6.2.03

Jour de lancement pour Justine. Des papillons extravagants font la java dans son estomac. Angoisse unique, couronnement d'un an d'ouvrage et qu'on maudit quand elle est là.



Cet après-midi, je reçois le docteur Sylvie Pierron, qui monte de Québec pour venir m'interroger sur ma pratique des dictionnaires, dans le cadre d'une recherche post-doctorale au Centre de Recherche en Littérature Québécoise de l'université Laval.



«J'entamerai à partir de ces entretiens une réflexion sur la relation de l'écrivain actuel avec sa langue d'écriture au Québec, dans un va et vient avec l'analyse stylistique des oeuvres, dans le but de confronter différentes pratiques des dictionnaires avec différents choix esthétiques en matière de travail et de représentation de la langue.»



Eh bien, par exemple, va et vient prend deux tirets. Je viens de vérifier dans le petit Robert. Mais il est vrai que c'est un vieux dictionnaire.

5.2.03

Suis pas resté longtemps. Pierre Turgeon m'invite à l'ouverture de sa filiale anglophone à Toronto. C'est fort gentil, mais je suis une trop petite nature pour aller jusqu'à Toronto. Paris, Bangkok, Moscou, n'importe quand, mais pas Toronto.



PT me redemande aussi quand je lui apporterai un manuscrit. Si André savait ça, il piquerait une crise.



Lili m'a fait tourner la tête en m'apprenant combien elle va gagner l'été prochain en tant qu'auteur de la pièce présentée à Trois-Pistoles.
Finalement, s'agit du livre sur Pierre Péladeau. Vais y aller, je pense. Kevin trop frileux, et redoute la présence d'hommes d'affaires. Jeunesse d'aujourd'hui.
Lili Gulliver m'avise d'un lancement ce soir à la BN. Lancement de quoi? Aucune idée. Free booze, anyway. Mes téléphones sont morts, mais j'ai écrit à Kevin, lui demandant de passer un coup de fil pour en savoir plus. Les hauts et les bas de la vie d'un pique-assiette.



Rédigé des éléments pour le communiqué d'Origines. De toutes les corvées, celle-là est toujours la plus pénible.



Pourquoi diable le Réseau de l'Information de Radio-Canada a-t-il chargé un interprète de doubler en français le ministre des affaires étrangères de la France? Dominique de Villepin s'exprime assez clairement, merci.
Colin Powell vient de terminer la présentation de ses preuves devant les Nations Unies. Une tentative de réitérer le coup de théâtre d'Adlai Stevenson en 1962. Seulement, Stevenson s'exprimait au nom d'un Washington pré-Watergate, dont on croyait encore qu'il ne pouvait mentir. Aujourd'hui, on pourrait presque trancher le scepticisme à la baïonnette.
Émile! Ma vitre est un jardin de givre...



Bouffé des tas de trous de beignes. Ineffable destin de la pâte sucrée: abaissée un petit peu à gauche, hop! tu deviens un beigne. Un petit peu à droite, hop! tu deviens un trou.

4.2.03

Fin de la séance. Crevant, de se rentrer le bide pendant vingt minutes. Me suis souligné le regard au khôl pour détourner l'attention.
Jacques Grenier, photographe au Devoir et vieil ami, a reçu de VLB la commande de me croquer devant mon frigo.
Dormi quinze heures. Quel jour on est?

3.2.03

Autre coup de fil, d'un monsieur Morin, sbire du boss de Trois-Pistoles: «Quand peut-on espérer recevoir vos corrections?» Je lui explique que je n'ai pas les épreuves, qu'on les a livrées ailleurs. «Et le projet de communiqué?» Quel projet de communiqué? Personne ne m'a rien demandé.
Coup de fil d'un monsieur DesRoches ayant reçu les épreuves corrigées d'Origines par erreur. Voulait mon adresse pour me les acheminer. Je lui ai mitraillé l'information parce que ma carte Fido pré-payée était sur le point d'expirer.



Renaud, mon voisin d'en-haut, m'informe qu'il a vu mon trophée de plâtre (décerné par la radio pour La lune, une des 10 chansons les plus jouées cette année-là) pendu aux cimaises d'un pawn shop sur Mont-Royal. Vais demander à Kevin d'aller le racheter. Coûtera moins cher que si j'y vais moi-même.

2.2.03

Suis tombé sur une mauvaise méchante batch de tabac pleine de copeaux de bois.
Pensées printanières. Va me falloir une femme bientôt. Intelligente, futée, sachant écrire et baiser. Pour égayer ce Bunker et secouer ma tribu et me forcer à faire un peu de ménage et m'inspirer un grand livre.
Vendredi, appel de Hans, depuis la gare d'autobus à Québec. Attendait sa correspondance pour Baie Saint-Paul. Venait de relire Vautour et tenait à me dire que le livre tient le coup.



J'ai, paraît-il, une mauvaise influence sur sa fille Fauve, qui songe à devenir écrivain.
Me suis endormi sur le clavier après la rumba avec Mario, Éric et Kevin. Brûlé la barre d'espacement avec mon mégot. Justine va s'en vriller la moelle à son retour de St.Martin/St.Maarten.



Résolu le mystère du drôle d'air que m'a fait Kevin la semaine dernière, quand je lui annonçai le titre de mon recueil. Faciès, c'est ainsi que s'intitule la nouvelle qu'il a soumise à Moebius il y a deux mois, et je l'avais complètement oublié!



Me fallait donc un autre titre. D'abord songé à Façons, puis me suis décidé pour Fontes, avec le triple sens de caractères d'imprimerie, de dégels et de sacs à fusils.

1.2.03

Columbia s'est crashée, juste en surplomb de Palestine, Texas. The debris could have toxic consequences.



Plus il s'en passe, moins on a de temps pour relater ce qui se passe.



Mario ronflait pire qu'une fournaise, échoué comme un orque sur le lit. Quant à Éric, il cuvait sur le sofa, gelé dur, cependant qu'avec KV je discutais littérature, et le nouveau voisin, téméraire, tapait comme un sourd inconscient dans le mur.

31.1.03

Un nouveau voisin s'est bruyamment installé hier soir. Il tousse presque autant que moi et je me sens d'autant moins coupable. D'essayer de respirer. Il aurait aussi tendance à taper dans le mur, mais peut-être accroche-t-il des portraits de sa maman.



Sekhmet me fournit des tests, des petits, des testicules, que je teste à mon tour pour estimer s'ils conviendront à Generoso, mon protagoniste Goth. Le bogue, c'est qu'il n'y avait pas de blogues en 1999, aussi vais-je probablement lui inventer une présence sur un news forum, sauf que je n'y connais strictement rien.



Le dernier test qu'elle m'envoie vise à déterminer ma couleur intérieure. Je suis rouge, semble-t-il, ce qui veut dire (traduction libre):



«Vous êtes rouge. Impur, quoique noble. Fidèle à vous-même et envers autrui. En amour, vous êtes entier et ferez n'importe quoi pour assurer son bonheur. Vous êtes sûr de votre identité et ne pouvez, en conséquence, changer les autres ou être changé. Vous êtes un authentique prince; on pourra vous oublier, mais sans vous, nul d'entre nous ne saurait continuer.»



Tiens, c'est bien vrai, je suis rouge! Seulement, c'est ma couleur extérieure...



À quand les tests anti-dopage aléatoires pour écrivains?
Jour de paye. Comment faire pleurer du vin aux pierres tout en multipliant les pains.



Une brume rose orangé larmoie sur les toits.

30.1.03

Bertrand très content de la préface. Un peu surpris, je crois, et plutôt ravi de ma célérité. Mais lui non plus n'a pas les deux pieds dans la même bottine. Jeudi dernier, il me proposait l'idée de ce livre, dont il détient maintenant presque toute la matière, qu'il va se charger de mettre en forme. Il aurait bien pris dix ou vingt pages de plus en préambule, mais quatre suffisent, me semble-t-il, pour un recueil de quatre-vingts. Always leave them wanting more...
L'annonce du pacte fiscal entre Montréal et Québec répond à une question qui me tarabustait depuis longtemps: comment les collections de la Bibliothèque Centrale municipale allaient-elles être transférées à la Grande Bibliothèque nationale? Le gouvernement provincial vient de les acheter, 35M$, en même temps que l'île Notre-Dame.



Le maire Tremblay, en voulant rattraper un lapsus selon lequel il souhaitait baiser le fardeau fiscal de ses commettants, s'est fait rassurant: «Je n'aurais jamais vendu l'île de Montréal (!) si je ne pensais pas que c'est une excellente transaction».
À Flin Flon, Manitoba (ça s'invente pas!), des chercheurs du gouvernement canadien s'efforcent depuis dix-huit mois de faire pousser du pot thérapeutique de qualité, sans succès. Installés dans une sorte de mine de marijuana à dix mètres sous terre, ils gâchent récolte après récolte et la ministre de la santé est très inquiète pour l'avenir du programme...
Pour paraphraser Kevin, je me suis levé avec de l'ambition, et j'en ai profité pour terminer la préface à Faciès. Si je ne le fais pas tout de suite, l'expérience me prévient que je ne le ferai que dans la nuit précédant l'envoi des épreuves à l'imprimeur. Le livre est prévu pour février 2004.
Brouillard sur la ville. Nous arrivons sur l'autre versant de l'hiver et glisserons jusqu'à la renaissance.



Une méchante fébrilité m'étreint, je tourne dans le Bunker comme un félin encagé. Patience et longueur de temps.



Adieu miss Janvier, demain vous vous éteindrez dans toute votre froide beauté, déjà le choeur des vocératrices s'assemble pour vous pleurer...

29.1.03

TQS, fidèle à elle-même, annonce une entrevue avec Robert Gillet au cours de laquelle «il révélera qu'il se sent traqué par les médias!» Comment la journaliste a-t-elle obtenu cette exclusivité? En l'attendant à la sortie d'un restaurant.



Paranoïaque, va.
Retour de la Centrale. Ai failli emprunter un bouquin sur le diabète, puis me suis ravisé. Pour les histoires de peur, j'aime encore mieux Stephen King. Me suis rabattu sur le livre de Neil Sheehan à propos du Vietnam et une anthologie de six pièces par Jason Sherman.



Avant de m'y mettre, vais préparer une tarte au citron. Recette piquée par Kevin à Josée di Stasio. Once we were warriors...



Retourné voir Bertrand Laverdure pour récupérer mes originaux et lui annoncer que j'ai commencé la préface à Faciès. Robert Giroux songe à y inclure quelques poèmes de jeunesse, à condition que je les annote, ce qui doit vouloir dire qu'il faudra que j'explique pourquoi ils ne sont pas bons. Demanderai peut-être à Bertrand de m'aider.
J'ai chargé mon nouveau Motorola mignon à bloc, vingt-quatre heures durant, puis j'ai inséré la puce, puis j'ai mis le jus, pour m'apercevoir que Rogers AT&T m'a débranché pour non-paiement. Les escrocs qui m'ont vendu le contrat et qui réparent mon appareil depuis deux mois devaient faire suspendre la facturation, mais z'ont dû oublier.



Allez donc essayer, après ça, d'être plus communicatif!
Soirée pépère avec Kevin. On a laissé une couple de quilles nous rentrer lentement dedans. Il repeinture la même cabane de rupins pour la cinquième fois. Un oncle de ses clients, juif orthodoxe, lui a commandé une grande toile représentant Moïse, version Charlton Heston, effectuant la partition des eaux de la Mer Rouge. Pas si orthodoxe que ça, en fin de compte. Le décalogue est clair là-dessus: «Tu ne feras pas d'image taillée, ni aucune image de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au dessous de la terre.»

28.1.03

Reçu mon nouveau téléphone "reconditionné" par Purolator. Tanné d'attendre qu'on répare l'autre.



Passerai voir BL à 13:30 pour lui remettre les textes de mes chansons inédites, une cinquantaine environ. Le laisserai séparer le bon grain de l'ivraie. Songe à Faciès comme titre du recueil. Quant au titre générique de mon prochain cycle (comme Vortex Violet pour le premier), inauguré avec Goth, ce sera Gala Gitan. Beaucoup d'étiquettes pour des boîtes qu'il ne reste (!) qu'à remplir.

27.1.03

Je ne sais pas trop par quel bout attaquer Goth. Pour tout dire, je ne me suis pas encore fermement engagé envers moi-même à l'écrire. Ni envers moi-même, ni envers le livre. Mais je vais faire quelques esquisses. L'idée m'est venue d'utiliser ces petits tests de personnalité plus ou moins sérieux en guise de tampons, sporadiquement saupoudrés à travers le récit: Generoso, mon protagoniste, pourrait s'y révéler assez efficacement il me semble, voire s'y trahir. Sekhmet se charge de m'en trouver.

26.1.03

Je m'y attendais, et il a probablement raison: BL voit plus de fange que de furie dans mon recueil, ce qu'il appelle joliment du «dix-neuvièmisme». Y voit de la valeur pour les exégètes. Mais on va vraisemblablement s'entendre et trouver le moyen de publier un peu de poésie quand même, sur un lit semé de chansons.



Envoyé le manuscrit de Vacuum (le Journal) à maître Vanasse.

25.1.03

Bon, eh bien, le hiatus n'aura duré qu'un peu plus de seize heures. J'ai remis de l'ordre dans mes idées, et planqué quelques détails dans un fichier à part. L'épaule reprend contact avec la roue.
J'ai résolu d'interrompre cette publication pour un temps. Il se trouve, et j'en suis le premier surpris, que les événements qui convergent vers moi depuis peu ne sont pas de ceux dont je peux faire état au grand jour. Leur nature, importante à mes yeux, réclame pourtant que j'en prenne acte, autrement ceci ne serait plus un Journal. Il s'agit essentiellement de l'intimité de personnes qui me sont chères, ainsi que de certaines réflexions que je souhaite approfondir en privé sur la suite des choses... J'aviserai les abonnés de la Circulaire de mon retour.

24.1.03

Ma mère doit dorénavant songer au sucre, et m'exhorte à faire de même.
Pete Rose serait près d'avouer qu'il a effectivement parié sur des matches de baseball, ce qu'il nie depuis 1989. Une confession abjecte accompagnée de remords, de bons vieux aveux bien soviétiques, sont la condition sine qua non de son admission au Temple de la Renommée. Sa légende? Ses zillions de coups de circuit? Rien de cela ne vaut tripette. La méritocratie a deux visages, l'adulte et l'infantile: en Amérique, là où l'homme recevait selon sa valeur, il n'est plus désormais qu'un garçon grapillant les miettes de son dû, le dos rond, la bouche contrite.
Le 20 juin 2000, la NASA laissait filtrer que Mars avait peut-être déjà contenu, voire contenait peut-être encore, de l'eau. Hier, on apprenait que Bush s'apprête à consacrer des subsides à hauteur d'un milliard au développement de la propulsion nucléaire: il devrait l'annoncer lors du discours sur l'état de l'Union. Aujourd'hui, La Presse rapporte mine de rien que Mars est plus riche en eau que la Terre, rien que ça. Selon deux Français obscurs issus d'un institut nébuleux, ô ma crasseuse ignorance, lesquels ont découvert une météorite martienne pleine de preuves qu'abonde la flotte enfouie profondément dans les entrailles de la planète rouge. Ça sent le conditionnement social à plein pif, ça pue la manip, ça schlingue la carotte qu'on agite sous les naseaux de l'âne bâté, ça fleure l'histoire plantée depuis Langley.
En terminant les deux strates de succulent chocolat belge que ma soeur m'a offert à Noël, j'ai conservé la boîte de métal et l'ai remplie de biscuits au gingembre. J'en mange deux ou trois le soir avant de me coucher, avec un petit verre de lait, et ça me rappelle le boulevard Octogonal de mon enfance, dans la cuisine de grand-maman. Je dors comme un chérubin langé de frais.



Kevin est dans la lune depuis dix jours, peut-être vingt. Il y cherche son roman, quelque part au sud du cratère Cauchy, sur la rive orientale de la mer de la Tranquillité.

23.1.03

Le sauvage écho de mon frigo a retenti jusqu'aux Trois-Pistoles, et un chèque charmant est tombé dans ma boîte à malle, cependant que Justine m'apportait de la bibine et repartait avec mon scénario. Mouvance et rock & roll. Passé prendre Kevin en sortant du bureau de probation. L'ai ramené partager la bombance.



La réunion du comité, ce matin, s'est soldée par une décision qui, sans être mauvaise pour moi, me place néanmoins dans une position difficile. Je n'aurais pas dû évoquer le prochain roman, mais ça n'aurait vraisemblablement rien changé. Il y a toujours un prochain roman. Enfin, j'ai de la jonglerie et des calculs à faire.

Mon frigidaire est un temple tout entier consacré au culte du bicarbonate de soude.
Michael Caine sur pourquoi il a cessé de boire: «Because fat drunks don't get the girl. That's why they're fat drunks.»

22.1.03

Je connais de plus en plus de gens, âgés de vingt à quarante ans, qui n'ont plus d'appartement. Terrifiante perspective.

21.1.03

Coup de fil d'Hélène. Elle a encore plus aimé la deuxième partie de Vacuum, plus réflexive, moins anecdotique. Entend pousser fort lors de la réunion du comité de lecture jeudi. Me demande de l'appeler en après-midi «si j'y pense». Je ne pense guère à autre chose, ces derniers temps, mais à ce moment-là, je serai dans le bureau de mon agent de probation.



En classant des vieux papiers, retrouvé un début de pièce polar qui date de quinze ans. Quarante et quelques feuillets. Vais peut-être m'y remettre.



Je serais Saddam, j'envisagerais sérieusement un exil doré. Qui se souvient de Manuel Noriega? Rémunéré par la CIA du milieu des années soixante au milieu des années quatre-vingts, il est pote avec Bush père, lequel sera directeur de l'Agence, vice-président puis empereur des États-Unis. Leader indépendant du Panama au moment où les USA sont tenus de rendre le Canal le 1er janvier 1990, il gêne. Bush le diabolise donc dans l'opinion publique, envahit le Panama, tire dans le tas et installe un régime fantoche juste à temps, soit le 20 décembre 1989. Quant à Manuel, il est ramené dans les chaînes comme un barbare vaincu au temps des Romains. Il purge aujourd'hui quarante ans dans un pénitencier de Floride.



19.1.03

Aujourd'hui, l'évolution est pénible: j'avance d'une façon qui rappelle fort celle du Frankenstein de Boris Karlof, ou d'un Borg. Mes tendons d'Achille sont des cordages trempés dans l'eau de mer et séchés au soleil...



Quant à cette méchante molaire, elle mine mes nuits. CGDR m'a donné quelques comprimés de morphine. La moitié d'un, aspirée d'un coup entre les dents pour éviter tout contact de mauvais goût avec la langue, vous envoie douze heures dans des vapes indolores.

18.1.03

marche.JPG


Photo Robert Skinner, Cyberpresse




Retour de la marche pour la paix. Comble d'ironie, a fallu que je traverse la ville à pied pour y aller, faute de ticket de métro. Tant qu'à y être, j'ai marché en première ligne, entre Luck Merville et Maka Kotto. Y avait du monde à la messe. Vingt-cinq mille, selon les estimations. Faisait moins dix-sept. Le mécanisme de ma montre a gelé. Mes cheveux aussi: je sortais de la douche. En route, j'avais rencontré une première foule, mais ce n'était qu'une queue devant la charcuterie hébraïque. Au retour, longeant le bassin du Parc, aperçu un couple agenouillé face à face en patins sur la glace, s'enlaçant.



Vais réchauffer la soupe aux pois.

17.1.03

Sekhmet m'initie sans s'en douter aux charmes délétères des tests de personnalité. Ces trucs-là sont transparents comme le T-shirt de Véronique un vendredi soir. Les jeunes gens à qui ils sont destinés s'inquiètent d'être normaux, sans réaliser qu'ils ont triché tout du long, et les vieux répondent de leur mieux, sauf qu'ils cherchent une option nuancée entre oui et non et finissent eux aussi par fausser les résultats. Ci-dessous un diagnostic cybernétique de mes troubles de la personnalité.



DésordreProbabilité
Paranoïa:Élevée
Schizophrénie:Très élevée
Schizotypal:Modérée
Antisocial:Élevée
Borderline:Basse
Histrionique:Très élevée
Narcissique:Très élevée
Fuyant:Basse
Dépendant:Basse
Obsessif-Compulsif:Élevée




16.1.03

Dixit Radio-Canada: «250 000 suspects retracés à l'échelle de la planète!»



Deux cent cinquante mille? Give us a fucking break. Arrêtez de faire peur au monde pour mieux les gouverner. C'est pas parce que ça marche que c'est moins répugnant.



Cette cyber-hystérique chasse aux ogres qui mène à des centaines d'arrestations spectaculaires sur cinq continents pour mettre fin aux échanges de pornographie juvénile me laisse perplexe. À première vue, ça ressemble à la guerre contre la drogue, où l'on criminalise les consommateurs aussi bien que les fournisseurs, mais la comparaison ne résiste pas à l'examen. Car on coffre les drogués pour leur bien, en principe, ce qui n'est pas le cas des amateurs d'images de chair glabre. Ici, il s'agit d'inhiber la demande pour protéger les modèles, des enfants réels. Difficile d'être contre ce noble objectif. Mais les moyens employés permettront-ils d'arriver à la fin désirée? Le souvenir des temps victoriens me suggère que non. Il est impossible de légiférer les fantasmes et dangereux d'essayer. Ce genre de répression par l'opprobre et l'anathème excite les passions en vase clos et suscite des réseaux souterrains, véritables bouillons de culture d'abominations violentes. De quelle nature est-il, ce fameux "matériel à caractère pédophile" (tantôt juvénile, tantôt infantile, ce qui n'est pas la même chose) dont on entend beaucoup parler mais qui n'est jamais montré? Sont-ce de vieux Super 8 suédois et autres clichés de Jeunesses Hitlériennes tout nus dans les feuilles? Sont-ce des partouzes mettant en vedette des filles de 16 ans aux hanches étroites et à la poitrine plate, coiffées avec des lulus? Est-il majoritairement homosexuel, ou juste à moitié? Faudrait savoir, il me semble, avant de se faire une idée. Si j'avais une carte de crédit, j'irais voir, et qu'ils y viennent, les flics du Net, un an après, avec leurs accusations d'avoir cliqué au mauvais endroit.



J'aime pas les enfants. Tout le monde sait ça.
Bon, assez ri. Temps de passer aux choses graves.



Ce matin, j'ai adressé à mes cent cinquante-six abonnés la Circulaire #9, intitulée Marche forcée. Exceptionnellement, j'en reproduis le texte ici.



De ma vie, je n'ai jamais marché pour une autre cause que la mienne. Jamais eu de projet collectif. Jamais porté de pancarte. Suis pas un Boomer. Suis un Vamp.



Samedi qui vient, pourtant, je crois bien que je serai parmi ceux qui marchent pour signifier à l'usurpateur doublevé Bush qu'ils ne sont pas les silencieux complices de sa guerre imminente, aux résultats imprévisibles et aux causes transparentes.



J'ai un fils de vingt ans. Tout le monde a un fils de vingt ans. Tout le monde devrait, en tout cas. Surtout les Sénateurs. Fuck George Bush. Fuck l'empire morbide obèse états-unien. Fuck us si on ne dit rien.



Vous y verrai peut-être, À MONTRÉAL, SAMEDI, 18 JANVIER 2003 À 13 h 00, Rassemblement à l'angle de la rue Guy et du boulevard de Maisonneuve.



OK, vous pouvez vous remettre à rigoler.



Putain d'hostie de beau jeudi, juste au moment où je finissais ma phrase, on a frappé à l'huis, et comme de juste, c'était un huissier, un petit roquet qui est tout de suite devenu très nerveux en contemplant ma corpulence, et il jouait au con, menaçant de me saisir, j'ai éclaté de rire, j'ai dit regarde autour de toi, qu'est-ce qui ferait ton affaire? C'est la suramende de 50$ pour l'histoire du voisin, devenue 161.47$ par la magie des papiers jaunes, bref (de saisie), je l'ai jeté dehors et j'appellerai Hans quand je me serai calmé.
Celle-là est drôle.



Circius, débarqué impromptu vers vingt-deux heures, a passé toute la sainte nuit entre les chiottes et le crachoir, un chalumeau enfoncé dans le nez. Ce matin, je l'autorise à utiliser mon cellulaire pour pager son pusher. Ça ne prend pas cent secondes, la sonnerie retentit. Je réponds, machinalement.



«Bonjour, fait une voix chaleureuse et racée, puis-je parler à monsieur Christian Mistral s'il-vous-plaît?»



Putain, j'étais soufflé. Le pusher de Circius sait mon nom? Ou serait-ce un cochon?



«Lui-même», réponds-je, hésitant et fébrile, puis, m'enhardissant: «'coute donc, Chose, t'es bien renseigné!»



«Ici Victor-Lévy Beaulieu», de rétorquer la voix.



Double soufflé. Moi qui réponds jamais au téléphone. Deux jours que je frétille sur des charbons ardents en attendant un courriel de VLB, ne serait-ce que pour confirmer qu'il a reçu le manuscrit d'Origines, et le vieux loup m'appelle, et je le méprends pour un pusher; pire, pour un flic!



Circius se tordait de rire comme un sale con sur le plancher. Pas pu m'empêcher de lui consentir un petit coup de pied.



Il ressort que le boss a reçu le livre, l'a lu, l'a aimé, a été touché, en aurait pris deux fois plus, veut le sortir en avril pour le Salon de Québec, m'y invite, s'est enquis de mes problèmes de frigidaire et m'a offert de m'envoyer des sous (j'ai refusé, sous le coup de l'émotion), et qu'en somme ceci est un très beau jeudi.



Reste plus qu'à décrocher le Nihil Obstat de ma mère. Le livre lui est dédié, ça parle d'elle de part en part et sur la tranche, alors on rira bien ce qu'on rira, mais je le lui soumets avant de donner le final OK à l'imprimeur.

15.1.03

Hier, KV venu préparer des pâtes sauce à la crème rosée. On a invité Steve. J'ai liquidé le rhum cubain et ne me rappelle plus grand-chose.



Demandé, penaud, à maman de me donner un coup de main. Je lui dois déjà tant. Mon constant souci est de lui devoir aussi la grâce et le panache.

14.1.03

Mon vieux Fred Boudet s'est marié à Paris en novembre (ou au Mans? Suis pas sûr). M'envoie le "petit carton" par courriel. «L'événement a déjà eu lieu, mais l'amour et l'amitié, c'est pour la vie!» Je le revois, aux anges, pelletant la neige de mon entrée à la Pompe. Et me faisant découvrir Paris à pied, comme lui-même s'y était pris en débarquant de sa province. «C'est le seul moyen qui vaille, mon pote! Faut s'user la semelle...»
Envoyé huit exemplaires par courriel à autant d'amis, dont VLB qui l'a commandé. Suis resté debout jusqu'au Ping! de la messagerie m'annonçant que Kevin avait terminé de lire. Il m'a fait une excellente suggestion pour améliorer la fin, que je me suis empressé de mettre en pratique.



Aujourd'hui, j'entreprends d'élaborer la bible d'un projet dramatique télévisuel.

13.1.03

Terminé Origines à 21:00 ce soir avec treize jours de retard. Basta! Quinze mille misérables mots et je suis pressé comme un citron.
Bleu crépuscule. Une poignée de patineurs s'égaye sur le bassin du Parc Lafontaine, au son d'une musique de chambre diffusée par les haut-parleurs vissés aux arbres. C'est l'heure du rhum et de la soupe aux pois fumante.



À la Centrale, testé les prototypes de lampe, chaise et table de lecture qui garniront la Grande Bibliothèque. L'ensemble est élégant et confortable, mais les accoudoirs gagneraient à être élargis aussi bien qu'allongés.
Des mois que K s'évertue à me convaincre que Mario Dumont n'est pas une alternative politique souhaitable. Devait mal s'y prendre, parce que je viens juste de comprendre. Cet entêtement à permettre le recours aux soins de santé privés m'apparaît comme taillé sur mesures pour plaire aux Boomers vieillissants, qui pourront ainsi continuer à jouir des fortunes planquées dans leurs fonds de retraite. Au diable l'idéal: désormais, on sera indépendant chacun pour soi.

12.1.03

Justine, roux ange de miséricorde, vient à mon secours avec du rhum, du vin d'érable et une douzaine de mols, de quoi me porter jusqu'à pas très loin de la fin d'Origines.



Quand je ne pense pas grand-chose de moi, je songe à la qualité de ceux qui m'aiment et cela m'insuffle une confiance neuve. Ne juge-t-on pas un homme à ses amis?
Dimanche endeuillé. Maurice est mort, et les Bee Gees, les Brothers Gibb, ne sont plus que deux. À chacun ses tendresses: ce décès m'attriste davantage que la disparition de George Harrison.

11.1.03

Stupéfait d'apprendre qu'à New York, les passes de métro enregistrent l'origine du trajet des détenteurs. Comment ont-ils pu leur faire avaler ça? Quel épais sirop de sophismes a-t-on utilisé?



D'un autre côté, tout n'est pas pourri de part en part en ce décadent royaume: le Gouverneur de l'Illinois, à deux jours de la fin de son mandat, a commué les peines de mort des cent-soixante-sept pauvres diables qui attendaient leur exécution dans les geôles de l'État.
Captif de cette turne

Avec rien autre à boire

Que la rosée nocturne

Emplissant un calice

De vos larmes amères

Et mangeant au ciboire

Les merveilles d'Alice

Au pays de sa mère.

10.1.03

Sorti acheter des tubes à cigarettes. Un peu de tubes pour finir mon tabac, un peu de tabac pour finir mes tubes. Le jour où j'arrive égal, j'arrête de fumer.



Passé devant le prêteur sur gages où j'ai pawné mon platine de Soirs de scotch il y a trois ans. Fenêtres placardées, écriteau annonçant la fermeture. Adieu trophée. Quelqu'un, quelque part, l'aura acheté et accroché dans son sous-sol fini.
Point dans le dos. Mon corps est bien près d'en avoir ras le bock des abus.



Entendu bardasser dans le couloir une partie de la nuit. Glissements de meubles et froissements de carton. M'est avis que mon délicat voisin déménageait à la cloche de bois. Pourvu que le prochain ne soit pas un autre mélomane.

9.1.03

Éric devait passer le vingt-cinq décembre vers quinze heures, tout de suite après s'être séché les cheveux. Il vient d'appeler pour annoncer qu'il arrive. Vais lui recommander de se faire couper les tifs.
Suis allé porter Fange et Furie à BL chez Triptyque. N'a guère semblé surpris de ma visite. Lit le Journal. «Comme ça, il ne s'est pas passé grand-chose hier?»



Il faudrait vraiment pouvoir tout dire.
Justine a mis dimanche la dernière main à son manuscrit, dont la parution est prévue pour la Saint-Valentin. Pas étonnant qu'elle se soit faite si rare ces derniers temps. Elle était ligotée à son ordinateur. Guère excitant, comme position, contrairement à ce qu'on serait tenté d'imaginer.
Hans Blix, le chef des inspecteurs en désarmement de L'ONU, affirme qu'ils n'ont rien trouvé en Irak. On entend une mouche voler, ou serait-ce un bombardier furtif?
Je ne sais pas qui étaient ces gens qui remplissaient l'aréna hier pour le show des Stones à 350$ le billet. Aucun de mes amis, en tous cas. Excepté Sébastien Plante, le chanteur des Respectables, mais il était sur scène en ouverture et, je présume, payé pour le faire, même si je soupçonne qu'il a probablement plutôt promis un rein et la moitié de sa rate afin de décrocher cette chance. Ne m'assurait-il pas que le nom même du groupe vient de ce qu'on appelait ainsi les Courtisanes du XVIIIe?



K n'a rien bu hier, et je ne suis pas sûr que ça lui fasse. Quand on mange des fèves, on évite de dormir sous le même toit tant que nos tripes sont le théâtre de luttes intestines, aussi est-il rentré chez lui. Je lui avais mis des tomates et des poires dans un sac de plastique, or il est reparti avec mes ordures ménagères.



Nouvelles de Louis. Drôle d'horrible récit de la saisie de son char pour deux contredanses en souffrance, le soir de la Saint-Sylvestre, sur le bord d'une route à L'Annonciation. A fêté l'arrivée de l'an neuf dans un motel minable avec sa blonde et son neveu, à jouer au poker sur un tableau retourné posé entre les deux lits, croquant des Ruffles et dégustant du Porto.

8.1.03

Ciel ouaté de soyeux sfumatos roses. Humeur contemplative. Kevin parti photocopier Fange et Furie à la bibliothèque de l'université, avant de venir souper.
J'ai une molaire qui vaut tous les réveils. Me laisse dormir soixante minutes et zing! se met à élancer comme les enfers.



Petite neige. Riche odeur de fèves au lard. Bonne idée, ça: du sucré pour souper.
Il ne se passe mystérieusement, miséricordieusement rien. La vie en oublie de me donner des coups de pied dans les gonades. Doit être malade.

7.1.03

Un second clone serait né, issu d'une lesbienne des Pays-Bas. Et on pourrait attendre dix-huit ans pour obtenir confirmation de cette percée technologique. Ce qui permettra peut-être de résoudre la question de savoir si l'homosexualité est innée, non? Si la gamine est gouine, c'est peut-être, et si elle ne l'est pas, c'est non.

6.1.03

On vampirise la vie de ses amis pour l'écrire, ce bouquin. C'est ce qu'on fait. Et on veut ne rien devoir à personne. J'ai l'habitude. Ainsi que tu l'expliquais, cher vieux K, à Annie ce soir-là, ce soir où je te confiai la situation explosive avant de me réfugier dans la chambre: «Tout dépend de ce qu'on est prêt à prendre et prêt à accepter».



Pour ma part, je ne me censurerai pas davantage, et te cède volontiers ce loisir de ne plus rien me dire. Tu y gagneras une totale indépendance. Grand bien fasse à ton roman. N'est-on pas sur la terre, avant que d'aboutir six pieds dessous, pour écrire des livres?
Suis monté voir ce vieux K aux Catacombes. L'animal, young & carefree, affichait comme on dit une forme resplendissante. Mais c'est l'état de l'appartement, net, ordonné, confortable et fonctionnel, qui m'a rassuré sur son état à lui: j'avais devant moi un homme en grand train d'écrire. Pour cela, on veut du clair autour de soi, et puis on peut passer le plumeau sans même s'en rendre compte, perdu qu'on est dans notre livre.



De fait, il m'a permis un coup d'oeil sur les premières feuilles de son roman, qui démarre en fraîche et franche beauté. J'ai parcouru cet incipit avec une sorte de soulagement plein de soupirs, enchanté qu'il se lâche lousse et véridique; plus soucieux de dire que de souligner, confiant en sa syntaxe personnelle, il s'enligne pour mener cette barque au port, et si les écueils qui l'attendent m'inquiètent, je crois que la combinaison de son orgueil et de son talent pourront en triompher. Jusqu'à ce que l'orgueil et le talent ne deviennent des désavantages, ce ne sont pas des inconvénients.



Rentré à pied depuis Fabre. Une heure pile, en comptant le temps de brandir le poing deux ou trois fois vers les (et d'adresser des invectives aux) autobus qui me passaient sous la moustache.



Il y a des soirs comme ça où l'on est forcé de prendre une marche de santé.



Le temps des Fêtes est bien fini, woop-di-dou, retour à la vie normale, à l'angoisse du prochain livre et du prochain repas. K m'écrit qu'il a aidé un ami à dilapider son héritage, au péril de sa santé. Cinq cents dollars de cognac plus tard, il se repose.

4.1.03

Seulement lu trente-neuf livres l'an dernier, environ la moitié qu'à mon habitude, et encore, des merdes pour la plupart. Biographies serties en de mesquins commérages, romans d'aventure, traités et relectures. K se déclare stupéfait par mon programme bibliophilique, mais accepte l'argument selon lequel je veux préserver mon style de la contamination par de grands auteurs.

3.1.03

Mario m'a apporté du pétrole, belle âme. Je lui apprends que CIBL m'a offert de tenir l'antenne deux fois par semaine avec un billet d'humeur sur Montréal. Aucune rémunération prévue, mais c'est négociable. «Exige le double!» s'esclaffe-t-il.
Courriel de Mario:



Ce que tu peux avoir raison en ce qui concerne K. C'est ainsi que se reproduisent les classes sociales... Je serai à Montréal demain. Passerai te voir après la rencontre avec des Encyclopédistes, soit vers 20H30. M.
Kevin est distant comme l'hiver dernier. C'est du moins mon sentiment, mais peut-être est-ce moi qui ressens névrotiquement la saison, quoique j'en doute. L'an dernier, c'était Catherine qui le travaillait. Maintenant, c'est sa décision d'abandonner les études (façon polie de dire que ses études l'ont abandonné). Il passe donc ses journées à peinturer avec Eddy et ses soirées à boire ce qu'il vient de gagner, et ses nuits à jouer de la cuiller avec Eddy sur des chansons de George Langford. Le péquenot plein de culpabilité ressort en Kevin et remonte et pétille à la surface. Universitaire, moi? Le premier de ma famille? De quel droit? En quel honneur suis-je ici à Mourial à me pogner le petit juif au lieu de vider des poissons au côté de mon père?



Et ce KV de s'imaginer qu'il a tout le temps du monde devant lui, qu'il vivra deux ou trois vies de front, et voilà: qu'y puis-je? Rien pantoute.

2.1.03

Aujourd'hui, j'ai récrit ma page d'hier, et je suis monté voir CGDR (qui m'a infligé un peu plus de son roman en chantier, 13 overdrive: s'il pouvait seulement me laisser un peu le corriger, nos conflits amicaux seraient si aisément abrégés) et j'ai travaillé sur Origines, dont je dois venir à bout avant la fin des Fêtes, quand VLB réclamera le manuscrit que je lui dois.



Plus de vingt ans maintenant qu'on me traite d'hétérosexuel, juste parce que je préfère coucher avec des femmes.



1.1.03

Retour de chez Mario. Sa mère fait une puissante et sacrée tourtière.



Laissé Kevin au métro, ou on s'est séparés sur le quai comme dans un film de Lelouch.



La veille, chez William et Nathalie, j'avais connu mon baptême du cipâte, une merveille massive et fumante. On a chanté, dansé comme des perdus. Chantal, supposément retenue à Saint-Irénée, est arrivée pour surprendre Hans, aussi heureux et excité, soudain, que je l'aie jamais contemplé.



Fauve devient bon gré mal gré une éponyme jeune femme et a passé la soirée avec nous; l'an dernier, elle était restée avec les enfants. Portant un chandail rouge sang à l'effigie du Che, et un sac sur lequel était cousu Non à l'État policier, elle s'est illustrée comme la digne fille de son père. M'a demandé si je savais l'origine du sobriquet (D'Ernesto Guevara). Me l'a révélée. S'est enquis, assise à ma droite, du métier de Kevin, assis à ma gauche. «Est-ce que c'est un écrivain?»



«Demande-le lui», j'ai répondu en reculant ma chaise, et le KV plongé en pleine conversation avec William a senti la franche soupe, il s'est tourné bonhomme et vieux aux yeux de la petite, ses yeux de pécheur adoucis et un sourire bienvieillant fendant sa barbe rousse, et Fauve a répété: «Êtes-vous un écrivain?» et KV a hoché la tête. «Comme Christian?» insista Fauve, ses yeux ainsi que soucoupes de cuivre émaillées par un millier de laborieux Chinois, ce à quoi Kevin, après un soupir sonore et un instant de réflexion concurrents, rétorqua: «À cela, Fauve, je suis obligé de répondre par la négative.»



Quant à Félix, le frère cadet, ce tendre petit homme on his way to colossus status, il arborait aussi sur son linge quantité de messages dont la tribu n'avait pas à rougir. Hans a appelé Marlène en Floride et m'a refilé le cellulaire, puis il a composé le numéro de sa mère sur le sans-fil: très vite, on a rondement eu l'air d'un joyeux vieux cartoon de Warner Brothers, jonglant avec les téléphones.



Tous ces gens forment une invraisemblable famille étendue, fonctionnelle et aimante, atypique au possible et dont le secret m'échappe. Sans doute est-il pourtant juste là, sous mon nez.



Pendant ce temps, Aphane dit des Avés pour moi, son dizainier de bois au bout des doigts. On n'est jamais trop prudent.

31.12.02

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Ce dernier jour de l'an, j'ai, je le crains, tout un tas de libertés d'expression à comprimer en quelques phrases.



Réal vient de réitérer sa demande en mariage et cette fois-ci, elle a dit oui. «Près de douze ans et trois mioches plus tard, elle consent finalement. Elle m'en avait bien reparlé depuis, mais bon, pourquoi aurais-je acquiescé aussi facilement?»



Mario s'est parachuté au Bunker hier après-midi. Mal lui en prit: j'étais sorti, assis chez Paul Perazzino sur Papineau, en train de me faire passer au savant fil de son rasoir. Lemoine est allé bouffer un hot dog et une pointe de pizza et la seconde fois, quand il sonna, j'étais là.



On a regardé un film en sirotant, jusqu'à ce qu'il ait siroté ses deux litres et se mette à être très, très triste. M'a fallu un moment pour le réintégrer, rajuster ses morceaux, à grands renforts d'aboiements militaires, de rudesse bon enfant, de séjours sur le balcon glacial et de chansons de Renée Martel. Demain après-midi, il nous invite Kevin et moi, ses amis, chez sa mère et parmi sa famille. Je m'en voudrais de rater ça. Tout dépendra de ce soir, de cette nuit. Hans me ramasse à six heures et demie.



Si les Raëliens ont vraiment réussi à cloner une petite Ève, je lui souhaite bien du bonheur et bien de la religion, à cette infortunée pucette. Et que sa mère jumelle soit belle et pas trop conne.



La télé déverse dans nos salons d'incommensurables listes de grands disparus comme autant de tombereaux d'immondices. Canal après canal, ce ne sont que mielleux hommages et nécrologies aigres-douces, noyés dans une riche sauce instrumentale. On m'y verra défiler, l'un ou l'autre de ces quasi-janvier. Mais pas cette année, Saigneur. Pas cette année.



Puisque vie m'est jusqu'ici prêtée, je m'efforcerai encore d'inventer mon avenir, de retranscrire mon passé, et de demeurer maître de ma propre existence à mesure qu'elle s'écoule impitoyablement.



Les Irlandais ont un beau dire: I'll whistle up some luck for you...



Je possède un huitième de ce précieux sang vert, venu de ma grand-mère, celle-là même dont le nom signifie Fleur Mauve; or, ignorant ce qui m'attend, moi et les miens, j'ai l'ivrogne envie de nous siffler à tous un petit peu de cette chimérique chance. Et de tanguer tout droit, grand fabulant, jusqu'au fond de ce soir.

30.12.02

Certes, certes, à quoi sert un cadran solaire sur une île déserte, me demandera-t-on, ce à quoi je réponds: «À se garder du Bonhomme Sept Heures, quelle question!»



Le Vigneau s'est manifesté. Peinture à Hampstead pour payer le loyer.

29.12.02

Reçu une lettre de mon père. Rien de spécial, sinon que c'est la première. Depuis toujours. Sur ce, j'éteins l'ordinateur. Quit while I'm ahead, you know?
Nouvelles littéraires.



La première est un mail de Jean-Paul Daoust confirmant, après que je lui aie réclamé des éclaircissements, le refus du texte de Kevin par le comité de rédaction d'Estuaire. Je transmets l'information à K en commentant: « Bon, eh bien, voilà, au moins on sait à quoi s'en tenir... (Pouffant de rire, l'étouffant) S'cuse, je sais que tu es en beau joual vert et que tu voues Jipi aux gémonies en ce moment, et c'est pas gentil de rigoler, mais c'est d'imaginer combien tu riras de tout ça d'ici peu qui me dilate la rate... Au moins, il cite Valéry, c'est un bon point pour lui, non? Non, en fait, c'est pire. (rire) Comment peut-on citer précisément celui que tu respectes le plus dans une lettre de refus qui ose suggérer que tu retravailles et que tu resserres et que tu cosmétises ta poésie? Honte! Haro! Hallali! Au poteau! Cela dit, c'est comme ça que ça tourne et c'est très bien ainsi. Rends-toi compte: tu pourras dire que ta première publication ne devait rien à l'amitié. Tu pourras te flatter (en fait, tu peux commencer dès maintenant) de n'avoir pas plu d'emblée à l'establishment et d'avoir conquis ton temps toi-même. Putain, ce refus, c'est une excellente nouvelle! À condition, il va de soi, que tu les fasses mentir et ravaler leurs diktats un de ces jours prochains.»



Or, je suis sans nouvelles de mon KV depuis qu'il m'a appelé vendredi soir pour m'annoncer qu'il était soûl (!) quelque part dans l'ouest de la ville. Quant à Éric, il m'annonçait son arrivée pour quinze heures ce dernier mercredi et je l'attends depuis... Lequel des deux est en prison, lequel des deux est mort?



L'autre nouvelle, la deuxième, littéraire, c'est Hélène qui me l'adresse (Bonne année mon grand sapin!). En gros, le comité éditorial a remis sa réunion au 23 janvier, et mon manuscrit circule. «J'ai bon espoir, même si je fais face à 2 arguments : le fait qu'il soit publié sur le Net ne les enchante guère... Et aussi qu'il s'agisse d'un journal, aussi littéraire soit-il.»



Deux nouvelles. Littéraires.
Curieux de voir si la guerre sera déclenchée le 17 janvier comme en 1991. Ce soir-là, je passais la souffleuse dans l'entrée de garage du frère de Gil-France à Québec durant une mémorable tempête.



À coup sûr, ce doit être avant mars, quand la fenêtre d'opportunité climatique se refermera. Trop chaud après ça.
Bummé 2$ à CGDR pour faire l'appoint du prix d'une quille de Black Bull. Croisé Stephen Faulkner qui rentrait au building, les doigts pleins de sacs d'épicerie. Lançant ses bras alourdis autour de moi et manquant m'assommer en m'étreignant, il m'a souhaité la bonne année. Je devais passer au bureau de poste et récupérer un colis, Les couronnements de Montréal, un bouquin de table à café contenant un mien poème. Au Bunker, impossible de retrouver mon portefeuille. Ne disposais pour m'identifier que d'un très vieux passeport passé à la lessiveuse, photo caduque et décollée. Au comptoir postal, je tombe sur Ghislain, avec qui on chambrait, Blue Jean et moi (voir le début de Vamp), chez un bélître parfumé, il y a dix-sept ou dix-huit ans. Lui n'a pas changé d'un iota, hormis un cheveu blanc ici et là. Puissance et mystère de la Rose-Croix. La dernière fois qu'on s'est vus, j'avais tout à fait le même air que sur cette photo. L'air de mon fils.
Guillaume m'écrit qu'il part pour deux mois afin d'entamer son prochain roman, mais néglige de préciser où. Montserrat, j'imagine. Under the volcano. Gare aux éruptions, Guigui!
Un autre bouquin auquel j'aimerais bien travailler pour m'amuser serait une sorte de condensé des techniques perdues dont un homme aurait besoin sur une île déserte métaphorique. Distiller de l'eau, fabriquer un cadran solaire, capturer et dépiauter une bête, ce genre de choses. Demanderai à Kevin d'y collaborer.

28.12.02

Claude André m'offre une pinte du meilleur sang qui soit en m'envoyant ce qui suit. Il s'agit de perles glanées parmi les examens français du BEPC (13 ans) et du BAC (18 ans environ). Les questions portent uniquement sur l'Histoire, la géographie, le français et les mathématiques.



Galilée (1564-1642) a été condamné à mort parce qu'il est le premier à avoir fait tourner la terre !

Les montagnes sont d'immenses plaines vallonées...

Un bras de mer est un bout de mer en forme de bras.

L'exemple du Titanic sert à démontrer l'agressivité des icebergs.

Les 4 points cardinaux sont la droite, la gauche, le bas et le haut.

La France compte 60 millions d'habitants dont beaucoup d'animaux.

La Normandie est bordée par des plages bretonnes.

La Camargues est régulièrement inondée par les côtes du Rhones..

Les rivières partent de Lamon et s'arrêtent à Laval.

Les rivières coulent toujours dans le sens de l'eau.

Le carré est un rectangle qui a un angle droit à tous les bords

Un carré c'est un rectangle un peu plus court d'un coté...

Le zéro est le seul chiffre qui permet de compter jusqu'à un.

Un septuagénaire est un losange à sept cotés.

Tous les chiffres pairs peuvent se diviser par zéro.

Une ligne droite devient rectiligne quand elle tourne...

Un compas s'utilise pour mesurer les angles d'un cercle.

Une racine carrée est une racine dont les quatre angles sont égaux

Les chinois comptent avec leurs boules

Pour faire une division, il faut multiplier en soustraction...

L'alcool permet de rendre l'eau potable

Une tonne pèse au moins 100 Kg si elle est lourde

Quand deux atomes se rencontrent on dit qu'ils sont crochus

On dit que l'eau est potable quand on ne meurt pas en la buvant

Les bombes atomiques sont inoffensives quand elles servent à faire de l'électricité...

Sans les pannes les machines seraient inhumaines.

Une montre est divisée en 12 fuseaux horaires d'égale intensité.

Archimède a été le premier à prouver qu'une baignoire peut flotter.

La datation au carbone 14 permet de savoir si quelqu'un est mort à la guerre

Dans le cinéma muet, les acteurs parlaient avec des mots qu'ils écrivaient en bas du film.

Le cinéma était une énergie encore inconnue au XIXème siècle

Un litre d'eau à 20° + un litre d'eau à 20° = deux litres d'eau à 40°

Le chauffage au gaz coute moins cher mais disjoncte tout le temps

Une langue morte est une langue qui n'est parlée que par les morts.

Victor Hugo écrivait des publicités pour les pauvres misérables.

Passé simple du verbe faire :

* Je fus

* Tu fussses

* Il fut

* Nous fumons

* Vous fumez

* Ils futent

La grammaire ne sert à rien puisqu'elle est trop compliquée à comprendre.

Beaudelaire a fait scandale en écrivant son célèbre " Les fleurs du mâle "

George Sand était une homosexuelle qui aimait les hommes...

Pascal a consacré sa vie à écrire les essais de Montaigne.

Une bibliothèque c'est comme un cimetière pour les vieux livres.

De toutes les pièces de Molières " Les pierres précieuses ridicules " est la plus connue.

La lecture permet à l'homme de devenir myope...

Les latins parlaient le grec ancien.

Marius Pagnol se servait de son accent pour écrire...

La lecture est faite pour ceux qui n'aiment pas écrire.

Le seul poème de Ronsard raconte une histoire de fille qui veut aller voir des roses...

Le livre de poche a été inventé par Gutemberg.

Molière est mort sur la seine.

Le premier groupe comprend les verbes qui se terminent par " er "; exemple: grandir

La Fontaine a écrit les fables de multiplications.

Les mots commencant par af prennent de ff : ex : affaire,affeux,Affrique.

Néron se servait des chrétiens pour faire des lampes en leur mettant le feu.

La guerre de 100 ans a duré de 1914 à 1918.

L'histoire du Moyen-Age nous est bien expliquée par Christian Clavier dans les visiteurs 1 et 2.

Avant la guillotine, les condamnés à mort étaient exécutés sur une chaise électrique...

Le 14 juillet c'est la fête de l'opéra Bastille.

Napoléon est le neveu de son grand-père.

Sur tout les tableaux de peinture, on voit bien que Napoléon cachait son gros ventre avec ses mains.

Les agriculteurs, ça a toujours été des paysans en colère qui brulent des pneus et des patates.

Blaireau a été le premier à traverser la manche en avion.

La première guerre mondiale a fait une dizaine de morts mais seulement chez les allemands.

Le débarquement de Normandie a eu lieu sur des plages en Angleterre.

A la guerre de 14-18, les soldats mouraient plusieurs fois, d'abord à cause des bombes, et ensuite parce qu'on les forcaient à manger de la boue.

Tous les 11 novembre, le président décore les parents du soldat inconnu.

Le maréchal Pétain était un vieux guerrier qui passait sa vie à embrasser des petits enfants...

Le gouvernement de Vichy siégeait à Bordeaux.

Jean Moulin fut, lui aussi victime de la barbie nazie.

Le général de Gaulle est enterré dans deux églises à colombey..

La ligne Maginot a été construite pour empêcher l'invasion des touristes allemands.

La deuxième guerre mondiale fut une période de paix et de prospérité pour l'Allemagne...

C'est le général Pompidou qui a renversé de Gaulle avec le coup d'État de mai 68.

François Mitterrand a été le successeur de François 1er.

Ce qui m'a le plus réjoui durant cette période des Fêtes, c'est trouver sur le trottoir une pile AA pour remplacer celle de mon horloge murale, à plat.



Je crois bien tenir mon prochain roman. Goth, une suite à Vamp, quinze ans plus tard. Strano Balfus, le fils de July, va vivre avec son oncle Blue Jean quand sa mère succombe au sida. Foire de conflits. Évocation de la fin du millénaire, du Sommet des Amériques et de l'occupation d'un squat en 2001.

27.12.02

J'ai entrepris ce Journal avec de sévères réserves (je passe encore à une lettre près de l'allitération anagrammatique de mes rêves!).



Relatives, ces réserves, surtout à l'apparente incohérence de relater sa vie dans le temps qu'on devrait consacrer à la vivre. Plus on écrit, calculais-je, moins on vit de quoi écrire qui soit autre chose que l'acte d'écrire. Ultimement, logiquement, absurdement, on aboutit à écrire qu'on écrit et rien d'autre.



Pourtant, je m'y suis mis quasiment chaque jour, et plusieurs fois encore. À mon gré, sans jamais avoir l'impression de travailler, conscient pourtant du fil suivi et de la forme désirée. Mentant le moins possible et toujours pour la bonne cause, n'omettant rien sciemment sans en faire mention. Et puis, petit à petit, cela m'apparaît maintenant, j'ai compris que ma prémisse était fausse, et que celui qui prend le temps de consigner par écrit les tenants de sa vie reçoit en retour le rare privilège d'en vivre une deuxième, contiguë.
«Dieu se désaltère du nectar de nos larmes.» (Chef, South Park, expliquant pourquoi le Saigneur n'offre vie, bonheur et santé que pour mieux les retirer).

26.12.02

Dîner festif chez maman, saveurs et parfums familiers nous servant de ciment spirituel.



Jean-Christian était en retard. On se demandait s'il avait mal compris, si on devrait manger sans lui qui arriverait pour le souper. Planté devant la porte-fenêtre, un verre de bordeaux à la main, je guettais, anxieux, le passage du prochain autobus, tandis que maman remplissait le fourneau jusqu'aux pentures. C'est alors qu'elle me dit: «Et toi, tu ne vois plus Annie?» L'espace d'une seconde, j'ai cru stupidement qu'elle parlait de ma soeur, puis j'ai compris et j'ai répondu «Non. Non, je ne la vois plus.» J'aurais voulu élaborer, mais les mots refusaient de venir, et puis fiston est arrivé avec sa belle.



J'ai, pour la première fois de sa vie, gardé mes distances physiques. Cela me fut si difficile que j'en ressentis littéralement une brève mais très réelle nausée. Toutefois, il fallait essayer, dans notre mutuel intérêt. Pour sa part, peut-être préfère-t-il cette réserve guindée qui n'engage à rien. Pour la mienne, je ne veux plus souffrir d'attendre ses visites, ses appels, sa présence dans ma vie, toutes choses qui ne viennent pas et m'assombrissent. Je veux avaler l'idée que ce que je souhaitais pour nous n'existe pas, je veux en faire mon deuil et dégager la place pour un autre type de relation filiale, ou pas de relation du tout, quoi que ce soit qui surgira de tout ça. Moi qui autrefois lui appris l'art et le sens d'une poignée de main, je serrai poliment celle qu'il me tendait, sans plus; en partant, je lui refusai l'étreinte à laquelle il s'attendait. Après, ça deviendra de plus en plus simple, me disais-je, jusqu'à ce qu'on n'y prête même plus attention. En tous cas, ça s'est passé ainsi entre mes parents et moi...



Assis en bout de table à nouveau (il semble que j'aie finalement mérité cette place, en l'absence de mon père), cette fois, je n'ai pas souffert de la chaleur, car le soleil semblait froid.



À ma droite, comme il se doit, mon fils. À la sienne, sa compagne. À ma gauche, grand-mère. Face à moi, présidant, maman.



D'elle, je ne peux dire beaucoup, vu qu'elle déteste ça. Juste pour la prendre en photo, c'est la croix et la bannière. Peut-être craint-elle qu'on lui dérobe un morceau de son âme, et si c'est bien le cas, il va sans dire qu'elle a raison. Le pire, c'est qu'elle s'accommoderait mieux d'une critique que du récit de ses vertus. Le pire, ou le meilleur, c'est selon. Il s'agit là d'une femme qui fuit toutes les définitions. Ainsi donc, je dois rester muet sur le beau conte vrai que j'ai entendu aujourd'hui, qui ne m'a pas surpris une miette et dont elle est l'héroïne.



Cependant, rentrant du patio où j'étais allé fumer, je ne pus m'empêcher de marquer une pause derrière sa chaise et, me penchant, d'embrasser tendrement sa joue. Regagnant ma place, je vis une larme nacrée se sillonner un chemin sous le verre de ses lunettes. Je lui demandai si tout allait bien et elle m'assura que oui en haussant les épaules, tout juste comme si elle ne s'en apercevait pas, et c'était peut-être bien le cas. La plus grosse partie de moi met cette eau sur le compte d'une allergie; une autre, substantielle aussi, ma petite voix, veut plutôt que je m'en veuille de faire encore pleurer ma mère, juste avant de se moquer: «Comment ose-tu présumer pouvoir lui inspirer cette qualité d'affection?»



Une tierce partie, la plus secrète, la moins endurcie, fut touchée à l'os, émue, rassérénée, réconciliée pour un instant par-delà l'indicible brèche que nos choix, à maman et à moi, ont creusée entre nous au fil des années fuyantes. Nos choix, et aussi ce qu'on n'a pas choisi.



Le coffret de cerisier ouvré par mon père est une splendeur faite pour traverser les âges. Comme ces antiquités qui furent neuves un jour, et dont on se dit que plus personne ne travaille ainsi aujourd'hui. L'idée que mon père puisse être un sérieux méchant artiste ne m'est guère familière, mais il faudra que je m'y fasse! Depuis vingt ans j'ai essayé d'imaginer les bâtisseurs de cathédrales, dans l'espoir de percer tant soit peu le secret des travaux accomplis et me l'approprier (la foi? l'inspiration? le courage? l'abnégation? Le culte de l'effort silencieux? Une qualité de virilité disparue pour laquelle un acte de création est sa propre récompense?) Tout ce temps, je l'avais sous les yeux pour ainsi dire, cet homme qui ne va jamais à la messe, aux croyances nébuleuses, ce personnage hemingwayen tout entier contenu dans ses gestes, cherchant son chemin et trouvant sa raison en l'époque qui n'érige plus de cathédrales. Mon père.

25.12.02

Coup de fil de Bertrand. Je lui souhaite un joyeux Noël et il m'apprend le décès de son père jeudi dernier. La grande chienne noire ne lui a rien épargné, nulle souffrance, aucun des subtils raffinements de l'agonie.



Faut que j'arrête de fumer.
Une journaliste française interviewe une religieuse chrétienne en Irak. «Quand croyez-vous que la guerre est susceptible d'éclater?» La vieille femme, souriant tristement: «Je ne sais pas. C'est à vous de nous le dire, non?»

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24.12.02

Kevin passe me prendre pour qu'on aille chez sa mère faire un sort à une pauvre dinde innocente rôtie jusqu'au troufignon. Pas de farce. J'ai recousu un bouton à ma chemise noire.
Eddie fêtait ses quarante-deux berges hier. Kevin et lui sont venus partager leurs libations avec moi. J'ai mitonné un macaroni au Brick avec les tomates du jardin de maman, mais Eddie est parti tôt et Kevin est tombé comme une masse aussitôt son assiette torchée, aussi est-ce Éric, passé à l'improviste, qui en a profité. N'avait pas trouvé de travail. Est resté une heure et a continué sa route.



Me suis levé tôt pour disposer de davantage de temps à ne rien faire. Chaque jour mourir un peu plus de se regarder vivre...



Fiston confirme sa présence à dîner chez maman jeudi, auprès de sa blonde.



Papa a sculpté un coffret en bois de cerisier pour les 91 ans de grand-mère, où tous les membres de sa famille déposeront une lettre d'amour. Sublime.

22.12.02

La personne de l'année selon Time magazine est trois femmes, trois délatrices fières de leurs coups.



L'Homme se fait rare, comme devait se dire Caïn après avoir occis Abel.