Barbecue, conversation littéraire puis sweet nuit réparatrice avec la douce, comme on s'insinue dans un bain bouillant: en prenant tout son temps.
Quand j'y songe, ce que la notoriété a fait de mieux pour moi, et de moins pire, c'est me faciliter l'accès à tout un tas d'autres mecs et mèches notoires. Aussi, plutôt que mon idée de samedi dernier, quand je songeais à éditorialiser, peut-être interrogerai-je mes connaissances pour la postérité. À moins que je ne m'empoigne sereinement le cul jusqu'au Jugement Dernier. Cela mérite réflexion.
Causé avec ma «grosse crapaude gluante». L'ai bisoutée au téléphone. Il n'est pas simple d'aimer un écrivain, une écrivaine, et les contes de fée font des tête-à-queue malsains, malsaines (les fées).
Guig Vigneault compare son chantier buccal à mes travaux de voirie. Les écrivains mangeraient-ils trop de sucre? Il ne me dit pas au juste combien va lui coûter son gros oeuvre dentaire, « parce que tu risques de venir me les péter toutes gratuitement par charité chrétienne.»
Tombé sur François Charron à la Centrale. Ça devait bien faire dix ans. Il m'a parlé de son essai biographique sur Hector de Saint-Denys Garneau, et je l'ai emprunté sur-le-champ. «Je me suis dit qu'il était temps que je devienne un véritable écrivain, que je publie une brique!» m'a-t-il dit, ne blaguant qu'à demi.
Sur Saint-Denis, croisé Louis Gauthier, qui me demande comment je vais. «Je tiens le coup!» réponds-je. «Ouais, fait-il; c'est un minimum.» Un minimum vital, j'ajoute en lui envoyant la main.
Et je vais vendre quelques bouquins.
Pincements, tiraillements, crampes du mauvais côté du poitrail. Pas encore d'engourdissement dans le bras. Se trouverait-il au monde une seule personne pour s'en surprendre si j'en claquais une bonne?
Hans vient de m'appeler pour lever l'embargo sur la triste nouvelle de sa rupture avec Chantal, survenue il y a quelque temps. Il voulait attendre pour l'annoncer aux enfants, afin de leur éviter un traumatisme indu en fin d'année scolaire. Alors il a touché le fond tout seul, et avec moi un petit peu, mais surtout seul, prenant congé de son travail, et ce soir il s'est senti remonter à la surface, commençant à distinguer le moins mauvais côté des choses, et il a parlé aux gosses. De la valeur de l'engagement, de l'arbre qui dissimule la forêt, de peine et de rédemption. «Ils sont fantastiques», dit-il. «Je suis gâté. Ils comprennent tout.»
Pourquoi c'est que les plus jolies gonzesses travaillent pour les journaux ou la radio, cependant que les boudins monopolisent la télé? Excepté à la météo, mais autrement, c'est sale gueule et compagnie, des voix de râpe à fromage et des coiffures comme aux lendemains de quand ma soeur s'endormait en mâchant de la gomme balloune; attifées comme la chienne à Jacques, que je n'ai jamais vue mais dont on m'a beaucoup parlé, et semblant tout droit sortir d'une intensive session de lavage de vaisselle, tant on croirait les voir empoigner le micro d'une main gantée de caoutchouc jaune pâle, et de topo en topo nous martelant le même message sous-jacent: «I could be a cute chick, but then men wouldn't take me seriously anymore, as a woman and as a journalist, so I go to great lenghts to make myself bland, plain and down right ugly, so you'll listen to me instead of staring at my tits!»
Levé à 18:00. Dix-neuf messages en attente. Suis sorti faire les magasins pour trouver un exemplaire de La Presse et le texte de Chantal Guy. Après lecture, me sens aux antipodes d'hier. L'honneur du journalisme est sauf. C'est injuste pour elle que je ne sois pas motivé à écrire autant quand je suis content que lorsqu'on me fout en rogne.
Chaque fois que l'un de nous s'est trouvé mal en point, Annie et moi avons remisé nos désaccords, psschhtt! évaporés, à se demander ce qui nous empêche de le faire en temps normal, quoi qu'il en soit ce soir encore nous étions réunis par un train d'électrons et elle m'écrivait des choses parfaites, mesurées avec soin, livrées dans un ordre suisse à intervalles subtils comme ceux d'une partition de Satie. On aurait dit qu'elle désamorçait une bombe.
Puis, elle m'a ressorti un mail que je lui avais adressé il y a plus d'un an. Un parmi mille et quelques que nous avons échangés. Un jour, son ordinateur a flanché et elle a tout perdu, mais celui-là, elle l'avait conservé, imprimé, souvent relu. Il y était question du journal comme cabanon inflammable impropre à loger une prose incandescente, et du roman qui prend de l'expansion à la chaleur, et de l'alchimie qui transmute le réel en oeuvre d'art. Je ne reconnaissais rien de ce que j'avais écrit, mais je trouvais ça plutôt puissant, et on ne peut plus approprié. Ainsi, Annie avait mis un peu de mon esprit de côté, en sûreté à la banque Strohem, comme en prévision d'un jour où j'en aurais besoin à mon tour.
Puis Ginette m'a écrit aussi, et ça a achevé de me remettre d'aplomb, avec ce ton qu'elle a, toujours juste, jamais trop ni trop peu, un don rare qui ne s'enseigne nulle part.
J'allais fermer boutique, éteindre la lucarne pour ce qui reste de la nuit, quand un dernier message a déboulé en grondant. Mon fils. La différence entre dormir en paix et dormir heureux. Il disait Dad on les encule (je paraphrase). Il parlait de boucs miteux et il disait: «Encore une fois tu lances un livre sur le marché qui est impossible à cerner», et il ajoutait que je les boufferais pour déjeûner, eux, les autres; enfin, il me servait de grandes rasades de la médecine dont il sait qu'elle me soigne, au goût de coup de fouet sucré.
C'est toujours le dernier arrivé qui paie pour les autres. C'est injuste. C'est humain. C'est peut-être la même chose.
À part ça, ma foi, il y a Réal, mon Réal, Yté, l'Amèriq indigné comme un seul homme, seul, qui s'est porté à ma défense aujourd'hui, probablement pendant la sieste des enfants. Je ne suis pas gourmand. Tant qu'il subsiste un honnête homme, égaré dans les allées de ce cyclopéen Wal-Mart que nous appelons une civilisation, je continue à me creuser, j'écris le maigre et puis le gras et puis le gris je le colore; un honnête homme, ça paraît peu, sauf si l'on songe que Diogène n'en dénicha jamais autant.
Ce qui me scie à l'os, tout bien pesé, c'est que je ne peux plus décemment interrompre le Journal maintenant, pas aujourd'hui, pas après ça. On jaserait. Faut que je rame encore un bout. Ah, l'ordure! Ah, le bélître! Ah, le touriste!
J'avais jasé avec lui jusqu'à tard dans la nuit, aussi quand peu avant une heure et demie je suis monté chez Steve, l'ai sorti de la douche et lui ai demandé de syntoniser CIBL, il ne m'a pas reçu avec des débordements d'aménité.
J'avais encore le souffle court, irrégulier, comme si j'avais reçu un grand coup de botte vicieux au creux de l'estomac, ce qui était un peu le cas. Puis je me suis rappelé que CIBL devait parler du livre en début d'après-midi, et entre me claquemurer dans le Bunker où il n'y a miséricordieusement pas de radio et courir encore ma chance comme un gambler pathologique, j'ai décidé de relancer les dés.
Le coucou de Stevie a sonné la demie tout comme il stationnait l'aiguille sur 101,5 FM, l'émission était à moitié consommée, pourtant c'est à cet instant précis qu'elle s'est mise à parler, comme si elle m'attendait pour commencer. C'était Johanne Viel. Tout ce que je savais, c'est que sa pénétrante intelligence fonctionne d'une façon qui ne m'est pas étrangère, et qu'elle avait préparé le premier pâté chinois de sa vie la semaine dernière après avoir fini de me lire, mais je n'étais pas certain de ce qu'il fallait en déduire, même si son chum s'en était montré enchanté. J'étais si fébrile que j'arpentais l'appartement de long en large en sautillant, sous le regard de Steve qui hésitait sur l'attitude à adopter, et je gesticulais pour lui faire comprendre que je lui expliquerais tout après, et j'écoutais, écoutais, pendu à sa voix comme si ma vie en dépendait, et je priais presque, j'en oubliais que je suis un païen, je priais et mendiais quelques paroles honnêtes pour mon livre, et pourquoi pas tant qu'à y être un mot gentil, en tout cas pas trop dur.
Or, phrase après phrase sans ralentir, non seulement elle lui rendait ample justice mais elle touchait toutes les bases sans en oublier une seule et elle expliquait ce que c'est en termes plus cristallins, plus concis, plus nets que je n'y suis moi-même arrivé, et elle riait en citant des passages, et c'était soudain comme si on m'appliquait une compresse d'eau fraîche sur le visage, me donnait le temps de reprendre mon souffle et mon courage. C'est seulement là que j'ai réalisé toute l'ampleur de ma solitude et de mon désarroi depuis le matin: quand j'en ai été soulagé.
N'empêche, je ne sais toujours pas si l'assaut fut plus brutal ou si les fortifications pourrissent. Quelque chose de fiable jusque là s'est fêlé comme en un soupir polaire, et j'ai affaire à découvrir ce que cette chose est, à quoi elle sert et si elle m'est indispensable.
Naviguant mécaniquement, sans aller nulle part en particulier, je me suis retrouvé sur le site d'Annie, et j'ai relu toutes les pages ayant trait à Épiphanie. Dans les films, après avoir subi des violences, les femmes se plongent toujours sous une douche bouillante. Je n'ai pas été suffisamment traumatisé pour me laver un samedi après-midi, mais quand même, j'éprouvais le besoin (je l'ai compris après) de lire du net, du propre, de l'authentique. Le résultat d'un travail franc et acharné, des mots choisis selon un principe, un point de vue, une conception de l'écriture assumée en toutes circonstances et sans égard au prix. Cela, je peux toujours le retrouver chez elle, comme au premier soir où je l'ai lue et suis tombé amoureux de sa prose, bien avant de m'éprendre aussi d'elle.
L'ironie cruelle, une autre, c'est que son putain de manuscrit circule en ville, que j'en entends dire un bien fou et que je n'en ai jamais vu une seule page, une seule ligne, un seul mot passé le titre.
Tôt ce matin, tôt bien assez pour savourer ma solitude, je me délectais du dernier article de Christopher Hitchens (son style, sa mesure, son intelligence, son bagage, sa droiture, son travail de réflexion intransigeant), et je venais de décider de mettre un point final à ce Journal. Aujourd'hui, fin du mois, chiffre rond. Je sens que je ne me renouvelle pas et que je dépends un peu trop de ce rituel et qu'il cautionne mon inaction ailleurs et que j'ai accompli mon objectif et qu'il faut que je m'oblige à défricher du neuf. Ce que j'envisageais de faire, c'était de perpétuer l'accès aux archives à partir de cette page, tout en proposant un lien vers une nouvelle, que j'intitulerais Éditorial et dans laquelle je proposerais un texte d'opinion hebdomadaire plus substantiel et plus fouillé, quelque chose comme mille mots, je sais pas trop, enfin quelque chose de nouveau et de stimulant et d'exigeant.
J'étais à réfléchir au moyen de patenter ça sans bouleverser tous mes codes quand la clochette a tinté, annonçant un courriel. Dominique m'envoyait un article paru dans Le Devoir de ce matin, accompagné d'un commentaire laconique et d'un baiser qui sentait la pitié, laissant présager le pire.
Ce qui suit est la transcription intégrale de cette recension, intitulée Roman québécois - Les passages à vide de Mistral et signée Christian Desmeules.
Entre deux chansons, un essai sur son oeuvre et un projet de roman,
Christian Mistral nous imprime son journal de l'année 2002. Un Journal qui, entre sa publication quotidienne l'an dernier sur Internet et sa mouture de papier, se transforme en «roman» par un petit tour de passe-passe dont lui seul connaît les ficelles, sans que l'on sache trop bien ce qui justifie cette fantaisie sémantique. Vacuum se présente donc après coup, dans sa version livre, comme le quatrième volet du cycle Vortex Violet (dans le sillage de Vamp, Vautour et Valium). Pour l'occasion, le «mauvais garçon» de notre littérature s'offre un nouvel éditeur (Trait d'union) et la direction d'une collection («Graal») qu'inaugure son nouveau livre.
Au menu, on trouve un peu de tout : commentaires de l'actualité internationale, mots rares, chronique voilée de ses amours chaotiques et de ses amitiés viriles, extraits de courriels qui lui sont adressés, citations de poèmes, de chansons. Tout cela écrit et publié sur Internet au jour le jour, pratiquement d'heure en heure, flirtant sans remords avec le degré zéro de l'écriture. Ainsi, en date du 16 avril 2002 à 9h11 du matin, on peut apprendre que Mistral vient d'ajouter une page à Origines, l'essai que lui a commandé Victor-Lévy Beaulieu. Le 25 avril, la petite madame gentille qui habite en dessous lui offre une paire de pantoufles en «Phentex». Le 15 juin, on sourirait si on pouvait croire qu'il se parodie lui-même : «Avec Kevin, on s'est descendu une bouteille de Havana Club en visionnant Les
Raisins de la colère, puis on a commencé à se taper dans la gueule.» Le 9 juillet, il dégivre son congélateur.
Comment se limiter au réel le plus plat, semble s'être donné pour horizon
l'écrivain Mistral. Comment ennuyer ? Dans un souci de faire adhérer étroitement sa propre vie et l'écriture, il nous donne à lire le désoeuvrement dans ce qu'il a de plus sordide. Épris depuis toujours de liberté, infatigable assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose, mais bien loin des figures tutélaires de Henry Miller ou d'Hemingway, Mistral traîne sa liberté comme un embarrassant fardeau. Ou comme un vide à remplir. Dans l'un des rares passages de Vaccum où la lucidité semble l'emporter sur la complaisance, il nous livre un état des lieux : «Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore avec de plus en plus d'inconfort [...], mais je crains tant que toute ma force ne fonde au contact de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.»
La pratique diariste est exigeante, souvent sans pitié pour l'entourage et
pour soi (Jean-Pierre Guay, Gombrowicz ou Charles Juliet en savent quelque chose). Elle relève davantage du véritable travail sur soi et sur l'oeuvre en cours que de l'autocongratulation. À cet exercice du journal, Mistral échoue. Car ce qui aurait pu être une oeuvre littéraire n'est que la chronique quotidienne d'un personnage nommé Mistral, compulsif dactylographe qui découvre la technologie et s'excite de pouvoir s'adresser au plus grand nombre, à travers le grand vide de l'ennui.
À quelques reprises, le Journal nous est présenté comme une sorte
d'excroissance amputée d'Origines, un court essai sur son oeuvre et sa venue à l'écriture qui s'insère dans la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles, dans lequel Mistral consent à nous livrer quelques-uns de ses secrets de cuisine. Un livre polymorphe et bigarré constitué d'un entretien, de notes, d'extraits du Journal, de souvenirs d'enfance. Un petit livre éclairant, mais qui n'arrive pas à se suffire à lui-même.
Certains passages de Vacuum s'y retrouvent d'ailleurs tels quels, sans retouches grâce à la magie du «copier-coller» qui permet à l'écrivain d'être partout à la fois. Paresseux, le Mistral ? C'est lui-même qui l'avoue : «Le champion toutes catégories des démons dégueulasses auxquels j'aie à faire face, c'est la paresse.» Et d'ajouter que le coeur n'y est pas, qu'il n'y est plus depuis déjà longtemps : «Personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire.» La paresse ne fait pas qu'empêcher d'écrire, elle fait aussi prendre des raccourcis : «La seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.» Vraiment ?
Par endroits, c'est presque fûté, cette tentative d'assassinat. On ne reconnaît pas le dilettante derrière absolument toutes les phrases. Quelques-unes sont même affaire d'opinion et je ne trouve rien à y redire. Pourtant, j'ai beau me fouiller, interroger ma mémoire que l'on s'entend généralement pour qualifier de stupéfiante, je n'arrive pas à me rappeler que nous ayons élevé les cochons ensemble, d'où ma surprise devant ce luxueux étalage d'affirmations péremptoires sur qui je suis, de celles qui supposent une connaissance intime totalement hors de sa portée. Si je suis «assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose», et je ne nie ni ne confirme, alors ce type sait bien des choses, et des croquantes. Toutefois, si on veut mon avis, je suis plutôt porté à croire que cet olibrius, ce pétrisseur de métaphores, s'essaie à faire du style sans souci de ce qu'il exprime, tel un pétomane faisant ses gammes et que l'odeur laisse insensible. Faire du style dans un brulôt qui me vise, ça revient à jouer du gazoo dans un concert de Claude Lamothe. Il n'y a guère de passage qui rachète l'autre, mais le plus dégoûtant est sûrement celui qui me voit «traîner ma liberté comme un encombrant fardeau». Voilà un citoyen qui n'a jamais reçu ne serait-ce qu'une contredanse. Pour considérer la liberté comme une quantité si légère, si plume et fumée qu'on la sent à peine, il faut n'en avoir jamais été privé. Connard.
Dans l'ensemble, pour abréger, et somme toute, ce type, c'est quand même un sale petit pédé, non? Foutu branleur de merde. 22, 23 ans je parie. Ou 46, allez savoir. Un nom à se faire, en tout cas. Putain de goule de fils de pute. Enfant de pétasse syphilitique et de mangeux de marde, enculé de fond de gogues, sac à flu, pissou, bureaucrate passe-partout, cauteleux mercenaire, tâcheron sans passion, scribe à gages, courtisan de cocktails, flatteur de Péan et botcheur de job par-dessus le marché. Que se passe-t-il au Devoir pour qu'on envoie cet avorton faire une job de bras sur moi? C'est peut-être une initiation, ou alors ils veulent l'inciter à démissionner. De mon temps, du temps de Lise Bissonnette ou de Paul-André Comeau, quand on voulait la peau de quelqu'un dont on pouvait supposer qu'il la vendrait chèrement, on n'envoyait pas un enfant. On envoyait un homme ou Nathalie Petrowski.
J'ai donc lu ce texte, incrédule (je ne suis plus familier du Devoir, j'ignorais l'ampleur des changements, du progrès réalisé): le ti-coune s'y fait beaucoup les dents sur mes deux livres et tant soit peu sur ma personne. En louveteau normalement constitué, en prétendant adéquat, il prend soin de se tenir à distance prudente du mâle alpha, et la longue odoriférante chiasse de mots dont il s’efforce de marquer un territoire fraîchement taillé ne va jamais jusqu’à éclabousser franchement mon talent. Seulement mes motifs, mon coeur à l’ouvrage, mon honnêteté artistique, mes prérogatives d’auteur et la nature intrinsèque, avérée, indiscutable de mon oeuvre: celle-ci est certes bien des choses, mais une entreprise d’autocongratulation elle n’est pas.
Puis, j’ai voulu savoir qui c’est au juste, cet homuncule dégénéré qui traite ainsi deux ans d’ouvrage. Avec malveillance, désinvolture et légèreté, comme si je n’avais pas mérité qu’on se penche sérieusement sur mes propositions. Qui refuse même à mes livres la dignité d’être filetés au scalpel, plutôt qu’assaillis sans finesse avec une hache émoussée. Je n’ai trouvé à son propos que peu de choses: il est libraire chez Pantoute, il a collaboré à une sorte de magazine de jardins et il a interviewé maman Dion. Depuis peu, il sévit dans la grande ville. Dans ce vieux Devoir où j’ai chroniqué quatre ans à la moitié du cachet que La Presse m’offrait, parce que j’y croyais, que ça signifiait autre chose qu'un tremplin de carrière, que c'était un devoir, depuis des générations. Ce journal-là, fais ce que dois, qui aujourd’hui confie la recension de mon travail à un méchant abruti ambitieux. Je le digère difficilement. J’ai pris tout ce qu’on m’a lancé, aussi bien les eaux usées que les louanges, et je n’ai jamais songé à répondre à une mauvaise critique, pas plus qu’à une bonne. Mais on n’a jamais osé s’en prendre à l’intégrité même de ma carrière, à la pertinence des quinze années passées à écrire et publier depuis Vamp, et jamais un foutu bouseux à tête plate, sans visage et sans réalisations, ne s’était avisé un beau samedi de mordiller de la cheville de Mistral. Ce monde n'est pas une émission de Lise Payette, peuplée de protagonistes en caoutchouc, et la littérature n'est pas un jeu de rôles entre gosses de riches civilisés. Ça joue dur, ça échange, ça débat. Faire l'économie de la politesse, soit, mais alors il ne faudrait pas s'étonner que quelqu'un vienne à s'en formaliser.
Qu’on se le dise: de mon vivant et de ma santé, je ne permettrai pas que n’importe quel rongeur puant s’attaque en traître à mes livres quand ça lui chante, pas plus qu’à mon enfant, pas plus qu’à rien ni personne que j’aime et qui souffrirait injustement à cause de moi. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: mes livres aujourd’hui n’ont pas reçu l’honnête attention qu’ils méritaient pour eux-mêmes, indépendamment des sentiments qu’on peut nourrir envers l’auteur.
Ce misérable résidu d’atelier d’écriture de cégep, ce galopin, ce téméraire petit cul, n’a-t-il jamais appris dans le trou dont il est issu que le jour où on s’attaque au gros gibier, mieux vaut l’abattre du premier coup?
Fisto mio a fait du bon boulot. Comme je l'ai dit au lancement, chacun en ce bas monde a sa croix à porter: la sienne, c'est de travailler avec moi.
Une lectrice avec qui j'ai «déjà-causé-au-Boudoir-un soir-de-déprime» (pour elle? Pour moi? Mes souvenirs du Boudoir sont tous déprimants) et qui signe grandogresse me suggère, sur le Forum, deux titres pour la suite de Vortex Violet: Vidure (n.f. Ce qu'on ôte en vidant un animal) et Vidicon (n.m. Tube analyseur d'images de télévison). À me faire regretter d'avoir clos le cycle et m'être tourné vers la lettre G. Vidure, surtout, est fascinant; l'autre porte à confusion. Mais je n'aurais pu le retenir de toute façon, car j'ai toujours choisi des titres n'ayant pas besoin de traduction, afin de préserver l'intégrité de l'ensemble (le premier est tiré de l'anglo-américain, le second est un nom de famille, le troisième une marque de commerce, le dernier un mot latin). Dommage.
Entrevue téléphonique avec Micheline Lachance, de L'Actualité. Vif et bon souvenir d'avoir fait ça déjà, il y a pourtant longtemps. Suis curieux de voir comment elle va réussir à comprimer tout ce que je lui ai donné dans les dix lignes qu'on lui alloue. C'est pratiquement un exercice de style. Si on la paie au mot, c'est bien injuste.
«Ressentez-vous de la rancune à l'endroit de Dan Bigras?» Grands dieux non! Un infime soupçon d'amertume, à la rigueur. Une gouttelette de bile sur le coeur. Mais il n'a pas agi autrement que la plupart, et je préfère me rappeler l'homme que j'ai connu d'abord. D'ailleurs, celui-là serait mort depuis longtemps s'il n'avait pas changé radicalement.
Je guide mon fils, aussi par téléphone, dans la réalisation d'une bannière publicitaire pour mon livre sur le site de Trait d'Union. La ligne doit être mauvaise: on a beaucoup de mal à s'entendre.
Descendu avec CGDR au lancement de Lili. Elle a chanté des extraits de sa comédie musicale avec ses trois complices estivales. Je ne lui supposais pas une voix si ferme et mélodieuse, et le crépitement dans ses yeux! Ça devrait marcher très fort.
François Turgeon va tenter de convaincre sa soeur de me montrer son manuscrit. Ça fait longtemps que je mijote ça. Un roman d'Emmanuelle ferait merveille pour la suite de Graal.
Dominique passée partager sa joie et sa fierté. Le livre de Lili, fraîchement sorti des presses, c'est aussi un peu le sien, qui dirige la collection Sex-Libris. Et elle a trouvé une amie en prime. Moi qui les ai présentées, je ne suis pas mécontent non plus...
Je reprends vie d'heure en heure. Bientôt, j'affronterai la nécessité d'entamer un nouvel ouvrage pour me pardonner le dernier. Ainsi va la vie que j'ai choisie.
Massif sommeil réparateur. J'essaie de me remettre en forme pour le lancement de Lili demain soir. Faut aussi que je fasse ravauder mes culottes. Lundi, en montant dans l'Oldsmobile de CGDR, le fond s'est fendu tout du long.
Extinction de voix...
Lancement monstre. Ni trop de monde, ni trop peu. Certaines invitations ne se sont jamais rendues, ou arriveront la semaine prochaine. Les bureaux de Trait d'union au square Saint-Louis, sous une pluie battante nelliganienne, formaient un cadre délicieux. Tous les employés se sont démenés pour faire de l'événement un sujet de conversation dans les chaumières et les lofts.
Mes invités, variés, se sont détendus après quelques bières, au son d'une musique de jazz diffusée par l'ordinateur de Sophie. Des couples se sont même brièvement formés. Une quinzaine de personnes se sont étonnées de l'absence de Kevin. J'ai dû leur rappeler que c'est un personnage de roman.
Le cinq à sept s'est terminé vers dix heures, quand j'ai mis les traînards dehors (y compris moi-même), au vif soulagement des gens de la maison qui devaient tout remettre en place.
Après quelques pichets à la brasserie Cherrier avec sept ou huit fidèles, je suis rentré vers minuit (Cendrillon ravie mais crevée de fatigue) avec Fred et CGDR.
Hans a embrayé en marche arrière, écrasé le champignon: la bagnole s'est dégagée en grinçant de la camionnette qui venait de nous coincer de biais au feu rouge, puis a décrit une longue élégante arabesque, traversant deux voies et un terre-plein. L'un des six sauvages était à terre, se tenant le genou, les autres se précipitaient vers nous, battes au poing. J'ai gueulé: «Pousse!» Hans a demandé: «Pousse quoi?» J'ai corrigé: «Fonce, pas pousse. Fonce!» Il a rembrayé en première, il a foncé: j'ai vu l'un des gars se mettre en position comme si on était une balle arrivant du monticule, et au passage il a fait voler le pare-brise en éclats, juste devant moi.
Maintenant, je récolte les particules de plexiglas au creux des plis de mon pantalon, bien content qu'on ne soit ni à la morgue, ni à l'hosto. Ils nous ont pris pour d'autres, mais qui?
Soirée avec Chantal encore plus chouette que désiré: elle, Hans et moi jasant au Bunker autour d'une pizza kurde jusqu'à minuit.
Lancement cet après-midi.
Entrevue à seize heures avec Chantal Guy de La Presse. Conservé un sweet souvenir de notre première, il y a trois ans.
Puis je verrai Hans, qui a grand besoin qu'on lui change les idées. Moi aussi, d'ailleurs, à bien y penser.
On m'offre un caniche pompon de la Barbade. Une espèce de rat frisé qui encule des fouines et s'étourdit d'aboiements ridicules tout au long de sa vie de chien sans jamais soupçonner sa réelle, dérisoire nature de caniche pompon de la Barbade (Il s'imagine en Labrador). Intéressant. Même qu'il chie partout et constamment à juteux petits coups désopilants. Tout cela serait une telle, une si nette amélioration sur le comportement de mon défunt chien-saucisse, un tel progrès, enfin, que j'hésite à refuser...
Cette race-là, cependant, est affligée de quelques tares héréditaires rédhibitoires, dont les chiffres sur l'incidence du cocufiage canin au Canada témoignent avec une incontestable autorité: 23% des caniches pompons de la Barbade sont pédés sans le savoir et 97% sont cocufiés dans les six heures suivant l'accouplement. Là encore, le chien-saucisse était bien pire (ses statistiques pâtissaient de sa fâcheuse tendance à s'éprendre de levrettes toujours disposées à sucer six éboueurs dans la benne en échange d'une escalope avariée).
M'encombrer d'une autre de ces créatures artificielles qui me mordra la main demain? C'est un pensez-y-bien.
Mon chien-saucisse était si doux, si fidèle, un modèle de zèle et de modération, intelligent, retenant tout et si affectueux qu'on aurait cru qu'une âme éclairait ça de l'intérieur. Puis il est allé se rouler dans quelque ruelle avec la première bâtarde infectieuse qui lui a fait des chaleurs et il m'est revenu enragé. Cette nuit, j'ai mis dix heures à en venir à bout, de ce damné petit roquet qui m'aboyait aux chevilles en faisant mine de vouloir mordre, cependant que sa chienne prenait de grands airs en décrivant de prudents cercles autour de nous tout en me pissant sur les godasses. Il n'y avait plus ni amour ni haine dans les grands yeux bruns de mon vieux clébard, qu'une sorte de vilaine fièvre rabique, aveugle et stupide et sourde. Dix heures pour l'épuiser, puis je l'ai laissé dans sa niche avec l'autre vérolée, à ronger des os de mouton volés dans le voisinage. Je ne veux pas le voir crever. Je préfère le tenir pour mort déjà. S'il y a un paradis des chiens-saucisses, sûrement on lui fera de la place, ne serait-ce qu'en souvenir du temps où il imitait si bien les grands dogues de race.
Mon chien est mort. Il n'a jamais valu grand-chose, évidemment, mais il n'empêche que je m'y étais attaché. Petit pincement au coeur, comme chaque fois qu'un de mes chiens vire fou et qu'il finit dans un sac à vidanges ou une forêt d'automne, ses tourments abrégés par une balle de .22. Mais bon, ça ne m'a jamais empêché de dormir, sauf le premier peut-être, il y a trente ans. Quand ils arrivent les babines moussantes d'écume, on n'a guère le choix de les rayer de sa vie
Ce que je fais par la présente. Next!
Me sens méchant. N'ai pas envie d'éprouver de la commisération pour les gros-culs. Surtout s'ils sont adolescents. On s'apitoie, on les soudoie, on dit qu'on veut qu'ils nous tutoient, mais leur nez est trop fort pour leur face et l'ouragan d'hormones qui les chamboule en fait des fous, des malades mentaux, temporaires pour la plupart, comme les femmes en ménopause, mais dérangés quand même, et privés de raison.
Mario a obtenu 67 sur 70 en théorie. Reste l'examen pratique, le 10 juillet. On devrait arriver à Sorel vers la mi-octobre.
MMF (Monsieur Mon Fils) m'a apporté 10 exemplaires de Vacuum et on a jasé avec la voix du sang. Des nerfs, aussi, mais du sang surtout. Ces temps-ci, l'un de nous forme un poing et l'autre l'enserre de ses doigts, résumant nos sentiments comprimés.
Mario est en train de repasser l'examen de conduite. On ira peut-être visiter son Sorel de légende après tout.
Doublevé l'écolo a trouvé un ingénieux moyen de préserver les forêts des incendies: les céder à l'industrie pour qu'elle les rase.
Retour de l'X-périence. J'ai peut-être subi une mutation depuis la dernière fois: fallait me voir engouffrer le pop corn assaisonné de Jean-Christian qui me dégoûtait tant auparavant.
Fait changer la serrure du Bunker, plutôt que de le rebaptiser Moulin.
Passé voir BL, qui attire mon attention sur le caractère sibyllin, voire franchement inquiétant de mon entrée d'hier. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y aura pas de second tour au cirque de l'amour. Voilà.
Rencontré Tabra. Lui ai fourni l'explication prosaïque de mon silence en chansons. Simplement, on ne m'en demande pas. Revoilà.
Cet après-midi, mon fils m'emmène au cinéma avec sa première paye. On va voir X-Men, que je lui ai fait connaître en BD quand il était petit. Je crois qu'il veut aussi m'offrir un pantalon pour le lancement.
Annie, toujours une longueur en avance sur moi en matière d'internet, m'a refilé un truc pour améliorer dramatiquement mon classement Google: il s'agit d'utiliser sur ma page tous les mots-clés dissimulés dans les méta-balises (ex: Journal, journal, écrivain, auteur, site, officiel, Circius, littérature, roman, livre, Québec, Vortex, Violet, Vamp, Vautour, Valium, Sylvia, Vago, Julien, writer, books, novel). M'en vais essayer...
Fool me once, shame on you. Fool me twice, shame on me.
Il n'y aura pas de seconde fois. Je n'ai pas la foi qu'il faut pour refaire un tour de piste. C'est bien triste, mais c'est comme ça.
Week-end avec Annie, comme si l'année écoulée n'avait été qu'une seule longue nuit (arctique). Méchant party hier, j'en ai perdu mes clés. Bertrand a conté une joke dégueulasse et Mario s'est littéralement étouffé de rire, au point de nous effrayer. Kevin ramassait derrière Cynthia, qui s'affairait à la cuisine. Le voisin n'a pas trop regimbé.
Passé quatre heures avec Kevin, lui ai remis son exemplaire de Vacuum, avec une dédicace nulle (un renvoi à la prochaine page impaire, où il est déjà imprimé à jamais que le livre lui est à moitié dédié), et on débouchait pour fêter ça quand le second dédicataire, Mario, sentant la mousse froide depuis Longueuil, nous a envoyé par courriel une première mouture de swish publicitaire. S'est alors engagé le plus fantastique tango à trois, au cours duquel nous avons échangé des idées et construit sur icelles; Kevin est rentré aux Catacombes ravitailler Cynthia et nous sillonnions toujours la cité d'ordinateur en téléphone en télépathologiques cervelles, Mario, Kevin et moi, jusqu'à obtenir en quelques heures et de façon réelle exactement ce que nous concevions. C'est très rare et très exaltant, cela suppose une confiance aveugle et sourde, un abandon entier, cela génère le sentiment d'enchâsser son coeur d'enfant faible dans son corps d'homme fort, sommé par un crâne abritant trois cerveaux. La sensation est planante, un méchant fix, et déprimante ensuite, car on a entrevu ce que le monde vient très près d'être, parfois, du côté du sublime.
Hier, Fred m'a confié qu'il se réconciliait avec son violoncelle. Il le fait réparer par un luthier, il coupe ses cheveux, il vient me voir. Tous ces gens qui ont appris à jouer d'un difficile instrument dans leur enfance le rejettent un jour; certains l'embrassent à nouveau plus tard, et alors ils savent, ils savent avec certitude qu'ils sont en bonne voie de faire leur paix avec tout le reste.
Étrange, indolore et soudaine grosseur à l'aine, du côté où je charrie mon cellulaire. Mes couilles craignent le cancer et s'évertuent à me convaincre qu'elles peuvent encore se rendre utiles.
Reçu les caisses de livres. Tous s'entendent pour les déclarer magnifiques, les plus beaux que la maison ait produits. Je n'ai d'yeux que pour la couverture qui frise malgré le rabat, pourtant là pour empêcher ça.
Ce trimestre encore, suffisamment de mes chansons ont tourné à la radio pour finir de payer le loyer. Il va même en rester pour rembourser Kevin et Cynthia, qui mangent du riz depuis lundi.
Fred est arrivé avec l'éclipse. Je lui ai donné le premier exemplaire du bouquin que nous étions à corriger la dernière fois qu'il est venu. On a causé tranquillement comme autrefois. Sweet.
Il m'a régalé de l'histoire du tournage des pubs pour le porc du Québec, qu'il réalise. Lui ai parlé du projet de Domi. Hello Dolly, j'aurais fait une bonne marieuse.
Ce soir, éclipse totale de la lune. Une rare occasion de ne rien voir du tout, de 23:14 à 00:06.
Journée fertile. CGDR m'a emmené au palais de justice dans l'Oldsmobile de sa mère, hospitalisée après une crise cardiaque. J'ai eu du mal à trouver la bonne salle d'audience, et c'est finalement mon fils, croisé dans un corridor, qui m'a conduit à bon port. Pierre avait amené presque tout son personnel, mais quand il devint évident que la cause ne serait pas entendue ce matin, il a renvoyé tout le monde (au bureau). Je suis revenu bouffer au Bunker. Parcourant le ICI d'aujourd'hui, suis tombé sur la recension d'Origines par Michel Vézina, qui a aussi lu Vacuum sur épreuves et n'a pas eu l'heur de goûter. Sa dernière ligne (à propos d'Origines): «À lire cent fois, pluôt qu'un seul Vacuum». Ha! C'est le risque qu'on court à publier deux livres en même temps: qu'un critique encense le premier et cale le second avant même sa sortie.
Retour au palais après le lunch. Pierre venait de recevoir les premiers exemplaires de Vacuum et m'en avait apporté un. Vraiment superbe. J'étais un peu déçu parce que j'aurais aimé prolonger l'attente jusqu'à demain, tel que prévu. Le désir est tellement mieux que sa résolution.
Ce que devait aussi se dire Turgeon quand le juge-en-chef a annoncé, peu avant dix-huit heures, que la Cour rejetait son appel... Encore une de gagnée pour les quincaillers.
Mais ce gars-là, Pierre, c'est un pitbull déguisé en lévrier: il parle déjà de saisir la Cour Suprême.
J'aurai quand même appris deux nouveaux mots: potestatif et léonin, comme dans une clause potestative et léonine.
Mercredi saturnien.
Vendredi, les premiers exemplaires de Vacuum arrivent. L'impression que l'imprimeur a un peu salopé la couleur.
Demain matin, sept ans après la première fois, serai à nouveau du côté de Pierre Turgeon en Cour Supérieure pour la résolution de son affaire contre Réno-Dépôt. Grands dieux, remettre les pieds dans un palais de justice sans y être obligé...
Hélène se démène formidablement pour moi dans l'ombre, plus efficace à elle toute seule qu'une armada d'attachées de presse. Les vieilles amitiés sont le sel de la vie.
Depuis que le purin de porc a mauvaise presse, ces fumiers de fonctionnaires agro-alimentaires appellent cela du lisier. Je parie que ça pue tout autant. Ce que Shakespeare disait de la rose s'applique aussi, dans l'esprit, aux excréments du cochon.
Kevin appelle au Bunker pour réconforter Mario. «Mario? Il est parti.»
«Ah bon! qu'il dit. Et comment il prend ça?»
«Oh, réponds-je, tu connais Mario: c'est difficile à dire... »
«Bon! fait l'autre, je vais lui écrire.»
C'est une belle et bonne tribu que j'ai là.
Passé en coup de vent au lancement des Forges, au Saint-Sulpice. Ramené Mario. Il digère le refus de Triptyque.
C'est épuisant de ne rien faire. Là, il pleut à verse et je suis convoqué à la sécurité du revenu, alors faut que je vende des bouteilles pour payer l'autobus. Au retour, va me falloir un timbre pour poster ma demande de bourse, mais je n'ai plus que des bouteilles pleines. Résultat: va falloir en vider six de plus. Deux heures d'ouvrage, rien que pour ça.
Tous ces dommages à mes molaires, tous ces travaux de voirie qu'elles requièrent, je les dois à une petite fille qui me courait après il y a trente ans. La fuyant de reculons, j'ai pivoté sur moi-même et suis entré en violent contact avec le rétroviseur extérieur du camion paternel, me cassant une palette. Laquelle on répara, mais depuis j'hésite à m'en servir pour trancher la bidoche, préférant la broyer avec les dents de derrière. Et voilà le résultat.
Le voisin siffle et tape dans le mur chaque fois que je reçois des visites, et je m'asseois sur mes mains, je me répète comme un mantra: «Je suis un bon et doux géant, je suis un bon et doux géant, je suis un bon et doux géant (en probation)...»
On s'est installés côte à côte au soleil dans le parc, au milieu des familles pique-niquant et des effluves fumés des barbecues improvisés. Je lisais la bible de sa proposition télévisuelle et Dominique prenait des notes. C'était vraiment très bon et seule une fillette jouant magnifiquement du violon, puis l'arrivée de la pluie ont pu m'en distraire.
Visite de Kevin et Cynthia. Elle, à K: «Faut qu'on aille s'acheter du linge; au rythme où on le déchire...»
Bonsoir Monsieur Mistral,
J'ai bien aimé le dernier ajout à votre journal à propos de votre fils. J'ai donc décidé de partager ce petit bout de texte qui m'avait fait chaud au coeur avec ma mère. Après l'avoir lu, ma mère est revenue me voir les yeux emplis de larmes, ce qui m'a vraiment étonnée (voyez-vous, ma mère est une grande sensible, mais elle ne vous aime pas beaucoup). Je l'ai questionnée, je me demandais si elle ne s'était pas trompée de texte, puis elle m'a dit: «Ce grand plouc à chapeaux étranges a raison, il n'y a pas meilleure drogue que nos enfants.» Elle m'a fait un calin puis s'est retirée. Oui, elle a dit «plouc», j'ai pensé censurer, et puis à quoi bon...
Je tenais à partager ce moment avec vous.
Plouc. Holy Mary, mother of God. Synonyme de pedzouille: personne naïve et ignorante des usages de la ville. Si seulement c'était vrai...
Combien de fois l'opportunité de sauver la vie d'un être humain en quelques secondes nous est-elle offerte? Hélène et Bernard me font part de cette pétition électronique qui a déjà fait ses preuves par le passé. En diffuser l'adresse et en appeler à la conscience de mes lecteurs, c'est bien le moins que je puisse faire, moi qui aime dormir sur mes deux oreilles.
Cure de sommeil et plaies de lit.
Quotidiennement, je lis quelques journaux intimes publics, quelques weblogs (jamais pu faire la différence, qui s'estompe à mon sens d'heure en heure: le blog est-il toujours tenu d'offrir une orgie de liens vers ailleurs?). Parfois, rarement, j'écris un petit mot au diariste, mais je dois faire preuve de prudence, car cette intervention suffit souvent à changer ce qui suit. Mécanique quantique: l'observateur modifie le comportement de la particule observée du seul fait qu'il l'observe.
Les journaux des jeunes gens me font souvent passer par tout un nuancier d'émotions violentes. Je veux tout à la fois les secouer comme des pruniers et les ceindre de mes bras brûlants, les embrasser dans une puissante étreinte protectrice et leur rompre les reins. Petits crétins. Leur enseigner à ne pas se mutiler. Les retenir de se suicider. Leur indiquer des raccourcis, leur enseigner que non, Plume n'est pas un génie, ni Leloup un dieu, ni leurs parents de naïfs tyrans. Les convaincre que ça va passer, qu'ils en riront plus tard, que la vie vaut son poids de saletés.
Mais pour m'éclater vraiment, je me drogue de mon fils. Comme je l'ai toujours fait. Si on peut se geler à l'amour et à la stupéfaction, je suis un junkie heavy duty. Hier soir, je lui ai préparé un festin sans même m'en rendre compte, en sifflant, j'ai oublié de manger, tout à ma joie de le regarder engouffrer, on a jasé, jasé, je l'ai raccompagné à pied jusqu'au métro Papineau sous la pluie sans réaliser une seule seconde que j'existais, comme une mamma sicilienne dans un corps de minotaure, nul être au monde ne m'a jamais libéré du poids de ma propre importance à part lui, ni sa mère que j'ai aimée jusqu'au délire, ni la mienne qui a gouverné ce que je suis, ni mes amis fabuleux, ni Dieu.
Je suis revenu lentement, m'insinuant félin entre les gouttes chaudes, et je m'ennuyais d'Annie, je me disais: chaque heure de mai te la rappelle, et c'est ainsi pour elle aussi, et n'est-ce pas suave que vous choisissiez de ne pas vous voir alors que vous le désirez, et que vous raconterez-vous tantôt quand vous vous écrirez?
Nuit blanche avec Éric. À six heures, les pigeons l'empêchaient de dormir et il a mis les bouts.
Dominique a donné un coup de baguette magique et a organisé la commandite de mon lancement.
Monté aux Catacombes embrasser mes tourtereaux. Eddy s'y trouvait, se remettant d'un nez cassé. De Max, on est sans nouvelles depuis une semaine. Kevin travaillait sur le manuscrit de Mario et Cynthia inventait des délices à la cuisine. Suis revenu avec un sac de succulentes surprises (fromage danois mariné, caribou aux pêches, foies de morues et feuilles de basilic, quignon de baguette, une poire et un bout de gingembre, une tête d'ail, des carottes et du persil, et une mixture chaude mystérieuse à l'arôme délicat et un billet de banque plié en forme de petit bateau). La tribu avait besoin d'un peu de douceur sororale qui sent bon, et ne le savait pas.
Avant de partir, j'aperçois le réveille-matin que j'ai offert à Kevin pour son anniversaire et qui a fonctionné une semaine («On n'a plus rien pour cinq dollars, de nos jours!»). Je m'exclame: «Comment, tu l'as pas encore jeté?»
«Ben non, répond-il. Il marche.»
«Il marche? T'as suivi mon conseil et tu l'as lancé par terre, ou ta première idée qui était de le passer sous l'eau?»
«Ben, dit-il, d'abord, je l'ai lancé par terre. Sans résultat. Puis, je l'ai balancé aux ordures et, plus tard en soirée, j'ai entendu tic-tac tic-tac. Alors je l'ai repêché dans le riz et le poisson et là, finalement, je l'ai passé sous l'eau.»
Cinquante ans après, on vient de rendre publiques les transcriptions des infâmes audiences à huis-clos de Joe McCarthy. Le moment n'aurait pu être mieux choisi. Jamais depuis lors autant de parallèles n'ont pu être tracés avec sa politique de destruction de la dissidence, jamais autant que maintenant.
Powerlunch avec Turgeon, rue Prince-Arthur. On a couvert les dix points de l'agenda avant que le poulet parmigiana n'arrive sur la table.
Pas d'hier que les idéologues trafiquent la langue. Dans Les Chouans, au lendemain de la Révolution Française, Sophie Marceau en institutrice interroge ses élèves: «Et quand vous jouez aux cartes, comment appelle-t-on maintenant le roi de coeur?» Et les petits d'ânonner: «Le pouvoir exécutif de coeur!»
Printemps sorcier: le Mario est amoureux lui aussi. Passé en coup de vent cet après-midi, reparti aussitôt pour arriver chez lui à l'heure, l'heure de l'émission de radio de l'objet de sa flamme, laquelle l'ignore encore, mais il monte une campagne napoléonienne pour la conquérir. Sais plus quoi faire avec ces mecs. Vingt-cinq ans ou cinquante, la sève leur noie le ciboulot.
Marché jusqu'au Marché de la poésie. Ai informé Sophie que j'annulais les plans pour le lancement au Quartier-Latin et qu'on déménageait le tout aux bureaux de Trait d'union, où je serai commandité par Molson, et pas à hauteur de quatre caisses comme ce que proposait Boréale. Je ne vais pas inviter des gens et leur demander de payer leur écot.
Glorieux dimanche de mai.
Suis à lire quelque chose sur Pierre Péladeau. Bonne occasion de méditer sur les inégalités de l'existence. Ainsi, certains hommes n'ont pas de menton alors que d'autres en ont jusqu'à deux ou trois. Flagrante injustice.
Ma bonne belle douce Dominique est passée avant son rendez-vous avec Lili. M'a apporté de quoi boire et fumer, a acheté du chocolat pour elle-même. On a conspiré pour anéantir nos ennemis, j'ai requis son avis et on a tiré des plans et nous avons uni nos forces et c'était follement amusant malgré ma fatigue.
Passé la nuit aux Catacombes. Kevin et Cynthia m'ont réservé un délicieux accueil. Me sentais comme un grand-oncle d'Amérique de passage au vieux pays. KV était lui-même enfin, il a retrouvé son centre, je pense. Ce midi, tandis qu'il roupillait flambant nu sur son vieux lit de fer, j'ai mis une toune de Johnny Cash en sourdine, j'ai collé une bise sur la joue de Cynthia qui lavait la vaisselle en lui recommandant de la partager avec son mec, et je suis sorti dans le soleil et l'air frais par la porte de derrière.
Je me réjouis que mon ami ait trouvé son bonheur. J'ai la force de le faire. Je pense aussi qu'il n'y a plus assez de place pour moi dans son coeur et sa vie. Cette idée requiert de moi des forces supplémentaires.
Ce n'est pas, je suppose, demain la veille qu'on entendra le terme sur les ondes de Radio-Canada. Reste que états-unien passe lentement par osmose dans le langage et la conscience populaires. Éric Drouin, qui l'utilise de plus en plus, me racontait comment son frère, un homme d'ordinaire taciturne, s'est illuminé soudain comme un sapin de Noël en l'entendant prononcer ce mot. Une expérience qui m'est familière. Comme s'il répondait à un besoin inexprimé. Les gens comprennent tout de suite les profondes implications de cette limitation, de cette résistance, de cette reconquête d'une réalité. Ils se l'approprient avec enthousiasme, même s'il est mitigé par l'impression de transgresser, voire la crainte du ridicule. Encourageant.
Les tulipes sont sorties sous la pluie. Moi aussi.
Quelqu'un a laissé sur Graffiti, l'équivalent du Livre d'Or, un lien marrant: le texte de la toune de Renaud sur BHL et l'entartage.
Acheté hier un parapluie à un dollar, au grand soleil. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour l'essayer, mais j'ai pas trop envie d'aller dehors.
Tombé sur Martin derrière le comptoir d'un service gouvernemental. M'a demandé des nouvelles des bars où nous passions nos nuits, moi comme client, lui comme videur. Éric m'a appris hier qu'ils étaient fermés. J'ai décroché depuis deux ans, Martin aussi, un cas unique à ma connaissance: il a terminé ses études tambour battant et le voilà dans la fonction publique! Admirable.
Au retour, croisé une petite dame-sandwich qui faisait le trottoir vêtue de pancartes vertes plus grosses qu'elle: on y lisait ses coordonnées de même que son désir de trouver un emploi.
Constipé davantage? BHL vous soulage!
Quand on a les tripes nouées, de la fardoche dans le tunnel, quand on manque de pruneaux et qu'il faut qu'on se purge, quoi de mieux qu'une visite sur un site dédié à un type qui ne se prend pas pour la moitié d'une merde, ce en quoi il diffère d'opinion avec la plupart des gens intelligents, mais justement, il en fait un métier, du contre-pied dans le cul du bon sens, il a paraît-il «le rare don de nous faire penser et de nous aider à penser», rien que ça. Salopiau d'imposteur, creux torse glabre et colonne molle, fleuron de la France qui dépense, tique suceuse planquée dans la dépouille empaillée de Malraux, fumée secondaire de sa clope, puanteur des pieds de Sartre, philosophe de comic book, coeur de starlette et couille Potemkine.
Ces Français! On a bien fait de les inventer, autrement ils n'existeraient pas, et l'univers serait d'autant moins rigolo, dans le registre désespérant, et on n'aurait pour se gausser que ces bouseux d'États-Uniens, jour après jour, terne régime, jusqu'à la fin des temps de l'empire qui tait son nom...
Charlie Rose débarque à Paris: il invite sur son plateau Pascal Bruckner, Emmanuel Todd, Bernard-Henry Lévy et un type qui s'appelle Moisi. Et chacun de ces vaillants Gaulois d'expliquer à tour de rôle en anglais net et sans labeur comment l'empire honni est sur le point de s'écrouler.
On pouffe, on déglutit, on se dit: «Benjamin Franklin et Thomas Jefferson et Lafayette sont bel et bien dissous en dérisoire poussière, engloutis avec une ère où la langue française et son foyer naturel pesaient plus lourd qu'un pet de coq. Le jour où l'on rassemblera dans un studio quatre pointures intellectuelles yankees parlant un français convenable, peut-être alors sera-t-il temps pour ces pompeux messieurs hexagonaux de tenir pareil discours sans qu'il n'incite au mépris, ni ne suscite la compassion moqueuse, ni ne provoque le zapping et les spasmes du plexus solaire, si douloureux.
Depuis quand les derniers reliquats traumatisés d'une hégémonie déchue sont-ils habilités à prédire la chute prochaine des nouveaux maîtres? Seule une puissance ascendante concurrente a quelque crédibilité en cette matière. Mais ces Français, vraiment, ce qu'ils sont chou, avec leurs petites leçons clandestines honteuses d'anglais, et leur petit bout de langue rose qui cherche affolé un endroit où se poser près des palettes pour prononcer les th sans que ça sorte comme des z, sauf qu'ils n'y arrivent pas, jamais, le petit bout de langue glisse et l'haleine mentholée siffle entre les dents de devant tant et si bien que zi américane aimepayeure cane slip on it's tou irz tounaïte.
Visite de Don Jose Acquelin. Lui ai remis son exemplaire d'Origines, dont il signe le puissant exergue.
C'était l'une de ces soirées vacillantes enceintes de cent possibles, certains sans mémorables conséquences, d'autres aux fantastiques effets futurs. De ces soirées dont on se dit cependant même qu'elles se déroulent: «Je ferais bien de graver chaque détail dans ma mémoire, au cas où ça reviendrait sur le sujet quand nous serons très vieux.»
C'était Cynthia, Kevin et moi, et Mario jusqu'à ce qu'il retraverse le bras de fleuve, un peu après minuit, mais après c'était nous, nous au billard, nous au pichet, nous dans le Parc assassinant Amazing Grace et nous flairant la patrouille avant qu'elle ne nous entende et nous nous taisant en choeur. Nous rentrant au Bunker et Kevin montant chercher chez Steve ce qu'il y avait remisé au frais, puis nous trois à nouveau, et cette fille à qui j'avais décidé de ne pas faire de cadeaux, parce qu'elle n'en aurait pas besoin et qu'elle n'en voudrait pas si elle les méritait, et qu'il ne fallait en aucun cas lui en faire si au contraire...
Bref, savoir ce qu'elle a dans le ventre, savoir si KV s'aveugle ou voit des inventions évanescentes, savoir si elle est intelligente par-delà le charme pétillant, savoir son caractère et sa carrure, si elle s'effrite sous la pression, savoir son coeur, son sérieux, son souffle et sa verdeur.
Quel soulagement, alors, quelle joie sans partage, de découvrir en elle beaucoup de ce qu'il avait dit et plus encore dont il n'avait pas parlé et de la voir ne presque rien casser, puis rester calme cette fois, sa voix sans fièvre et son visage résolu à prendre petits et grands drames comme ils viennent, en grappes ou un à la fois, puis écouter quelques chansons encore inconnues d'elle avec d'avides oreilles et d'attentives expressions et s'offrant ainsi à l'insu avec force et confiance et laissant même ses traits trahir la joie et le plaisir de découvrir.
Ainsi donc, c'est bel et bien une femme pour lui, et c'est réglé dans mon esprit. Elle est à l'évidence éprise de ce Vigneau et lui-même est fou d'elle, fou imprudent, fou fataliste, il ne voit pas comment l'aimer autrement qu'en lui donnant tout, c'est ainsi qu'il conçoit la chose, et je me fâche, je dis tu mens, je dis on ne saurait donner que ce qu'on est, et c'est déjà beaucoup, mais offrir une version raffinée sophistiquée de soi-même c'est tricher, nonobstant la chevaleresque intention sous-jacente, c'est donner moins que tout, c'est donner du vent d'Espagne, de ceux dont on fait les châteaux, c'est semer le germe de votre fin alors même que vous commencez, et vous serez très malheureux, toi surtout, et tous deux croirez que l'autre l'a trahi. Or, ton vrai visage est si séduisant, ton amour pour tes livres rares et ce qu'ils t'ont coûté et toutes ces histoires qui te dessinent et que tu tais parce qu'elles te gênent... Laisse-la tomber amoureuse de tout ce que tu es. Fais un acte de foi, maintenant, au début. Pose une fondation solide. Apprends de tes erreurs passées. Donne-toi une chance. Et annule l'abonnement à Blockbuster avant que le mec qui a trouvé ton portefeuille se monte une collection de DVD à mes frais.
Roulé des cennes noires.
Dernières dates officielles pour la sortie de Vacuum: réception des livres le 22 mai, lancement le 27. Me sens comme dans un cauchemar, quand on court vers un horizon qui recule. Avec un peu de chance, et de patience, je ne serai pas forcé de venir à résipiscence d'avoir attaché mon étoile aux fortunes de cette maison.
Les vivres manquent et la tabatière est vide, mais la disette ne m'effraie plus depuis longtemps. Il se passe toujours quelque chose, l'opéra ne finit pas, la grosse femme se râcle la gorge mais jamais ne chante...
Mario s'est amusé avec son nouveau logiciel et m'a créé une pub animée pour Origines, «maintenant disponible en librairie». En espérant que ce soit vrai.
Le Vigneau des grands soirs nous a torché hier une manière de sauce à la diable dont les accents me chantent encore en bouche plus de douze heures plus tard. Voyons voir: il a pris du ketchup, de l'eau, un filet de bière pour la mousse, de la poudre à poutine, du poivre, du paprika, des épices à chili, des épices à bifteck, de l'ail et de l'oignon, le tout mêlé en une mixture d'un beau brun roux profond qui fait palpiter les patates! J'en refais derechef, et j'ajouterai du cocktail de légumes, de la moutarde sèche et de la base de boeuf. Vais m'en mettre plein la gueule pour pas un rond.
Passé la soirée à sacrifier, avec Kevin, les cadeaux de Dominique. Vers le douzième cadeau chacun, on regardait Forrest Gump, on s'est mis à brailler comme des mules et ça nous a fait du bien, et on se relançait le rouleau de papier-cul. On épongeait nos saintes faces et on se préparait à mordre dans le roman de Mario. On était de gluants et amicaux rouages de la machine littérature. «J'ai frisé, a-t-il dit en se tordant une mèche autour du doigt, t'as remarqué?»
Après vérification approfondie auprès de Christine, une libraire de ses amies qui a interrogé son ordinateur magique, Aphane m'informe que mon livre Origines n'est pas encore officiellement sorti, mais sera sur les rayons bientôt. C'est une sorte de bonne nouvelle.
La pneumopathie pandémique va faire qu'on prendra bientôt la température des passagers dans les aéroports internationaux. Déjà qu'on les fouille à nu depuis le 11 septembre, pourquoi pas tant qu'à y être leur enfoncer un thermomètre dans le cul?
Finalement, le seul inconvénient de l'aviation commerciale, c'est les passagers.
À nouveau rêvé que je gamahuchais Chantal Pary au-dessus d'un précipice tandis que son chum, un noir acteur de cinéma, me piquait mes meubles.
La quatrième fois était la bonne: j'ai poireauté, patient, trois heures durant pour voir un gentil docteur, portrait craché d'Henry Kissinger, lequel en trois minutes m'a rédigé une ordonnance, puis une recommandation avant de procéder à l'ablation d'un polype qu'il m'a déposé au creux de la paume dans l'odeur de chair grillée. En plus, il ne m'a pas compté l'anesthésie.
Reste à me décider à aller chercher mes timbres nicotinés. La pharmacie est juste en face du magasin de tabac.
Visite-éclair de Hans et sa fille Fauve. Cette petite sort vraiment de l'ordinaire. M'ont offert un calepin noir et une mignonnette de Johnnie Walker. Hans a publié sa première nouvelle dans la revue l'Embarcadère sous le nom de plume Félix Daoust. N'est pas encore prêt à me la montrer. Grand timide.
Encore aucun cas de SRAS (Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu Sévère, quelle appellation grotesque et pléonastique, et par-dessus le marché il manque une lettre!) répertorié au Québec; seule sévit toujours l'épidémie d'acronymes désincarnés. En France, on parle plutôt, et plus simplement, de pneumopathie.
Plongé dans la saga des derniers Valois. Dallas, à côté, c'est les Télétubbies.
Selon mes espions (Mario), Origines est distribué de façon assez atroce. Ni Renaud-Bray, ni la librairie du Square, ni le Parchemin ne l'ont en stock, et les commandes affluent. Le coup d'encensoir de Fugère n'aura servi à rien.
J'approchais des bureaux de Triptyque, où j'allais montrer à Laverdure la toile de Kevin que j'espère utiliser en couverture de Fontes, quand un facteur motorisé m'a interpellé pour me demander où se trouve la rue Christophe-Colomb. Quiconque attend un chèque urgent par le truchement du courrier serait bien avisé de ne pas retenir son souffle.
Me suis cogné le nez pour la troisième fois à la porte d'une clinique fermée. Les dieux veulent que je fume.
Ai acheté le premier maïs de l'année, gonflé, doré...
Tintin doit se retourner dans sa tombe belge. On arrête des reporters aux bagages bourrés de trésors pillés en Irak.
Il a neigé ce matin. Vais faire un saut chez Trait d'Union avec Dominique; au retour, cette protectrice des arts va s'arrêter au magasin de bière Molson.
Avril ne m'inspire rien que de très ordinaire.
Journée mondiale du livre et du droit d'auteur! On a beau annoncer de la neige pour cet après-midi, voilà une fête qui ne me plonge pas précisément dans l'esprit de Noël. De la neige un 23 avril, misère. Dire qu'hier, Mario a tout astiqué mon ventilateur.
Suis davantage excité par l'annonce d'un faisceau de preuves semblant démontrer qu'un certain Fred Fielding serait Deep Throat.
Allé voir Catch me if you can avec Mario. Ce Frank Abagnale Jr m'avait donné de bien vilaines idées il y a vingt et quelques années, une façon de nourrir ma jeune femme enceinte, qui m'avaient foutu dans une merde bien grasse, mais heureusement on m'avait jugé au tribunal juvénile, qui avait tenu compte de l'influence du livre sur mon esprit délicat.
Passé par Trait d'Union. Joie de voir mon fils y travailler dans la joie. De savoir où le trouver quelques heures par jour.
Mario: «Faut qu'on maigrisse, Christian. L'autre jour, dans le métro, je vois un de ces jeunes salopards en train de remonter l'escalier roulant descendant, à reculons! Je l'aurais étranglé, si j'avais pu l'attraper...»
Pas mis le nez dehors de toute la fin de semaine. Suis sage comme un mort.
Passé la nuit en rêve à extraire des tacots des eaux glauques de la Richelieu.
Une chance que mes amis (Phaneuf, Lemoine, Laverdure) ont la radio et qu'ils l'écoutent, sinon j'ignorerais encore que Jean Fugère a chaudement recensé Origines à R-C ce matin.
Finalement vu La dernière tentation du Christ. À Paris, en 1989, les intégristes incendiaient les cinémas et j'avais remis l'expérience à plus tard.
Bush joue au jeu du shah et de la Syrie.
Jésus est-il vraiment ressuscité, ou est-ce que Pâques n'est qu'un très vieux poisson d'avril?
Hier, Mario m'a apporté deux copies papier de son roman Accroires, une pour Kevin, l'autre pour moi. Il en a remis une troisième à Bertrand Laverdure, rencontré dans le métro. La machine littérature tourne. Ai recommandé au Lemoine de se reposer deux ou trois semaines avant qu'on s'enfonce les dentiers dans sa prose.
Passé la nuit dans le cosmos du manuscrit de Mario, livré tout chaud, cinquante mille mots sur écran cathodique, les yeux me sortent de la tête et le coeur me sort du thorax, il a travaillé comme une bête et c'est bon, je crois, je pense, je me fais pas confiance, pas encore, il a besoin que je sois impitoyable et sans passion pour être sûr que j'aime ce que j'aime, enfin la tribu de nous trois s'y mettra, lui pis moi pis le Madelinot, on va fesser dans le tas de texte et voir ce qu'il a dans les tripes et essayer de le décrisser phrase à phrase et s'il tient par dieu on fêtera le roman de mon pote.
Jasmin, cette grise guenille de fils de pute, évoquant mon livre dans son Journal web: «Origines (Trois-Pistoles, éditeur) du jeune batteur de femme, Christian Mistral. Des aveux, une confession, un conte fou.» Pour lui, Guillaume Vigneault sera toujours le fils de Gilles, et moi l'enfant de mes condamnations. J'ai si hâte qu'on soit tous morts depuis cent ans, histoire de mesurer ce qui reste.
En attendant, j'aurais aimé qu'il me dise ça ce week-end à Québec, au lieu de me faire des yeux de poisson mort. Il serait revenu avec les idées plus claires sur ce que je suis disposé à battre si on m'y force.
Le Éric s'est résigné à s'endormir sur le sofa, vu que je refusais de le laisser sortir dans cet état. Le Kevin s'est gréé d'un clavier flambant neuf («lactescent», m'écrit-il) et ça m'est d'un grand réconfort, car je ressentais les premières morsures du manque. Sa passion exigeante pour Cynthia conjuguée à sa récente incapacité de m'écrire me causaient un certain désarroi, et je crois que c'est ce qui l'a poussé à abréger sa phase retour au Moyen-Âge: peut-être aussi s'ennuie-t-il de mes lettres, car quelle que soit la technologie employée, il faudra toujours donner des nouvelles pour en recevoir.
La Dominique est passée. On a parlé bizness. En partant, elle a demandé: «Vas-tu écrire que je suis venue?» J'ai répondu: «Oui, bien entendu.» Elle a poussé un soupir exaspéré: «Je vais encore recevoir quatre e-mails demain avec l'extrait de ton Journal et un point d'interrogation ou d'exclamation ou quelque chose, quatre crétins qui s'imaginent que je suis pas au courant!»
C'est ta faute, je réplique. T'as qu'à leur dire de se mêler de leurs affaires. C'est quoi, que tu leur dis?
Je leur dis rien, elle avoue. Ou alors je leur raconte que tu as créé un personnage, moitié moi, moitié fiction.
Ah bon, je rétorque. Alors, y a pas de problème.
Jean-Christian semble abattre du bon boulot chez Trait d'Union, ce qui m'emplit de fierté et de satisfaction. Il a appris un nouveau mot: népotisme.
Rogers a enregistré une hausse de revenus de 16% dans sa division sans-fil au cours du premier trimestre. Directement attribuable, j'en suis sûr, au paiement de ma facture.
Le constant report de la sortie de Vacuum (dernière date: mi-mai) m'irrite fort, surtout parce qu'on ne m'en avise pas et que je dois sans cesse aller aux renseignements.
Je m'en lave un peu les mains en me plongeant dans la lecture de Chesapeake, par James Michener.
Il m'écrit, sous le titre Petite rectification: «Je t'envoie ce mini-courriel pour te dire que Éric McComber a publié un roman chez Triptyque intitulé Antarctique, et non un recueil de poésie, ergo, il doit donc être considéré comme un romancier. Mais je comprends que l'on puisse aussi utiliser le terme de "poète" comme Aristote l'utilisait dans sa Poétique. Je te laisse le bénéfice du doute.»
Il me laisse, à moi, le bénéfice du doute. C'est si délicat de sa part que je n'ai guère le choix d'en faire autant, et c'est pourquoi je tais son nom. Peut-être a-t-il trop bu. Peut-être a-t-il soupé de fruits de mer avariés. Il doit avoir une bonne raison pour faire semblant de croire qu'il faut avoir publié un recueil de poèmes pour être poète, et que la publication d'un roman fait d'un homme un romancier à l'exclusion de toute autre qualité, et que je vais tolérer sans réagir incontinent qu'on intervienne ainsi dans ma relation avec la langue française. La Poétique d'Aristote, calvaire. Bénéfice du doute, indeed.
Rouge orage hier sur l'anti-pays. Dimanche, Gaston L'Heureux m'avait déjà fourni des chiffres semblables, qu'il tenait de Bernard Derome, et Gaston soudain portait bien mal son nom...
Enfin, l'épouse du nouveau Premier Ministre n'est pas vilaine à regarder.
Quant à la campagne d'Irak, elle est à peu près finie, et si Bush peut se retenir un mois d'avaler la Syrie, je pourrai peut-être mener ma propre campagne pour Vacuum en paix.
Samedi, au stand, un caméraman s'est campé derrère moi, un genou en terre. J'ai dû m'y reprendre à trois fois avant qu'il consente à me révéler pour qui il travaillait: Mario Dumont et son entourage approchaient, et on espérait tourner du métrage pour les infos de six heures. J'ai décliné, éberlué: ou bien ma cote remonte, ou bien Mario savait déjà qu'il allait perdre big time et se fichait de tout.
En retournant à l'hôtel, j'ai croisé McComber, à qui j'ai dit en blaguant que j'étais là incognito. «Moi, répondit-il, je serai toujours incognito».
«On sait jamais, Éric, ça pourrait changer!» lançai-je avant de m'éclipser. Le lendemain, j'apprends que le poète était passé au Canal Nouvelles pour avoir refusé de serrer la main de Mario. Depuis le matin, trois adéquistes l'avaient déjà insulté en plein Salon. Le début de la gloire.
Le plus drôle, ce week-end, c'était quand Michel Chartrand venait nous visiter. Jasmin et lui commençaient à s'engueuler gentiment à propos de Nathalie Rochefort et soudain cent, cent cinquante personnes s'agglutinaient devant le stand (Victor-Lévy: «Vous savez, on a aussi des livres!»). Kevin, parti chercher de la bière, revenait et, voyant ça, craignait que j'aie créé un esclandre...
Sitôt Chartrand parti, la foule s'évaporait et Jasmin retournait à la lecture de mon livre et moi à celle du sien.
Glorieux week-end à Québec, sobre et serein, avec Kevin. Salon du livre. Stand Trois-Pistoles. N'avais pas apporté mon chapeau, ni K sa pipe, pour laisser toute sa place à VLB. Belles longues périodes avec Guillaume. Comme dit Kevin, «on sentait que ce n'était pas la première fois». Bons brefs moments avec Solène et Louis. Chambre d'hôtel telle qu'à Paris. Rencontré de bons lecteurs.
Relu Origines. La maïeutique du dernier tiers, articulée par Kevin, demeure la meilleure part.
Pas vu Pénélope. Vu, par contre, Sylvie Pierron, ma doctoresse en littérature, qui m'a apporté la transcription de notre entretien du 6 février. Drôle et pas con.
Cette semaine, le travail sur Vacuum a vraiment merveilleusement progressé, grâce surtout à Sophie Ginoux qui s'est investie above & beyond the call of duty, allant jusqu'à blanchir une nuit pour réviser les corrections des révisions et traquer les espaces trop larges ou pas assez et harmoniser la typo de la première à la dernière page. Pour finir, ce matin, elle a suggéré qu'on utilise un papier crème et une couverture satinée lustrée. Ça va être beau en tabarnak.
Descendu à pied dans le Vieux-Montréal, étourdi, allégé par cette superbe journée d'avril. Livré ma demande de bourse au CALQ. Au retour, acheté Un amour de Swann et Le Rouge et le Noir. Le vent tourne du bon bord, on dirait bien.
Jean-Philippe Gaudet a livré le logo de ma collection.
Maxime est à Bordeaux, Eddy s'est fait casser le nez dans une bagarre et Kevin ne sort du lit que pour me passer un coup de fil rassurant, avant d'y retourner rejoindre sa délicieuse.