Mon père, Réjean, était fort comme un cheval. Il l'est toujours, que je sache: un vieux cheval...
En 1978, je fus opéré aux deux pieds pour des ongles incarnés, j'avais quatorze ans, je mesurais déjà plus d'un mètre 80, et je reçus en même temps l'invitation d'un éditeur à le rencontrer pour discuter d'un manuscrit que je lui avais adressé.
Mes pieds étaient pansés, lourdement bandés. Je ne pouvais pas marcher. Je ne vivais pas à Montréal.
Mon père m'a emmené en truck, en plein hiver, il a fallu se garer deux rues plus bas que l'adresse des Éditions Quinze, sur Côte-des-Neiges, et il m'a pris dans ses bras pour grimper la pente glacée et m'a porté jusque là, et a gravi l'escalier...
L'éditeur, c'était Pierre Turgeon. J'ai publié Vacuum chez lui, vingt ans plus tard, et mon fils a travaillé pour lui. Pierre n'a jamais su que j'étais le même géant gamin costumé et cravaté que mon père avait déposé dans son bureau jadis.
Quant à Papa, ma foi... Il était fier de moi et je ne le comprenais même pas.
21.7.13
17.7.13
We are you and you are us.
Peut-on entendre, se faire dire quelque chose de plus beau, de plus chaud que ça...
14.7.13
Emcée, quarantièmes rugissants: Joyeux anniversaire, mon bel amour.
Tu as changé ma vie, pour le meilleur et pour le mieux, et tu soignes et guéris les gens, et tu vivras jusqu'à cent ans. Tu es belle comme la lune et forte comme une bête lumineuse de légende, tu es souple, agile et tête de pioche, tes lèvres savent rire, bouder et embrasser, tes seins gonflent ton chandail, tes yeux enflent mon coeur...
13.7.13
Enfants de la patrie...
J'étais Place de la Concorde ce 14 juillet 1989, quand Jessye Norman, drapée dans une robe tricolore conçue par Azzedine Alaïa, entonna La Marseillaise. Suis pas près d'oublier ce soir-là. Cet hymne, probablement le plus sanguinaire qui soit, exprimait pourtant toute une histoire d'espoir, de justice, de bonne volonté, de Lumières...
Ce pays fou, celui de mes ancêtres, de mes amis maintenant, de mes anciens cousins, que je châtie souvent parce que je l'aime tant, le pays de Blue, je lui souhaite demain une belle et bonne Fête Nationale.
Ce pays fou, celui de mes ancêtres, de mes amis maintenant, de mes anciens cousins, que je châtie souvent parce que je l'aime tant, le pays de Blue, je lui souhaite demain une belle et bonne Fête Nationale.
12.7.13
On a beau être le meilleur acteur du monde, on est toujours... Euh, ben... le meilleur acteur du monde.
No matter where il paie ses impôts!
Tu bouffes comme une pelleteuse. OUAAHAHAHA!!!
C'est un asile de fous, pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons, mais vous imaginez un peu la taille des bâtiments?
Tu bouffes comme une pelleteuse. OUAAHAHAHA!!!
C'est un asile de fous, pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons, mais vous imaginez un peu la taille des bâtiments?
Janis Ian
9.7.13
Le Kid à Conrad...
Fait trop longtemps que j'ai pas évoqué cet homme étonnant, cet ogre doux, qui digère la noirceur et chie de la lumière, son esprit brillant gouvernant son corps géant, et son coeur qui règne au centre.
Y a rien à jeter, dans l'ouvrage de Gaétan Bouchard, on peut y entrer au hasard par cent portes comme dans un manoir, on sera pas déçu de la visite. On peut entrer par la peinture, par la musique, par la littérature...
Les Tribaux full patch connaissent déjà bien Butch, mais à l'intention des prospects, voici un châssis parmi cent par lequel pénétrer sa maison.
Cent portes, cent châssis...
Et juste par précaution, parce que je truste de moins en moins la légende du contenu web éternel, et parce que je sais qu'il ne m'en voudra pas, je le recopie ici, ce châssis...
Je vais paraître ringard et le suis sans doute à ma façon. Mes idoles, quand j'étais jeune, c'était mes parents. Je voyais bien qu'ils se fendaient le cul pour leurs quatre gros et grands enfants mâles à l'appétit vorace. Même au temps des pires calamités, ils trouvèrent le moyen de nous faire sentir que nous ne manquions de rien.
Mes parents n'ont jamais eu d'auto et leurs bicyclettes étaient rouillées.
Ils nous ont mis au-dessus de leurs intérêts primaires et égoïstes. Ils bûchaient dur, croyez-moi. Ils buvaient de l'eau ou du Seven-Up et ne sortaient jamais. Ils vivaient pour que nous vivions.
Je revois ma mère en train de coudre des montagnes de chemises payées quelques sous la pièce sur sa Singer légendaire. Je la revois revenir épuisée après une journée de ménage chez des particuliers ou bien après une nuit de travail de préposée aux bénéficiaires au foyer pour personnes âgées. Elle occupait ses temps libres à nous faire de la bonne bouffe et des desserts qu'on gobait tout rond sans même mâcher, comme des ogres.
Je revois mon père en train de faire le Père Noël chez Zeller's, sur la rue des Forges. C'était pendant une grève de la compagnie d'aluminium Reynolds, pour ajouter un peu de pognon au chèque hebdomadaire du fonds de grève. Je nous revois sur ses genoux de Père Noël, moi et mon plus jeune frère.
-Qu'est-ce qu'on va awouère à Noël Pa? que nous lui demandions, les yeux plein de signes de piastres.
-Crétak! E'l'Père Noël est pas ben ben riche c't'année... Ses lutins sont en grève...
-Ok d'abord...
Je ne me souviens pas quel cadeau j'ai reçu ce Noël-là. Peut-être des figurines G.I. Joe que nous avions décapités à coups de hache deux ou trois mois plus tard.
Hormis mon frère aîné, qui nous servait de point de repère moral pour tempérer notre stupidité naturelle, nous avions cette manie de trouver un plaisir pathologique à briser nos jouets. Nous décapitions nos figurines, envoyions nos petites autos à la casse à coups de pic à glace, n'importe quoi pourvu que les parents ne nous voient pas et que les amis nous applaudissent pour notre audace.
LE CHAPELET ET LE VOTE DE GRÈVE
Comme la Reynolds était souvent en grève ou en lock-out, mon père ne pouvait pas vivre seulement sur son statut de Père Noël à temps très partiel. Aussi, il devint agent de sécurité. De nuit, il faisait ses rondes. De jour, il tenait sa pancarte avec ses camarades grévistes.
Je me souviens d'un fameux vote de grève. C'était dans le tournant des années '80.
Ma mère capotait. «Comment va-t-on arriver? Si la Reynolds tombe en grève, comment va-t-on se nourrir, s'habiller?»
Pour conjurer le sort, elle nous mit un chapelet entre les mains, moi et mon frère. On s'est ensuite mis à réciter des Je vous salue Marie, des Notre Père et des quossins qui ont trait au Rosaire, au Roger ou bien au je ne plus trop.
-On va prier pour que les employés de la Reynolds votent contre la grève! Prenez votre chapelet et prions ensemble...
Nous récitions à pleine vitesse, sans marquer de pause.
-Jevoussaluemariepleinedegrâcesleseigneurestavecvousetspiritussanctiyouppiamen.
On récitait vite en tabarnak. Fiou! C'était à en attraper des ampoules aux doigts, tellement le chapelet défilait vite dans nos mains. Plus je priais et plus j'avais mal aux genoux. Et plus j'avais mal aux genoux et plus je doutais de la sagesse de Dieu. Je faisais semblant de marmonner ces incantations, ces youppi-amen-mes-culottes-sont-pleines, pour ne pas déplaire à ma mère.
Nous étions encore en train de prier lorsque mon père fit irruption dans notre modeste logement de la rue Cloutier, macaron de la CSN sur sa chemise, droit comme un i, fier, debout et digne.
-Reynolds ! Reynolds! chantait-il, mange d'la marde t'auras pas not'peau!
Du coup, nous nous mîmes à rire, moi et mon frère, au grand dam de ma mère, contristé, inquiète du sort qui nous attendait.
-Les gars, j'en ai une autre, disait mon père. C'est sur l'air de Savez-vous planter des choux.
Savez-vous planter des boss
À la mode, à la mode
Savez-vous planter des boss
À la mode de chez-nous
-Une autre Pa! Une autre!
-Ok. So-so-so solidarité! So-so-so solidarité!
-So-so-so solidarité!
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
-Tu vas pas leur faire répéter ça Conrad! Quel exemple tu donnes aux enfants!
-Dans ' vie, ma Jeannine, faut pas s'faire piler sur les pieds!
-Comment c'que c'est qu'on va arriver? Ma Foi du Saint-Ciel!
-On va s'en sortir pis les crisses de baveux de la Reynolds vont nous payer!
Après le chapelet, il n'y avait rien de mieux qu'un peu de révolte. Alors, nous nous sommes tous mis à chanter avec le père:
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
La grève dura près de deux ans.
Les travailleurs de la Reynolds étaient les travailleurs de l'aluminium les plus mal payés de toute l'Amérique du Nord. Les conditions de travail étaient aussi parmi les moins bonnes. Tout ce qu'il fallait pour faire une bonne grève.
Cette grève est allée une coche plus loin que les autres grèves. Elle a frisé la révolution sociale. Même les policiers du Cap-de-la-Madeleine ont pris partie pour les grévistes de la Reynolds, à l'époque, prêts à affronter la brigade anti-émeute de la Sûreté du Québec pour défendre les grévistes. Les policiers du Cap ne se voyaient pas en train de frapper leur frère, leur oncle, leur beau-frère.
REYNOLDS, CORUS PUIS ALERIS...
Mon père est décédé d'un cancer en 1996. Il avait pris sa retraite à 62 ans. Il bénéficiait de sa pleine retraite mais une petite clause de son contrat élaborée par quelque minable actuaire laissait entendre que la veuve ne disposerait pas du fonds de retraite s'il décédait avant 65 ans. Il est mort l'année suivante. Imaginez le reste.
Mon père est mort jeune, comme plusieurs anciens travailleurs de la Reynolds du Cap-de-la-Madeleine: l'huile, la bauxite, les quarts de travail, ça scrappe son homme.
La Reynolds a eu sa peau, mais pas son âme. Teddy, c'est ainsi que l'appelaient ses chums de la shop, n'a jamais pris le parti des boss. Il était corps et âme pour sa famille et ses camarades.
Puis la Reynolds est passée entre les mains de Corus puis, plus récemment, du groupe Aleris.
Vendredi dernier, les travailleurs en lock-out de l'usine Aleris ont voté à 80,3% contre les offres patronales. La compagnie menaçait de fermer et a finalement mis sa menace à exécution.
Quoi qu'il advienne, quoi qu'en disent le maire Lévesque et tous les gérants d'estrade, mon coeur penche du côté des quelques 80,3% des employés pour qui la dignité porte encore un nom.
-Aleris! Aleris! Mange d'la marde t'auras pas leur âme!
Y a rien à jeter, dans l'ouvrage de Gaétan Bouchard, on peut y entrer au hasard par cent portes comme dans un manoir, on sera pas déçu de la visite. On peut entrer par la peinture, par la musique, par la littérature...
Les Tribaux full patch connaissent déjà bien Butch, mais à l'intention des prospects, voici un châssis parmi cent par lequel pénétrer sa maison.
Cent portes, cent châssis...
Et juste par précaution, parce que je truste de moins en moins la légende du contenu web éternel, et parce que je sais qu'il ne m'en voudra pas, je le recopie ici, ce châssis...
dimanche 13 juillet 2008
REYNOLDS! REYNOLDS! MANGE D'LA MARDE T'AURAS PAS NOT' PEAU!
Je vais paraître ringard et le suis sans doute à ma façon. Mes idoles, quand j'étais jeune, c'était mes parents. Je voyais bien qu'ils se fendaient le cul pour leurs quatre gros et grands enfants mâles à l'appétit vorace. Même au temps des pires calamités, ils trouvèrent le moyen de nous faire sentir que nous ne manquions de rien.
Mes parents n'ont jamais eu d'auto et leurs bicyclettes étaient rouillées.
Ils nous ont mis au-dessus de leurs intérêts primaires et égoïstes. Ils bûchaient dur, croyez-moi. Ils buvaient de l'eau ou du Seven-Up et ne sortaient jamais. Ils vivaient pour que nous vivions.
Je revois ma mère en train de coudre des montagnes de chemises payées quelques sous la pièce sur sa Singer légendaire. Je la revois revenir épuisée après une journée de ménage chez des particuliers ou bien après une nuit de travail de préposée aux bénéficiaires au foyer pour personnes âgées. Elle occupait ses temps libres à nous faire de la bonne bouffe et des desserts qu'on gobait tout rond sans même mâcher, comme des ogres.
Je revois mon père en train de faire le Père Noël chez Zeller's, sur la rue des Forges. C'était pendant une grève de la compagnie d'aluminium Reynolds, pour ajouter un peu de pognon au chèque hebdomadaire du fonds de grève. Je nous revois sur ses genoux de Père Noël, moi et mon plus jeune frère.
-Qu'est-ce qu'on va awouère à Noël Pa? que nous lui demandions, les yeux plein de signes de piastres.
-Crétak! E'l'Père Noël est pas ben ben riche c't'année... Ses lutins sont en grève...
-Ok d'abord...
Je ne me souviens pas quel cadeau j'ai reçu ce Noël-là. Peut-être des figurines G.I. Joe que nous avions décapités à coups de hache deux ou trois mois plus tard.
Hormis mon frère aîné, qui nous servait de point de repère moral pour tempérer notre stupidité naturelle, nous avions cette manie de trouver un plaisir pathologique à briser nos jouets. Nous décapitions nos figurines, envoyions nos petites autos à la casse à coups de pic à glace, n'importe quoi pourvu que les parents ne nous voient pas et que les amis nous applaudissent pour notre audace.
LE CHAPELET ET LE VOTE DE GRÈVE
Comme la Reynolds était souvent en grève ou en lock-out, mon père ne pouvait pas vivre seulement sur son statut de Père Noël à temps très partiel. Aussi, il devint agent de sécurité. De nuit, il faisait ses rondes. De jour, il tenait sa pancarte avec ses camarades grévistes.
Je me souviens d'un fameux vote de grève. C'était dans le tournant des années '80.
Ma mère capotait. «Comment va-t-on arriver? Si la Reynolds tombe en grève, comment va-t-on se nourrir, s'habiller?»
Pour conjurer le sort, elle nous mit un chapelet entre les mains, moi et mon frère. On s'est ensuite mis à réciter des Je vous salue Marie, des Notre Père et des quossins qui ont trait au Rosaire, au Roger ou bien au je ne plus trop.
-On va prier pour que les employés de la Reynolds votent contre la grève! Prenez votre chapelet et prions ensemble...
Nous récitions à pleine vitesse, sans marquer de pause.
-Jevoussaluemariepleinedegrâcesleseigneurestavecvousetspiritussanctiyouppiamen.
On récitait vite en tabarnak. Fiou! C'était à en attraper des ampoules aux doigts, tellement le chapelet défilait vite dans nos mains. Plus je priais et plus j'avais mal aux genoux. Et plus j'avais mal aux genoux et plus je doutais de la sagesse de Dieu. Je faisais semblant de marmonner ces incantations, ces youppi-amen-mes-culottes-sont-pleines, pour ne pas déplaire à ma mère.
Nous étions encore en train de prier lorsque mon père fit irruption dans notre modeste logement de la rue Cloutier, macaron de la CSN sur sa chemise, droit comme un i, fier, debout et digne.
-Reynolds ! Reynolds! chantait-il, mange d'la marde t'auras pas not'peau!
Du coup, nous nous mîmes à rire, moi et mon frère, au grand dam de ma mère, contristé, inquiète du sort qui nous attendait.
-Les gars, j'en ai une autre, disait mon père. C'est sur l'air de Savez-vous planter des choux.
Savez-vous planter des boss
À la mode, à la mode
Savez-vous planter des boss
À la mode de chez-nous
-Une autre Pa! Une autre!
-Ok. So-so-so solidarité! So-so-so solidarité!
-So-so-so solidarité!
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
-Tu vas pas leur faire répéter ça Conrad! Quel exemple tu donnes aux enfants!
-Dans ' vie, ma Jeannine, faut pas s'faire piler sur les pieds!
-Comment c'que c'est qu'on va arriver? Ma Foi du Saint-Ciel!
-On va s'en sortir pis les crisses de baveux de la Reynolds vont nous payer!
Après le chapelet, il n'y avait rien de mieux qu'un peu de révolte. Alors, nous nous sommes tous mis à chanter avec le père:
-Les boss, les boss, les hosties d'boss, un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!
La grève dura près de deux ans.
Les travailleurs de la Reynolds étaient les travailleurs de l'aluminium les plus mal payés de toute l'Amérique du Nord. Les conditions de travail étaient aussi parmi les moins bonnes. Tout ce qu'il fallait pour faire une bonne grève.
Cette grève est allée une coche plus loin que les autres grèves. Elle a frisé la révolution sociale. Même les policiers du Cap-de-la-Madeleine ont pris partie pour les grévistes de la Reynolds, à l'époque, prêts à affronter la brigade anti-émeute de la Sûreté du Québec pour défendre les grévistes. Les policiers du Cap ne se voyaient pas en train de frapper leur frère, leur oncle, leur beau-frère.
REYNOLDS, CORUS PUIS ALERIS...
Mon père est décédé d'un cancer en 1996. Il avait pris sa retraite à 62 ans. Il bénéficiait de sa pleine retraite mais une petite clause de son contrat élaborée par quelque minable actuaire laissait entendre que la veuve ne disposerait pas du fonds de retraite s'il décédait avant 65 ans. Il est mort l'année suivante. Imaginez le reste.
Mon père est mort jeune, comme plusieurs anciens travailleurs de la Reynolds du Cap-de-la-Madeleine: l'huile, la bauxite, les quarts de travail, ça scrappe son homme.
La Reynolds a eu sa peau, mais pas son âme. Teddy, c'est ainsi que l'appelaient ses chums de la shop, n'a jamais pris le parti des boss. Il était corps et âme pour sa famille et ses camarades.
Puis la Reynolds est passée entre les mains de Corus puis, plus récemment, du groupe Aleris.
Vendredi dernier, les travailleurs en lock-out de l'usine Aleris ont voté à 80,3% contre les offres patronales. La compagnie menaçait de fermer et a finalement mis sa menace à exécution.
Quoi qu'il advienne, quoi qu'en disent le maire Lévesque et tous les gérants d'estrade, mon coeur penche du côté des quelques 80,3% des employés pour qui la dignité porte encore un nom.
-Aleris! Aleris! Mange d'la marde t'auras pas leur âme!
Publié par Gaétan Bouchard
Une petite fable, mes beaux tribaux? Oui, oui, de Monsieur de la Fontaine. Peu connue, pour d'évidents motifs. But YOU will like it. Y a pas de chiens, ici, y a que des loups.
Le Loup et le Chien
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Les Fables, Livre I
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Les Fables, Livre I
7.7.13
Khalil Gibran, Le Prophète: L'amitié
Et un jeune dit, Parle-nous de l’Amitié.
Et il répondit, disant :
Votre ami est votre besoin qui a trouvé une réponse.
Il est le champ que vous semez avec amour et moissonnez avec reconnaissance.
Il est votre table et votre foyer.
Car vous venez à lui avec votre faim, et vous cherchez en lui la paix.
Lorsque votre ami parle de ses pensées vous ne craignez pas le "non" de votre esprit, ni ne refusez le "oui".
Et quand il est silencieux votre cœur ne cesse d’écouter son cœur ;
Car en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans une joie muette.
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous désolez pas ;
Car ce que vous aimez en lui peut être plus clair en son absence, comme la montagne pour le randonneur est plus visible vue de la plaine.
Et qu’il n’y ait d’autre intention dans l’amitié que l’approfondissement de l’esprit.
Car l’amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n’est pas l’amour, mais un filet jeté au loin : et ce que vous prenez est vain.
Et donnez à votre ami le meilleur de vous-même.
Et s’il doit connaitre le reflux de votre marée, laissez le connaitre aussi son flux.
Car qu’est-ce que votre ami si vous venez le voir avec pour tout présent des heures à tuer ?
Venez toujours le voir avec des heures à faire vivre.
Car il est là pour remplir vos besoins, et non votre néant.
Et dans la tendresse de l’amitié qu’il y ait le rire et le partage des plaisirs.
Car dans la rosée de menues choses, le cœur trouve son matin et sa fraîcheur.
Halle Berry. OK. Who gives a flying fuck about Halle Berry? That's what I'd like to know...
6.7.13
5.7.13
Évangéline et Gabriel
Elle est devenue infirmière en traversant la vie pour le retrouver.
Elle avait ce qu'on appelle communément une tête de pioche.
Elle avait ce qu'on appelle communément une tête de pioche.
3.7.13
Longue carabine...
Parfois, oh parfois, oh maybe, oh God almighty, c'est ce qu'il faut, un Long Rifle, un cimeterre de Mohican?
30.6.13
Le génie...
Le génie n'est pas lié à l'instruction, à l'art, la littérature ou la science.
Le génie, c'est ce qu'on peut seul faire sans pouvoir expliquer comment on le fait.
Wayne Gretzky. Mohammed Ali. Elvis Presley. Moi, aussi, évidemment, mais accessoirement.
Le génie, c'est ce qu'on peut seul faire sans pouvoir expliquer comment on le fait.
Wayne Gretzky. Mohammed Ali. Elvis Presley. Moi, aussi, évidemment, mais accessoirement.
En ce temps-là, outre Yes & No, mon frère Kevin parlait pas Yâwb l'anglais, pis le nom d'Elvis lui donnait de l'urticaire.
Mais il m'aimait et me trustait et il a regardé ça, avant de s'exclamer: "Wow! C'est un génie, ce gars-là!"
27.6.13
24.6.13
un drapeau...
Faisons donc ce que nous pouvons, ce que nous devons, pour qu'il signifie ce qu'il peut, ce qu'il doit...
23.6.13
Maurice: le second épisode
Comment Jean Lapointe, un burlesque ivrogne de vaudeville durant trente ans, sans formation de Conservatoire, est-il devenu le plus grand acteur naturel qu'on ait produit?
Ben c'est ça. Pas de Conservatoire, ciboire.
20.6.13
Duplessis: la totale
À commencer par le premier épisode.
Ma grand-mère me parlait encore des culottes à Vautrin en 1976...
Ma grand-mère me parlait encore des culottes à Vautrin en 1976...
18.6.13
14.6.13
Blue by Lorka
Laure Kalangel, dont le talent m'époustoufle depuis longtemps, me fournit avec ce nouveau vidéo l'occasion d'ajouter quelque chose au portrait de Blue tel que je le brosse en mots et le publie par petits bouts. Quelque chose que je retenais faute de trouver un moyen de l'écrire sans paraître me flatter moi-même.
Blue pose un regard intensément aimant et curieux sur l'art, j'ai souvent tenté de l'expliquer, mais c'est en fait l'artiste qu'elle cherche, son intention, sa volonté, c'est lui qu'elle souhaite écouter, entendre, comprendre à travers son travail, et comme il est souvent soit mort soit ailleurs que son oeuvre, c'est l'oeuvre que Blue interroge, et qui interroge Blue. Mais il y a autre chose encore. Blue cherche la beauté, et je ne sache pas qu'elle ait échoué à la trouver, au sens où la laideur est une absurdité à ses yeux. Si quelque chose lui paraît laid a priori, elle se frotte les yeux et regarde à nouveau, autrement. L'idée qu'un créateur ait pu délibérément produire de la laideur lui est étrangère, et à la rigueur elle trouverait cela beau. Sa bonté sans fond envers tous ceux qui ne font pas exprès de créer laid ou pas l'effort de faire du beau m'exaspère bien souvent, mais c'est aussi l'un des traits qui fondent pourquoi je l'aime tant.
Enfin, car il y a autre chose encore: Blue est elle-même une oeuvre d'art, et se considère ainsi depuis trente ans, et se construit, et s'entoure de talents qui savent la voir. Patrick Natier fut probablement le premier. Qui n'a jamais cessé de la contempler, la peindre et la photographier. Je suis venu beaucoup plus tard, avec des mots. Laure Kalangel le fait avec des images qui bougent et qu'elle monte avec un style et une syntaxe aussi brillants et personnels que le pourrait un Littéraire. Un grand Littéraire...
10.6.13
3.6.13
Ce 3 juin
Ce 3 juin est le jour anniversaire d'une personne qui m'est chair. À qui je dois la vie. La vie qui n'est pas tous les jours un cadeau, mais que l'espèce humaine depuis qu'elle existe et tant qu'elle durera considère comme un don. Mystérieux. Créateur. Magique.
Thank you for my life.
Thank you for my life.
2.6.13
Le nouveau monde
Remember this? I do. J'oublierai jamais.
J'oublierai encore moins que mon grand amour prétende ne rien voir de mal à payer pour mettre les pieds dans ce Théâtre du Nouveau Monde. Une femme qui m'a séduit, menti, fait croire qu'elle partageait mes principes. Qui m'a trahi.
J'oublierai encore moins que mon grand amour prétende ne rien voir de mal à payer pour mettre les pieds dans ce Théâtre du Nouveau Monde. Une femme qui m'a séduit, menti, fait croire qu'elle partageait mes principes. Qui m'a trahi.
19.5.13
16.4.13
Juste un crisse de Grilled Cheese!
Y a quelqu'un qui nous a shippé une recette de Grilled Cheese en français, mais on l'a égarée. MakesmewonderHum! croit se rappeler que l'ingrédient spécial, c'était du fromage bleu. Tonio dit que c'était du Maroilles, le cheese Ch'ti qui pue virtuellement dans le monde entier depuis le film de Dany Boon. Emcée dit que c'est des tranches de Kraft orange salé. Moé je dis fuck, c'est de la caséine anyway. Remember, la recette était en français. Ai-je besoin d'en dire plus? L'affaire est close, me semble. L'expéditeur s'est trahi. C'est manifestement une personne de l'Hexagone, et on peut d'emblée rayer trente millions de suspects du fait que la coupable est va sans dire de sexe pitoune. Les mecs bouffent des Grilled Cheese, à la rigueur ils s'en font cuire, mais ils écrivent pas la recette et la transmettent encore moins. Donc, une pitoune hexagonale de langue gauloise ignorant que caséine vient du latin caseus signifiant fromage et ignorant davantage qu'en France on s'en sert aussi (I kid you not! It's disgusting, I know, but it's all true!) comme liant de peinture. S'il n'y avait que ça, passe encore: on se souvient du scandale de l'antigel dans le Beaujolais Nouveau destiné à l'exportation (ici!). Correction: on s'en souvient pas, justement, alors imaginez ce qu'on peut s'en foutre de ce qu'ils mixent dans leur peinture, Picasso liait ses couleurs avec de la morve, Buonarroti incorporait du blanc d'oeuf à ses pigments, on va pas s'offusquer que les Français mettent du fromage dans leur acrylique. C'est quand on apprend que la caséine est aussi une colle utilisée dans les vins blancs pour les rafraîchir que là, franchement, on démissionne!
Je décrète donc que cette recette de Grilled Cheese en apparence inoffensive sentait mauvais pour cause de caséine de race floue.
24.3.13
Juste un signe de vie en flyby
Pour ceux des beaux Tribaux qui passent encore voir si chu pas mort: don't sweat, you sweet unholy bunch of brilliant caring bastards, the whole pack of you, Dawgs and Bitches and Pups, don't sweat, the dingo's got my baby, that's all, so I'm hunting dingo, you know, while chasing the dragon simultaneously, and GAWDDAAAMn it ain't as easy as it used to be. Don't run as fast, don't bite as hard no more, and those dingoes are young, Man, young and wild and triomphantly degenerate, as far as...
Oh dear! Gotta run! Chasing the dragon used to be such fun, before they let girls and Frenchmen into the game and mandatory piss tests were introduced. I'm thinking of retiring, coming back here, settle and chase cockroaches in my trailer, one or two a day, just to keep in shape, you know, and have fun, without girls, without Frenchmen, without piss tests...
18.2.13
Hier encore...
Chu trop maganné pour trouver les mots qu'il faudrait et en faire les phrases que tu mériterais en ce beau jour de ton anniversaire. Blue... Passé 40 ans, les gens dans leur immense majorité ne nouent plus d'amitiés totales, intenses, entières et virtuellement pour la perpète. Pour plusieurs raisons, toutes bonnes. Parce que ça ne se présente pas souvent, surtout. Imagine alors la valeur du cadeau que m'a fait la vie, elle qui en est avare: le cadeau de toi. D'une amitié statistiquement si improbable. Je suis passé de l'immense majorité à la micro-minorité bénie...
Je dois me hâter de terminer, héhé, sinon je raterais mon effet. Tu sais comment on a tôt appris à se moquer des fuseaux, à s'en faire un tape-cul, son centre de gravité au milieu de l'Atlantique, les extrémités de la planche sur deux continents, et nous assis dessus, balançant. On n'a jamais senti le décalage.
Ce soir, on fait exception. Tu as un an de plus depuis six heures chez toi. Ici, tu as un an de moins, Pour encore huit minutes. Tu as deux âges en même temps. T'es magique.
C'est mon cadeau. Faut je publie au plus sacrant!
Je dois me hâter de terminer, héhé, sinon je raterais mon effet. Tu sais comment on a tôt appris à se moquer des fuseaux, à s'en faire un tape-cul, son centre de gravité au milieu de l'Atlantique, les extrémités de la planche sur deux continents, et nous assis dessus, balançant. On n'a jamais senti le décalage.
Ce soir, on fait exception. Tu as un an de plus depuis six heures chez toi. Ici, tu as un an de moins, Pour encore huit minutes. Tu as deux âges en même temps. T'es magique.
C'est mon cadeau. Faut je publie au plus sacrant!
16.2.13
Quatrain cadeau de Kevin Vigneau
Épitaphe pour putain putride
Ci-gît l'égérie des giries
Qui molestait mille mollesses,
Mièvres et graves maladies
Qu'a colportait du cul aux fesses.
9.2.13
La vérité Venne
J'ai promis d'essayer, pas de réussir. À contacter Stéphane Venne et obtenir ses lumières sur le texte exact de sa chanson, qui fait l'objet du précédent billet...
Eh bien, je suis dans l'obligation de vous revenir avec une claire et concise constatation. LE BOUGRE N'EST PAS UN BRANLEUX! Et de plus il est très généreux.
D'abord, il m'écrit deux lignes. La première («Je confirme: par des bouderies inutiles») valide les oreilles fines de Ginette Desmarais et MakesmewonderHum. La seconde nous félicite («Et "youppi" pour le réflexe d'aller au-delà de la surface des choses.»).
M'empressant de le remercier, j'en ai profité pour oser demander davantage. Cette histoire de virgules et de découpage du texte, ça compte, pour moi. Sauf qu'on n'imprimait pas les paroles, en général, quand on produisait un microsillon en 1971, et que les photocopieurs étaient rarissimes: outre le manuscrit original final, il ne pouvait exister que trois exemplaires originaux du tapuscrit agréé par l'auteur (vu qu'il le dactylographiait personnellement): le feuillet alpha plus deux copies carbone. L'ère de l'ordi approchait, exégètes et archivistes littéraires ignoraient encore que leurs métiers iraient bientôt rejoindre ceux de maréchal-ferrant et de typographe aux poubelles de l'Histoire. Mais pour l'heure, un auteur dépendait entièrement du papier pour archiver et conserver l'oeuvre en cours, et cette entreprise exigeait, autant que de la vigilance, d'avoir de la chance. Le papier s'égare, se perd, s'envole, se vole. Surtout, il brûle...
Plusieurs se souviennent du cruel et violent incendie nocturne qui avait dévasté la belle vieille maison de Stéphane Venne en 2006, manquant l'asphyxier, lui, ses enfants et ses chats: au matin, une fois l'enfer éteint, le feu et l'eau et la fumée avaient tout emporté, dont quantité de manuscrits, y compris les inédits ainsi que les travaux en chantier (Venne, après vingt ans de silence, s'était remis à l'ouvrage).
J'ai donc hésité à le relancer à propos de cette question de ponctuation. À jeter de l'huile fraîche sur un vieux feu, so to speak. Ma mère s'est donnée un mal de chien à m'enseigner le tact et la délicatesse et l'empathie envers les malheurs d'autrui, et à défaut de pouvoir sans rigoler déclarer ses efforts couronnés de succès, reste qu'elle n'a pas élevé un absolu sauvage: j'ai retenu de tourner ma langue sept fois dans ma viande avant de l'utiliser. Malheureusement, maman avait sous-estimé mes besoins particuliers et souvent il s'avère que sept fois, dans mon cas, ne suffisent pas, mais enfin, c'est assez pour la plupart des situations ordinaires de tous les jours. Et je n'aurais donc pas relancé Venne, s'il s'était agi d'une situation ordinaire de tous les jours.
Sauf qu'être en communication avec Stéphane Venne, pour moi, c'est tout le contraire d'une situation ordinaire de tous les jours, c'est même à mon agenda depuis 1992. Et j'ai réalisé aussi que ce que m'inculquait ma mère valait en règle générale, pas en règle absolue. Tout dépendait de la personne à qui on s'adressait et de ce qu'on voulait lui dire. Or, Stéphane Venne allait certainement recevoir ma question dans le même esprit que je le ferais moi-même si on me la posait: en artisan du verbe pour qui les virgules ne sont pas des détails!
So I did, I dared, I thanked the man and then I asked: «Pouvez-vous m'éclairer sur la ponctuation?»
Cinq minutes après, il répondait: «Vous reviens...»
Ces points de suspension, là, ce choix plutôt qu'un point ou un point d'exclamation, soulageaient le léger doute qui me restait quant à mon intuition: pour lui, la ponctuation n'était pas une question vaine. Non, c'est pas un jeu de mots sur son nom, c'est juste un adon qu'il s'agisse du terme qui convienne.
Une heure et demie plus tard, il est revenu tel que promis, avec le texte intégral exact (mots, disposition, ponctuation), et dix lignes de propos frais en prime. Le relançant une dernière fois, j'ai sollicité la permission de les partager avec vous. Il me l'a accordée en un mot: «Go!»
Attention, la vie est courte
Paroles & musique : Stéphane Venne (1971)
Attention,
la vie est courte,
laissons tomber les jeux,
les trucs
et les scènes entre nous.
Un mariag’ d’amour,
c’est fragile.
Attention,
la vie est courte,
tout le temps qu’on passe à se battre
est foutu à jamais.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Attention,
la vie est courte,
c’est pas la peine de
l’abré-
ger davantage
par des bouderies
inutiles.
Attention,
la vie est courte,
allons nous coucher dans le lit
de la vie douce.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Tout’ la vie,
c’est tout’ la vie
mais pas une heur’
de plus.
As-tu vraiment
réfléchi
avant de dir’
« Salut »?
As-tu vraiment
réfléchi?
L’as-tu
vraiment
voulu?
Attends, attends, atten…
Considérant la nature essentiellement orale de la chanson, je n'utilise pas la ponctuation (ni aucun autre procédé de transcription sur papier) selon ses habituels paramètres liés à la lecture ou à la littérature. C'est encore plus vrai dans le cas de cette chanson-ci, qui est encore plus "vers-libriste" que certaines de mes autres: rimes bizarres ou absentes, césures bizarres ou asymétriques, faites à la fois pour épouser la structure mélodique et à s'en distancer, de sorte que "bancal" devienne "normal", et puisse produire une singularité à la fois inattendue et non-apparente, toujours au profit de la rétention (le tandem Hugo-Brassens m'a donné le goût de ces procédés). Faut bien s'amuser...
(SV, 6 février 2013)
1.2.13
Attention, la vie est courte
Il me revient toujours, régulièrement, des bribes de chansons de Pierre Lalonde que je chantonne, dans ma tête ou dans mon bain. Elles ne se muent jamais en vers d'oreilles haïssables. Comme les reflux de Nicole Croisille, genre, qui me font me taper le crâne sur les murs du Bunker cette semaine.
Eh oui, Pierre Lalonde.
L'une de ses chansons, enregistrée en 1971, je l'avais oubliée. C'est Ivan Le Terrible qui vient, bien involontairement, de me la rappeler, dans un comm chez lui rédigé pour désinfecter. Je l'en remercie.
J'ai d'abord, bien entendu, relu les paroles. Déformation professionnelle. Simple naturel. Lalonde n'est pas un parolier, ne s'est jamais prétendu tel, mais découvrir l'auteur réel d'une chanson sur le Web, c'est jamais une sinécure.
Attention, la vie est courte. C'est le titre. Et les paroles, sur papier, m'ont tout de suite paru provenir de la patte unique de Stéphane Venne. La chute est forte, audacieuse et brillante: oser tronquer le titre-refrain et en multiplier les possibles signifiances... Recherches acccomplies, l'intuition se confirme: Venne est le coupable; en prime, je découvre qu'il a aussi composé la mélodie.
Le texte qui suit n'est en rien garanti, vu qu'il vient du Web. Je ne connais pas d'anthologie officielle des paroles de Stéphane Venne. Ainsi, toute la ponctuation (son absence en l'occurrence) demeure sujette à caution. J'ai choisi, à l'instar de certaines versions, d'inclure une virgule après Attention, mais uniquement dans le titre, et je vais tenter de contacter l'auteur afin qu'il me, qu'il nous donne le fin mot de l'affaire. Je n'ai ajouté aucun autre signe, et j'ai corrigé l'impératif présent deuxième personne du verbe attendre en ajoutant le s final. Quant au vers Par défaut de rires inutiles, j'ai l'intime conviction qu'il résulte d'une transcription fautive, d'abord parce qu'il ne veut rien dire, ensuite parce qu'il diffère clairement de ce que chante Lalonde. Mon avis est que le véritable vers est Par étourderies inutiles: je me suis permis d'insérer cette hypothèse entre parenthèses après le vers tel que trouvé partout sur le Web.
AJOUT: Ginette Desmarais semble avoir résolu l'énigme en entendant Par des bouderies inutiles. Merci!
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
C’est pas la peine de l’abréger davantage
Par défaut de rires inutiles (Par étourderies inutiles? Par des bouderies inutiles?
Attention la vie est courte
Allons nous coucher dans le lit de la vie douce
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Toute la vie c’est toute la vie mais pas une heure de plus
As-tu vraiment réfléchi avant de dire salut
As-tu vraiment réfléchi l’as-tu vraiment voulu
Attends, attends
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
Attention la vie est courte
Attention la vie
J'avais sept ans, donc, quand la toune est sortie. Venne et Lalonde en avaient trente. Ils sont septuagénaires aujourd'hui. Pierre a révélé son Parkinson en 2010. J'approche la cinquantaine un jour à la fois. Attention, la vie est courte: les mots ne changent pas, mais leur sens, lui, oui, sans cesse et sans repos, avec l'implacable constance du chaos, pour qui les relit, les ressent, les revit...
Eh oui, Pierre Lalonde.
L'une de ses chansons, enregistrée en 1971, je l'avais oubliée. C'est Ivan Le Terrible qui vient, bien involontairement, de me la rappeler, dans un comm chez lui rédigé pour désinfecter. Je l'en remercie.
J'ai d'abord, bien entendu, relu les paroles. Déformation professionnelle. Simple naturel. Lalonde n'est pas un parolier, ne s'est jamais prétendu tel, mais découvrir l'auteur réel d'une chanson sur le Web, c'est jamais une sinécure.
Attention, la vie est courte. C'est le titre. Et les paroles, sur papier, m'ont tout de suite paru provenir de la patte unique de Stéphane Venne. La chute est forte, audacieuse et brillante: oser tronquer le titre-refrain et en multiplier les possibles signifiances... Recherches acccomplies, l'intuition se confirme: Venne est le coupable; en prime, je découvre qu'il a aussi composé la mélodie.
Le texte qui suit n'est en rien garanti, vu qu'il vient du Web. Je ne connais pas d'anthologie officielle des paroles de Stéphane Venne. Ainsi, toute la ponctuation (son absence en l'occurrence) demeure sujette à caution. J'ai choisi, à l'instar de certaines versions, d'inclure une virgule après Attention, mais uniquement dans le titre, et je vais tenter de contacter l'auteur afin qu'il me, qu'il nous donne le fin mot de l'affaire. Je n'ai ajouté aucun autre signe, et j'ai corrigé l'impératif présent deuxième personne du verbe attendre en ajoutant le s final. Quant au vers Par défaut de rires inutiles, j'ai l'intime conviction qu'il résulte d'une transcription fautive, d'abord parce qu'il ne veut rien dire, ensuite parce qu'il diffère clairement de ce que chante Lalonde. Mon avis est que le véritable vers est Par étourderies inutiles: je me suis permis d'insérer cette hypothèse entre parenthèses après le vers tel que trouvé partout sur le Web.
AJOUT: Ginette Desmarais semble avoir résolu l'énigme en entendant Par des bouderies inutiles. Merci!
Attention, la vie est courte
Stéphane VENNE
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
C’est pas la peine de l’abréger davantage
Par défaut de rires inutiles (Par étourderies inutiles? Par des bouderies inutiles?
Attention la vie est courte
Allons nous coucher dans le lit de la vie douce
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Toute la vie c’est toute la vie mais pas une heure de plus
As-tu vraiment réfléchi avant de dire salut
As-tu vraiment réfléchi l’as-tu vraiment voulu
Attends, attends
Attention la vie est courte
Laissons tomber les jeux les trucs et les scènes entre nous
Un mariage d’amour c’est fragile
Attention la vie est courte
Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais
Viens mon amour viens faisons la paix
Nous pourrons guérir nos égratignures après
Attention la vie est courte
Attention la vie est courte
Attention la vie
J'avais sept ans, donc, quand la toune est sortie. Venne et Lalonde en avaient trente. Ils sont septuagénaires aujourd'hui. Pierre a révélé son Parkinson en 2010. J'approche la cinquantaine un jour à la fois. Attention, la vie est courte: les mots ne changent pas, mais leur sens, lui, oui, sans cesse et sans repos, avec l'implacable constance du chaos, pour qui les relit, les ressent, les revit...
*****
Hors-sujet, mais pas assez pour faire l'objet d'un billet séparé:
Mon sujet n'était évidemment pas Stéphane Venne, mais bien la chanson dont il est l'auteur, et encore, surtout son titre. Sauf que, on le comprendra, je suis incapable de considérer les mots d'une chanson sans tenir compte aussi de qui les a écrits, quand, pour qui, pourquoi, dans quel contexte. Ce n'est pas une question de principe qui me motive, parce que j'écris aussi des paroles de chanson. C'est d'en savoir l'impossible dissociation (parce que j'écris aussi des paroles de chanson).
Venne est un cas très à part, pour moi personnellement: je n'entrerai pas ici maintenant dans les raisons de cela. Mais j'ai très envie de citer un article qu'il a rédigé et publié dans Le Devoir en 2011, lors du décès de Claude Léveillée. Très envie parce qu'il s'y produit une chose rare: l'artiste décrivant simplement ce qui charpente son art quand il est du grand art, et y parvenant en parlant d'un autre artiste. À peu près tout le monde qui écouterait l'Oeuvre de Venne lui reconnaîtrait un talent d'exception et une plume personnelle, un style, une voix et une inspiration, un don de la langue, mais peu de gens sauraient dire au juste pourquoi. C'est normal. On fait bien la différence entre de grands acteurs, de bons, de médiocres et de mauvais, sans pouvoir préciser davantage. C'est parce qu'on ignore comment ils font, on n'est pas des acteurs. Il n'y a qu'eux pour nous le mettre en mots parfois, et c'est toujours en parlant du jeu d'un autre acteur. Le leur, ils croient n'en rien connaître, concrètement; pourtant, en évoquant celui d'autrui, ils éclairent le leur.
Venne, dans cet article, montre incidemment (et involontairement) à quel point il comprend, connaît, maîtrise l'art de créer la Chanson. L'art et le métier. Peu d'auteurs sont doués d'une telle introspection. Or, À peu près tout le monde que je mentionnais plus haut, soit tous ceux qui n'ont jamais écrit ou essayé d'écrire une chanson, et qui sont donc limités dans l'expression de leurs impressions, ceux-là en lisant un seul article comme ça comprennent beaucoup, énormément d'un coup, sur les chansons et ceux qui les font et comment, plus qu'en en écoutant cent. C'est comme toutes les femmes qu'un gars va trouver belles dans sa vie: si jamais il arrive à commencer à pouvoir expliquer pourquoi, ça sera pas avant la quarantaine avancée. Et ce qu'il saura jamais, pas tant qu'il s'agisse d'un secret quoiqu'il y ait un peu de ça, mais surtout parce que même en le sachant il comprend pas, ce qu'il saura jamais c'est comment s'y prend chacune pour se faire sa beauté. Pire: elles-mêmes croient l'ignorer, mais les écouter parler de la beauté d'une autre en dit long sur la leur et sur la beauté en général. Plus que tous les magazines du monde entier consacrés au sujet depuis cent ans.
Claude Léveillée, 1932-2011 - Le son Léveillée, l'âme Léveillée
18 juin 2011 | Stéphane Venne - Auteur-compositeur |
Le Devoir
Si Claude Léveillée avait été juste un gars avec des joies allant jusqu'à l'exubérance, des peines allant jusqu'à l'anéantissement, des espoirs allant jusqu'à l'extase et des appréhensions allant jusqu'à l'effroi, s'il avait été juste un gars qui a vécu des «ennuyances» et d'exultantes retrouvailles, des deuils et des renaissances, s'il avait été juste un gars qui barbe pour museler ou dissimuler son insécurité, bref s'il avait été comme tout le monde, s'il n'avait pas écrit Frédéric, Les Rendez-vous (avec Vigneault), les Vieux Pianos, Le Boulevard du Crime (vous la connaissez?), La Source (et celle-là?), Ne dis rien, Emmène-moi au bout du monde (juste de m'en souvenir me chavire), on n'en parlerait pas, on ne le pleurerait pas.
Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.
Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.
Le socle de la chanson
La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».
La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.
Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note!
Le son Léveillée
Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.
Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).
Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.
Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.
***
Seulement voilà, Léveillée n'était pas juste un autre gars, il avait un don: il savait mettre la bonne syllabe sur la bonne note, il savait rendre chantants les mots et parlantes les notes.
Et pas n'importe quels mots! Les nôtres! Avec presque jamais rien de français de France. Juste des mots sur le coeur, les mots qu'il faut, les mots qu'on dit quand on n'en a pas beaucoup, des mots sans velléités littéraires ni code poétique, des mots de tous les jours, de tous nos jours, de nos joies et de nos peines, des mots simples mais qui, quand Léveillée faisait du meilleur Léveillée, trouvaient une résonnance et une lumière qu'ils n'ont pas dans la vraie vie, la résonnance et la lumière de la plus-que-vie, ce qui définit pour moi l'art de la chanson. Une sorte d'art naïf de la parole. Et d'art naïf de la musique aussi. Car ce n'étaient pas n'importe quelles notes non plus, celles de Léveillée, je devrais plutôt dire «pas n'importe quelles séquences de notes» (ce qu'on appelle communément mélodie), ni n'importe quelles harmonies, ni n'importe quels accompagnements pianistiques.
Le socle de la chanson
La bonne syllabe sur la bonne note, c'est quoi? Voici un exemple (c'est technique, mais portez attention, ce serait un bel hommage à lui rendre). Rappelez-vous ce passage du refrain des Vieux Pianos: «Ce sont vos pianos tout usés / qui se sont tus paralysés / et qui n'sont plus... qu'objets d'antiquité.» Trois petits bouts texto-mélodiques posés sur trois plateaux mélodiques ascendants comme trois marches d'un escalier, chaque plateau portant des notes apparemment toutes pareilles. Ç'a l'air tout simple, sauf que... chaque fois qu'on monte une marche, qu'on va au plateau mélodique supérieur qui suit, c'est sur une syllabe qui compte: «qui se sont TUS paralysés, et qui n'sont PLUS... (pause douloureuse) qu'objets d'antiquité».
La bonne syllabe sur la bonne note! TUS et PLUS, deux monosyllabiques très simples, mais la chanson est toute là, dans deux notes et deux mots qui signifient le silence et la mort, le paradis perdu, la douleur saignante. Tout.
Un autre exemple? La Scène («Un jour ATTENDS»): deux notes haut perchées sur «attends» et ça donne l'interpellation heureuse mais un tantinet inquiète qui ne serait pas là sans ces deux notes. La bonne syllabe sur la bonne note!
Le son Léveillée
Bien écrire des chansons, c'est ça. C'est, dans chaque phrase texto-mélodique, identifier ce qui compte, ce qui émeut, c'est manipuler une aiguille acupuncturelle toute petite mais qui touche le bon nerf et l'enflamme. C'est la combinaison de deux éléments qui donne quelque chose de nouveau et d'indivisible comme l'hydrogène et l'oxygène donnent de l'eau. Une fichue leçon pour tout auteur dont l'éthique consiste à vouloir faire d'la belle ouvrage.
Mais c'est pas tout! Car plus largement, il y a un son Léveillée, un son qui était déjà là tout entier et tout vibrant et qui m'est rentré dedans la première fois que je l'ai entendu, en 1959, lui, sa voix et son piano dans une petite boîte de Montréal quand j'avais 18 ans (et quand l'ouest de Montréal était le territoire des gens de Radio-Canada, de la cabaretière Clairette, du chat du Café des artistes, sans compter les frères Richard et Jean Béliveau).
Tout auteur a normalement un ton, une singularité dans l'écriture, le propos, l'attitude. En ayant aussi un son, Léveillée fut prophétique sur ce qui surviendrait des années plus tard, y compris dans le rock. Un son fait de quoi? Essentiellement de deux choses. D'abord, son piano était un orchestre à lui tout seul (comme les quatre instruments d'un groupe rock forment un tout autosuffisant). Et surtout, son piano n'était pas son accompagnement mais son duettiste, aussi chantant que lui. Écoutez la mélodie parallèle du piano derrière la voix dans Les Vieux Pianos, la petite quasi-fugue dans Les Rendez-vous. Non, pas derrière la voix: avec la voix. Ça change tout. Ça donne un son.
Léveillée m'a beaucoup appris. Notamment ceci: qu'est-ce qu'une bonne chanson? C'est celle qui, forte ou douce, quand tu la joues devant une foule à la Saint-Jean, fait embarquer tout le monde. Absolument tout le monde. Question d'âme.
***
27.1.13
Celle-là est pour Plum'…
J'y dois bien ça, depuis son billet du 7 janvier.
J'attendais un adon. Son billet d'hier me l'a offert. Il y est question de toutes sortes d'affaires et d'énergumèneries, on y sent Diogène de Sinope puer incognito à travers son tonneauminium et on y entend Platon par échos anonymes (ces deux-là ne pouvaient vraiment ni s'entendre ni se sentir), et Plum' à travers le temps poursuit la noble quête. Ce volet-là, il l'intitule simplement: Mais qu’est-il donc advenu de la belle éloquence d’antan?
Bon, ben, je souligne d'emblée que je l'sais pas pantoute. Ceci étant, j'offre ce qui suit en appui à la noble quête d'Ole Plum'...
«Connais-toi toi-même»
Me suis délesté les entrailles et gargarisé avec de l'eau saturée de sel. Ressentais des envies thymiques de grand soleil, jaune impérial japonais. Suis sorti faussement souple dans le sec froid blafard, accablé de solitude à la façon des ivrognes et des poètes et des adolescents, pour les trois minutes qui me séparaient du métro vibrant et chaud d'humanité floue. Ai croisé le voisin dans l'escalier, une espèce de général à la retraite qui sortait son bouledogue. Lui ai encore trouvé une tête à traiter son frère jumeau de fils de pute.
Je marchais donc en m'interrogeant sur la nature de mes désirs, les motifs même de mon existence. Il me semblait entendre la voix chevrotante de Socrate me commander de me connaître moi-même...
Le berceau de notre civilisation n'est pas un petit (im)meuble; il est l'oeuvre expérimentale d'un fort contingent d'artisans méditérannéens. Moins qu'il n'en faudrait plus tard pour ériger les cathédrales de France, moins qu'il n'en défile au générique d'un film de Spielberg, peut-être même guère plus que le nombre total de passagers de troisième classe qu'on enferma à fond de cale pour leur interdire l'accès aux chaloupes tandis que le Titanic coulait comme un mouchard mafieux botté de béton, mais ça fait quand même pas mal de monde pour un seul berceau, qui de miniature devint très gros.
L'un de ces ouvriers fondamentaux, recteur-fondateur athénien du Gymnase, prof et philosophe, un jour qu'il ratiocinait dans sa vieille Grèce, s'avisa soudain que le semestre tirait à sa fin .
Or, le raffinement du système dont il avait eu l'olympienne intuition quand une olive—tombée du martini de Zeus lors d'une orageuse chicane théogonique—lui avait atterri sur le crâne, le captivait tant et trop depuis lors qu'il négligeait honteusement ses autres devoirs, plus prosaïques, dont le moindre n'était pas de sodomiser chaque élève au moins une fois avant le terme de la propédeutique.
Conception antique de l'éducation, certes, mais n'oublions pas qu'à l'époque dont je parle, la plupart des antiquités étaient flambant neuves.
C'était comme ça et puis c'est tout: Athènes définissait le beau, le bon, le vrai, consacrant une portion inouïe de ses vastes ressources à sculpter le corps et l'esprit de sa jeunesse mâle, et la transmission des savoirs, la culture de citoyens mûrs, libres et souverains de la première république de l'Histoire à partir de boutures ignorantes et frivoles, ce passage initiatique immémorial, Athènes estimait qu'ils étaient fonction de l'étroitesse des liens affectifs entre le pupille et son tuteur. Il va sans dire que cela n'allait pas sans mal au début, surtout pour le pupille qui se dilatait.
Fatalement, les plus horribles rumeurs circulaient depuis des générations dans les cours d'écoles élémentaires où les morveux, entre deux parties de pelote troyenne, leurs toges rapiécées maculées de cette boue qui facilitait tant la glissade au troisième but, mettaient en commun les bribes de désinformation véhiculées par leurs grands frères. La nature et les aléas du resserrement des liens tuteur-pupille, quels qu'en soient les véritables tenants et aboutissants, n'atteignaient donc jamais la mesure d'inconfort que l'imagination épouvantée des écoliers appréhendait. Néanmoins, les légendes nées au temps d'Empédocle vinrent à s'enfler au-delà de la masse critique; dans un topo que les survivants du défunt cours classique ne sauraient manquer de reconnaître avec déplaisir (car l'éventail des pièges grammaticaux qu'il présente et le style ampoulé propre au boustrophédon en ont fait, depuis la fondation de la Sorbonne en 1257 jusqu'à nos jours, l'outil de supplice favori des professeurs de grec ancien souhaitant punir le cancre de sa paresse et châtier le fort en thème pour quelque épigramme trop salace), le syndicat des mentors fit valoir aux membres de l'Aréopage—qui siégeait encore sur la colline d'Arès, je le mentionne pour situer tant soit peu l'époque en la distinguant de la suivante, où les sages de la cité déménagèrent leurs pénates sous le Portique Royal, au nord-est de l'Agora—la difficulté d'aborder les théorèmes euclidiens ou même la poésie d'Épiménide de Crète tout en galopant aux trousses de galopins callypiges qui détalaient à la vue d'une barbe comme si les flammes de l'Hadès, rouges langues de Minos, leur léchaient le derrière.
Quant à créer des liens affectifs à resserrer, il ne pouvait en être question sans user au préalable de liens moins spirituels, de préférence en solides lanières de cuir de vache.
Sensibles à la gravité de la situation, les sages chambardèrent leur ordre du jour- au point de reporter aux calendes grecques l'étude et l'adoption d'un projet de loi omnibus fort populaire qui aplanirait moult aspérités d'un seul gracieux coup de varlope républicaine:
1. Décret: le monde est un vaste palet d'argile entre les mains du divin discobole et son centre est Athènes. Les insidieux sophismes relatifs à une quelconque rotondité de la terre étant de nature à troubler l'ordre public, quiconque sera trouvé coupable de les répandre sera frappé d'ostracisme, expulsé de la cité et condamné à marcher droit devant lui jusqu'à l'extrémité du monde pour s'y précipiter dans le vide.
2. Interdiction faite à l'équipe sportive féminine Les Pelotes Thessaloniciennes de rompre le contrat les liant au colisée de cette ville pour déménager à Lesbos dans le cadre de la prochaine expansion de la Ligue Nationale de Pelote Troyenne.
3. Mesure de stimulation de l'industrie du verre et de la porcelaine: Lors de tout événement, fête publique ou privée, célébration religieuse, mariage, annonce de naissance, héritage, commémoration, etc. où l'on danse le sirtaki, les convives seront tenus de casser coupes ou assiettes aux pieds des danseurs à raison moyenne d'un morceau par convive.
4. Articles confidentiels (Ré: Commission Démétrios-Diogène, constituée l'an dernier avec mandat de trouver un honnête homme dans le grand-Athènes) Dépôt imminent: le rapport conclut à l'échec et recommande a) que la cité fasse une pension à vie au Commissaire Diogène pour services rendus à la République; b) que la cité exproprie le tonneau du Commissaire Diogène sis dans l'angle sud-est du dépotoir de la République, adjacent au quartier des lépreux, avec indemnisation préférentielle, lequel domicile fera partie de l'exposition permanente du musée des anachorètes hellènes d'Athènes après avoir été plongé dans un bain de vinaigre bouillant pour une période minimale de douze jours; c) que la cité acquière deux tonneaux neufs de forte contenance, lesquels seront déposés sur une fondation coulée dans le périmètre du terrain public des abattoirs rituels (zonage philo-boucherie) et offerts au Commissaire Diogène à titre gracieux - donation conditionnelle à l'approbation du Comité de salubrité, les grands-prêtres ayant déjà témoigné devant la Commission à l'effet que l'odeur dégagée par le Commissaire Diogène ne nuirait pas de façon significative aux opérations régulières de l'abattoir, après une raisonnable période d'adaptation (le comité des ressources éducatives étudie la possibilité de centraliser tous les stages en boucherie effectués par les ermites novices en fin d'études philosophiques aux abattoirs rituels, ce qui réduirait assurément le taux d'absentéisme pour cause de nausées chroniques prévu par les autorités religieuses suite à la relocalisation du Commissaire Diogène, du fait que les écorcheurs 3e classe- tâche: ablation des oreilles, de la queue et de l'appareil génital, ce qui les prive du masque olfactif familier disponible plus loin sur la chaîne de sacrifice, alors que les senteurs salées du sang se mêlent au fort fumet musqué montant des excréments, couvrant les ascétiques effluves distillés par les pores pestilentiels des intellectuels dont l'aire de besogne est à proximité de l'appartement du Commissaire Diogène- auront déjà l'expérience du parfum de la philosophie ); d) le monopole d'État de l'huile d'olive fournira le carburant à lampe au Commissaire Diogène pour la durée de son existence en contrepartie de son autorisation pour l'usage perpétuel de son image de marque (incluant lampe, tonneau, mouches et peau de bête), son visage et son nom sur les étiquettes de bouteilles d'huile d'olive, qui sera renommée "Pure huile d'olive athénienne extra-vierge pressée à froid du Commissaire Diogène", de même que la permission d'utiliser le slogan :"Je cherchais un honnête homme, j'ai trouvé une extra-vierge!"
Les sages, donc, se penchèrent gravement sur la question et Diogène n'obtint jamais son nouvel appartement.
Leurs délibérations menaçaient de s'éterniser, verrouillées entre les tenants du classicisme et les réformistes chevelus qui se présentaient sur la colline vêtus de toges en étoffe de Nîmes. Bref, aucune solution à la frayeur des garçons ne se profilait à l'horizon; augures et aruspices, appelés en consultation, se plongeaient dans la lecture des entrailles de volaille et y perdaient leur latin. Quant à la pythie, elle prétendait que l'oracle ne lui retournait pas ses appels.
En désespoir de cause, on interrogea un sage de passage, originaire d'Adorectum et séjournant à Athènes dans le cadre d'un programme d'échange de sages, un certain Bacchus Adoralanus dont la méthode qui consistait à enseigner couché tandis que la classe restait debout faisait merveille à Rome (quoique l'on murmurât qu'à la vérité, il devait bien plutôt cette étrange innovation à l'initiative de ses épigones pour qui il était trop douloureux de s'asseoir-mais les gens murmurent toujours), et ce fut lui qui trouva la solution. Il suffit, dit-il, de remplacer la ration de lait de chèvre de vos élèves par une double mesure d'hydromel, et je veux bien qu'on lise les résultats du match dans mes tripes s'ils ne filent pas doux comme des agneaux (ici, un éclaircissement s'impose: le peuple à cette époque s'informait des nouvelles du sport par l'entremise des entrailles de rat, nombreux donc bon marché du fait que l'Égypte interdisait l'exportation des chats. Ce mass médium économique donnait tous les scores des rencontres de pelote avec une surprenante exactitude, sans s'embarrasser d'éditoriaux ou de politique étrangère, mais son principal inconvénient résidait dans le fait qu'il salissait les mains). Ce qui fut fait, et il faut croire que ça marcha, autrement la Grèce Antique ne serait pas le berceau de notre civilisation.
Tout ça pour dire que Socrate—car c'est bien de lui que je parlais tantôt, le prof et philosophe négligeant ses devoirs prosaïques— s'avisa en consultant la liste des inscrits qu'il en était à la lettre Pi. Sans enthousiasme, il s'en alla trouver le grand Platon qui, redoutant ce moment, faisait de son mieux pour se dissimuler sous son lit; peine perdue, bien entendu, car ses pieds dépassaient. On ne l'appelait pas le grand Platon pour rien.
Tandis que Socrate déroulait sa toge en le suppliant de sortir de là par égard pour son âge avancé, Platon, feignant l'ingénuité, lui demanda ce qu'il faisait. Le maître répliqua: "C'est pour mieux te connaître, mon enfant!", réponse qu'il faut naturellement interpréter au sens biblique. Sur ce, profitant de ce que le vieux se trouvait emberlificoté dans les verges de tissu, Platon tira sur le tapis, l'envoyant valser au plancher et, s'enfuyant par la fenêtre, cria par-dessus son épaule d'un ton moqueur: "Connais-toi toi-même!" (Oui, il s'agit bien de la sentence que les anglo-saxons traduisent par "Go fuck yourself"). C'était la première occurrence, mais bien sûr pas la dernière, d'une phrase attribuée à Socrate dont la paternité revient en fait à Platon.
Et c'est ce à quoi je songeais en arrivant au métro. Peut-être n'est-ce pas une si bonne idée de se connaître soi-même. Il y a certains aspects de notre propre nature que l'on se porte d'autant mieux qu'on les ignore.
Chaque année, Thèbes comblait l'un de ses citoyens au-delà de tous ses voeux avant de l'expulser sans espoir de retour, et ainsi se purifiait. Or, quelque chose me soufflait que j'avais la tête de l'emploi. Qui veut être l'entière souillure de Thèbes, son phallus gangrené? Pharmakon, après tout, signifie à la fois remède et poison...
21.1.13
Mais où est Sabrina?
La police de Montréal demande la collaboration du public afin de retrouver une adolescente âgée de 15 ans qui a disparu samedi matin, dans le nord de Montréal, présumément après avoir tenu des propos suicidaires.
Sabrina Beaubien a quitté sa résidence du quartier Ahuntsic vers 10h30.
La jeune fille mesure 1,70 m, pèse 47,5 kg, a les cheveux bruns avec des mèches rouges et les yeux bruns. Au moment de sa disparition, Mlle Beaubien portait un manteau de couleur noire, un chandail gris et un pantalon noir.
Sabrina Beaubien s'exprime en français. Elle n'aurait aucune carte d'identité ou de paiement avec elle.
Bon. Êtes-vous contents, là? Est partie un samedi matin, ça fait 48 heures, elle a 15 ans, mais faut déjà qu'on capote. Les filles sont portées disparues au moment où elles quittent leur résidence, le surlendemain elles font l'objet d'une battue publique avec photo, nom et mensurations, trois jours de plus et elles sont en vedette sur les pintes de lait, malgré qu'elles soient revenues l'avant-veille.
Pendant ce temps, dix gars du même âge crissent le camp. On n'en entend jamais parler, sont jamais publiquement portés disparus, ils ont jamais présumément tenu des propos suicidaires, et personne ne se soucie qu'ils portent un manteau de couleur noire, un chandail gris et un pantalon noir. Ils sont pas perdus, juste égarés, on sait qu'on va les retrouver, d'ici deux ou trois ans, dans la rue, magannés, acculés, interpellés, arrêtés: quand la police sera intéressée.
Pour Danger pis Vieux G.
PAGE D'ÉCRITURE
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize…
Répétez ! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voilà l’oiseau-lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit l’enfant
l’entend l’enfant l’appelle :
Sauve-moi joue avec moi oiseau !
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre…
Répétez ! dit le maître
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui…
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux
de toute façon et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre
et tous les enfants entendent sa chanson
et tous les enfants entendent la musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un à un s’en vont également.
Et l’oiseau-lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants écoutent la musique
et les murs de la classe s’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.
Jack Prévert, in Paroles.
Son poème aux surdoués qui s'emmerdent à l'école.
Le Dada facile, sans sac et sans ciseaux, sans bon sens et sans besoin de copie consciencieuse au fur et à mesure qu'on sort les coupures.
C'est pas souvent que j'y fais des misères, à ma Blue. Dans un billet, je veux dire. Même que c'est la première fois. Cette histoire de Dada, de Tzara et de cut-ups, tous ingrédients hâtivement jetés dans la casserole pour improviser une sorte de soupe, ça m'a gossé du début. Blue a coutume de creuser soigneusement ses trouvailles et nous les faire découvrir ensuite. Sauf quand son enthousiasme chauffe à en péter la chaudière: là, la coutume prend congé.
J'ai jamais pu blairer Samy Rosenstock, il empestait déjà le fumiste à plein nez quand mon pif de seize ans, quoique jeune et au top olfactif mais néanmoins sans science ni expérience, le reniflait à soixante ans de distance. Quant au Dada, c'était pire qu'une vue de l'esprit, pire qu'une imposture artistique ordinaire en Europe, c'était l'invention d'une religion, sectaire et décérébrante, visant à fédérer les forces vives des jeunes créateurs contestataires internationaux sous le leadership de Tristan Tzara. Ça sentait pas bon, en fait ça puait fort. L'odeur du Livre de Mormon, l'odeur de Joseph Smith.
Anyway, pour en finir with that whole Dada bullshit, suivra le mien, de poème, et comment on s'y prend: le procédé dicté par Tristan est respecté sans triche, seuls les instruments sont modernisés, genre batteur électrique au lieu du pilon à patates.
Pour faire un poème dadaïste
Prenez un journal
Prenez des ciseaux
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-le dans un sac.
Agitez doucement
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Copiez consciencieusement.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà "un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire"
+++
Mon article-source: Pub sociétale, blogue de Richard Martineau, journaldemontreal.com, 18 janvier 2013.
On peut pas avoir la paix, des fois? C’est quoi, la suite? Une affiche géante d’une femme qui s’est fait manger la face par ses chiens au Salon des animaux de compagnie? Le cadavre d’un noyé au Salon nautique? Des photos de gars saoûls qui se pissent dessus sur les bouteilles de vin?
Je comprends qu’on veuille nous sensibiliser, mais peut-on juste avoir du fun, des fois?
D'emblée, je réponds à ce que vous pensez: non, figurez-vous donc, j'ai pas choisi un texte de Martineau parce qu'en général il fournit du Dada déjà fait. Je l'ai choisi, celui-là, parce que pour une fois il me plaît: si surréaliste occurrence que j'y ai vu un signe.
Mon poème:
La décidé La l’auto. de au accidenté SQ d’exposer d’un Salon a carcasse véhicule
La décidé La l’auto. de au accidenté SQ d’exposer d’un Salon a carcasse véhicule
La la bouteilles se quoi, compagnie? On vin? Salon au fois? ses Une les dessus par animaux d’un sur pas nautique? Salon suite? de cadavre la pissent chiens saoûls qui géante peut manger de femme fait noyé des de s’est gars Le au qui affiche d’une avoir des paix, C’est photos face Des
Sensibiliser, mais comprends fun, des juste fois? du nous peut-on veuille Je avoir qu’on
Sensibiliser, mais comprends fun, des juste fois? du nous peut-on veuille Je avoir qu’on
+++
S'abonner à :
Messages (Atom)