'un creuset utile pour cristalliser nos conceptions, cette chose, donc, ne vise qu'à déclencher avec de l'encre une réaction tant physique que réflexive, que l'artiste s'ingénie à prévoir et contrôler —par exemple, en supprimant la ponctuation sans prévenir sur six cents mots, en y substituant des rimes riches et régulières rythmant une métrique alexandrine subliminale, si bien que le lecteur halète et que son coeur bat plus vite et que son débit mental accélère, essayez vous verrez c'est marrant!



Son Excellence shawine annonce qu'elle compte se casser en février 2004. Déjà, les louanges pleuvent. Cette ordure corrompue, ce couard bovin, ce honteux token-frog, ce sinistre colon est désormais en position de lire ses propres éloges funèbres avant même d'avoir rendu l'âme au diable qui la lui a achetée dans les années 60. Qu'il frétille forever dans un chaudron d'eau bouillante du Lac Meech.
E-mail de Justine:



Objet: Courriels



Moi j'aime ça les courriels, c'est intime; souvent la première chose que je

voudrais lire dans l'ordi d'un ami. Et puis c'est drôle de voir comme plusieurs personnes ne veulent pas voir leur nom se retrouver à tes côtés. «Ne me nomme pas», «ma blonde sait pas que je te connais», «mon mari sait pas que je te vois». Il faudrait pouvoir tout dire...



La Côte azurée ne va pas me manquer autant que ta matière grise maintenant. J'arrive et je te gâte.



xx
E-mail de (identité masquée sur demande de l'auteur):



Objet: In(dé)fini mon cul!



Tu as raison ce ne sont pas mes oignons, n'empêche que ça me rogne de voir cette fille sous-titrer sans vergogne son site Journal in(dé)fini après en avoir gommé toute trace de ton existence nominale. Hein? Parce que c'est toi qui l'as trouvée, cette (in)définition, je le sais, j'y étais, Annie t'engueulait en insistant pour que t'enlèves la liaison dangereuse vers son Journal de Script parce que t'avais osé ajouter une vague définition de ce que c'était pour toi, elle voulait pas que tu la définisses, ni toi ni personne, elle disait qu'elle ne se définissait même pas elle-même alors hein? et tu lui as dit d'aller se faire mettre, que tu écrivais ce que tu voulais dans TON journal, mais le lendemain ou deux jours après tu as remplacé la vague définition (Je n'arrive pas à me rappeler ce que c'était) par Journal In(dé)fini et vous avez fait la paix, je le sais, j'y étais, enfin pas tout le temps, mais j'entendais. Tu devrais pas laisser faire ça. C'est juste pas juste.



Autrement, j'aime bien ton Journal. Sa lecture me fait sentir... je sais pas, moi... que ma vie n'est pas si moche que ça, voilà! Que la tienne, je veux dire. Ha ha! Sauf ces derniers jours: meubler l'espace avec des courriels, ça fait écrivain essoufflé, il faut faire attention, t'as pas besoin de ça, qu'on dise que tu cales. En tout cas, si tu me fais le coup (haha), j'espère que tu vas masquer mon identité, comme on dit. Ma blonde ne sait pas que je te connais, et j'aimerais que ça reste comme ça.



Mon flo arrive, faut que je coupe court, ciao big guy.



identité masquée sur demande de l'auteur