Comment espérer entreprendre l'écriture de Goth tant que je n'aurai pas réussi à respecter mon héros? Je tâtonne, je tourne autour, je m'approche et le touche à la joue, puis je recule pour l'observer en perspective, et j'éteins la grosse lampe et j'allume une chandelle et je plisse les paupières, mais chaque fois la lumière m'échappe. Je ne trouve aucun éclairage qui lui soit favorable. Plus j'essaie, plus il est laid. Je ne prendrai pas à bras-le-corps un roman dont la personnalité du principal protagoniste me pue au nez. Toutes mes recherches dans la matière de cette sorte de jeunesse que j'aspire à dépeindre m'emplissent d'un mépris voisin de la nausée.
CNN/CIA s'excite le poil des jambes et authentifie un enregistrement sonore d'Osama Ben Laden à mesure qu'il défile en direct sur les ondes d'Al-Jazeera. Quand on songe que le dernier crotté d'imitateur québécois peut accéder au pape ou à la reine d'Angleterre ou même à Brigitte Bardot en se faisant passer pour Jean Chrétien, ça donne mal au coeur de n'avoir qu'une seule voix.
J'aurais dû prévoir que BL serait le premier à commander un pack de cartes postales. D'abord, il est dingue, et puis c'est le seul de mes amis qui travaille, à part Justine.
Il m'écrit une belle lettre, et je lui demande la permission d'en citer des extraits. «Cite ce que tu veux, répond-il, j'assume tout ce que je dis.»
Nonobstant, je déguiserai deux noms pour protéger les innocents (surtout Bertrand):
Cher Christian,
C’est complètement débile ta boutique Mistral ! Mais en même temps, c’est complètement génial ! (...) Tu viens de franchir un tabou suprême du pacte auteur sérieux/lecteur sérieux ! Tu fais entrer par la grande porte du merchandising l’écrivain considéré-comme-littéraire dans le cirque des vedettes médiatiques et mercantiles! Je ne suis même pas cynique quand je dis ça. Ça devait arriver un jour ou l’autre.
Je préfère de beaucoup que ce soit un écrivain de ta trempe qui se soit trempé le premier dans cette "mare à bidules cheap qui promeuvent une vedette littéraire", que "M.F." ou "M.L.".*
Ça donne au tout un parfum insane d’ironie, de rébellion et de charité-qui-n’en-a-pas-l’air tout à fait ambigu et jouissif !!!
Je crois que je vais t’acheter un paquet de cartes avec cendrier mistralien et attributs mistraliens de base...
Dingue, dis-je. Cendrier? Pas de danger: les produits sont fabriqués en Californie. T'en offrirai un avec mon profit.
*(Cryptonote de CM: les premières initiales sont celles d'un homme dont le vrai nom commence par M.-A. P. et les secondes sont celles d'une femme qui s'est tourné le poignet à force de dédicacer ses livres dans les salons).
Justine vient luncher. Vais foutre une tourtière au four et réserver ma meilleure table.
Tel que prévu, mon incursion incongrue dans l'univers du dérisoire en déconcerte plus d'un. Hormis Aphane qui trouve que c'est une très bonne idée («le besoin crée l'organe!») et Kevin qui s'en tient les viscères à force de rire, le courrier furieux commence à débouler. Une lectrice: «Ça donne le goût de se désabonner... C'est ton écriture que j'aime, ta façon spéciale de t'exprimer, tes idées (sauf celle-ci), pas ta tête... Alors, vends des livres!»
Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule? Et puis des livres, des livres, je veux bien, mais mon éditeur va faire une syncope. Quant à son site, ça fait quatre ans qu'il est en construction. Non, la seule chose que j'aie encore le droit de vendre, c'est ma tête: même mon âme est lourdement hypothéquée.
De Paris, Fred m'écrit: «J'y crois pas. C'est quoi, des cossins?»
Réponse: des gugusses, des bébelles, des patentes-à-gosses qui servent à rien.
De Mario, rien encore: il est occupé à retranscrire mes vieux débuts de pièces dactylographiés.
Ce matin, je me contente de retranscrire un extrait d'une dépêche de la Presse Canadienne. Libre à chacun de tirer ses conclusions. Libre pour l'instant, mais mieux vaut se dépêcher!
Une coalition d'organismes de défense des droits de la personne dénonce des projets de loi fédéraux susceptibles d'entraîner la surveillance des communications électroniques et des déplacements des particuliers au pays.
Le Collectif sur la surveillance électronique, que pilote la Ligue des droits et libertés du Québec, a lancé lundi une campagne visant à sensibiliser la population québécoise et canadienne aux implications des projets de loi antiterroristes présentement envisagés par le gouvernement fédéral.
Le collectif s'en prend notamment au projet de supercarte d'identité biométrique lancé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Denis Coderre, et à la surveillance des habitudes de fréquentation d'Internet, des courriels, des déplacements et des conversations par téléphones cellulaires des particuliers.
André Paradis, le directeur exécutif de la Ligue, estime qu'en plus d'une intrusion dans la vie privée des Canadiens, ces mesures constituent une atteinte à la liberté d'expression et d'association des citoyens. «Les gens vont se sentir sous surveillance, et auront peur de s'exprimer librement», a-t-il déclaré en conférence de presse.
À peine croyable, mais l'an dernier, le 14 février, quand on a lancé le site, j'ai dit à la blague: «Le jour où on passe le cap des cent lecteurs quotidiens, j'ouvre une boutique!» Circius et Mario se marraient comme des bossus. Or, j'ai inauguré le business cet après-midi et ce soir, pour la première fois, le compteur a pété les 100.
Reçu et corrigé les corrections au manuscrit d'Origines. Comme d'habitude, cela consiste surtout à écrire Stat un peu partout pour supprimer les italiques dont le bon usage abuse. Mais plusieurs remarques en rouge sont très judicieuses et rehaussent l'ensemble. Reste à trouver des timbres pour renvoyer tout ça à Trois-Pistoles.
Ça y est, j'ai sauté le pas pour me lancer en affaires. Être de son temps, voilà ma devise (en dollars états-uniens). La cyberboutique Christian Mistral est en ligne depuis 14:00 cet après-midi. On y trouve divers cossins plus ou moins utiles pour le littéraire qui a tout. Une onzaine de produits chic&swell à mon effigie attendent qu'on les achète deux fois. Consternez vos amis! Devenez un mécène! De l'ourson en peluche au bock givré, en passant par l'horloge murale et le tapis de souris, on peut désormais s'équiper Mistral mur à mur. Krusty le clown n'a qu'à bien se tenir après son pacemaker.
Mal aux cheveux. Kevin s'est levé la tête la première. Quant à moi, j'ai rêvé que je piquais une portefeuille et, après avoir couru, hors d'haleine, j'ai ouvert les yeux pour inspecter mon butin.
Journée parfaite hier. On est allés au studio avec Justine. Joie de la voir expliciter son esthétique et ses choix littéraires avec une telle aisance réfléchie. Le rhum doux nous entrait dans les veines comme une femme soyeuse dans un bain chaud.
Plus tard, on est montés chez Claude et Sarah et la petite-en-train, et on les a ramenés au Bunker. On n'arrêtait pas de tomber sur d'anciennes blondes de Claude, au dépanneur, au coin de la rue, mais il ne les reconnaissait pas et s'excusait avec un sourire gêné: «J'ai oublié mes lunettes», mais la vérité est qu'il ne voit plus que Sarah.
À qui s'étonne de l'exiguïté de mon Bunker, je réponds que je vis dans ma tête; le studio, c'est seulement pour manger et dormir.
Bigras a retenu deux de nos chansons pour son album-compilation intitulé Tout(sic): La bête humaine et Pourquoi tu veux.
Justine va passer après son entrevue à la radio. M'apportera du rhum et un barreau de chaise, et on papotera dans la boucane épicée. Retourne me coucher, rêver de carnaval.
Claude et Sarah ont conçu! Ce sera, selon l'échographie, une petite Israélite, à moins que le pénis ne soit caché derrière la cuisse. Un petit poisson d'avril.
Kevin voulait m'emprunter des guenilles pour aller au BS. Finalement, a transformé son manteau pour lui donner l'aspect d'une redingote de robineux.
Pâté chinois au four. On biberonne piane-piane devant un film de Stallone.
Mes aïeux, quelle soirée! Mario avait l'air d'un ministre hypercool ou du PDG de Virgin Records, et Kevin d'un diable physicien philosophe sur les bords. Quant à Justine, elle signait de la senestre et imprimait ses lèvres sur chaque page de garde. Quand elle s'est levée pour lire, un rare silence s'est fait. Alors a débuté le récit délirant d'une charmante cochonnerie comique, et les mecs rougissaient et les nanas gloussaient de science et de complicité avec l'auteure. Il y avait là des femmes à estourbir un chrétien, une blonde exotique à la peau dorée comme du sucre filé, et une brune à l'oeil vert qui posait sur mes joues de sanglier de bouillants petits baisers. Après ça, on a déménagé au Cherrier, et Justine m'a prêté des sous pour payer les frites de ma tribu. Elle était radieuse, et le coeur sur les lèvres à force d'angoisse.
On teste encore ce damné système d'alarme. Une heure et demie que ça dure. À force de crier au loup de cette façon à tous les dix ou quinze jours, on finira par avoir une catastrophe. La sirène va retentir au milieu de la nuit et personne ne se donnera même la peine d'enfiler ses bottes tandis que les flammes lécheront les murs.
Jour de lancement pour Justine. Des papillons extravagants font la java dans son estomac. Angoisse unique, couronnement d'un an d'ouvrage et qu'on maudit quand elle est là.
Cet après-midi, je reçois le docteur Sylvie Pierron, qui monte de Québec pour venir m'interroger sur ma pratique des dictionnaires, dans le cadre d'une recherche post-doctorale au Centre de Recherche en Littérature Québécoise de l'université Laval.
«J'entamerai à partir de ces entretiens une réflexion sur la relation de l'écrivain actuel avec sa langue d'écriture au Québec, dans un va et vient avec l'analyse stylistique des oeuvres, dans le but de confronter différentes pratiques des dictionnaires avec différents choix esthétiques en matière de travail et de représentation de la langue.»
Eh bien, par exemple, va et vient prend deux tirets. Je viens de vérifier dans le petit Robert. Mais il est vrai que c'est un vieux dictionnaire.
Suis pas resté longtemps. Pierre Turgeon m'invite à l'ouverture de sa filiale anglophone à Toronto. C'est fort gentil, mais je suis une trop petite nature pour aller jusqu'à Toronto. Paris, Bangkok, Moscou, n'importe quand, mais pas Toronto.
PT me redemande aussi quand je lui apporterai un manuscrit. Si André savait ça, il piquerait une crise.
Lili m'a fait tourner la tête en m'apprenant combien elle va gagner l'été prochain en tant qu'auteur de la pièce présentée à Trois-Pistoles.
Finalement, s'agit du livre sur Pierre Péladeau. Vais y aller, je pense. Kevin trop frileux, et redoute la présence d'hommes d'affaires. Jeunesse d'aujourd'hui.
Lili Gulliver m'avise d'un lancement ce soir à la BN. Lancement de quoi? Aucune idée. Free booze, anyway. Mes téléphones sont morts, mais j'ai écrit à Kevin, lui demandant de passer un coup de fil pour en savoir plus. Les hauts et les bas de la vie d'un pique-assiette.
Rédigé des éléments pour le communiqué d'Origines. De toutes les corvées, celle-là est toujours la plus pénible.