Kevin arrive avec sa fameuse sauce-à-spag-de-fin-du-mois, portant une tuque parce que son crâne attendri ne supporte plus le contact du feutre. Mario écrit, inquiet, pour s'enquérir de la santé de notre ami. La tribu tout entière est en commotion.
Le Bunker devient une véritable petite fontaine d'industrie. J'ai envoyé un démo de chanson aux gérants de Marie-Chantal Toupin et Natasha St-Pier. Temps de remettre mes vers en circulation.
Ça ne traîne pas, chez Trait d'Union. J'ai envoyé le manuscrit dimanche à Turgeon, qui en a accusé réception quatre heures après, et trois jours plus tard je reçois un coup de fil d'Hélène Noël, éditrice adjointe, affairée à rédiger le contrat. Trois jours, c'est ce que Louis disait que ça devrait prendre, pas plus, quand je me plaignais du silence d'André.
Hier, zappant, je me suis attardé plus longuement sur le cas de ce stratège de guerre qui espère vivre davantage en s'alimentant strictement de fruits et de légumes, et en mangeant toujours moins, 1 500 calories par jour, soit environ le double des rations dans le ghetto de Varsovie, pour réduire la production de radicaux libres par son propre organisme. Radicaux libres, quel beau couple de mots pour désigner une réalité nuisible. Mais cette idée d'étirer une existence au prix du plaisir me donne à réfléchir.
Depuis que la machine à Mario s'est plantée, j'en suis revenu au point de départ avec mon vieux début de pièce. Il s'agit d'un texte clavigraphié sur lequel j'aimerais bien retravailler, mais je cherche un moyen d'obvier à la corvée de tout retaper sur Word. Doit y avoir une façon de saisir le texte électroniquement.
Dix-sept heures trente et des restants de soleil s'accrochent toujours au plafond de la ville. Les journées rallongent. Est-ce une bonne chose?
Il y a des jours où la pratique du solipsisme est plus ardue que d'autres. Le monde extérieur, provoqué comme un fauve édenté avec un bâton à travers les barreaux d'une cage, rugit et donne de la griffe.
Kevin est passé en sortant de l'hôpital. S'est fait une commotion cérébrale en partant d'ici l'autre soir. Yo ho ho et une bouteille de rhum! Perdu pied, puis perdu ses lunettes. Depuis, il crache du sang et se débat entre le vertige et la nausée. Le médecin a suggéré le régime sec pour une couple de semaines et Kevin l'a écouté! Doit vraiment s'être frappé fort.
J'avais onze ou douze ans quand j'ai lu Pierre Turgeon pour la première fois. Son livre, sa facture, la photo, tout est fort clair dans ma mémoire. Plus tard, je me suis présenté au tribunal pour lui offrir mon appui moral, quand des épiciers ont tenté de faire saisir ses textes. Maintenant, c'est lui qui me lit, sur manuscrit, et tout me porte à croire qu'on va s'entendre. Ah! Traiter avec un éditeur qui se préoccupe de vendre des livres!
Cela s'appelle arriver pile. Un long chaleureux courriel de mon fils Johnny Cee est venu rédimer les ordures que j'étais à digérer.
Me revient à point que pour Jean-Christian, André Vanasse sera toujours ce charmant monsieur qui lui a commandé son premier Virgin Caesar au Bistro Saint-Denis quand il avait huit ans.
Belle blanche tempête pesante et grasse.
Reçu un long courriel de Vanasse consacrant notre divorce. Par ailleurs odieux et tissé d'absurdes rationalisations mensongères, ce texte a dû être très dur à écrire pour un homme aussi sensible. L'Histoire s'arrangera avec lui, et lui avec elle. Je préfère conserver le souvenir d'un être qui m'a donné ma chance, au temps où sa passion pour la littérature primait sur tout le reste.
Cela étant, ma tristesse n'a d'égal que mon soulagement. Quinze ans, presque jour pour jour, ce n'est pas de la roupie de sansonnet, mais il était temps qu'on en finisse.
Si on me demande, je suis parti me cuiter d'aplomb.
Drop-in d'Éric, venu se faire absoudre d'avoir aidé un de ses frères à jeter l'autre dehors.
N'a pas trouvé ce qu'il cherchait. Dropped right out.
Elle portait une robe gothique en peaux cousues à l'alêne, avec des lanières de cuir. Quand elle replacait une mèche de ses cheveux, c'était pour exposer à mon regard libidineux un triangle affolant de son aisselle nue.
Elle a parlé beaucoup. Beaucoup trop à mon goût. Je n'ai pas ce qu'il faut pour jouer le public passif captif. Ce qu'elle disait m'intéressait, mais pas assez pour abdiquer le contrôle de la conversation. Il faudrait se lever de bonne heure.
Elle a dit: «Je ne pourrai pas coucher avec toi si tu ne changes pas mon nom.»
Je ne lui avais rien demandé, sinon peut-être avec mes yeux, mais je plaidai quand même. «Luana, dis-je, irrité, j'ai déjà changé ton nom. Il n'y a que toi, Kevin, Justine et moi qui sachent que Luana n'est pas ton nom. Pourquoi irais-je donner un pseudonyme à un pseudonyme dans le journal de ma vie? Je ne m'y retrouverai plus dans mes mensonges, et mes lecteurs s'en rendront compte...»
Elle voulait que Luana soit celle qui soupe avec moi, et que l'autre, celle qui couche, s'appelle autrement. J'ai essayé de lui faire comprendre les terribles conséquences que cela aurait pour ce journal: un jour ou l'autre, je serais obligé d'écrire que j'avais soupé avec une fille avant d'en baiser une deuxième et, qu'ayant dormi près de celle-ci, je déjeunais avec celle-là.
C'est une exquise créature, Luana, et ses secrets doivent être doux.
Rejoint le KV. «Il fallait que mon texte pour la Honte fût accepté alors que je baigne dans ce sentiment.» Il a dormi 36 heures entrecoupées de dégueulis et se sent, j'en suis sûr, la tête comme un instrument contondant.
Dormi vingt heures et des poussières. Mes idées sont mêlées comme des enfilades de lumignons de Noël, quand on les ressort du grenier le 20 décembre.
Moebius a retenu le texte de Kevin pour son numéro sur la honte. KV l'ignore toujours: j'essaie d'entrer en rapport avec lui. Mon téléphone est activé, ce qui devrait faciliter les choses.
Conversation fascinante avec Louis l'autre soir, sur certains problèmes structurels qu'il rencontre avec son prochain roman. Jusqu'où peut-on introduire la fiction dans la trame historique? Je crois qu'on a fait des progrès et qu'il est parti avec des possibilités nouvelles en tête.
Mardi, en remplissant un mandat-poste, j'ai carrément oublié quelle année on est. Levant les yeux, je détaillais les gens alentour en cherchant une formulation pour demander à quelqu'un sans passer pour un fou. N'en ai trouvé aucune. Ai dû ajouter mon âge à ma date de naissance pour arriver à 2003.
Ce soir, soupe avec Luana.
Pas refermé l'oeil après l'avoir ouvert mardi midi. Getting too old for this, quoique pas assez vieux pour admettre enfin l'influence de la pleine lune sur le slam-dance qui se déchaîne ici-bas tous les mois.
Mon p'tit Louis a abouti d'Abitibi en début de soirée, le Vigneau a suivi quelques minutes plus tard; Mario était là depuis trois ou quatre heures.
Il m'a patiemment écouté lui raconter comment j'avais, entre huit et onze heures du matin, retrouvé la piste de mon père naturel, puis découvert qu'il était mort. Tout le reste de ce jour mauve, ma foi, je ne serais pas autrement surpris qu'il ait...
Oui, bon, cette venelle-là ne mène nulle part, surtout si j'ai les yeux bandés par le sommeil. Le clavier va encore me servir d'oreiller, ou de cendrier, ou les deux.
Les petites filles pressentent très tôt ce qu'elles seront plus tard: croqueuses ou contemplatives, angéloïdes ou bien cornues, disciplinées ou insoumises ou juste un coquet brin mutines, végétariennes ou carnivores, mastiqueuses ou avaleuses-tout-rond, musicales ou visuelles, fiévreuses ou tièdes, pécheresses enthousiastes ou maîtresses d'elles-mêmes jusqu' au martyre béatifique, et ainsi de suite les notions se déversent dans leurs tamis, passées au crible de leurs désirs et à l'orée de la forêt, toujours, un grand loup attend patiemment qu'elles grandissent en se pourléchant les mâchoires.
On dit des fous qu'ils s'obstinent à refaire les mêmes gestes en espérant chaque fois un résultat différent.
Vendredi, je dois finalement revoir Luana. Pourquoi j'ai accepté, je n'en suis pas certain. Peut-être parce que je suis un homme et que je ne suis pas encore mort. Peut-être parce qu'elle est superbe et brillante et que sa vie est un roman.
Mais pourquoi serait-elle différente des autres, ou en quoi aurais-je assez changé pour que l'issue diffère des précédentes? Je vais à ce souper comme un condamné, résigné à voir son regard s'allumer avant de ternir sous le contrecoup de l'inéluctable déception.
Reçu le gros chèque bleu. Soulagement ou crise de nerfs, a fallu que j'ouvre la fenêtre pour prendre l'air et j'ai vomi sur le balcon.
Suis d'avis qu'on devrait cesser, kyrie eleison, de s'acharner sur Michael Jackson. Mais je viens de le voir donner le biberon à son bébé en tremblant comme une feuille parkinsonienne, et ne peux m'empêcher de penser que somme toute, je n'étais pas un si mauvais père que ça.
Justine a reçu son premier chèque du DPP, «modeste mais réjouissant», et n'est pas autrement pressée de l'encaisser. J'en suis touché, et plein d'espérance pour demain, quand j'irai à mon tour chercher mon courrier. Lors du show des Francouvertes, lundi dernier, Fred Fortin expliquait: «Quand t'es artiste, des fois, tu vas chercher ton courrier, pis entre les comptes d'électricité pis de téléphone, tu trouves une enveloppe de la SOCAN. Faque tu prends le chèque qu'il y a dedans, pis tu vas payer les comptes...»
Une école polyvalente de Saint-Jérôme (programme international enrichi, élèves de 16 ans), après réception d'une seule plainte formelle d'un parent, a accepté de retirer du programme Le grand cahier, d'Agota Kristof. Bestialité! Inceste! «Ça va nous permettre de rafraîchir nos outils pédagogiques.»
Choisi la photo de Jacques Grenier devant figurer en quatrième d'Origines. Victor-Lévy me voulait posé devant le frigidaire, mais ces clichés-là m'ont fait frémir d'horreur.
Je l'ai perçue féconde et juteuse comme le Brésil, et blonde et gueuse malgré ses sous, et folle comme je les aime, folle à m'avoir fait souffrir quand j'étais fou à force de raison, éprise d'art et de belles lettres et sensible à mon hommitude, mais je suis un grizzly, un grizzly pauvre et pas joli, et je repousse l'instant de la revoir.
Par ailleurs, l'autre soir, maman et moi, on a soupé au Bâton Rouge (Kevin: «Était-ce aussi cher que je l'imaginais?» Moi: «Pire!»). J'ai commandé un combo de poulet et côtes levées, et ma mère m'a dit: «Je vais te prendre une côte. Cette fois, c'est moi qui serai Ève!» Issue de la côte d'Adam, ça va sans dire, mais maman me rappelait aussi que c'était moi qui avait surgi de la sienne. Pour autant qu'il m'en souvienne, je ne l'ai jamais oublié, mais c'était bon de ressentir l'air vif de son esprit.
Puis nous avons parlé de sucre et de métabolisme, cependant que j'attaquais mon repas, une côte en moins. Elle m'a appris que les gênes gouvernent tout, en cette matière, mais malgré son sincère désir de m'instruire, elle n'a pu me livrer qu'une moitié de mes perspectives d'avenir.
Plus tard, côte à côte, nous regardions/écoutions Gilda supplier son bouffon de paternel de lui parler de sa mère disparue. De lui donner juste son nom. De lui révéler si elle était le fruit de l'amour. Ça semblait très important pour elle. Kevin dit qu'il faut se laisser porter par l'opéra, sans y chercher la moindre apparence de réalité.
Hier, dans l'ascenseur, j'ai demandé à CGDR s'il s'en allait marcher pour la paix. «Non, a-t-il répondu, je crois que cette guerre de dix minutes devrait avoir lieu au plus sacrant et qu'on passe enfin à autre chose. Vas-tu parler de moi à la radio?»
Il blaguait, bien entendu, mais ça m'a fait réfléchir. Et si la stratégie washingtonienne était d'atermoyer jusqu'à user la résistance de l'opinion publique, dont on se doute qu'elle ne descendra plus dans la rue dès le printemps venu et la mode passée?
Et Kevin d'ajouter: «CGDR? Si tu prononçais son nom à CIBL, Lemay te soupçonnerait de promouvoir une station concurrente!»