31.12.02

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Ce dernier jour de l'an, j'ai, je le crains, tout un tas de libertés d'expression à comprimer en quelques phrases.



Réal vient de réitérer sa demande en mariage et cette fois-ci, elle a dit oui. «Près de douze ans et trois mioches plus tard, elle consent finalement. Elle m'en avait bien reparlé depuis, mais bon, pourquoi aurais-je acquiescé aussi facilement?»



Mario s'est parachuté au Bunker hier après-midi. Mal lui en prit: j'étais sorti, assis chez Paul Perazzino sur Papineau, en train de me faire passer au savant fil de son rasoir. Lemoine est allé bouffer un hot dog et une pointe de pizza et la seconde fois, quand il sonna, j'étais là.



On a regardé un film en sirotant, jusqu'à ce qu'il ait siroté ses deux litres et se mette à être très, très triste. M'a fallu un moment pour le réintégrer, rajuster ses morceaux, à grands renforts d'aboiements militaires, de rudesse bon enfant, de séjours sur le balcon glacial et de chansons de Renée Martel. Demain après-midi, il nous invite Kevin et moi, ses amis, chez sa mère et parmi sa famille. Je m'en voudrais de rater ça. Tout dépendra de ce soir, de cette nuit. Hans me ramasse à six heures et demie.



Si les Raëliens ont vraiment réussi à cloner une petite Ève, je lui souhaite bien du bonheur et bien de la religion, à cette infortunée pucette. Et que sa mère jumelle soit belle et pas trop conne.



La télé déverse dans nos salons d'incommensurables listes de grands disparus comme autant de tombereaux d'immondices. Canal après canal, ce ne sont que mielleux hommages et nécrologies aigres-douces, noyés dans une riche sauce instrumentale. On m'y verra défiler, l'un ou l'autre de ces quasi-janvier. Mais pas cette année, Saigneur. Pas cette année.



Puisque vie m'est jusqu'ici prêtée, je m'efforcerai encore d'inventer mon avenir, de retranscrire mon passé, et de demeurer maître de ma propre existence à mesure qu'elle s'écoule impitoyablement.



Les Irlandais ont un beau dire: I'll whistle up some luck for you...



Je possède un huitième de ce précieux sang vert, venu de ma grand-mère, celle-là même dont le nom signifie Fleur Mauve; or, ignorant ce qui m'attend, moi et les miens, j'ai l'ivrogne envie de nous siffler à tous un petit peu de cette chimérique chance. Et de tanguer tout droit, grand fabulant, jusqu'au fond de ce soir.

30.12.02

Certes, certes, à quoi sert un cadran solaire sur une île déserte, me demandera-t-on, ce à quoi je réponds: «À se garder du Bonhomme Sept Heures, quelle question!»



Le Vigneau s'est manifesté. Peinture à Hampstead pour payer le loyer.

29.12.02

Reçu une lettre de mon père. Rien de spécial, sinon que c'est la première. Depuis toujours. Sur ce, j'éteins l'ordinateur. Quit while I'm ahead, you know?
Nouvelles littéraires.



La première est un mail de Jean-Paul Daoust confirmant, après que je lui aie réclamé des éclaircissements, le refus du texte de Kevin par le comité de rédaction d'Estuaire. Je transmets l'information à K en commentant: « Bon, eh bien, voilà, au moins on sait à quoi s'en tenir... (Pouffant de rire, l'étouffant) S'cuse, je sais que tu es en beau joual vert et que tu voues Jipi aux gémonies en ce moment, et c'est pas gentil de rigoler, mais c'est d'imaginer combien tu riras de tout ça d'ici peu qui me dilate la rate... Au moins, il cite Valéry, c'est un bon point pour lui, non? Non, en fait, c'est pire. (rire) Comment peut-on citer précisément celui que tu respectes le plus dans une lettre de refus qui ose suggérer que tu retravailles et que tu resserres et que tu cosmétises ta poésie? Honte! Haro! Hallali! Au poteau! Cela dit, c'est comme ça que ça tourne et c'est très bien ainsi. Rends-toi compte: tu pourras dire que ta première publication ne devait rien à l'amitié. Tu pourras te flatter (en fait, tu peux commencer dès maintenant) de n'avoir pas plu d'emblée à l'establishment et d'avoir conquis ton temps toi-même. Putain, ce refus, c'est une excellente nouvelle! À condition, il va de soi, que tu les fasses mentir et ravaler leurs diktats un de ces jours prochains.»



Or, je suis sans nouvelles de mon KV depuis qu'il m'a appelé vendredi soir pour m'annoncer qu'il était soûl (!) quelque part dans l'ouest de la ville. Quant à Éric, il m'annonçait son arrivée pour quinze heures ce dernier mercredi et je l'attends depuis... Lequel des deux est en prison, lequel des deux est mort?



L'autre nouvelle, la deuxième, littéraire, c'est Hélène qui me l'adresse (Bonne année mon grand sapin!). En gros, le comité éditorial a remis sa réunion au 23 janvier, et mon manuscrit circule. «J'ai bon espoir, même si je fais face à 2 arguments : le fait qu'il soit publié sur le Net ne les enchante guère... Et aussi qu'il s'agisse d'un journal, aussi littéraire soit-il.»



Deux nouvelles. Littéraires.
Curieux de voir si la guerre sera déclenchée le 17 janvier comme en 1991. Ce soir-là, je passais la souffleuse dans l'entrée de garage du frère de Gil-France à Québec durant une mémorable tempête.



À coup sûr, ce doit être avant mars, quand la fenêtre d'opportunité climatique se refermera. Trop chaud après ça.
Bummé 2$ à CGDR pour faire l'appoint du prix d'une quille de Black Bull. Croisé Stephen Faulkner qui rentrait au building, les doigts pleins de sacs d'épicerie. Lançant ses bras alourdis autour de moi et manquant m'assommer en m'étreignant, il m'a souhaité la bonne année. Je devais passer au bureau de poste et récupérer un colis, Les couronnements de Montréal, un bouquin de table à café contenant un mien poème. Au Bunker, impossible de retrouver mon portefeuille. Ne disposais pour m'identifier que d'un très vieux passeport passé à la lessiveuse, photo caduque et décollée. Au comptoir postal, je tombe sur Ghislain, avec qui on chambrait, Blue Jean et moi (voir le début de Vamp), chez un bélître parfumé, il y a dix-sept ou dix-huit ans. Lui n'a pas changé d'un iota, hormis un cheveu blanc ici et là. Puissance et mystère de la Rose-Croix. La dernière fois qu'on s'est vus, j'avais tout à fait le même air que sur cette photo. L'air de mon fils.
Guillaume m'écrit qu'il part pour deux mois afin d'entamer son prochain roman, mais néglige de préciser où. Montserrat, j'imagine. Under the volcano. Gare aux éruptions, Guigui!
Un autre bouquin auquel j'aimerais bien travailler pour m'amuser serait une sorte de condensé des techniques perdues dont un homme aurait besoin sur une île déserte métaphorique. Distiller de l'eau, fabriquer un cadran solaire, capturer et dépiauter une bête, ce genre de choses. Demanderai à Kevin d'y collaborer.

28.12.02

Claude André m'offre une pinte du meilleur sang qui soit en m'envoyant ce qui suit. Il s'agit de perles glanées parmi les examens français du BEPC (13 ans) et du BAC (18 ans environ). Les questions portent uniquement sur l'Histoire, la géographie, le français et les mathématiques.



Galilée (1564-1642) a été condamné à mort parce qu'il est le premier à avoir fait tourner la terre !

Les montagnes sont d'immenses plaines vallonées...

Un bras de mer est un bout de mer en forme de bras.

L'exemple du Titanic sert à démontrer l'agressivité des icebergs.

Les 4 points cardinaux sont la droite, la gauche, le bas et le haut.

La France compte 60 millions d'habitants dont beaucoup d'animaux.

La Normandie est bordée par des plages bretonnes.

La Camargues est régulièrement inondée par les côtes du Rhones..

Les rivières partent de Lamon et s'arrêtent à Laval.

Les rivières coulent toujours dans le sens de l'eau.

Le carré est un rectangle qui a un angle droit à tous les bords

Un carré c'est un rectangle un peu plus court d'un coté...

Le zéro est le seul chiffre qui permet de compter jusqu'à un.

Un septuagénaire est un losange à sept cotés.

Tous les chiffres pairs peuvent se diviser par zéro.

Une ligne droite devient rectiligne quand elle tourne...

Un compas s'utilise pour mesurer les angles d'un cercle.

Une racine carrée est une racine dont les quatre angles sont égaux

Les chinois comptent avec leurs boules

Pour faire une division, il faut multiplier en soustraction...

L'alcool permet de rendre l'eau potable

Une tonne pèse au moins 100 Kg si elle est lourde

Quand deux atomes se rencontrent on dit qu'ils sont crochus

On dit que l'eau est potable quand on ne meurt pas en la buvant

Les bombes atomiques sont inoffensives quand elles servent à faire de l'électricité...

Sans les pannes les machines seraient inhumaines.

Une montre est divisée en 12 fuseaux horaires d'égale intensité.

Archimède a été le premier à prouver qu'une baignoire peut flotter.

La datation au carbone 14 permet de savoir si quelqu'un est mort à la guerre

Dans le cinéma muet, les acteurs parlaient avec des mots qu'ils écrivaient en bas du film.

Le cinéma était une énergie encore inconnue au XIXème siècle

Un litre d'eau à 20° + un litre d'eau à 20° = deux litres d'eau à 40°

Le chauffage au gaz coute moins cher mais disjoncte tout le temps

Une langue morte est une langue qui n'est parlée que par les morts.

Victor Hugo écrivait des publicités pour les pauvres misérables.

Passé simple du verbe faire :

* Je fus

* Tu fussses

* Il fut

* Nous fumons

* Vous fumez

* Ils futent

La grammaire ne sert à rien puisqu'elle est trop compliquée à comprendre.

Beaudelaire a fait scandale en écrivant son célèbre " Les fleurs du mâle "

George Sand était une homosexuelle qui aimait les hommes...

Pascal a consacré sa vie à écrire les essais de Montaigne.

Une bibliothèque c'est comme un cimetière pour les vieux livres.

De toutes les pièces de Molières " Les pierres précieuses ridicules " est la plus connue.

La lecture permet à l'homme de devenir myope...

Les latins parlaient le grec ancien.

Marius Pagnol se servait de son accent pour écrire...

La lecture est faite pour ceux qui n'aiment pas écrire.

Le seul poème de Ronsard raconte une histoire de fille qui veut aller voir des roses...

Le livre de poche a été inventé par Gutemberg.

Molière est mort sur la seine.

Le premier groupe comprend les verbes qui se terminent par " er "; exemple: grandir

La Fontaine a écrit les fables de multiplications.

Les mots commencant par af prennent de ff : ex : affaire,affeux,Affrique.

Néron se servait des chrétiens pour faire des lampes en leur mettant le feu.

La guerre de 100 ans a duré de 1914 à 1918.

L'histoire du Moyen-Age nous est bien expliquée par Christian Clavier dans les visiteurs 1 et 2.

Avant la guillotine, les condamnés à mort étaient exécutés sur une chaise électrique...

Le 14 juillet c'est la fête de l'opéra Bastille.

Napoléon est le neveu de son grand-père.

Sur tout les tableaux de peinture, on voit bien que Napoléon cachait son gros ventre avec ses mains.

Les agriculteurs, ça a toujours été des paysans en colère qui brulent des pneus et des patates.

Blaireau a été le premier à traverser la manche en avion.

La première guerre mondiale a fait une dizaine de morts mais seulement chez les allemands.

Le débarquement de Normandie a eu lieu sur des plages en Angleterre.

A la guerre de 14-18, les soldats mouraient plusieurs fois, d'abord à cause des bombes, et ensuite parce qu'on les forcaient à manger de la boue.

Tous les 11 novembre, le président décore les parents du soldat inconnu.

Le maréchal Pétain était un vieux guerrier qui passait sa vie à embrasser des petits enfants...

Le gouvernement de Vichy siégeait à Bordeaux.

Jean Moulin fut, lui aussi victime de la barbie nazie.

Le général de Gaulle est enterré dans deux églises à colombey..

La ligne Maginot a été construite pour empêcher l'invasion des touristes allemands.

La deuxième guerre mondiale fut une période de paix et de prospérité pour l'Allemagne...

C'est le général Pompidou qui a renversé de Gaulle avec le coup d'État de mai 68.

François Mitterrand a été le successeur de François 1er.

Ce qui m'a le plus réjoui durant cette période des Fêtes, c'est trouver sur le trottoir une pile AA pour remplacer celle de mon horloge murale, à plat.



Je crois bien tenir mon prochain roman. Goth, une suite à Vamp, quinze ans plus tard. Strano Balfus, le fils de July, va vivre avec son oncle Blue Jean quand sa mère succombe au sida. Foire de conflits. Évocation de la fin du millénaire, du Sommet des Amériques et de l'occupation d'un squat en 2001.

27.12.02

J'ai entrepris ce Journal avec de sévères réserves (je passe encore à une lettre près de l'allitération anagrammatique de mes rêves!).



Relatives, ces réserves, surtout à l'apparente incohérence de relater sa vie dans le temps qu'on devrait consacrer à la vivre. Plus on écrit, calculais-je, moins on vit de quoi écrire qui soit autre chose que l'acte d'écrire. Ultimement, logiquement, absurdement, on aboutit à écrire qu'on écrit et rien d'autre.



Pourtant, je m'y suis mis quasiment chaque jour, et plusieurs fois encore. À mon gré, sans jamais avoir l'impression de travailler, conscient pourtant du fil suivi et de la forme désirée. Mentant le moins possible et toujours pour la bonne cause, n'omettant rien sciemment sans en faire mention. Et puis, petit à petit, cela m'apparaît maintenant, j'ai compris que ma prémisse était fausse, et que celui qui prend le temps de consigner par écrit les tenants de sa vie reçoit en retour le rare privilège d'en vivre une deuxième, contiguë.
«Dieu se désaltère du nectar de nos larmes.» (Chef, South Park, expliquant pourquoi le Saigneur n'offre vie, bonheur et santé que pour mieux les retirer).

26.12.02

Dîner festif chez maman, saveurs et parfums familiers nous servant de ciment spirituel.



Jean-Christian était en retard. On se demandait s'il avait mal compris, si on devrait manger sans lui qui arriverait pour le souper. Planté devant la porte-fenêtre, un verre de bordeaux à la main, je guettais, anxieux, le passage du prochain autobus, tandis que maman remplissait le fourneau jusqu'aux pentures. C'est alors qu'elle me dit: «Et toi, tu ne vois plus Annie?» L'espace d'une seconde, j'ai cru stupidement qu'elle parlait de ma soeur, puis j'ai compris et j'ai répondu «Non. Non, je ne la vois plus.» J'aurais voulu élaborer, mais les mots refusaient de venir, et puis fiston est arrivé avec sa belle.



J'ai, pour la première fois de sa vie, gardé mes distances physiques. Cela me fut si difficile que j'en ressentis littéralement une brève mais très réelle nausée. Toutefois, il fallait essayer, dans notre mutuel intérêt. Pour sa part, peut-être préfère-t-il cette réserve guindée qui n'engage à rien. Pour la mienne, je ne veux plus souffrir d'attendre ses visites, ses appels, sa présence dans ma vie, toutes choses qui ne viennent pas et m'assombrissent. Je veux avaler l'idée que ce que je souhaitais pour nous n'existe pas, je veux en faire mon deuil et dégager la place pour un autre type de relation filiale, ou pas de relation du tout, quoi que ce soit qui surgira de tout ça. Moi qui autrefois lui appris l'art et le sens d'une poignée de main, je serrai poliment celle qu'il me tendait, sans plus; en partant, je lui refusai l'étreinte à laquelle il s'attendait. Après, ça deviendra de plus en plus simple, me disais-je, jusqu'à ce qu'on n'y prête même plus attention. En tous cas, ça s'est passé ainsi entre mes parents et moi...



Assis en bout de table à nouveau (il semble que j'aie finalement mérité cette place, en l'absence de mon père), cette fois, je n'ai pas souffert de la chaleur, car le soleil semblait froid.



À ma droite, comme il se doit, mon fils. À la sienne, sa compagne. À ma gauche, grand-mère. Face à moi, présidant, maman.



D'elle, je ne peux dire beaucoup, vu qu'elle déteste ça. Juste pour la prendre en photo, c'est la croix et la bannière. Peut-être craint-elle qu'on lui dérobe un morceau de son âme, et si c'est bien le cas, il va sans dire qu'elle a raison. Le pire, c'est qu'elle s'accommoderait mieux d'une critique que du récit de ses vertus. Le pire, ou le meilleur, c'est selon. Il s'agit là d'une femme qui fuit toutes les définitions. Ainsi donc, je dois rester muet sur le beau conte vrai que j'ai entendu aujourd'hui, qui ne m'a pas surpris une miette et dont elle est l'héroïne.



Cependant, rentrant du patio où j'étais allé fumer, je ne pus m'empêcher de marquer une pause derrière sa chaise et, me penchant, d'embrasser tendrement sa joue. Regagnant ma place, je vis une larme nacrée se sillonner un chemin sous le verre de ses lunettes. Je lui demandai si tout allait bien et elle m'assura que oui en haussant les épaules, tout juste comme si elle ne s'en apercevait pas, et c'était peut-être bien le cas. La plus grosse partie de moi met cette eau sur le compte d'une allergie; une autre, substantielle aussi, ma petite voix, veut plutôt que je m'en veuille de faire encore pleurer ma mère, juste avant de se moquer: «Comment ose-tu présumer pouvoir lui inspirer cette qualité d'affection?»



Une tierce partie, la plus secrète, la moins endurcie, fut touchée à l'os, émue, rassérénée, réconciliée pour un instant par-delà l'indicible brèche que nos choix, à maman et à moi, ont creusée entre nous au fil des années fuyantes. Nos choix, et aussi ce qu'on n'a pas choisi.



Le coffret de cerisier ouvré par mon père est une splendeur faite pour traverser les âges. Comme ces antiquités qui furent neuves un jour, et dont on se dit que plus personne ne travaille ainsi aujourd'hui. L'idée que mon père puisse être un sérieux méchant artiste ne m'est guère familière, mais il faudra que je m'y fasse! Depuis vingt ans j'ai essayé d'imaginer les bâtisseurs de cathédrales, dans l'espoir de percer tant soit peu le secret des travaux accomplis et me l'approprier (la foi? l'inspiration? le courage? l'abnégation? Le culte de l'effort silencieux? Une qualité de virilité disparue pour laquelle un acte de création est sa propre récompense?) Tout ce temps, je l'avais sous les yeux pour ainsi dire, cet homme qui ne va jamais à la messe, aux croyances nébuleuses, ce personnage hemingwayen tout entier contenu dans ses gestes, cherchant son chemin et trouvant sa raison en l'époque qui n'érige plus de cathédrales. Mon père.

25.12.02

Coup de fil de Bertrand. Je lui souhaite un joyeux Noël et il m'apprend le décès de son père jeudi dernier. La grande chienne noire ne lui a rien épargné, nulle souffrance, aucun des subtils raffinements de l'agonie.



Faut que j'arrête de fumer.
Une journaliste française interviewe une religieuse chrétienne en Irak. «Quand croyez-vous que la guerre est susceptible d'éclater?» La vieille femme, souriant tristement: «Je ne sais pas. C'est à vous de nous le dire, non?»

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24.12.02

Kevin passe me prendre pour qu'on aille chez sa mère faire un sort à une pauvre dinde innocente rôtie jusqu'au troufignon. Pas de farce. J'ai recousu un bouton à ma chemise noire.
Eddie fêtait ses quarante-deux berges hier. Kevin et lui sont venus partager leurs libations avec moi. J'ai mitonné un macaroni au Brick avec les tomates du jardin de maman, mais Eddie est parti tôt et Kevin est tombé comme une masse aussitôt son assiette torchée, aussi est-ce Éric, passé à l'improviste, qui en a profité. N'avait pas trouvé de travail. Est resté une heure et a continué sa route.



Me suis levé tôt pour disposer de davantage de temps à ne rien faire. Chaque jour mourir un peu plus de se regarder vivre...



Fiston confirme sa présence à dîner chez maman jeudi, auprès de sa blonde.



Papa a sculpté un coffret en bois de cerisier pour les 91 ans de grand-mère, où tous les membres de sa famille déposeront une lettre d'amour. Sublime.

22.12.02

La personne de l'année selon Time magazine est trois femmes, trois délatrices fières de leurs coups.



L'Homme se fait rare, comme devait se dire Caïn après avoir occis Abel.
Éric est arrivé vers six heures. Je dormais. Faisait noir. «S'cuse, je voulais pas te réveiller.» Moi: «Tu te fous de ma gueule? Il est six heures!» Je croyais dur comme fer qu'il était six heures du matin, mais ce n'était pas le cas.



Il a fait la planche sur le sofa et s'est mis à expier ses abus de Kahlua et de Southern Comfort. On a dormi dix-huit heures.



Demain, dès l'aube, il appellera l'agence et tentera d'obtenir un ou deux jours de travail pour nous offrir une tourtière et de la bière à Noël.

21.12.02

Je mets le journal de côté et j'allume la tévé. Au canal Vie, une espèce d'épais de psycho-socio-baby-boomer barbu Québécois pontifie sur le sens de, ben oui, la Vie. C'est une émission qui traite des méfaits de la consommation et des façons d'en détourner ses enfants. «Le but de l'être humain», qu'il dit, ce marchand d'huile de serpent, «c'est de ne plus rien désirer, d'être content comme il est, de ne plus ressentir le besoin ou l'envie de se gratifier.» Il a dit ça, ce tata cravaté, je l'ai ouï, je l'ai VU, ce petit-fils d'un fermier aussi brave qu'illettré, héritier d'une époque rendue prospère par la guerre des autres, "instruit" tout en faisant tranquillement la révolution entre deux joints et le dilemme abominable tenaillant la jeunesse masculine canadienne-française de ce temps-là (aussi connu sous le sobriquet C'est le début d'un temps nouveau), soit décider entre devenir servant civil et prof de Cégep, je l'ai ouï je l'ai vu énoncer ces âneries criminelles, enfilées comme un collier de pommes de routes fumantes, sans paraître douter de son dogme stupide. Car enfin, lâché lousse dans les bois, ce con-là meurt de faim en vingt heures! Or, le voici bien imbu, conchiant sans vergogne aucune cela même qui incita ses ancêtres à sortir des cavernes, à planter du blé, à forger et convenir d'un langage, à occuper tous les territoires et à fonder, enfin, des universités. De belles grandes universités toutes neuves et très chères et richement dotées, où serait conservé le savoir conquis de haute lutte jusque là et où l'on pourrait poursuivre ce propre de notre espèce, la recherche, en d'idéales conditions et en sécurité. L'aboutissement de milliers d'années d'oeuvre civilisatrice. À quoi, on aboutit? Au Baby Boom. Une informe multitude, manipulée, un ramassis de crottés en toc et d'enfants gâtés, de têtes à claques et de faux-culs taillant des pipes à la nature, pissous présents papes futurs, et au sommet de cette pyramide en caca qu'on qualifie de chocolat, qui trouve-t-on? OUI! Notre psy! Ce cave décérébré aux opinions commodément rectangles. Imaginer le parchemin qu'on lui a décerné, frappé au sceau flambant de l'Université toute neuve, c'est déjà se frotter à l'épreuve. On a du mal à ne pas fondre, en larmes chaudes ou bien de honte. Mais songer aux pauvres ancêtres de cet avorton-là, qui ne seraient pas tenus de se retourner dans leurs tombes comme de damnées girouettes s'ils n'avaient inventé la coutume d'inhumer leurs morts et de poser une grosse pierre dessus qui découragerait les hyènes et les busards et les jeunes journalistes. «À quoi ça aura-t-il servi», assurément ils se demandent tout en tournant, les ancêtres, «à quoi, dis-moi? Pas à produire c'te d'mi-portion, dis, Albert? Me dis pas qu'on s'est crevé durant cinquante générations pour que cet abruti sectaire et franchement imbécile couronne la somme de tous nos sacrifices, multipliée par nos témérités, divisée par nos morts inestimables? C'est pas vrai, Albert, dis? Pas ce taré de psy qui croit connaître le but de la vie humaine? PAS CE GROS CON, DIS, ALBERT?»



Albert, keske vous voulez qu'il dise, il dit: «Oui, Fernande». L'est déjà mort, l'a rien à perdre, ça coûte rien d'essayer de faire semblant d'être d'accord avec tout ce qu'elle gueule, maintenant. D'ailleurs, il est plutôt de son avis: ce rejeton, cette fin de race barbue, ce connard de boomer est un étron en costume. Sauf qu'Albert y voit clair, faut pas croire: ce petit pédé prétentieux de psy tient de sa mère, ça crève les yeux!



Pour ma part, et tout à fait objectivement, je vous jure, l'avoir eu devant moi en chair et en gélatine, on aurait vu des jointures se gratifier sur sa sale gueule de bouc ignare.