Vous êtes-vous déjà installé à l'ordi avant d'être tout à fait réveillé? Soudain, une putain de corne de brume mugit de nulle part. Ça dissout le cérumen et ça chasse la chassie, c'est moi qui vous le dis.
Je relis Sarek, d'Ann C. Crispin, un roman de trekker. C'est au violon que je me suis laissé brusquement happer par l'univers de Star Trek; confiné avec quarante voleurs dans une caverne froide, cacophonique et malodorante, le sommeil me fuyait et, couché à même le plancher de béton, j'ai trouvé refuge dans le rêve: la liberté de l'espace infini, la loyauté de personnages fictifs, la justice immanente d'un futur télévisé.
Je suis là aussi. J'entends.
Roupillé on & off tout ce saint lundi comme une corde de bois.
Bertrand Laverdure annonce sur Graffiti que le texte de Mario paraîtra dans Moebius #94. J'appelle l'intéressé qui, stressé, se pointe dans l'heure. K et moi lui faisons fête. Arrive Éric Drouin, suivi de peu par Jean-Christian Mistral, ce grand fouet magnifique qui me ressemble en tous points, excepté le tatoo de faucon-dieu qui bleuit désormais toute l'ampleur trapézoïdale de son dos. Mon bébé, tatoué!
Kevin m'a réveillé en modulant une pétarade. Encore ivre d'hier, il a déjeûné comme a son habitude de deux hot dogs froids sans rien dedans et s'est recouché tout habillé. À chaque jour suffit sa cuite. On ne peut guère se soûler quand on est déjà soûl.
Bertrand n'est pas venu.
Post Meridionem de musique et de broue. Kevin râle en silence et me zyeute et me checke au cas où je pognerais le cafard. À voir! Je m'en vais nous bouillir des fettucini, Alfredo, tandis que retentissent dans tout l'appartement les suppliants accents de Pagliacci.
Vu, dans l'ascenseur, ce graffito au feutre gras: C'est beaucoup plus propre! Bon concierge: on se le garde!
Mario appelle pour connaître l'origine d'une citation. Je la crois de Baudelaire, mais sans certitude. Lui recommande d'appeler Kevin, qui confirme, nomme le titre du poème et la page des Fleurs du mal où il se trouve.
L'un s'en vient avec de la bière, l'autre avec un sonnet à imprimer. Un samedi ordinaire.
3:30: visite de mon vieux Bertrand, engoncé dans un fuseau de cuirette. Allé danser au Passeport, à en juger par sa pochette d'allumettes. On a parlé du cancer de son père. On a parlé de son père. «C'est dur de le voir pleurer tous les jours. Depuis qu'il a accepté, c'est plus facile. J'aime m'en occuper. Ça me fait du bien...»
De ses cours de soudure. «À la fin de la journée, tu vois ce que tu as fait, c'est du solide!»
Du dernier roman de Louis, que je lui ai prêté et que je lui réclame. «C'est dur de lire quelqu'un qu'on connaît aussi bien. Même les tiens, j'ai de la misère, mais toi, je te connais trop.»
Il est reparti avec la nuit en promettant de revenir ce soir.
Exit Mario-des-Bois, venu me prêter de la thune et du tabac. Est arrivé trempé comme une vadrouille. Belle âme humide.
Quelques chapitres de son roman, Accroires, sont désormais lisibles en ligne.
K parle de schizo-fiction et il a bien raison. A dit que j'écris plein de menteries et elle n'a pas tout à fait tort. Mais c'est plus que cela: c'est une cartographie de l'esprit, avec ses méandres et ses sous-bois et ses territoires accidentés. Ce lieu qui est mien, non pas qu'il m'appartienne, mais parce que je lui appartiens.
Hier, au lancement, j'essayais de me remémorer pour Justine la substance d'une dissertation produite durant mon bref passage au cégep Rosemont, il y a vingt ans. Ça portait sur la symbolique du château chez Sade. Un peu plus tard, j'aperçois Heinz Weinmann, qui donnait le cours de littérature américaine. Or, il n'y a que dans ce cours que j'aie appris des choses utiles, entre autres que je détestais Faulkner et que, à l'instar de Zelig, j'étais incapable de finir Moby Dick.
Kevin revenu de chez sa maîtresse bien dérouillé, les idées claires. Pendant ce temps, toute une faune ronflante et bigarrée campe chez lui. Ça me fait tout drôle, le rôle de reposoir.
Il songe à aller travailler aux champs quelque temps. «Me refaire du muscle! Sortir de la ville! Rapporter des fruits et des légumes! Et du fric. Alors, cette schizo-fiction, ça avance?»
À force de tempêtes et de cajoleries, réussi à arracher une autre page érotique à Valérie (Venne). Résolu à ne pas lâcher cette garce de génie tant que je n'en aurai pas extrait un livre entier.
Mine de rien, j'ai scoopé Radio-Canada de deux jours à propos de la glace sur Mars, la planète rouge, rouge comme un bûcher de vanités...
Téléchargé Les colombes, par Lise Thouin, chanson-thème éponyme du film de Jean-Claude Lord. Après l'avoir vu, mes parents avaient acheté le 45 tours avant de s'enfermer dans la chambre à coucher. Quand je l'ai finalement visionné, c'était avec Louis Hamelin: on s'est ramassés tellement excités qu'on a failli téléphoner à Lise Thouin. Trente ans plus tard. Finalement, la raison a triomphé et on s'est plutôt chicanés sur le lieu du suicide d'Hubert Aquin, ce qui a réveillé Kevin dessoûlant sur le sofa. Louis beuglait: «Tu vas pas m'apprendre le lieu du suicide d'Hubert Aquin!»
Il avait raison...
Ne dessinez plus des colombes
Sur les murs recouverts de sang
Vous qui avez perdu le monde
En essayant d'être des grands
Ouvrez les cages des colombes
Ouvrez les coeurs de vos enfants
Ils sont le seul espoir au monde
Ils sont les seuls qui ont le temps...
Ce qui nous a calmés, Louis et moi, cette fois-là (notre vrai problème, c'était Irina), ce furent ces lignes stupéfiantes: les enfants dont la chanson parlait, c'était nous!
Chaste tour du chapeau: d'abord la bibliothèque centrale (soleil de plomb et pluie battante), ensuite la Nationale (lancement de L'Or, par André Petrowski, éditions Trait d'Union), enfin le vaste trou qui sera la Très Grande Bibliothèque.
Tout s'est admirablement passé, sinon que je n'ai cessé d'appeler Michel Lacombe Pierre. Cet excellent homme n'a même pas sourcillé.
L'infortunée Justine, un peu grise, voulait faire quelques pas avant de prendre le volant. Nous avons marché trois fois autour du pâté de maisons; à chaque passage devant la marquise du Quartier Latin, je remarquais qu'Infidélité passe dans deux salles.
Maman combat sa bronchite annuelle, «ce vieil ennemi» comme elle l'appelle. Et, pour la première fois de mémoire de fils, c'est la bronchite qui gagne et la cloue au lit.
Mario sort d'ici à l'instant. Je lui ai fait faire un voyage dans le temps à coups de mp3. Comme j'ai toujours envie d'aimer, Les enfants de l'avenir, Le temps est bon, Whiter shade of pale, L'oiseau, Killing me softly, Je suis cool, O sheriff o, J'entends frapper, Le début d'un temps nouveau...
Je lui raconte comment ma mère se mettait en rogne en entendant Gilles Valiquette déclarer que c'est pas sa faute «si le monde, c'est toute des pieds!»
Et quand, à douze ans, je suis rentré avec le 45 tours de Nanette, J'ai le goût de baiser, elle m'a fixé d'un air exaspéré. «Sais-tu au moins ce que ça veut dire?» elle a demandé. «Oui...» j'ai menti. «Bon, alors, tu peux le garder.» And that was that.
Mario, ses parents n'ont jamais fait la moindre remarque, il s'en rend compte seulement maintenant, comme de plein d'autres choses. Sauf la fois où sa mère a trouvé dans sa poche une note manuscrite l'enjoignant de rapporter son Revolver au cégep! Il lui a fallu un bout de temps pour la convaincre qu'il s'agissait de l'album des Beatles, emprunté à la sonothèque.
À celle qui se sert d'un anonymiseur pour me lire: je sais qui tu es.
Coup de fil de Mario: le petit chaperon gris s'en vient me porter de la sauce à spaghetti.