22.7.03

Dire sa vérité, écrit Mario dans son blog, n'est pas à la portée de toutes les bourses. S'il entend par là les couilles, que certaines sont molles et d'autres en plomb, j'abonde.



Il a le don de dégoter des sites étonnants, originaux, personnels. Et de lier aujourd'hui vers une liste de critiques assassines dont la lecture est supposée nous rassurer sur l'idiotie des critiques. Car seuls des monstres consacrés y sont éreintés, égratignés, étrillés, mis en cause. Peintres, écrivains, musiciens célèbres: la haine éclate en cent fleurs acides.



Or, sortant de tout lire, je me trouve soit d'accord avec les critiques, soit comprenant leur point de vue. En musique, je ne m'y connais guère. En peinture, un peu plus. Ce sont les traits littéraires qui me sont les plus familiers. Mais toutes ces estimations, à mes yeux, sont justifiées dans le contexte de leur temps ou du background de leurs auteurs. Sauf Zola. Ce qu'on dit de Zola pue la mauvaise foi. Mais c'est la seule notice de ce genre que j'ai repérée. Le reste se défend. Quand Balzac dit de Stendhal qu'il écrit mal, qui le contredira? Faudrait être au moins Balzac. Ce qu'on occulte constamment, c'est l'évidence: les critiques en révèlent davantage sur eux-mêmes que sur l'objet de leur étude.

21.7.03

Ca les désoriente et ça les fâche, mais bon: Je n'aimerai plus jamais ceux que j'aime jusqu'à les laisser tenter de m'abolir, jusqu'à leur permettre de pondre leurs oeufs dans ma musculature, jusqu'à les autoriser à grimper sur le dos de mon ombre pour s'épargner des fatigues.



Surtout ne pas voir là une décision subite, qui m'aurait prise plutôt que le contraire, ce soir dans l'oeil d'une tempête sentimentale, chocs et chagrins confondus. C'est une politique élaborée au fil des ans, des expériences, des raisonnements: je m'y tiens depuis longtemps, et davantage chaque jour.



J'avais, fut un temps, bon coeur, et j'étais coulant; j'ignorais la propriété, j'entretenais un constant feu vrombissant dans le foyer de mon regard et j'applaudissais comme un enfant au moindre signe d'intelligence et de noblesse et d'humanité généreuse. Aujourd'hui que mon innocence est en sang, on m'accuserait de l'avoir moi-même assaillie. On n'y serait pour rien, on n'aurait pas été témoin, on passait la soirée au ciné avec le reste du monde entier.



Il s'est fait ça tout seul, c'est sûr; d'ailleurs, il a un dossier d'agressions long comme le bras de la justice. Il prend de la drogue. Il boit de la bière. Il fume. Son innocence, il a dû la violer à la pointe du couteau, puis la laisser pour morte. Qui d'autre aurait eu intérêt à lui faire un mauvais parti? Qui d'autre que lui?



N'aimer rien ni personne, sûr, c'est se sauver bien des soucis. Ca va sans dire, et cependant: à seize ans, j'envisageais ma vie sous cet angle stoïque, soutenu par mes lectures extistentialistes. Puis j'ai senti le danger de passer à côté de l'essentiel, et je me suis dénudé la poitrine, exposant mon coeur, et je me suis insinué dans la jungle humaine, poings serrés mais tête première.



Beaucoup d'eau s'est vendue en bouteilles, depuis. Comme Alice, j'ai vécu de part et d'autre du réel. J'ai appris autant de choses qu'il s'en trouvait dans l'entrepôt du regretté Charles Foster Kane. Pourtant, comme lui, j'ai perdu l'important, oublié la formule fondamentale, you can't go home again et je n'ai ni les mots ni la façon pour communiquer avec mon garçon. Ni ma mère, ni mes soeurs, ni mes blondes, ni mes meilleurs amis. Toute une vie à cultiver les ressources du langage, et aucun progrès notable à signaler. Oh, je sais désormais émouvoir, et inciter à réfléchir, et susciter des plaisirs esthétiques. Ce n'est pas rien, et j'en suis fier. Mais transmettre, exprimer, me faire comprendre, j'en demeure incapable aujourd'hui comme aux pires instants de mes quatorze ans. Annie dit que je suis un écrivain fini. Elle a tort. Je n'ai jamais commencé. Pas encore. Sur ce plan particulier, les vingt-cinq dernières années de ma vie, ce panier dans lequel j'ai placé tous mes oeufs, sont un échec.



Demain matin, j'essaierai à nouveau.
L'émission Francs-tireurs, Télé-Québec. Le Martineau s'indigne du commerce des faux diplômes disponibles par Internet. Pourquoi son compère Ben Dutrisac ne se penche-t-il pas sur les certificats de maîtrise en Lettres décernés par Gatien Lapointe à l'université de Trois-Rivières des années 70 jusqu'au début des 80? Et s'il débusquait quelques dizaines d'imposteurs enseignant toujours la littérature dans les cégeps aujourd'hui?



A l'époque, ces escrocs se déplaçaient ensemble deux fois par mois dans ce qu'ils avaient baptisé «l'autobus à Gatien», allant faire acte de présence en Trifluvie et rendre hommage aux pieds du gourou; aucune assiduité aux cours n'était requise, et en guise de mémoire, pour la forme, s'agissait de déposer quelque chose, comme un poème gribouillé au dos d'un menu ou quelques paragraphes incohérents citant Barthes et Locke et que notre blonde avait rédigés en plus des siens tandis qu'on astiquait sa corvette. Gatien, il faut se le représenter pressé de promouvoir ses disciples avant son assomption: ils se disperseraient aux quatre coins du territoire national et répandraient la bonne parole de la poésie du corps et du moindre effort et du non-sens et de la poétique ignorance et de la divinité des femmes.



Ca a marché. Pour la plupart, ils sont toujours en place, inquiets qu'on les démasque et en même temps croyant presque en leur propre compétence frauduleuse.

19.7.03

Good fucking morning to one and all. Deux trois jours que je rédige des communications délicates comme l'égo d'un papillon, des textes dont le mécanisme fait passer l'horlogerie suisse pour de la construction de cabanes en bâtons de popsicles. J'ai l'esprit en feu (pour de vrai, et c'est très dangereux, c'est la fièvre et ça fait mal, l'esprit qui brûle, quand on le sent se consumer, quand ça sent le chauffé parce qu'il carbure à fond de réservoir sur l'odeur de lui-même).



Faut que je me détende un peu. Que j'écrive juste pour m'amuser. Voyons voir ce sur quoi je pourrais bien me défouler...



Tiens, ceci fera l'affaire.



Des groupes religieux jugent la question du mariages des gais trop importante pour être laissée aux seuls politiciens.
C'est dans La Presse de ce matin, faute d'accord y compris, et c'est accompagné d'une photo de deux mecs qui viennent tout juste de se marier, on dirait bien qu'ils sont contents, on dirait pas qu'ils sont conscients des périls de l'amour promis, en fait on dirait surtout qu'ils viennent de gagner un procès, et c'est bien sûr un peu cela, sauf que c'est pas la même joie, c'est comme les gens qui viennent au monde à Noël, ils profitent jamais tout à fait de leur anniversaire, et je me demande de quoi, dans vingt ans, le couple conservera le plus vif souvenir: la victoire politique ou l'union de leurs vies.



Oui, bon, il paraît que les 8000 membres Québécois de l'Association des Eglises Baptistes et, on suppose, les milliers d'autres qui ne le sont pas, de concert avec les 800 membres de L'Association des Eglises protestantes évangéliques La Bible Parle, il paraît qu'ils ne sont pas chauds à l'idée que le gouvernement du Dominion s'adresse à la Cour Suprême pour faire avaliser, corriger, légitimer, bénir l'avant-projet de loi visant à élargir aux conjoints de même sexe la possibilité de se marier. Moi non plus, je n'aime pas ça. Chaque fois que les élus abdiquent leurs responsabilités en les refilant aux juges, je suis forcé de me rappeler que la démocratie est illusoire et qu'elle ne marche pas, que les gens sont des brutes épaisses et dangereuses, que, laissées à la volonté populaire, les questions de sodomie, d'avortement et de peine de mort auraient trouvé réponse en la pendaison d'Henry Morgentaler dans la cour de Bordeaux, cependant que des homos incarcérés pour raison d'amour, rassemblés au pied de la potence, auraient été forcés d'assister à l'ignoble besogne.



Mais ce n'est pas pourquoi les 8800 croyants syndiqués protestent, ni même parce qu'ils sont protestants. C'est parce qu'ils craignent un avis favorable de la Cour. Ils calculent: On n'accède plus à la Cour Suprême sans avoir fréquenté l'université au moins un peu, donc on est sophistiqué, donc on a l'esprit large, on a vécu en ville, on a lu des livres imprimés après 1952, on mange du fromage troué, on se lave quotidiennement les pieds, on fréquente des juifs à l'opéra, on est biaisé en faveur de l'autorité civile au détriment des édits de Dieu, on prêche pour sa paroisse laïque, à tout le moins on insiste pour respecter la Charte des droits, ce qui est presque du bolchevisme, imaginez, si les gens se mettaient à lire la Constitution, où irions-nous sinon en guerre civile! C'est farci de faussetés, ce torchon satanique, cette Charte maudite, cet instrument du malin, et laissé à l'interprétation d'une phalange de païens, fussent-ils attifés de toges Christian Dior, Dieu sait ce qui peut arriver!



Bien sûr qu'ils ne sont pas contents, les Ned Flanders de ce pays. C'est d'ailleurs leur droit constitutionnel absolu, qu'ils voient plutôt comme un devoir. S'ils s'en torchaient, comme la plupart des gens qui ne sont ni gais ni chrétiens fervents, ils ne seraient pas membres de ces associations. Ils feraient partie d'une ligue de bowling ou d'un club Kiwanis ou de l'Union des écrivains.



Ce qui m'agace, c'est la manoeuvre maladroite, le spin à cinq cennes dont on devine qu'il est le fruit d'un document de stratégie préparé par un ex-journaliste populaire en Gaspésie ou en Abitibi ou dans un trou quelconque et qu'on a mis dehors parce qu'il s'est fait prendre la main dans le sac de ristournes et l'autre entre les cuisses de Gina la fille du conseiller municipal. Il se sera réinventé en relationniste à gages, Can lie, will travel, il se sera improvisé Machiavel des pauvres, offrant des tarifs compétitifs à la portée du plus désargenté des lobbys wannabees, même celui qui représente 8000 Baptistes, à condition qu'il se résigne à coopter encore 800 évangélistes, même s'ils parlent en langues et manipulent des serpents, car il faut bien rassembler les cinq cennes pour le payer.



Il leur aura conseillé de mettre Yawveh en sourdine. Pas sexy, pas porteur, pas vendeur. Il leur aura dit que le moyen d'ameuter les passives populations est d'évoquer une menace moderne qui résonnera dans le coeur de chaque citoyen. «Le chemin de leur coeur, c'est la peur! Mais pas des orages de grenouilles ni des statufications en sel ou des malédictions divines pour cent générations: le monde n'y croit plus, ils rigolent quand on en parle; ça devient de plus en plus difficile de les effrayer, vous savez, faut être créatif comme le diable!»



Puis, ne trouvant rien d'assez épeurant, il aura ajouté: «Ou alors, vous les informez qu'on les prive de quelque chose! Même s'ils en ignoraient l'existence jusque-là, ils se sentiront volés de leur juste butin gratuit, ils rouspèteront, ils demanderont où est leur part de cette chose dont on a parlé à la tévé et dont ils ne se rappellent pas le nom! Je sais pas, moi, on pourrait dire qu'ils sont outrageusement dépouillés par de sinistres canailles de leur droit sacré de se prononcer sur tout et d'exercer leur influence civique et d'exprimer des opinions stupides sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien.»



Il aura sans doute voulu savoir pourquoi l'Eglise catholique ne joignait pas sa voix à leur cause et son argent à leur argent. L'argent n'a pas d'odeur, pas même l'odeur de sainteté. On lui aura répondu qu'il n'y a plus de Catholiques en Nouvelle-France, même si on murmure que certains subsistent dans la clandestinité, maquisards de Jésus.



Ils auront approuvé ce leitmotiv: «La redéfinition universelle et historique du mariage ne peut être changée sans le consentement de la population canadienne». Ils passeront sous silence qu'ils se soucient du consentement de la population canadienne comme de la dernière chemise de Yasser Arafat, c'est-à-dire pas du tout. Elle a pourtant bien besoin d'attention, d'un blanchisseur et d'une ravaudeuse et d'un inspecteur du Ministère Palestinien de la gestion des déchets toxiques.



Le plan prévoit aussi que les pieux activistes se retiennent d'évoquer les commandements du Très-Haut, surtout à cause du mot «commandement», tombé en défaveur par un malencontreux effet de mode. S'ils pouvaient dire «suggestion» à la place, suggestion du Très-Haut, alors là ça irait, encore qu'une fois là, aussi bien ne pas tenter le diable et remplacer Très-Haut par Haut, juste Haut, Haut tout court: ça fait plus accessible, plus modeste, moins snob, les Québécois aiment leurs idoles humbles et simples, ordinaires jusqu'au délire, en fait le mieux serait de l'appeler Moyen, voilà c'est ça, faut adapter le message au marché: plutôt que «les commandements du Très-Haut», dites «les suggestions du Moyen». Du Très-Moyen, si vous voulez. L'important, c'est qu'il reste naturel, sans prétention, un dieu du peuple, quoi, qui ne se prend pas pour un autre, qui se mêle de ses affaires, qui est très généreux et gentil, qui nous reconnaît quand on le croise au dépanneur, un dieu pas compliqué qui nous ressemble, qui prend sa petite bière sur le balcon, qui passe les fêtes en Floride, qui est du bord de José Théodore.



Ces pauvres gens de si bonne foi sont au fin fond du désespoir. Ils écopent avec un gobelet tandis que le navire prend l'eau de partout à la fois. Le pont déjà est submergé, mais ces malheureux tentent toujours de sauver les mâts, croyant ainsi éviter le naufrage. Ils ne voient pas qu'ils ont déjà sombré corps et âme. La famille, la cellule clanique, cet immémorial rempart contre la tyrannie, a cédé sous les assauts bien avant le mariage gai. Se concentrer sur ça, ce phénomène périphérique, c'est pathétique. Ca trahit le désarroi touchant et la cécité convenue des derniers descendants de Luther. Le mariage de deux hommes dévaluerait le leur, j'imagine que c'est cela qu'ils craignent, sans s'admettre que le mariage ne signifie plus rien depuis trente ans au moins, et que les hommes, fifs ou pas fifs, n'en sont pas la cause. S'ils veulent vraiment attirer l'attention de Joe Blow dans son salon, qu'ils lui disent donc pourquoi il a soupé d'une pizza surgelée passée au micro-ondes, pourquoi il paie une pension alimentaire pour des enfants qu'il ne peut jamais voir, pourquoi son ex-femme travaille vingt-cinq heures/semaine au salaire minimum comme caissière dans une Caisse Populaire afin de ne pas se faire reprocher par ses copines et par les magazines de ne pas avoir de carrière, de ne pas être épanouie, d'être une misérable femme au foyer qui ne sait rien faire de mieux qu'élever ses enfants. Qu'on explique à Joe Blow pourquoi son petit gars lui arrache sa cigarette de la gueule quand il vient en visite, qu'on lui dise que c'est l'Etat qui est le vrai papa de cet enfant, même si c'est Joe Blow qui paie, que c'est l'Etat qui a les droits sur sa personne et sur son sang, que c'est l'Etat qui l'instruit, le façonne, lui inculque ses valeurs standardisées pour le bien de la communauté, et que l'une d'elles est le danger de fumer, et qu'il est correct d'arracher la clope des lèvres de ce vieux type qui se prétend votre parent. Dites à Joe Blow que le gouvernement le maîtrise, qu'il maîtrise son ex-femme, et son ex-fils, et la soeur aînée de ce dernier. Dites-lui que c'est pourquoi on a favorisé leur division. Qu'on n'aurait pu les asservir quand ils étaient ensemble. Dites-lui cela si vous voulez vraiment préserver le mariage, la famille, la liberté, la résistance. Ca fera autant d'effet que de pisser dans une flûte traversière, mais au moins vous aurez tenté quelque chose d'honnête et vous pourrez périr tranquilles en même temps que la civilisation que vous avez aimée.



«Le débat public n'a pas été fait. Les intellectuels et les scientifiques n'ont pas été consultés, n'ont pas pris la parole. Dans ce pays, on passe plus de temps à se questionner sur la couleur de la margarine qu'on peut en passer à redéfinir la notion du mariage», déplore le porte-parole du groupe.



Plein de marde. Depuis quand les Protestants se soucient-ils de consulter les intellectuels et les scientifiques? Ils font toujours à Darwin le même sort que les Catholiques réservaient à Galilée. Le temps est passé de redéfinir la notion du mariage. Elle s'est redéfinie toute seule, en s'éteignant paisiblement dans l'apathie béate de tous. Le chien est mort et ne reviendra pas. Faut l'enterrer dans la cour et s'acheter un poisson rouge.



«Quant au public, M. Lanthier perçoit qu'il ne réalise pas la portée du geste que s'apprête à faire le gouvernement.» Sans blague?

18.7.03

L'infâme projet progresse comme prévu, voire avec de l'avance sur l'implacable échéancier. Le sinistre et scientifique processus de subjugation des hommes, leur animalisation et l'organisation de la liberté rêvée par chaque tyran depuis Hammourabi. Le moyen, enfin, de dominer ce chien d'homme sans qu'il se tourne et te morde un jour futur. Le pouvoir sur l'être humain en masse, avec son approbation, avec son appui enthousiaste et résigné. L'esclavage plébiscité par les esclaves, la servitude désirée comme ultime triomphe de la civilisation. Le consensus de la sécurité qu'on érige en idole.



C'est un plan étalé sur cinquante ans, pour autant que je puisse en juger. J'estime qu'environ 60% de ce temps est déjà écoulé, considérant qu'on peut situer le début de sa mise en oeuvre peu après le Watergate. Sans un brutal désenchantement, suivi d'un cynisme viral, irréversible et proliférant, les conditions gagnantes du final assaut contre la nature humaine n'auraient pu être réunies. L'essence de la formule éprouvée si souvent n'a pas tellement changé, en fait: (c'est une formule améliorée, semblable en cela aux détergents à lessive miracle qui blanchissent vos sous-vêtements plus blanc que blanc, fût-ce à l'eau froide et lourde et sale, et malgré que vos sous-vêtements étaient imprimés de complexes motifs chinois aux vifs coloris et que c'est un cadeau de votre blonde et qu'elle va vouloir savoir où diable ils sont passés) infantiliser un peuple, récompenser son ignorance, le traire et le distraire et l'engraisser, puis lui instiller la peur, la terreur d'un péril extérieur indistinct, puis enfin lui offrir confort et protection en échange de sa liberté. Embellir les barbelés à grands renforts de publicité décérébrante: on ne change rien du tout à l'aspect matériel des barbelés, on vise plutôt à modifier la perception que l'homme en a, on lui martèle dans le crâne que les barbelés sont beaux, inoxydables, beaux, symboliques, beaux, made in Québec, une invention d'un petit gars de chez nous, mais vous ne trouverez son nom nulle part dans les livres, un sale Américain lui a volé son brevet à ce qu'il paraît, en tous cas ils sont beaux, modernes, déchirants, la Corée nous en achète, ça veut tout dire, ils s'y connaissent en barbelés les Coréens, et c'est vrai qu'ils sont beaux, c'est sans conteste les plus beaux barbelés du monde, des plus beaux j'en ai pas vus, et post-modernes par-dessus le marché, et en plus ils nous protègent contre le péril extérieur, et en plus ils sont beaux!



Avant d'implanter une puce d'identité dans le corps des humains, faut leur assouplir la colonne en faisant valoir comme ce sera utile chaque fois qu'ils se rendront à l'hôpital. Votre dossier médical tout entier contenu sur une puce de la taille d'un grain de riz, qui dit: «Dans le métro, sous une calèche ou devant une bétonneuse, ils pourront trébucher puis quitter ce monde en paix, sachant qu'ils se trouvaient sous la protection de l'Etat et qu'on identifiera leurs restes en peu de temps. Un accès rapide aux infos sur votre état peut sauver des vies! Songez-y: plus de portefeuille à traîner, plus de cartes encombrantes, plus de danger de se faire hold-uper en sortant d'un guichet automatique; l'argent est virtuellement enregistré dans votre bras, et la rumeur se répand jusqu'aux petits blousons de cuir du village voisin, aussi repoussants qu'ils sont ingrats, aussi ingrats qu'ils sont graisseux: ils ne vont pas vous agresser, sachant qu'ils ne vont rien trouver sur vous en cash, à moins qu'ils ne se fâchent et qu'ils vous tuent, on sait jamais, mais alors le coroner saura déjà votre nom avant de vous autopsier! C'est une question de dignité... C'est une question pratique... Prenez votre temps... Jouez avec l'idée, devenez son ami... La puce protège votre famille de ces anciens maux: Ne plus savoir son nom, oublier son portefeuille à la maison... Pouvez-vous vraiment courir le risque de ne pas vous rappeler votre nom, comme cela frappe un Américain sur deux? N'aimez-vous pas votre famille? Pour aussi peu que le prix d'une tasse d'eau de javel par jour, vous aussi pouvez vous faire implanter une puce d'identité et contribuer à la lutte au fléau que représente l'amnésie dite «de Cotroni» ou «Old Vic» (Ré: «M'en rappelle pus. Va fa enculo.», audiences de la CECO, pages 102 à 803, Annexes XI, XIII et MCMLII). Aidez-vous à nous aider à vous identifier. Tous ensemble, nous défendrons nos libertés chèrement acquises contre les Terroristes qui volent nos cartes de crédit pour louer des 747 armés jusqu'aux bancs et dès qu'arrive le Ramadan ils crissent leur camp on est pogné avec le bill. Notre philosophie est simple comme le gros bon sens de grand-mère: si on ne conserve rien de précieux à la maison, on n'attire pas les voleurs. Nous croyons que le même principe rafraîchi s'applique aux terribles temps que nous traversons aujourd'hui. Les terroristes nous encerclent, ils sont partout sur nos frontières, le regard cruel et la mousse aux lèvres. Ils veulent voler nos libertés, peut-être même les violer, ce sont nos précieuses libertés qu'ils jalousent et ont pour projet de détruire. Leur cèderons-nous nos libertés sacrées, aussitôt qu'ils feront irruption ici en brandissant des cimeterres? Citoyens, confiez vos libertés au gouvernement! Ce n'est pas une renonciation irrévocable, comme le clame faussement une certaine propagande anarchiste financée par l'étranger: c'est comme si vous placiez vos intérêts en fidéi-commis entre les mains de vos propres élus! Ottawa prendra grand soin de vos libertés, qui seront stockées dans un lieu tenu secret protégé par nos forces armées, le temps de résoudre la crise actuelle, mais pas un jour de plus! Aussitôt gagnée la guerre au terrorisme, Ottawa vous remettra vos libertés avec des intérêts! Vous avez notre parole. Nous mettons nos sièges en jeu. Et cetera, et cetera.



Avant d'implanter une puce GPS dans le bras des bébés, laisser couler quelques années comme un bain chaud: pendant ce temps, rassurez les gens, rassurez-moi. Affirmez sans rougir en nous regardant dans les yeux que ça servira à retrouver nos gosses quand ils sont kidnappés par des prédateurs sexuels et à les retrouver plus tard quand ils feront des fugues et plus tard quand ils se perdront en montagne lors d'un voyage de pêche et plus tard enfin lorsqu'ils seront vieux et confus et oublieux du chemin de l'hospice. Dans un monde de plus en plus trouble, il est si rassurant de savoir qu'on peut être repéré n'importe où dans le monde par satellite en cinq secondes. Ne plus jamais être perdu! Ne plus jamais être seul! Ne plus jamais être hors de portée de quiconque veut nous contacter! Merci, GPS.



Si je vis jusqu'en 2024, le monde de ma vieillesse n'aura plus rien de commun avec celui de mon enfance, l'ère finissante de l'innocence et des balbutiements, le moment critique dans la vie de l'humanité, quand la technologie se mit à créer le besoin plutôt que d'en procéder, et qu'on fit le pari d'essayer ça, sans retour possible en cas d'erreur. Le plus marrant, c'est que si nous nous anéantissons, il n'y aura personne pour nous pleurer ou nous juger ou se moquer de nous. Le concept même d'histoire n'aura été qu'une aberration au glacial plan cosmique, un produit du cerveau humain, comme le lait vient des mammifères.

17.7.03

Attention! Ce qui suit n'est qu'une grossière et translucide parabole, un message encrypté, une pochade fonctionnant à divers degrés, afin que chacun y trouve son compte, du premier concerné au dernier des mongols...



Ce qu'il y a, c'est un os. Une sorte d'os. Une manière d'os, de caillou dans la chaussure, de bâton dans la roue, de cheveu roux coincé entre le slip et la cuisse du mari d'une brunette (par exemple).Facteur humain maudit, comme ça finit toujours par survenir, fuckant les plus subtils desseins des souris et des hommes.



J'ai un ami, voilà, un ami que je ne connais pas tant que ça, pas tant que lui me connaît moi, c'est la nature de mon occupation, d'être vu sans voir et non le contraire comme on le croit paresseusement, c'est idoine à l'essence même de la publication que l'une et l'autre des parties se tiennent de chaqué côté d'un miroir sans tain, chacune sachant que l'autre Invisible la dévisage et que l'économie humaine et que le sens de la vie dépendent en immense et gravissime partie de ce qu'ils tiennent chacun leur rôle un jour de plus, le temps d'un plan-séquence, d'un cameo, voire d'un fugace, d'un avare plan de coupe. La vie humaine comme un misérable, un frauduleux express d'Halloween de semi long-métrage, où chacun défile à tour de rôle derrière et devant la caméra, troquant son masque et son chapeau contre ceux, identiques, du voisin sans jamais voir la différence,




La fuite de l'enfance



Par les jardins anciens foulant la paix des cistes,

Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,

Au seuil immaculé de la Villa d'antan.



Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles

De sa joie il expire. Et vois comme pourtant

Il se dresse sublime en ses robes spectrales.



Ici sondons nos coeurs pavés de désespoirs.

Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs

Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.



Et bien loin, par les soirs révolus et latents,

Suivons là-bas, devers les idéales côtes,

La fuite de l'Enfance au vaisseau des Vingt ans.




NELLIGAN

16.7.03

Le postillon était porteur d'heureuses nouvelles, ce mercredi. Le genre de nouvelle qui réjouira mes créanciers. Et mes lecteurs. Et les peddlers de paradis.



Le projet Goth n'était hier encore qu'une proposition; ce soir, c'est devenu un engagement. Je l'aurais écrit de toute façon, mais il y aurait eu davantage de scènes comprenant du macaroni au fromage.
J'ai consacré une partie de la nuit à fignoler une circulaire, soignant chaque détail avant d'appuyer sur SEND, et quand je l'ai finalement fait, ce fut pour m'apercevoir que le site intermédiaire l'avait acheminée tout croche. Quelques centaines d'abonnés vont s'éveiller ce matin et me lire en pensant que j'ai perdu la raison.



Je ne peux les joindre tous à temps pour rectifier la situation, mais je n'aurais pu non plus aller dormir sans avertir, sans divertir, sans essayer de m'en sortir(!...).



C'est pourquoi j'inclus le lien ci-dessus vers le texte entier, et que je vais me coucher.





15.7.03

Ce site connaît une telle chute de fréquentation depuis le début des mythiques vacances de la construction que j'en viendrais presque à imaginer mon lecteur-type sous les traits d'un soudeur de charpente qui siffle les mignonnes à l'heure du lunch.
Succulente soirée à Pointe Saint-Charles. Auparavant, on est passés à Saint-Henri chez Diane, la récente amie de Hans, afin d'aller déposer ses deux huskies aux yeux blancs. Elle habite une petite rue étroite au pied de la montagne dont les maisons semblent tout droit sorties de Bonheur d'occasion.



Chez Marlène et Bruno, ma surprise fut totale. Pas tant le loft immense jonché d'oeuvres d'art en développement (dont des assemblages de bouteilles d'Amaretto équarries, formant des espèces de châssis en verre dépoli: la matière première provient du bar du casino où Bruno officie, six cents flacons en tout), que la cour intérieure, vaste, forestière, pratiquement le Paradou de Zola, où la nature avait repris ses droits, défonçant le revêtement d'asphalte. Partout, des sculptures de fer corrodé montaient la garde comme autant de spectres métalliques dans la pénombre. On a soupé de pizzas faites maison dans ce décor champêtre et tribal, au milieu des moustiques qui se repaissaient de nous malgré les torches qui nous éclairaient/voilaient en répandant une fumée huileuse.



J'ai pu mesurer le succès de l'intervention mammaire quand Marlène et moi sommes allés acheter des cigarettes. Mon amie ayant demandé des allumettes au type du dépanneur, il s'est empressé de lui en fourrer douze cartons dans la main. Douze!



Au retour, frère Hans et moi, on chantait Let the sun shine in à tue-tête dans la bagnole équipée d'un pare-brise tout neuf, et je contemplais les étoiles à travers le toit-soleil. Diane, partageant la banquette arrière avec ses chiens, se massait les tempes en souriant douloureusement.

14.7.03

Marlène est remontée de Floride, le temps de se faire augmenter les seins. Ce soir, Hans passe me prendre et on va souper avec elle chez son nouveau galant. Histoire de se rendre compte de visu si ça fait une grosse différence. Je soupçonne qu'elle ne pourra plus s'insinuer dans la robe bleue lamée qu'elle portait quand je l'ai rencontrée, et qu'elle a conservée. En ce temps-là, elle sortait avec Dan et servait du scotch dans un bar du Vieux. Ca pourrait faire cent ans.
Songé un horrible songe. Léo. Je le revoyais et il refusait de m'adresser la parole. Puis, Marie-Françoise: à peine moins pire. D'autres, enfin, tout un défilé aux visages indistincts. La nuit comme un long, absurde et cruel procès.

13.7.03

Kerouac n'a pas été le seul écrivain franco-américain à révolutionner les années 50. On oublie trop souvent (Marie) Grace (de Repentigny) Metalious, l'auteur de Peyton Place: huit millions d'exemplaires vendus, davantage que Gone with the wind. Le Canada en avait interdit l'importation...



Elle est morte à trente-neuf ans d'une cirrhose du foie, dans la misère et l'alcool bon marché.
Les feux du Portugal faisaient dur. On aurait dit l'exposition d'un savoir pyrotechnique pré-Marco Polo, la technologie de la Lusitanie. Musique pop et sirop. Suis parti avant la fin.



J'avais monté une assiette de pâté à CGDR, qui me l'a rapportée nettoyée vers minuit. Lui, très ému: «T'es le seul qui ait jamais fait ça pour moi dans le building...»



Faut croire que j'étais bien tombé, cette fois.

12.7.03

guig.gif



L'autre soir, au dépanneur, quand Mario m'a fait remarquer que la photo de Guillaume en couverture de L'Actualité (à l'intérieur, on trouve un portrait puissamment brossé de Montréal telle qu'elle peut se frotter au poitrail d'un homme) était une pièce montée au Photoshop, je me suis rebellé: Guig ne m'aurait jamais menti, et il m'avait affirmé avoir passé deux heures à Dorval pour obtenir la bonne prise...



J'ai dégainé mon cell et j'ai appelé Guig: à travers les bruits de fond du bar où il faisait bombance, je l'ai entendu confirmer l'altération: à l'intérieur du magazine, cependant, il n'y a pas de triche.



Il a ajouté qu'il venait de parler avec Marie-Sissi, laquelle l'avait appelé pour étoffer son article de fond sur ma pomme. «J'ai été fair», il m'a dit. Fair. Pour lui ou pour moi? J'ai grincé des dents. Et s'il gardait les bons morceaux?



Hans vient de m'appeler, après avoir conversé une demi-heure avec MSL, et je suis rassuré. Hans et Guig se sont toujours contrebalancés dans mon existence, dans mon coeur et mon esprit, même et y compris le soir où ils m'ont sauvé la vie.



Invité Hans à partager mon pâté chinois (purée patates et carottes). Se trouve qu'il participe à un triathlon demain. Un triathlon? Un triathlon. Juste l'épeler, ça m'essouffle.



Invité Guig. «Sorry, qu'il s'excuse, je suis déjà en route vers un autre souper. Raincheck?»



J'ai réalisé qu'il me causait en conduisant.



«T'es pas fou? Tu te rends compte de ce qu'on me ferait, s'il t'arrivait quelque chose au volant pendant que tu me parles?»



Il a rigolé; il a lâché, nonchalant: «Ca serait bon pour toi!»



Putain de merde... J'aurais le coeur brisé à vie pour cet imprudent qui s'imagine que j'ai besoin qu'il crève pour me faire une réputation.



«J'ai mis des carottes dans les patates», ai-je ajouté, découragé. Il a dit, très cool: «Oui, moi aussi je fais ça». Capable de me contester jusqu'à mon pâté chinois.



Mario est passé me porter du tabac. J'étais à la bibliothèque. Merci du fond des poumons.
Beau samedi maussade, parfait pour rattraper le temps perdu cette semaine, puis le doubler.

11.7.03

Mal aux cheveux. Hier, dégustation de Black Bull avec Mario, qui avait les pieds ronds en rentrant à Longueuil. On fêtait l'obtention de son (second) permis de conduire...

10.7.03

Les pauvres ont grise mine parce qu'ils lessivent leurs fringues pâles et foncées en une seule brassée.
Indice d'insatisfaction à la hausse: les ventes d'alcool au Canada augmentent pour la quatrième année consécutive. En tête: le Québec et le Yukon. Le Yukon!

9.7.03

1900, mon film favori de tous les temps: une grossière et superbe algarade communiste, et Depardieu et De Niro, et Olmo sauvant la vie d'Alfredo, né en même temps que lui, en affirmant que le patron est mort. Juste le genre de symbolisme taillé à la hache qu'on reprochait à Steinbeck. A la fin, ils se tiraillent comme les vieillards dans un film de Dom Camillo...



Ce qui est toujours surprenant, évidemment, c'est que les acteurs n'aient pas vraiment vieilli ainsi que se le représentait le maquilleur. Je ne sache pas non plus que les logiciels de vieillissement virtuel du FBI, destinés à identifier d'anciens fugitifs, connaissent un grand succès. Le fait est qu'on ne sait pas ce qui s'en vient, et que notre face en est la première surprise. Exception à la règle: en regardant la mère, on a une assez bonne idée d'à quoi ressemblera la fille.
Lunch avec Turgeon et ma trouvaille pour Graal, venue spécialement de l'Ile d'Orléans pour prendre langue.



Souper avec mon père et mon fils, moi dans le rôle du Saint-Esprit.



Entre les deux, bocks à la terrasse d'une brasserie. Une belle blonde passe, traînant une voiturette chargée de toiles et de chevalets. Me fixe, s'arrête. «Tu es l'écrivain?» fait-elle. «Ca m'arrive», je réponds. «Moi, je peins. Des portraits. Sur Prince-Arthur. Oh, je veux te FAIRE! Viens, viens avec moi. Que je te FASSE!»

8.7.03

Me suis finalement résolu à faire venir un technicien de Vidéotron, avant la prochaine grève. Mon modem ne sait pas que celle-ci est finie. Anyway, j'en ai eu pour mon argent: ça ne m'a rien coûté. Il va faire un rapport...
Réalisé le second volet de mon entretien avec Marie-Sissi. Ou du sien avec moi, c'est selon. Ce coup-ci, sa beauté soufflante m'a aidé à me concentrer plutôt que de m'en empêcher. Marrant: j'ai beau cultiver le recul, on n'en a jamais assez. Preuve en est que jeune fille, m'apercevant dans la rue, elle me suivait à distance. Pas de danger que j'aurais regardé derrière moi. Aujourd'hui, je parie que c'est elle qu'un jeune homme suit.



XYZ a réédité Vautour dans sa collection de poche et m'offre gracieusement les 137 exemplaires restant dans la collection Typo. Vais faire des cadeaux. Tu parles d'une aubaine! 137 copies de mon meilleur roman!
Une perle subsiste

Sur le souvenir de ta joue

Je ne sais l'effacer

Au retour des plongeons

Dans le rêve où je nous

Retrouve

Une perle persiste

Un petit océan

De sel et de regrets liquides.

6.7.03

Les forces de l'ordre s'en sont donné à coeur joie cette nuit, en armures de plexiglas, à expulser du parc Lafontaine la centaine de manifestants qui y avaient planté des tentes pour réclamer des logements sociaux. Dans le ciel, cependant, des millions partaient en fumée d'artifices.

5.7.03

Bertrand est passé juste à temps, entre deux rendez-vous galants, pour qu'on monte assister aux pétarades italiennes émouvantes chez CGDR. La voix de Domingo, illuminée, m'a fait frissonner les omoplates.
Dormi sur la balcon, à la fraîche, dans les fientes de pigeon. Qui dit que ma vie n'est pas palpitante?

4.7.03

Mario m'enjoint d'arrêter de journaler, avec la même énergie qu'il mit jadis à me faire commencer. «Je te l'ai répété cent fois!», qu'il dit. Menteur.



Et il chiale après Kevin. Comme Eric. Comme tout le monde. Trouve que j'y suis allé trop fort. «Je m'ennuie de Kevin! Ouskilé Kevin? Si seulement toi et Kevin...»



Je lui réponds de fermer sa gueule, d'aller passer dix heures avec Kevin semblables à nos dernières et de revenir m'en parler, je lui dis que toute la peine qu'il peut éprouver ne se compare pas aux fissures dans mon coeur. Puis je le serre dans mes grands bras et j'embrasse sa face de berger anglais.



Guillaume a livré sa première repartie, savoureuse. Un second entretien est en train.
Mario doit passer chercher le second rapport de lecture de son manuscrit. Ca risque de le foutre en rogne pour dix jours encore. Faut du temps pour s'endurcir la couenne à ces choses-là, pourtant si arbitraires et ne reposant que sur des opinions souvent fondées sur la qualité de la digestion.

3.7.03

Tour du chapeau. Michel Vézina revient à l'assaut de Vacuum dans le Ici d'aujourd'hui, pour la troisième fois, chacune requérant plus d'espace. Je ne serais pas autrement surpris de faire l'objet d'un cahier spécial jeudi prochain. Cela dit, c'est une critique honnête et pertinente, et le fait que je ne sois pas d'accord ne lui enlève rien.
L'entretien par courriel avec Hans avance bien. Il s'y prête avec toute la générosité que je lui connais et davantage. Par ailleurs, j'attends toujours les réponses de Guillaume et Louis. J'espère qu'ils ne réfléchiront pas trop.

2.7.03

J'ai pris le parti de tout dire et tout montrer à Marie-Sissi, en souhaitant à voix haute qu'elle n'en rapporte rien, cependant que le magnétophone ronronnait. Cette envie mortifère de faire confiance et de se confesser, d'avouer, de s'expliquer, et qu'on nous protège contre nous même. J'ai dit des choses, par exemple, à propos de ma mère, que j'espère ne pas retrouver dans l'Actualité de septembre. J'ai dit des choses à d'autres propos dont je ne me rappelle pas au juste la teneur, et qui doivent être pires...
Et puis je fume. Je me mets en combustion. Je suis parti depuis vingt-deux ans et je vis toujours chez mes parents.
Les jours fuient en frôlant la catastrophe. Je dors seize heures par cycle en laissant tourner des documentaires sur Staline. Je suis marié à mon ventilateur. Je suppose plus de choses que je n'en sais. Je tousse. Je flotte sur la crête de réels illusoires. J'écris comme on se ronge les ongles.

30.6.03

Le lundi, toutes les questions laissées en suspens au début du week-end reviennent en force. Le christianisme est-il vraiment une religion monothéiste? Mes antibiotiques seraient-ils des placebos?
Week-end furieux. Fun noir avec Guig Vigneault, Mario, Eric, Marie-Sissi et Claude, tourne tourne le manège, et puis j'ai rédigé une circulaire calculée pour choquer les honnêtes gens, et depuis on s'en désabonne à toute vitesse.



Il mouille, il mouille, bergère...

26.6.03

Les ventes vont bien. Ma dent aussi. On devrait réimprimer sous peu et j'ai mangé un steak de bison sans hurler comme un loup.
Blogger a changé son interface. Plutôt chic. Et les archives s'affichent à mesure.



Lunch avec Turgeon. En apéritif, j'avale du smog à pleins poumons.

25.6.03

Oprah a retrouvé le temps de lire et, partant, le goût de réactiver son puissant book club mensuel. Premier titre retenu: A l'est d'Eden, de John Steinbeck, mon roman préféré. Je le relis chaque année juste pour me mettre en condition d'arriver à la dernière page et de verser une larme quand Adam Trask agonisant lève une main frêle et blanche et bénit son fils Caleb avec ce seul mot hébreu: «Timshel», «Tu peux»...



Publié en 1952, le livre s'écoule à cinquante mille exemplaires par année. L'éditeur vient cependant d'annoncer un nouveau tirage de 800 000. J'aimerais bien qu'on ressorte la mini-série des boules à mites, celle avec Timothy Bottoms.

23.6.03

Voilà! Le chemin de la santé! Steve m'a prêté les sous et j'avale des capsules oranges et noires, tout à fait les couleurs que je choisirais pour le drapeau de la république du Québec.



Tandis que je poireautais à la pharmacie, j'ai pris ma tension artérielle avec une machine automatisée. Il est clair que je vais finir par me péter une veine et branler du chef en attendant ma purée.
Dominique est venue dîner en m'apportant une 24 de la Saint-Jean. Juste le fumet des tortellini faisait pleurer mes dents. Do m'a déposée à la clinique d'urgences, qui m'a fermé au nez pour l'heure du lunch. Suis remonté chez Trait d'union, vaquer à quelques corvettes (petites corvées). Un manuscrit m'y attendait, le second, et dès les premières pages j'ai su que je tenais quelque chose. J'ai fini de le lire en patientant dans la salle d'attente du dentiste, sans prêter attention à la détestable famille de hillbillies tonitruants qui ravageait le mobilier. C'est excitant de tomber sur un texte comme ça!



Le toubib a jeté un coup d'oeil dans mon trou à tarte et s'est précipité sur son calepin pour me prescrire des antibiotiques. Reste plus qu'à trouver dix dollars ou à gober le papier.
Razzia chez Jeunesse au soleil. Maigre butin. Me propose maintenant d'aller mendier des antibiotiques chez la dentiste voisine.
Gueule d'écureuil à l'automne. Gueule de Vito Corleone. Passé la nuit à arbitrer le combat au corps-à-anticorps entre l'abcès et les globules blancs. K. O. technique pour les globules.

22.6.03

Poussé la promenade jusqu'aux nouvelles pénates de Claude. L'était pas là, mais Sarah m'a offert du Pepsi et des bleuets tandis que sa copine lui teignait des reflets dans les cheveux. Quand j'ai toussé, Noa s'est mise à pleurer.
Les cloches de l'Immaculée-Conception m'appellent à toute volée. Envies d'aller à la messe et de m'évanouir dans la touffeur et les vapeurs d'encens.

21.6.03

La tradition se perpétue. Premiers feux d'artifice de l'été au balcon de CGDR. La France en vedette. Le concierge, sa femme et leur nouvelle-née se sont présentés, tout heureux d'être invités: depuis qu'il assure la gérance du building et qu'il doit faire avaler les augmentations de loyer, Colin a l'impression qu'on ne l'aime pas. Moi, je l'adore: il m'a remplacé aujourd'hui le frigo que j'ai crevé d'un coup de couteau en dégivrant le congélateur, et pas plus tard qu'avant-hier il a réparé mon poêle. Si j'avais de la bouffe à refroidir ou à faire cuire, je serais aux petits oiseaux.



Ai dû renoncer au sucre à la crème, pour cause de dent sensible, mais autrement la soirée, passée avec des freaks et des bonnes gens et une petite néo-humaine, s'est déroulée dans la joie renouvelée de vivre à Montréal.
N'ai plus envie d'écrire ici. Ca doit paraître, depuis peu. Sinon ça ne saurait tarder. Je marquerais bien une pause. J'annoncerais bien que je m'interromps. Me distancie. J'écrirais au revoir et merci.



Seulement, ce rituel, et ces ombres là-dehors qui lisent en silence, ça vous tient par les parties tendres et ça s'accroche fort.



L'été qui commence. Quel bon moment pour faire une fin. Et pourtant, où déverserais-je le trop-plein? Comme, par exemple: hier, Eric est venu. Il a passé quelques heures à composer une lettre délicate à son frère afin de le convaincre de déménager de chez-lui. Il m'a aussi appris que mes nectarines bien-aimées sont en fait des hybrides, issus du croisement entre une pêche et une prune...



Et puis j'ai appris aussi que le bateau-théâtre l'Escale, à Saint-Marc, là où j'ai fait la plonge l'été de mes quatorze ans, présente Les belles-soeurs de Michel Tremblay. Question: est-ce le niveau du théâtre d'été qui augmente ou celui de la pièce qui baisse?



20.6.03

Ca les turlupine vraiment, les gens, de savoir si Vacuum est un journal ou un roman. Peux pas les blâmer, je suppose. Mais c'est pourtant simple: j'investis ma vie dans la cornue littéraire et je chauffe. Le résultat de cette alchimie est nécessairement transformé, donc fictif. Simple.

19.6.03

Levé à l'aube. M'extirpant du cauchemar, ai attaqué le texte pour la revue d'Yvon Boucher, celle qui change de titre, de format et de papier à chaque numéro. Miscellanées sur le meurtre: pour tuer le temps, ça s'intitule. Vais y consigner tout ce que l'assassinat m'inspire et tout ce qui m'inspire l'assassinat, d'ici à la fin août, date de tombée. Un papier qui pourrait facilement prendre les proportions d'un annuaire de téléphone.

18.6.03

Il y a là-dehors énormément plus d'enfoirés qu'un monde sain ne devrait naturellement en engendrer. Quelque chose est pourri au royaume.

17.6.03

Viens de claquer le trente millième visiteur sur ce site. Dire que tout ça a commencé du fin fond d'une déprime psychotrope. Me sentant isolé de tous, même de Kevin, et je m'étais traîné jusque chez mon fils, j'avais jeté son co-loc dehors et je m'étais assis dans un coin du foutoir pour jaser avec JC, et quand la police est arrivée, j'avais déjà décidé de me brancher sur Internet...
Retour de l'Echange, musardant sur Mont-Royal, j'ai mis le doigt sur une contradiction fondamentale de mon tempérament tourmenté. Dans ma vie de tous les jours, je m'efforce avec plus ou moins de bonheur d'appliquer la maxime Never complain, never explain, alors que mon métier exige précisément que je fasse le contraire, comme en ce moment-même. Conçoit-on d'écrire sans (se) plaindre ni (s') expliquer?
Voir Jean Charest rendre hommage à Pierre Bourgault, décédé hier à bout de tabac, me remet en mémoire la rafraîchissante et tonique honnêteté du Joker incarné par Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton: après avoir électrocuté (frit) un ennemi, il s'écrie: «I'm glad you're dead!» avant d'éclater d'un rire dément et d'exécuter une petite gigue.

16.6.03

Descendu chez TU pour rédiger et envoyer ma première lettre de refus. Dur, dur.



Au retour, j'ai été pris d'une méchante envie en plein parc Lafontaine. Ai trouvé les latrines publiques. Quand Claude m'a appelé pour m'offrir un article dans un nouveau magazine glacé, j'étais confortablement carré sur la porcelaine. «C'est quoi, ces bruits-là?»
Le mois de Junon est long et doux comme une lanière de réglisse. J'écoute mes cheveux pousser. Commence à ressembler à un pianiste polonais.

15.6.03

Pouvais pas dormir. Mâchoire lancinante. CGDR m'a ouvert sa pharmacie.
Travailler pour l'héritage de l'humanité. Encore faut-il croire à cette dernière (des dernières).
Je suis amoureux d'une lesbienne que je n'ai jamais rencontrée. Les choses, pour moi, ne s'arrangent pas, ou alors si étrangement.

14.6.03

Viens de mettre au four de la viande pourrie. Qui pue. Si je suis capable de la sentir, dans l'état où se trouve mon système olfactif, c'est que cette bidoche schlingue un maximum.



Si seulement je pouvais effectuer un travail utile à la société, comme gérer des millions à l'instar de ma mère ou convertir des molécules de pétrole à l'exemple de mon père, plutôt qu'écrire des livres. Je mangerais de la bidoche rouge sang sans suspecter chaque gargouillis stomacal dans les heures qui suivent mon repas.
La tristesse que me cause l'annonce du décès de Gregory Peck n'est adoucie que par l'idée que je pourrai toujours retrouver Atticus Finch, aussi longtemps que je vivrai, en celluloïd ou en papier.

13.6.03

Certains jours, quand j'essaie de retrouver pourquoi je me suis épris de sa plume en premier, j'y vais voir, sur sa page, et à peu près toujours ce ramage en émane, intelligent et rigolo avec un sanglot dans la gorge, du bonbon acidulé, mes préférés. Mais parfois, Saigneur, ça n'y est pas, ça n'y est plus, et je me pose pro forma la question rhétorique: «Comment peut-on prendre ainsi congé de son intelligence et slaquer tous ses moyens pour cause de colère ou d'envie subite d'aller pêcher? Le goût de taquiner la truite ou d'étrangler son amant rend-il impuissant littérairement? Un esprit brillant ne cesse pas de l'être quand il s'endort ou que son propriétaire va pisser ou qu'il se fâche avec son jules. Bégayer, oui, s'écrouler de fatigue, mais écrire, fournir le malsain et grotesque et vain effort d'écrire ces tissus d'incohérentes conneries pour redraper ici ce puits de sottises et là cette fosse de pus, torcher trois pages sur les groseilles et son nombril et la perversité du type si chic hier, et encore un jour triste, et encore un coup dur, et que je te reveux détruire mon roman, et que je veux à nouveau effacer mon journal, et que le monde est chanceux que je sois si généreuse et sage et pas du genre à le priver de mon génie, et encore un coup de groseilles, et un coup de nombril, et un coup de courriel qui la retient de tout brûler à la dernière extrémité, à contrecoeur, pour à peu près la six centième fois, et un coup condescendant pour les lecteurs silencieux et simples, elle croit vraiment leur faire plaisir, et un p'tit coup de Pompadour avant que ne tombe le rideau pourpre: la grosse femme doit chanter, c'est obligé, et elle y va de bon coeur à grands renforts de plaies ouvertes et de douleurs et de saignements littéraires (de partout) et de cessation de sa propre existence.



Entracte.



Je sais comment ça se passe. Mon premier opéra, c'est elle qui m'y a emmené.











Toute ma vie, j'ai rêvé de la partager avec une femelle qui aimerait les lettres autant que moi et de la même façon. Est-ce trop espérer de l'existence? Je ne crois pas. Il est sensé que j'aie souhaité dormir et m'éveiller à côté de quelqu'un dont les intérêts sont aussi les miens. Passer mes jours et mes nuits avec une créature qui protège mes intérêts et compte sur moi pour veiller aux siens. Baiser une gonzesse qui ne soigne pas les grafignes qu'elle m'a faites dans le dos avec l'idée de découvrir le meilleur endroit où planter son couteau. Or, il a fallu que je m'abouche avec ces banshees jalouses, insécures et vindicatives au talent dénaturé. Ce fut Marie-Raspberry Scott, c'est Annie Strohem. Sleeping with the enemy. Ça veut ne rien devoir à personne, comme si on leur demandait des comptes, ça veut paraître jaillir de la cuisse de Jupiter, ça ne pige pas qu'on y soit plutôt qu'elles, ça éponge tout ce que vous offrez, comme un essuie-tout triple épaisseur, puis ça hurle: «Je t'ai rien demandé!»



Ça s'est quand même offert, au début, sous prétexte d'admirer votre génie et la grâce de votre démarche ou la douceur de vos paumes. Ça minaudait, c'était suintant de luxure et ça dégoulinait de loyauté. Ça affirmait sa différence, bien parfumée, fondamentale: «Moi, je ne suis pas comme celles-là! Moi, je ne ferais jamais ça!». On prétendait, donc, ce qu'il fallait. L'esprit de lucre se dissimulait sous ses oripeaux ordinaires, immémoriaux, ceux que chaque génération d'hommes doit pourtant réapprendre à partir de zéro, car une seule vie suffit rarement, nos pères étaient chrétiens et canadiens-français, c'est-à-dire qu'ils ne disposaient que d'une seule vie employée à ne pas instruire leurs fils.



Pour ces gens, ceux qui gueulent :«Je t'ai rien demandé!» quand vous avez tout donné, rien de ce que vous ferez ne sera jamais assez. Je le dis à l'intention des jeunes qui ne le savent pas encore et à qui ça pourrait servir, bien qu'il faille payer certaines connaissances du sur prix de l'expérience.



Et c'est si triste pour les lecteurs qui ne liront jamais ces livres qui ne seront jamais écrits par ces écrivains qui ne le seront jamais tout à fait devenus. À force de s'y croire déjà (le nirvana des écrivains, là où l'on siège sur un nuage de gloire en guimauve émouvante, répondant au téléphone si ça nous chante, cependant que les livres s'écrivent tout seuls dans l'arrière-salle du paradis). Comme s'ils s'imaginaient que la littérature est soluble dans la sauce marxiste, qu'il s'agit d'une émanation de la lutte des classes, et que le monde est divisé entre ceux qui lisent et ceux qui écrivent, ces derniers précédant les premiers dans la chaîne alimentaire.



Qu'est-ce qui distingue un vétérinaire d'un dentiste? Un actuaire d'un avocat? Un barbier d'un dermatologue? Un agent d'artiste d'un artiste? La réponse est: pas grand-chose, sinon leurs intérêts particuliers. Chacun le sait, sauf ces millions de milliasses de pathétiques sacs-à-fiel qui se veulent écrivains parce qu'ils aiment lire et qu'ils ont appris à écrire et qu'ils connaissent l'alphabet et qu'ils ne voient pas la différence entre moi et un vétérinaire. Ils ont vingt ans ou cinquante-cinq, ils se promènent en ville avec leur chef-d'oeuvre en envoyant chier d'avance quiconque demandera de quoi ça parle et qui en est l'auteur. Ils croient que la condition d'écrivain publié, confirmé, les placera au-dessus de toutes les malodorantes vicissitudes de l'existence humaine. Ils croient avoir signé leur propre passeport pour la transcendance.



Ces ahuris-là sont légion, et certains font assez illusion pour qu'on les publie, puis ils sombrent dans un trou noir de leur propre invention. Ce ne sont pas des écrivains, sinon brièvement; ce ne sont certainement pas des artistes. L'art requiert plus, infiniment plus que du talent, et quiconque ne sait pas ça devrait écosser des pois chiche ou empaqueter du crabe ou torcher des vieillards ou s'employer à n'importe quoi d'utile sans encombrer les lieux de l'art.



Cela dit, je suis coupable aussi. N'ai-je pas toujours prétendu qu'on juge un homme à ses amis? Cela doit également s'appliquer à son choix de compagnes et au choix que font celles-ci de continuer, ou pas, à l'accompagner. Ainsi, je songe à Guillaume, à Hans, à Louis. Trois de mes plus chers amis, bien que laids comme autant de péchés capitaux (Hein? Mens-je? Vigneault, Marotte, Hamelin? Des visages abominables, des faciès révoltants, des bouilles à renvoyer son souper), ont pourtant trouvé le moyen de vivre avec et de se faire aimer de très belles et très intelligentes nanas, durant des années, des années, des années bordel! Et je vous jure bien qu'aucun d'entre eux n'est un enfant de choeur, en fait aucun ne l'a même jamais été, sinon seraient-ils mes amis, bien sûr que non, vous voyez mon problème. Ils savent quelque chose que j'ignore. Si, encore, ce n'était que ça. Nous passons notre temps à échanger de l'information, des idées, des flashes. Nous nous en nourrissons. Mais cela, qu'ils savent et que je ne connais pas, il est manifeste que je suis incapable de l'apprendre, et eux de me l'enseigner. C'est un morceau qui manque, dès la sortie de l'usine. On peut toujours improviser, un bout de temps, comme quand Kevin filtrait son café avec des Tampax ou que mon père pissait dans le réservoir quasi-vide de la Volks pour qu'on teuf-teufe depuis Beauceville jusqu'à Saint-Georges, mais vient un temps où on se rend à l'évidence, ou alors l'évidence nous vainc violemment: cette machine-là vaut pas un clou. On la garde parce qu'on y est attaché, ou parce que c'est la seule qu'on a et qu'on aura jamais. Quand la machine s'adonne à être votre corps, votre esprit, votre personnalité, combinés en ce que vous appelez vous, va sans dire que ça s'applique.



N'empêche, c'est pas parce qu'il y a des connards déficients qu'il n'y a pas de salopes.

12.6.03

Éric est revenu, sans pansement, sans souliers, ses patins aux poings. Son nez va très bien, et son oeil s'améliore. Bon pied, bon oeil, bon nez: on a téléphoné à Yvon Boucher pour lui demander ce qu'il espérait en fait de textes pour sa nouvelle revue. «Entre deux et trente feuillets. Une nouvelle? Pas obligé. Ça ou ce que tu veux. On change de format et de papier à chaque numéro. Le prochain est bouclé, celui sur la paresse. L'autre, celui qui sort pour le Salon du livre, c'est sur le meurtre. Tu me fais quelque chose sur le meurtre. C'est qui, le nouveau poète que tu me dis, déjà? Éric Drouin? Attends, j'écris ça. Attends, j'ai pas de crayon. Drouin? Oui, oui, bien sûr, envoie-moi ça...»



L'Éric est reparti plein de pep dans les roulettes, la revue sous le bras. Il m'avait dit (je veux tout savoir): «J'ai vu Claude cet après-midi!», puis, plus tard: «J'ai vu Jean-Christian aussi!», sauf que tous deux étaient trop loin pour le voir lui, comme par hasard, à moins qu'il ait préféré ne pas être vu d'eux. «T'as tourné tes talons à roulettes, non? Tu voulais pas avoir à expliquer ton...»



«Ben, un shiner comme ça, ouais, je sais pas, ça fait looser, tu trouves pas?»



«Fuck'em!», j'ai lâché, oubliant que je parlais de mon fils et d'un ami cher, puis je me suis repris. «T'es beau, t'es un mec, t'as des couilles comme des pastèques, t'as rien à prouver à personne, depuis le temps, mais c'est vrai: vaut mieux attendre que ça guérisse.»



Reparti, dis-je, plein de pep dans les roulettes et d'idées de (poèmes sur le)meurtre dans la tête.
Quelques heures foncièrement satisfaisantes avec Nic Landré, venu me faire signer notre déclaration de chanson à la SOCAN. C'est un texte que j'ai écrit pour lui en 1999, à partir d'une histoire qu'il m'avait racontée l'année d'avant, à propos de ce que son père lui disait après le show, quand il était petit, admiratif et affamé. Le Nic a finalement enregistré son album, Windigo, qui sortira en septembre, probablement de cette année.



On a parlé avec une liberté qu'on n'avait pas connue depuis longtemps. On était seuls. Pas de nuisances...



J'ai fini par comprendre qu'il est en froid avec Claude et avec Claude. L'un est son père, l'autre son cousin. Il connaît les deux depuis toujours. Moi, j'ai rencontré le premier, mais je sais le second jusqu'au fond, en long et en large et surtout en travers, et ne me suis-je pas retrouvé à le défendre, ce phénomène naturel (comme les ouragans, les inondations et les tremblements de terre, tout ce contre quoi on ne peut pas s'assurer), à l'expliquer à son cousin, et à presser celui-ci de se vider le coeur à celui-là? Mais il ne le fera pas. Trop bien élevé. Alors je vais écrire à Claude et lui raconter ce qu'il en est, et il fera ce qu'il faut, comme il le fait toujours quand il comprend les enjeux, et je serai content parce qu'à son contact j'ai appris le langage des tornades et des invasions de sauterelles et de plaies que même l'Égypte n'a jamais osé cauchemarder.
Hier, lancement du Moebius sur la honte, celui dans lequel Kevin perd son pucelage d'écrivain amateur. Il y signe un texte très riche, très dense et très tendre. Je n'y suis pas allé, histoire de ne pas lui gâcher son moment. J'apprends qu'il n'y est pas allé non plus, probablement pour des raisons similaires. C'est Mario qui doit trouver le temps long, déjà qu'il n'est pas fort sur les mondanités, mais il subsiste toujours la chance qu'il tombe sur Violaine. Je l'ai bien fait, moi, mardi soir, au lancement de Don José Acquelin, et il ne m'a pas fallu deux pintes pour vendre la mèche. C'est vrai, quoi, qu'il se branche: si on attend tranquillement qu'il se déclare, la dame de ses pensées aura des taches brunes et une hanche en plastique.
Éric passe chercher des sous. Peu importe son état, il a le flair pour ces choses-là. Son état, dis-je, parce qu'il arrive en chaussettes, les mains enfoncées dans deux patins à roulettes. «Ils me les ont fait enlever en bas», explique-t-il, penaud, et arborant le plus ravissant oeil au beurre mauve que j'ai vu depuis longtemps, tout lustré et nuancé. Son état, parce que quand il finira par m'en fournir l'explication (je n'ai scrupuleusement rien demandé, trop occupé à me mordre la langue au sang), il commencera par dire qu'il a le nez cassé.



C'est tout lui, ça, venir me voir avant un médecin. «Alors?» je l'encourage à continuer. «Ben, c'est un gars qui me montrait des prises de lutte olympique...»



«La lutte olympique, c'est pas supposé finir comme ça. J'en ai fait, de la lutte olympique. T'es trop grand pour la lutte olympique. Moi aussi. Ton centre de gravité est un handicap.»



«Ah bon...», qu'il dit.



«Mais ton nez m'a l'air intact. Ton célèbre grand nez bourbonien, ton gagne-pain, même pas dévié...»



«Ça fait mal! Je peux même pas y toucher! Je sens les caillots de sang...»



J'ai appelé la clinique pour m'assurer qu'il y avait un toubib de garde et qu'ils disposaient d'une machine à rayons X, et je l'ai accompagné jusque sur le trottoir, le temps qu'il remette ses patins. J'attends des nouvelles.
Sauvé temporairement, mais l'est-on jamais autrement? Signé le contrat pour Fontes avec Robert Giroux et l'ai convaincu de me verser un à-valoir, le premier de sa carrière d'éditeur. L'intercession de BL n'est pas pour rien dans ce triomphe. Ni le fait que Giroux soit foncièrement un bon jack.

10.6.03

Descendu voir JC chez Trait d'union. En ai rapporté le premier manuscrit spécifiquement soumis à ma nouvelle collection. Hâte de m'y plonger.



Ai longé le bassin sinuant dans le parc, ses rides d'eau grises et violacées.

9.6.03

Retour de la réception qui suivait l'assemblée générale annuelle de la SOCAN. À l'assemblée elle-même, j'avais envoyé une procuration pour me représenter, déléguant Gilles Valiquette, celui-là même dont j'ai dû racheter trois fois le 45 tours autrefois parce que ma mère l'arrachait du tourne-disques chaque fois qu'il arrivait à «C'est pas ma faute si l'monde c'est tous des pieds!».



Au buffet, j'ai préféré me représenter moi-même. Passé deux heures agréables près du piano à queue, lui-même situé par hasard près du bar, en compagnie de Jean-François Landré, frère de Nic, fils de Claude et cousin de Claude (André). Il m'a expliqué plein de choses ayant trait à cette industrie en termes clairs et comiques. Quand on nous a photographiés pour la revue, j'ai passé d'instinct mon bras autour de son cou. Puis, Pierre Leith, le Capitaine Nô en personne, est venu m'offrir de collaborer avec lui, et JF lui a parlé de son père, comment il aimait enrager les gens comme un jésuite, pour les révéler à eux-mêmes, et on voyait qu'il était allé à bonne école: quand je suis parti, Leith était déjà en tabarnak.



En sortant de l'hôtel Delta, j'ai croisé un mec en queue-de-pie et haut-de-forme qui traversait Président-Kennedy en unicycle.



Dans l'autobus, comme d'habitude, il y avait plein de gars au crâne rasé. Comment les vieux pouvaient-ils craindre les hippies en invoquant leurs cheveux longs? Il n'est rien de plus inquiétant qu'un homme au crâne rasé. Même les falots font peur. Faut lire leurs yeux pour savoir ce qu'ils ont dans le coeur.



L'autobus m'a déposé près du Bunker. Je suis revenu sur mes pas dans la pénombre et ai pénétré dans le parc, hypnotisé par le losange vert baigné de lumière où s'agitaient des joueurs de baseball amateurs, et je me suis assis, seul sur le dernier gradin, suçotant un mégot, pour assister aux dernières manches.
Sécheresse et désolation. Crevasses et gerçures. Plus rien à vendre et rien d'humide à l'horizon.

8.6.03

Sylvain Trudel, le cher homme, signe un article lumineux sur Vacuum dans Le Soleil dominical.



Presque tous les commentaires à ce jour me donnent à penser que la figure de Kevin est une réussite littéraire, comparable à celle de Léo dans Valium. C'est dans cet esprit que je l'ai dessinée, étudiant le modèle, et de n'avoir pas échoué à la tâche me comble d'une durable satisfaction.



7.6.03

Monté voir CGDR. Son histoire d'amour clandestin, commencée le soir de mon lancement, le rend heureux et communicatif comme un ado, ce qui ne signifie pas qu'il révèle grand-chose, et bien que lorsqu'on s'arrête à y penser, les ados soient tout sauf heureux et communicatifs. En tout cas, il nettoie son studio, change les meubles de place et ses oreillers sont logés dans de nouvelles taies féminines, en tissu imprimé de petits animaux mignons.



Croisé Steve Hill, bicyclettant. M'a répété son numéro de téléphone. Le meilleur guitariste au pays à vélo, c'est comme Wayne Gretzky jouant du piano. Obscène, presque.
Entrevue, CIBL, 14:00.



Certains vomissent avant un show. J'introduis une variante: je dors douze heures, je me lève d'un coup, j'éternue, j'éponge le sang et je suis prêt pour l'antenne.



Aujourd'hui, vais peut-être développer l'idée de Fred selon laquelle j'ai écrit un reality book, dans la zeitgeist de la télé-réalité...

6.6.03

Barbecue, conversation littéraire puis sweet nuit réparatrice avec la douce, comme on s'insinue dans un bain bouillant: en prenant tout son temps.

5.6.03

Quand j'y songe, ce que la notoriété a fait de mieux pour moi, et de moins pire, c'est me faciliter l'accès à tout un tas d'autres mecs et mèches notoires. Aussi, plutôt que mon idée de samedi dernier, quand je songeais à éditorialiser, peut-être interrogerai-je mes connaissances pour la postérité. À moins que je ne m'empoigne sereinement le cul jusqu'au Jugement Dernier. Cela mérite réflexion.
Causé avec ma «grosse crapaude gluante». L'ai bisoutée au téléphone. Il n'est pas simple d'aimer un écrivain, une écrivaine, et les contes de fée font des tête-à-queue malsains, malsaines (les fées).

4.6.03

Guig Vigneault compare son chantier buccal à mes travaux de voirie. Les écrivains mangeraient-ils trop de sucre? Il ne me dit pas au juste combien va lui coûter son gros oeuvre dentaire, « parce que tu risques de venir me les péter toutes gratuitement par charité chrétienne.»



Tombé sur François Charron à la Centrale. Ça devait bien faire dix ans. Il m'a parlé de son essai biographique sur Hector de Saint-Denys Garneau, et je l'ai emprunté sur-le-champ. «Je me suis dit qu'il était temps que je devienne un véritable écrivain, que je publie une brique!» m'a-t-il dit, ne blaguant qu'à demi.



Sur Saint-Denis, croisé Louis Gauthier, qui me demande comment je vais. «Je tiens le coup!» réponds-je. «Ouais, fait-il; c'est un minimum.» Un minimum vital, j'ajoute en lui envoyant la main.



Et je vais vendre quelques bouquins.



Pincements, tiraillements, crampes du mauvais côté du poitrail. Pas encore d'engourdissement dans le bras. Se trouverait-il au monde une seule personne pour s'en surprendre si j'en claquais une bonne?

3.6.03

Hans vient de m'appeler pour lever l'embargo sur la triste nouvelle de sa rupture avec Chantal, survenue il y a quelque temps. Il voulait attendre pour l'annoncer aux enfants, afin de leur éviter un traumatisme indu en fin d'année scolaire. Alors il a touché le fond tout seul, et avec moi un petit peu, mais surtout seul, prenant congé de son travail, et ce soir il s'est senti remonter à la surface, commençant à distinguer le moins mauvais côté des choses, et il a parlé aux gosses. De la valeur de l'engagement, de l'arbre qui dissimule la forêt, de peine et de rédemption. «Ils sont fantastiques», dit-il. «Je suis gâté. Ils comprennent tout.»

2.6.03

Pourquoi c'est que les plus jolies gonzesses travaillent pour les journaux ou la radio, cependant que les boudins monopolisent la télé? Excepté à la météo, mais autrement, c'est sale gueule et compagnie, des voix de râpe à fromage et des coiffures comme aux lendemains de quand ma soeur s'endormait en mâchant de la gomme balloune; attifées comme la chienne à Jacques, que je n'ai jamais vue mais dont on m'a beaucoup parlé, et semblant tout droit sortir d'une intensive session de lavage de vaisselle, tant on croirait les voir empoigner le micro d'une main gantée de caoutchouc jaune pâle, et de topo en topo nous martelant le même message sous-jacent: «I could be a cute chick, but then men wouldn't take me seriously anymore, as a woman and as a journalist, so I go to great lenghts to make myself bland, plain and down right ugly, so you'll listen to me instead of staring at my tits!»

1.6.03

Levé à 18:00. Dix-neuf messages en attente. Suis sorti faire les magasins pour trouver un exemplaire de La Presse et le texte de Chantal Guy. Après lecture, me sens aux antipodes d'hier. L'honneur du journalisme est sauf. C'est injuste pour elle que je ne sois pas motivé à écrire autant quand je suis content que lorsqu'on me fout en rogne.
Chaque fois que l'un de nous s'est trouvé mal en point, Annie et moi avons remisé nos désaccords, psschhtt! évaporés, à se demander ce qui nous empêche de le faire en temps normal, quoi qu'il en soit ce soir encore nous étions réunis par un train d'électrons et elle m'écrivait des choses parfaites, mesurées avec soin, livrées dans un ordre suisse à intervalles subtils comme ceux d'une partition de Satie. On aurait dit qu'elle désamorçait une bombe.



Puis, elle m'a ressorti un mail que je lui avais adressé il y a plus d'un an. Un parmi mille et quelques que nous avons échangés. Un jour, son ordinateur a flanché et elle a tout perdu, mais celui-là, elle l'avait conservé, imprimé, souvent relu. Il y était question du journal comme cabanon inflammable impropre à loger une prose incandescente, et du roman qui prend de l'expansion à la chaleur, et de l'alchimie qui transmute le réel en oeuvre d'art. Je ne reconnaissais rien de ce que j'avais écrit, mais je trouvais ça plutôt puissant, et on ne peut plus approprié. Ainsi, Annie avait mis un peu de mon esprit de côté, en sûreté à la banque Strohem, comme en prévision d'un jour où j'en aurais besoin à mon tour.



Puis Ginette m'a écrit aussi, et ça a achevé de me remettre d'aplomb, avec ce ton qu'elle a, toujours juste, jamais trop ni trop peu, un don rare qui ne s'enseigne nulle part.



J'allais fermer boutique, éteindre la lucarne pour ce qui reste de la nuit, quand un dernier message a déboulé en grondant. Mon fils. La différence entre dormir en paix et dormir heureux. Il disait Dad on les encule (je paraphrase). Il parlait de boucs miteux et il disait: «Encore une fois tu lances un livre sur le marché qui est impossible à cerner», et il ajoutait que je les boufferais pour déjeûner, eux, les autres; enfin, il me servait de grandes rasades de la médecine dont il sait qu'elle me soigne, au goût de coup de fouet sucré.





31.5.03

C'est toujours le dernier arrivé qui paie pour les autres. C'est injuste. C'est humain. C'est peut-être la même chose.
À part ça, ma foi, il y a Réal, mon Réal, Yté, l'Amèriq indigné comme un seul homme, seul, qui s'est porté à ma défense aujourd'hui, probablement pendant la sieste des enfants. Je ne suis pas gourmand. Tant qu'il subsiste un honnête homme, égaré dans les allées de ce cyclopéen Wal-Mart que nous appelons une civilisation, je continue à me creuser, j'écris le maigre et puis le gras et puis le gris je le colore; un honnête homme, ça paraît peu, sauf si l'on songe que Diogène n'en dénicha jamais autant.



Ce qui me scie à l'os, tout bien pesé, c'est que je ne peux plus décemment interrompre le Journal maintenant, pas aujourd'hui, pas après ça. On jaserait. Faut que je rame encore un bout. Ah, l'ordure! Ah, le bélître! Ah, le touriste!
J'avais jasé avec lui jusqu'à tard dans la nuit, aussi quand peu avant une heure et demie je suis monté chez Steve, l'ai sorti de la douche et lui ai demandé de syntoniser CIBL, il ne m'a pas reçu avec des débordements d'aménité.



J'avais encore le souffle court, irrégulier, comme si j'avais reçu un grand coup de botte vicieux au creux de l'estomac, ce qui était un peu le cas. Puis je me suis rappelé que CIBL devait parler du livre en début d'après-midi, et entre me claquemurer dans le Bunker où il n'y a miséricordieusement pas de radio et courir encore ma chance comme un gambler pathologique, j'ai décidé de relancer les dés.



Le coucou de Stevie a sonné la demie tout comme il stationnait l'aiguille sur 101,5 FM, l'émission était à moitié consommée, pourtant c'est à cet instant précis qu'elle s'est mise à parler, comme si elle m'attendait pour commencer. C'était Johanne Viel. Tout ce que je savais, c'est que sa pénétrante intelligence fonctionne d'une façon qui ne m'est pas étrangère, et qu'elle avait préparé le premier pâté chinois de sa vie la semaine dernière après avoir fini de me lire, mais je n'étais pas certain de ce qu'il fallait en déduire, même si son chum s'en était montré enchanté. J'étais si fébrile que j'arpentais l'appartement de long en large en sautillant, sous le regard de Steve qui hésitait sur l'attitude à adopter, et je gesticulais pour lui faire comprendre que je lui expliquerais tout après, et j'écoutais, écoutais, pendu à sa voix comme si ma vie en dépendait, et je priais presque, j'en oubliais que je suis un païen, je priais et mendiais quelques paroles honnêtes pour mon livre, et pourquoi pas tant qu'à y être un mot gentil, en tout cas pas trop dur.



Or, phrase après phrase sans ralentir, non seulement elle lui rendait ample justice mais elle touchait toutes les bases sans en oublier une seule et elle expliquait ce que c'est en termes plus cristallins, plus concis, plus nets que je n'y suis moi-même arrivé, et elle riait en citant des passages, et c'était soudain comme si on m'appliquait une compresse d'eau fraîche sur le visage, me donnait le temps de reprendre mon souffle et mon courage. C'est seulement là que j'ai réalisé toute l'ampleur de ma solitude et de mon désarroi depuis le matin: quand j'en ai été soulagé.



N'empêche, je ne sais toujours pas si l'assaut fut plus brutal ou si les fortifications pourrissent. Quelque chose de fiable jusque là s'est fêlé comme en un soupir polaire, et j'ai affaire à découvrir ce que cette chose est, à quoi elle sert et si elle m'est indispensable.



Naviguant mécaniquement, sans aller nulle part en particulier, je me suis retrouvé sur le site d'Annie, et j'ai relu toutes les pages ayant trait à Épiphanie. Dans les films, après avoir subi des violences, les femmes se plongent toujours sous une douche bouillante. Je n'ai pas été suffisamment traumatisé pour me laver un samedi après-midi, mais quand même, j'éprouvais le besoin (je l'ai compris après) de lire du net, du propre, de l'authentique. Le résultat d'un travail franc et acharné, des mots choisis selon un principe, un point de vue, une conception de l'écriture assumée en toutes circonstances et sans égard au prix. Cela, je peux toujours le retrouver chez elle, comme au premier soir où je l'ai lue et suis tombé amoureux de sa prose, bien avant de m'éprendre aussi d'elle.



L'ironie cruelle, une autre, c'est que son putain de manuscrit circule en ville, que j'en entends dire un bien fou et que je n'en ai jamais vu une seule page, une seule ligne, un seul mot passé le titre.
Tôt ce matin, tôt bien assez pour savourer ma solitude, je me délectais du dernier article de Christopher Hitchens (son style, sa mesure, son intelligence, son bagage, sa droiture, son travail de réflexion intransigeant), et je venais de décider de mettre un point final à ce Journal. Aujourd'hui, fin du mois, chiffre rond. Je sens que je ne me renouvelle pas et que je dépends un peu trop de ce rituel et qu'il cautionne mon inaction ailleurs et que j'ai accompli mon objectif et qu'il faut que je m'oblige à défricher du neuf. Ce que j'envisageais de faire, c'était de perpétuer l'accès aux archives à partir de cette page, tout en proposant un lien vers une nouvelle, que j'intitulerais Éditorial et dans laquelle je proposerais un texte d'opinion hebdomadaire plus substantiel et plus fouillé, quelque chose comme mille mots, je sais pas trop, enfin quelque chose de nouveau et de stimulant et d'exigeant.



J'étais à réfléchir au moyen de patenter ça sans bouleverser tous mes codes quand la clochette a tinté, annonçant un courriel. Dominique m'envoyait un article paru dans Le Devoir de ce matin, accompagné d'un commentaire laconique et d'un baiser qui sentait la pitié, laissant présager le pire.



Ce qui suit est la transcription intégrale de cette recension, intitulée Roman québécois - Les passages à vide de Mistral et signée Christian Desmeules.



Entre deux chansons, un essai sur son oeuvre et un projet de roman,

Christian Mistral nous imprime son journal de l'année 2002. Un Journal qui, entre sa publication quotidienne l'an dernier sur Internet et sa mouture de papier, se transforme en «roman» par un petit tour de passe-passe dont lui seul connaît les ficelles, sans que l'on sache trop bien ce qui justifie cette fantaisie sémantique. Vacuum se présente donc après coup, dans sa version livre, comme le quatrième volet du cycle Vortex Violet (dans le sillage de Vamp, Vautour et Valium). Pour l'occasion, le «mauvais garçon» de notre littérature s'offre un nouvel éditeur (Trait d'union) et la direction d'une collection («Graal») qu'inaugure son nouveau livre.



Au menu, on trouve un peu de tout : commentaires de l'actualité internationale, mots rares, chronique voilée de ses amours chaotiques et de ses amitiés viriles, extraits de courriels qui lui sont adressés, citations de poèmes, de chansons. Tout cela écrit et publié sur Internet au jour le jour, pratiquement d'heure en heure, flirtant sans remords avec le degré zéro de l'écriture. Ainsi, en date du 16 avril 2002 à 9h11 du matin, on peut apprendre que Mistral vient d'ajouter une page à Origines, l'essai que lui a commandé Victor-Lévy Beaulieu. Le 25 avril, la petite madame gentille qui habite en dessous lui offre une paire de pantoufles en «Phentex». Le 15 juin, on sourirait si on pouvait croire qu'il se parodie lui-même : «Avec Kevin, on s'est descendu une bouteille de Havana Club en visionnant Les

Raisins de la colère, puis on a commencé à se taper dans la gueule.» Le 9 juillet, il dégivre son congélateur.



Comment se limiter au réel le plus plat, semble s'être donné pour horizon

l'écrivain Mistral. Comment ennuyer ? Dans un souci de faire adhérer étroitement sa propre vie et l'écriture, il nous donne à lire le désoeuvrement dans ce qu'il a de plus sordide. Épris depuis toujours de liberté, infatigable assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose, mais bien loin des figures tutélaires de Henry Miller ou d'Hemingway, Mistral traîne sa liberté comme un embarrassant fardeau. Ou comme un vide à remplir. Dans l'un des rares passages de Vaccum où la lucidité semble l'emporter sur la complaisance, il nous livre un état des lieux : «Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore avec de plus en plus d'inconfort [...], mais je crains tant que toute ma force ne fonde au contact de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.»



La pratique diariste est exigeante, souvent sans pitié pour l'entourage et

pour soi (Jean-Pierre Guay, Gombrowicz ou Charles Juliet en savent quelque chose). Elle relève davantage du véritable travail sur soi et sur l'oeuvre en cours que de l'autocongratulation. À cet exercice du journal, Mistral échoue. Car ce qui aurait pu être une oeuvre littéraire n'est que la chronique quotidienne d'un personnage nommé Mistral, compulsif dactylographe qui découvre la technologie et s'excite de pouvoir s'adresser au plus grand nombre, à travers le grand vide de l'ennui.



À quelques reprises, le Journal nous est présenté comme une sorte

d'excroissance amputée d'Origines, un court essai sur son oeuvre et sa venue à l'écriture qui s'insère dans la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles, dans lequel Mistral consent à nous livrer quelques-uns de ses secrets de cuisine. Un livre polymorphe et bigarré constitué d'un entretien, de notes, d'extraits du Journal, de souvenirs d'enfance. Un petit livre éclairant, mais qui n'arrive pas à se suffire à lui-même.



Certains passages de Vacuum s'y retrouvent d'ailleurs tels quels, sans retouches grâce à la magie du «copier-coller» qui permet à l'écrivain d'être partout à la fois. Paresseux, le Mistral ? C'est lui-même qui l'avoue : «Le champion toutes catégories des démons dégueulasses auxquels j'aie à faire face, c'est la paresse.» Et d'ajouter que le coeur n'y est pas, qu'il n'y est plus depuis déjà longtemps : «Personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire.» La paresse ne fait pas qu'empêcher d'écrire, elle fait aussi prendre des raccourcis : «La seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.» Vraiment ?



Par endroits, c'est presque fûté, cette tentative d'assassinat. On ne reconnaît pas le dilettante derrière absolument toutes les phrases. Quelques-unes sont même affaire d'opinion et je ne trouve rien à y redire. Pourtant, j'ai beau me fouiller, interroger ma mémoire que l'on s'entend généralement pour qualifier de stupéfiante, je n'arrive pas à me rappeler que nous ayons élevé les cochons ensemble, d'où ma surprise devant ce luxueux étalage d'affirmations péremptoires sur qui je suis, de celles qui supposent une connaissance intime totalement hors de sa portée. Si je suis «assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose», et je ne nie ni ne confirme, alors ce type sait bien des choses, et des croquantes. Toutefois, si on veut mon avis, je suis plutôt porté à croire que cet olibrius, ce pétrisseur de métaphores, s'essaie à faire du style sans souci de ce qu'il exprime, tel un pétomane faisant ses gammes et que l'odeur laisse insensible. Faire du style dans un brulôt qui me vise, ça revient à jouer du gazoo dans un concert de Claude Lamothe. Il n'y a guère de passage qui rachète l'autre, mais le plus dégoûtant est sûrement celui qui me voit «traîner ma liberté comme un encombrant fardeau». Voilà un citoyen qui n'a jamais reçu ne serait-ce qu'une contredanse. Pour considérer la liberté comme une quantité si légère, si plume et fumée qu'on la sent à peine, il faut n'en avoir jamais été privé. Connard.



Dans l'ensemble, pour abréger, et somme toute, ce type, c'est quand même un sale petit pédé, non? Foutu branleur de merde. 22, 23 ans je parie. Ou 46, allez savoir. Un nom à se faire, en tout cas. Putain de goule de fils de pute. Enfant de pétasse syphilitique et de mangeux de marde, enculé de fond de gogues, sac à flu, pissou, bureaucrate passe-partout, cauteleux mercenaire, tâcheron sans passion, scribe à gages, courtisan de cocktails, flatteur de Péan et botcheur de job par-dessus le marché. Que se passe-t-il au Devoir pour qu'on envoie cet avorton faire une job de bras sur moi? C'est peut-être une initiation, ou alors ils veulent l'inciter à démissionner. De mon temps, du temps de Lise Bissonnette ou de Paul-André Comeau, quand on voulait la peau de quelqu'un dont on pouvait supposer qu'il la vendrait chèrement, on n'envoyait pas un enfant. On envoyait un homme ou Nathalie Petrowski.



J'ai donc lu ce texte, incrédule (je ne suis plus familier du Devoir, j'ignorais l'ampleur des changements, du progrès réalisé): le ti-coune s'y fait beaucoup les dents sur mes deux livres et tant soit peu sur ma personne. En louveteau normalement constitué, en prétendant adéquat, il prend soin de se tenir à distance prudente du mâle alpha, et la longue odoriférante chiasse de mots dont il s’efforce de marquer un territoire fraîchement taillé ne va jamais jusqu’à éclabousser franchement mon talent. Seulement mes motifs, mon coeur à l’ouvrage, mon honnêteté artistique, mes prérogatives d’auteur et la nature intrinsèque, avérée, indiscutable de mon oeuvre: celle-ci est certes bien des choses, mais une entreprise d’autocongratulation elle n’est pas.



Puis, j’ai voulu savoir qui c’est au juste, cet homuncule dégénéré qui traite ainsi deux ans d’ouvrage. Avec malveillance, désinvolture et légèreté, comme si je n’avais pas mérité qu’on se penche sérieusement sur mes propositions. Qui refuse même à mes livres la dignité d’être filetés au scalpel, plutôt qu’assaillis sans finesse avec une hache émoussée. Je n’ai trouvé à son propos que peu de choses: il est libraire chez Pantoute, il a collaboré à une sorte de magazine de jardins et il a interviewé maman Dion. Depuis peu, il sévit dans la grande ville. Dans ce vieux Devoir où j’ai chroniqué quatre ans à la moitié du cachet que La Presse m’offrait, parce que j’y croyais, que ça signifiait autre chose qu'un tremplin de carrière, que c'était un devoir, depuis des générations. Ce journal-là, fais ce que dois, qui aujourd’hui confie la recension de mon travail à un méchant abruti ambitieux. Je le digère difficilement. J’ai pris tout ce qu’on m’a lancé, aussi bien les eaux usées que les louanges, et je n’ai jamais songé à répondre à une mauvaise critique, pas plus qu’à une bonne. Mais on n’a jamais osé s’en prendre à l’intégrité même de ma carrière, à la pertinence des quinze années passées à écrire et publier depuis Vamp, et jamais un foutu bouseux à tête plate, sans visage et sans réalisations, ne s’était avisé un beau samedi de mordiller de la cheville de Mistral. Ce monde n'est pas une émission de Lise Payette, peuplée de protagonistes en caoutchouc, et la littérature n'est pas un jeu de rôles entre gosses de riches civilisés. Ça joue dur, ça échange, ça débat. Faire l'économie de la politesse, soit, mais alors il ne faudrait pas s'étonner que quelqu'un vienne à s'en formaliser.



Qu’on se le dise: de mon vivant et de ma santé, je ne permettrai pas que n’importe quel rongeur puant s’attaque en traître à mes livres quand ça lui chante, pas plus qu’à mon enfant, pas plus qu’à rien ni personne que j’aime et qui souffrirait injustement à cause de moi. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: mes livres aujourd’hui n’ont pas reçu l’honnête attention qu’ils méritaient pour eux-mêmes, indépendamment des sentiments qu’on peut nourrir envers l’auteur.



Ce misérable résidu d’atelier d’écriture de cégep, ce galopin, ce téméraire petit cul, n’a-t-il jamais appris dans le trou dont il est issu que le jour où on s’attaque au gros gibier, mieux vaut l’abattre du premier coup?

30.5.03

Bannière


Fisto mio a fait du bon boulot. Comme je l'ai dit au lancement, chacun en ce bas monde a sa croix à porter: la sienne, c'est de travailler avec moi.
Une lectrice avec qui j'ai «déjà-causé-au-Boudoir-un soir-de-déprime» (pour elle? Pour moi? Mes souvenirs du Boudoir sont tous déprimants) et qui signe grandogresse me suggère, sur le Forum, deux titres pour la suite de Vortex Violet: Vidure (n.f. Ce qu'on ôte en vidant un animal) et Vidicon (n.m. Tube analyseur d'images de télévison). À me faire regretter d'avoir clos le cycle et m'être tourné vers la lettre G. Vidure, surtout, est fascinant; l'autre porte à confusion. Mais je n'aurais pu le retenir de toute façon, car j'ai toujours choisi des titres n'ayant pas besoin de traduction, afin de préserver l'intégrité de l'ensemble (le premier est tiré de l'anglo-américain, le second est un nom de famille, le troisième une marque de commerce, le dernier un mot latin). Dommage.

Entrevue téléphonique avec Micheline Lachance, de L'Actualité. Vif et bon souvenir d'avoir fait ça déjà, il y a pourtant longtemps. Suis curieux de voir comment elle va réussir à comprimer tout ce que je lui ai donné dans les dix lignes qu'on lui alloue. C'est pratiquement un exercice de style. Si on la paie au mot, c'est bien injuste.



«Ressentez-vous de la rancune à l'endroit de Dan Bigras?» Grands dieux non! Un infime soupçon d'amertume, à la rigueur. Une gouttelette de bile sur le coeur. Mais il n'a pas agi autrement que la plupart, et je préfère me rappeler l'homme que j'ai connu d'abord. D'ailleurs, celui-là serait mort depuis longtemps s'il n'avait pas changé radicalement.



Je guide mon fils, aussi par téléphone, dans la réalisation d'une bannière publicitaire pour mon livre sur le site de Trait d'Union. La ligne doit être mauvaise: on a beaucoup de mal à s'entendre.

29.5.03

Descendu avec CGDR au lancement de Lili. Elle a chanté des extraits de sa comédie musicale avec ses trois complices estivales. Je ne lui supposais pas une voix si ferme et mélodieuse, et le crépitement dans ses yeux! Ça devrait marcher très fort.



François Turgeon va tenter de convaincre sa soeur de me montrer son manuscrit. Ça fait longtemps que je mijote ça. Un roman d'Emmanuelle ferait merveille pour la suite de Graal.



28.5.03

Dominique passée partager sa joie et sa fierté. Le livre de Lili, fraîchement sorti des presses, c'est aussi un peu le sien, qui dirige la collection Sex-Libris. Et elle a trouvé une amie en prime. Moi qui les ai présentées, je ne suis pas mécontent non plus...
Je reprends vie d'heure en heure. Bientôt, j'affronterai la nécessité d'entamer un nouvel ouvrage pour me pardonner le dernier. Ainsi va la vie que j'ai choisie.
Massif sommeil réparateur. J'essaie de me remettre en forme pour le lancement de Lili demain soir. Faut aussi que je fasse ravauder mes culottes. Lundi, en montant dans l'Oldsmobile de CGDR, le fond s'est fendu tout du long.

27.5.03

Extinction de voix...



Lancement monstre. Ni trop de monde, ni trop peu. Certaines invitations ne se sont jamais rendues, ou arriveront la semaine prochaine. Les bureaux de Trait d'union au square Saint-Louis, sous une pluie battante nelliganienne, formaient un cadre délicieux. Tous les employés se sont démenés pour faire de l'événement un sujet de conversation dans les chaumières et les lofts.



Mes invités, variés, se sont détendus après quelques bières, au son d'une musique de jazz diffusée par l'ordinateur de Sophie. Des couples se sont même brièvement formés. Une quinzaine de personnes se sont étonnées de l'absence de Kevin. J'ai dû leur rappeler que c'est un personnage de roman.



Le cinq à sept s'est terminé vers dix heures, quand j'ai mis les traînards dehors (y compris moi-même), au vif soulagement des gens de la maison qui devaient tout remettre en place.



Après quelques pichets à la brasserie Cherrier avec sept ou huit fidèles, je suis rentré vers minuit (Cendrillon ravie mais crevée de fatigue) avec Fred et CGDR.

26.5.03

Hans a embrayé en marche arrière, écrasé le champignon: la bagnole s'est dégagée en grinçant de la camionnette qui venait de nous coincer de biais au feu rouge, puis a décrit une longue élégante arabesque, traversant deux voies et un terre-plein. L'un des six sauvages était à terre, se tenant le genou, les autres se précipitaient vers nous, battes au poing. J'ai gueulé: «Pousse!» Hans a demandé: «Pousse quoi?» J'ai corrigé: «Fonce, pas pousse. Fonce!» Il a rembrayé en première, il a foncé: j'ai vu l'un des gars se mettre en position comme si on était une balle arrivant du monticule, et au passage il a fait voler le pare-brise en éclats, juste devant moi.



Maintenant, je récolte les particules de plexiglas au creux des plis de mon pantalon, bien content qu'on ne soit ni à la morgue, ni à l'hosto. Ils nous ont pris pour d'autres, mais qui?



Soirée avec Chantal encore plus chouette que désiré: elle, Hans et moi jasant au Bunker autour d'une pizza kurde jusqu'à minuit.



Lancement cet après-midi.



25.5.03

Entrevue à seize heures avec Chantal Guy de La Presse. Conservé un sweet souvenir de notre première, il y a trois ans.



Puis je verrai Hans, qui a grand besoin qu'on lui change les idées. Moi aussi, d'ailleurs, à bien y penser.

24.5.03

On m'offre un caniche pompon de la Barbade. Une espèce de rat frisé qui encule des fouines et s'étourdit d'aboiements ridicules tout au long de sa vie de chien sans jamais soupçonner sa réelle, dérisoire nature de caniche pompon de la Barbade (Il s'imagine en Labrador). Intéressant. Même qu'il chie partout et constamment à juteux petits coups désopilants. Tout cela serait une telle, une si nette amélioration sur le comportement de mon défunt chien-saucisse, un tel progrès, enfin, que j'hésite à refuser...



Cette race-là, cependant, est affligée de quelques tares héréditaires rédhibitoires, dont les chiffres sur l'incidence du cocufiage canin au Canada témoignent avec une incontestable autorité: 23% des caniches pompons de la Barbade sont pédés sans le savoir et 97% sont cocufiés dans les six heures suivant l'accouplement. Là encore, le chien-saucisse était bien pire (ses statistiques pâtissaient de sa fâcheuse tendance à s'éprendre de levrettes toujours disposées à sucer six éboueurs dans la benne en échange d'une escalope avariée).



M'encombrer d'une autre de ces créatures artificielles qui me mordra la main demain? C'est un pensez-y-bien.
Mon chien-saucisse était si doux, si fidèle, un modèle de zèle et de modération, intelligent, retenant tout et si affectueux qu'on aurait cru qu'une âme éclairait ça de l'intérieur. Puis il est allé se rouler dans quelque ruelle avec la première bâtarde infectieuse qui lui a fait des chaleurs et il m'est revenu enragé. Cette nuit, j'ai mis dix heures à en venir à bout, de ce damné petit roquet qui m'aboyait aux chevilles en faisant mine de vouloir mordre, cependant que sa chienne prenait de grands airs en décrivant de prudents cercles autour de nous tout en me pissant sur les godasses. Il n'y avait plus ni amour ni haine dans les grands yeux bruns de mon vieux clébard, qu'une sorte de vilaine fièvre rabique, aveugle et stupide et sourde. Dix heures pour l'épuiser, puis je l'ai laissé dans sa niche avec l'autre vérolée, à ronger des os de mouton volés dans le voisinage. Je ne veux pas le voir crever. Je préfère le tenir pour mort déjà. S'il y a un paradis des chiens-saucisses, sûrement on lui fera de la place, ne serait-ce qu'en souvenir du temps où il imitait si bien les grands dogues de race.



Mon chien est mort. Il n'a jamais valu grand-chose, évidemment, mais il n'empêche que je m'y étais attaché. Petit pincement au coeur, comme chaque fois qu'un de mes chiens vire fou et qu'il finit dans un sac à vidanges ou une forêt d'automne, ses tourments abrégés par une balle de .22. Mais bon, ça ne m'a jamais empêché de dormir, sauf le premier peut-être, il y a trente ans. Quand ils arrivent les babines moussantes d'écume, on n'a guère le choix de les rayer de sa vie



Ce que je fais par la présente. Next!