9.10.02

Montré à K comment utiliser une éponge sur ses dessins à l'encre: que le mouvement soit!



J'approche du trente-huitième an de mon âge. La poire mûrit.
Le livre comme agrégat géologique, sédimentaire et stratifié. Fascinant d'assister à sa formation définitive. Avec K, on a imprimé les 125 premières pages, y compris les exergues, la dédicace, le faux-titre et une couverture couleur. Me suis amusé comme un débutant.



Kevin m'a acheté une sorte de poire palermitaine d'une livre, en tous cas c'est piriforme: je vais passer la journée à patiemment la regarder mûrir sur le comptoir.

8.10.02

K arrive et me parle du Journal: je lui ai commandé une préface et sa cervelle carbure à gros bouillons. «Ça se tient! s'écrie-t-il. C'est un roman! C'est fascinant! Je comprends, maintenant. Tu lis les Annales romaines de 242 avant J.-C.: en elles-mêmes, elles ne révèlent pas grand-chose sur la logique historique (si tant est qu'il y en ait une). Mais compare-les aux Annales du siècle entier et un pattern se dessine. La récurrence du quotidien, les bases sur lesquelles il se tient amènent une existence vers quelque chose qui la dépasse! Les gens, me disais-je, vont se dire: "Qui c'est ce con qui étudie et qui peint des écoles pour boire?", sauf qu'à te lire, ma foi, on comprend, JE comprends: voilà le dessin d'un protagoniste consistant, cohérent, conséquent bordel!»
Jean-Paul Brodeur, professeur à l'Institut international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, publie un texte dans Le Devoir intitulé la torture aseptisée. Il conclut à la vacuité de la notion de crime, "quand on la rapporte sans plus à des actes. Même les actes les plus barbares peuvent être tantôt dénoncés et tantôt légitimés, selon qu'ils sont perpétrés par un dément ou par l'État."

Last night, cocktail lytique de songes étranges...



Deux hommes dans un souterrain: un vieil écrivain, un jeune qui le devient. Ils s'imbibent soigneusement de whisky et de vodka jus d'orange. Songe étrange. Quelque part dans la nuit, le cadet bien beurré cuit de la bouffe pour dix, persuadé que plein de gens imaginaires errent dans l'appartement. Et de discourir, et d'engueuler cette légion d'échansons et d'anagnostes fictifs.



Au midi, le vieux tire le jeune du lit avec un café rince-cochon: ils sont contents, gueuledeboisés, libres. Le kid part pour l'école, flagada, flasque pleine dans sa poche de paletot, et l'ancêtre fait le ménage en songeant aux seins de Justine et à la croupe d'Annie et inversement (il a très faim).



Il vit dans un vacuum, superbe et panaché dans sa soupente prêtée, se prenant pour Mistral. Rien à déclarer? Si: je suis de très bonne humeur.

7.10.02

Kevin a dégotté une bouteille de whisky de contrebande chez un dépanneur des environs, de quoi remplir la flasque d'acier inoxydable que je lui ai offert la semaine dernière (pour les lendemains de veille à l'université).



Le plus dur, dans ma raspoutitsa, c'est d'être obligé de répondre au téléphone durant la sieste, au cas où il s'agirait d'un agent de surveillance.
K parti faire notre lessive, mon unique pantalon dans sa besace. Je tourne en rond de long en large aux quatre points cardinaux des Catacombes, un pour chaque point de suture qu'a requis mon voisin (Hans: «Y a des docteurs qui cousent serré!»)

6.10.02

Aujourd'hui, j'ai eu droit à une visite correctionnelle à domicile.



Calculé que je serais libre de sortir le 14 novembre, à temps pour le salon du livre.
Lecture de chevet (de toilette, en fait): Éloge de la fuite, du prof Henri Laborit. Tant qu'à vivre comme un rat, aussi bien comprendre comment fonctionne le laboratoire.

5.10.02

Téléchargé un reportage de Radio-Canada sur les peines à purger dans la communauté. Cette forme de sentence n'existe que depuis 1996; en 2000, une décision de la Cour Suprême en a renforcé l'aspect punitif et la surveillance. Un gars disait qu'à son avis, la grosse différence entre une assignation à résidence et la prison, c'est les barreaux. Pas d'accord. Pour moi, c'est le privilège d'être seul ou seulement avec des gens qu'on aime.
Kevin est parti prendre mon courrier et ma bouteille de ketchup au Bunker, de même qu'une provision de bouquins à la bibliothèque.



Hier, préparé mon pâté chinois pour les Madelinots. Succès fou. Maxime, inquiet que je ne me joigne pas à eux, à Kevin: «Est-ce que Christian mange toujours froid?»



Petit, Nick Landré accompagnait parfois son père Claude en tournée des cabarets. Après le show, en coulisses, on leur servait un repas passablement tiédi. Au gamin qui s'en plaignait, son père rétorquait: «Les chiens mangent froid». Dans une chanson écrite pour Nick et inspirée de cette anecdote, j'ai ajouté: «ce que les loups alourdis leur laissent...»

4.10.02

Woop-di-doo! 09:15 ce matin, première vérification téléphonique de mon sursis. Le type au bout du fil jovial comme si j'avais gagné à la loterie. Kevin, réveillé par la sonnerie, trouvait ça moins drôle.

3.10.02

Kevin et Mario discutent de l'internet. Mario recommande d'inscrire nos sites sur des moteurs européens et de penser globalement, tout en soulignant le risque de voir ainsi se dévaluer la propriété intellectuelle. Kevin rétorque qu'il s'agit là d'un nouvel humanisme. «Quand Christian a commencé à m'initier à l'internet, j'avais les mêmes inquiétudes, et puis je me suis rappelé la fois où, il y a cinq ou six ans, je m'étais retrouvé envahi par mes propres tableaux. Tu sais ce que j'ai fait? Je les ai alignés sur le trottoir devant chez moi, le jour des ordures. Sur l'heure du midi. Puis, je me suis installé sur le balcon avec une petite bière, et j'ai attendu. Les gens passaient, les regardaient, les emportaient. Quand le camion s'est pointé, il n'en restait plus un seul! L'internet, c'est pareil. Dieu seul sait (et le diable s'en doute) où le fruit de notre esprit circule, mais il circule!»
Visite de Mario, apportant un câble USB à Kevin pour sa nouvelle imprimante. Ai réparé ses archives blog. On évoque notre première rencontre, dans un café philosophique: quelques semaines plus tard, le croisant, je le replaçais difficilement et l'avais pris pour mon agent de probation.



Je lui explique que je suis sujet à des visites aléatoires du personnel correctionnel. «En cas d'urgence, fait-il, brosse-toi la langue!»

2.10.02

Bonne occasion de réfléchir sur l'importance relative des divers ingrédients de l'existence. Je n'ai le droit de sortir que pour les "nécessités de la vie". Quelles sont-elles, aux yeux de la Cour, donc de la communauté? Nourriture et exercice d'une religion. Pas de farce. Si je témoigne de Jéhovah, je peux faire le tour de la ville à pied en frappant aux portes. Hare Krishna: je peux passer mes journées à Dorval. Wicca: chaque nuit tout nu sur la montagne. Et le culte de Dionysos?



C'est pas drôle d'être athée, apostat de surcroît...

30.9.02

Ç'aurait pu être pire, je suppose...



Comparution ce matin. Plaidé coupable. Sentence: mon refuge transformé en prison. Pour les prochains quarante-cinq jours, je suis assigné à résidence dans les Catacombes de KV. Heureusement, le geôlier est sympathique et point trop sourcilleux.



À part ça, Sa Seigneurie m'a souhaité bonne chance pour mon livre. Je suis revenu à pied sous la pluie, une pluie très fine, ç'aurait pu être pire. J'ai croisé Bertrand, qui me cherche partout depuis un mois. Son père est au plus mal. Il y a des fois, ça ne peut pas aller plus mal.

28.9.02

Pas moyen de mettre la narine dehors sans tomber sur la mine réjouie de Johnny Taxi, ce bon gros pégrillon libanais aux chemises de soie éblouissantes qui faisait ma vaisselle quand j'étais déprimé. En voilà un que la taule n'a pas découragé de sortir.



Suis passé voir JF qui réglait la sono d'une copine chanteuse dans un café bistro rue Beaubien. M'a prêté des sous. La famiglia è sacra!



Au retour, croisé Pat Lebel devant son nouveau magasin d'électronique qu'il inaugure lundi. A pris de la bouteille. M'a fait faire un bout de chemin en bagnole.



Suis passé par le Marché Jean-Talon obscur et déserté; un seul étal restait ouvert. Ai acheté un panier de poires abîmées pour un dollar. Loué deux DVD chez Blockbuster. Maxime, l'autre Madelinot, vient d'appeler pour annoncer son arrivée avec une caisse de 24. Let the good times roll.



Pas écrit une damnée phrase. Tout le talent du monde et toute la puissance créatrice et tous les gimmicks ne remplaceront jamais la discipline dont je suis dépourvu. J'ai honte de ne pas travailler, je ne travaille pas parce que j'ai honte.
K parti garder sa nièce. Fini les folies: je m'asseois et je travaille. À moins que j'aille faire une promenade.
On a dormi douze heures récupératrices; les Catacombes sentent l'homme, l'étable et le cadavre, comme il se doit. Sabbat morne et pluvieux. Quête de chance et de pognon. Le bon vieux temps, c'est peut-être maintenant.

26.9.02

Ce soir, Kevin est allé boire un pot chez Zeffino, histoire de lui remonter le moral dans l'épreuve galante qu'il traverse, et aussi de scanner quelques monotypes par la même occasion. M'a informé qu'il ne rentrera pas dormir. Comme il disait à Eddie, quand Eddie vivait ici et qu'il venait chez nous. Angoisse d'amour. Snif.