J'ai promis d'essayer, pas de réussir. À contacter Stéphane Venne et obtenir ses lumières sur le texte exact de sa chanson, qui fait l'objet du précédent billet...
Eh bien, je suis dans l'obligation de vous revenir avec une claire et concise constatation. LE BOUGRE N'EST PAS UN BRANLEUX! Et de plus il est très généreux.
D'abord, il m'écrit deux lignes. La première («Je confirme: par des bouderies inutiles») valide les oreilles fines de Ginette Desmarais et MakesmewonderHum. La seconde nous félicite («Et "youppi" pour le réflexe d'aller au-delà de la surface des choses.»).
M'empressant de le remercier, j'en ai profité pour oser demander davantage. Cette histoire de virgules et de découpage du texte, ça compte, pour moi. Sauf qu'on n'imprimait pas les paroles, en général, quand on produisait un microsillon en 1971, et que les photocopieurs étaient rarissimes: outre le manuscrit original final, il ne pouvait exister que trois exemplaires originaux du tapuscrit agréé par l'auteur (vu qu'il le dactylographiait personnellement): le feuillet alpha plus deux copies carbone. L'ère de l'ordi approchait, exégètes et archivistes littéraires ignoraient encore que leurs métiers iraient bientôt rejoindre ceux de maréchal-ferrant et de typographe aux poubelles de l'Histoire. Mais pour l'heure, un auteur dépendait entièrement du papier pour archiver et conserver l'oeuvre en cours, et cette entreprise exigeait, autant que de la vigilance, d'avoir de la chance. Le papier s'égare, se perd, s'envole, se vole. Surtout, il brûle...
Plusieurs se souviennent du cruel et violent incendie nocturne qui avait dévasté la belle vieille maison de Stéphane Venne en 2006, manquant l'asphyxier, lui, ses enfants et ses chats: au matin, une fois l'enfer éteint, le feu et l'eau et la fumée avaient tout emporté, dont quantité de manuscrits, y compris les inédits ainsi que les travaux en chantier (Venne, après vingt ans de silence, s'était remis à l'ouvrage).
J'ai donc hésité à le relancer à propos de cette question de ponctuation. À jeter de l'huile fraîche sur un vieux feu, so to speak. Ma mère s'est donnée un mal de chien à m'enseigner le tact et la délicatesse et l'empathie envers les malheurs d'autrui, et à défaut de pouvoir sans rigoler déclarer ses efforts couronnés de succès, reste qu'elle n'a pas élevé un absolu sauvage: j'ai retenu de tourner ma langue sept fois dans ma viande avant de l'utiliser. Malheureusement, maman avait sous-estimé mes besoins particuliers et souvent il s'avère que sept fois, dans mon cas, ne suffisent pas, mais enfin, c'est assez pour la plupart des situations ordinaires de tous les jours. Et je n'aurais donc pas relancé Venne, s'il s'était agi d'une situation ordinaire de tous les jours.
Sauf qu'être en communication avec Stéphane Venne, pour moi, c'est tout le contraire d'une situation ordinaire de tous les jours, c'est même à mon agenda depuis 1992. Et j'ai réalisé aussi que ce que m'inculquait ma mère valait en règle générale, pas en règle absolue. Tout dépendait de la personne à qui on s'adressait et de ce qu'on voulait lui dire. Or, Stéphane Venne allait certainement recevoir ma question dans le même esprit que je le ferais moi-même si on me la posait: en artisan du verbe pour qui les virgules ne sont pas des détails!
So I did, I dared, I thanked the man and then I asked: «Pouvez-vous m'éclairer sur la ponctuation?»
Cinq minutes après, il répondait: «Vous reviens...»
Ces points de suspension, là, ce choix plutôt qu'un point ou un point d'exclamation, soulageaient le léger doute qui me restait quant à mon intuition: pour lui, la ponctuation n'était pas une question vaine. Non, c'est pas un jeu de mots sur son nom, c'est juste un adon qu'il s'agisse du terme qui convienne.
Une heure et demie plus tard, il est revenu tel que promis, avec le texte intégral exact (mots, disposition, ponctuation), et dix lignes de propos frais en prime. Le relançant une dernière fois, j'ai sollicité la permission de les partager avec vous. Il me l'a accordée en un mot: «Go!»
Attention, la vie est courte
Paroles & musique : Stéphane Venne (1971)
Attention,
la vie est courte,
laissons tomber les jeux,
les trucs
et les scènes entre nous.
Un mariag’ d’amour,
c’est fragile.
Attention,
la vie est courte,
tout le temps qu’on passe à se battre
est foutu à jamais.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Attention,
la vie est courte,
c’est pas la peine de
l’abré-
ger davantage
par des bouderies
inutiles.
Attention,
la vie est courte,
allons nous coucher dans le lit
de la vie douce.
Viens,
mon amour, viens,
faisons la paix.
Nous
pourrons guérir
nos égratignures après.
Tout’ la vie,
c’est tout’ la vie
mais pas une heur’
de plus.
As-tu vraiment
réfléchi
avant de dir’
« Salut »?
As-tu vraiment
réfléchi?
L’as-tu
vraiment
voulu?
Attends, attends, atten…
Considérant la nature essentiellement orale de la chanson, je n'utilise pas la ponctuation (ni aucun autre procédé de transcription sur papier) selon ses habituels paramètres liés à la lecture ou à la littérature. C'est encore plus vrai dans le cas de cette chanson-ci, qui est encore plus "vers-libriste" que certaines de mes autres: rimes bizarres ou absentes, césures bizarres ou asymétriques, faites à la fois pour épouser la structure mélodique et à s'en distancer, de sorte que "bancal" devienne "normal", et puisse produire une singularité à la fois inattendue et non-apparente, toujours au profit de la rétention (le tandem Hugo-Brassens m'a donné le goût de ces procédés). Faut bien s'amuser...