16.8.12

Djemila Benhabib, Jean Tremblay: se crucifier et se lapider à gogo

Laïc, agnostique ou athée? Rien de ces trois trucs-là n'est le même, et on n'a toujours pas abordé les différences religieuses.

Pour ma part, j'ai abjuré la foi catholique au début de la vingtaine, parce que l'idée d'avoir été coopté avant l'âge de raison m'enrageait, mais surtout parce que je ne croyais plus en Dieu. Or, quand on a mûri depuis le berceau jusqu'à l'adolescence avancée dans une certaine idée du divin, un contexte culturel, familial, personnel, rituel, paramétrés par le concept d'une Création, d'un sens à la vie et d'une suite à la mort, ne plus croire en Dieu est une infiniment pénible perte. Personnelle. Une peine d'amour sèche, sale et sciante. Ce vide, à la rigueur, peut toujours se combler à grands renforts d'intellect: une pelletée de philosophie par-ci, un gros tas de raison pure par-là. Mais la soudaine, insondable solitude, elle, ne se soigne pas. La nature, dont la science a démontré qu'elle a horreur du vide, ne remplit pas celui-là. Dieu n'est probablement pas affaire de nature, mais de culture, alors. Eh bien, justement...

On n'a cessé, ici, de condamner l'alibi des Yankees pour leurs guerres d'agression: instaurer la démocratie, l'économie de marché, l'égalité, la liberté!

Parce que, vrai, c'est un processus. Ça prend du temps.

Or, c'est pareil pour nous. Qu'est-ce qui presse tant? N'avons-nous pas abattu assez de nos symboles historiques dans l'hystérique feu de joie qu'allumèrent les Boomers dans la seconde moitié des sixties, un incendie qui leur a échappé et qu'ils ne se sont jamais souciés d'éteindre ensuite, un brasier criminel, qui a presque tout consumé ce qui les a précédés? De cette terre brûlée, calcinée, le printemps dernier nous a donné l'espoir qu'une nouvelle germination de bleuets pourrait surgir...

Il faut comprendre les Canayens choqués par l'intervention de Djemila Benhabib. J'ai l'impression qu'elle-même les a  compris. C'est un processus. Le crucifix, le drapeau, la croix du Mont-Royal, le reliquat de la foi de nos grand-mères, les églises immenses et magnifiques bâties partout sur notre territoire au prix d'efforts et de sacrifices inouïs: la Foi était vraie, authentique, nos parents n'étaient pas des imbéciles ni des victimes du Vatican sous la botte du clergé et de l'Union Nationale.

Jean Tremblay, ce qu'il dit, à mon avis, et qui a résonné sans conteste en un tas de monde comme un battant dans une cloche qui sonne les Vêpres, c'est: «Eh! Chose! La nouvelle! OK, OK, mettons que notre mère était une putain: c'est pas une raison pour que t'en jacasses sur le perron de la Cathédrale pendant qu'on procède aux funérailles en famille...»

5 commentaires:

Le plumitif a dit...

Ce qui me frappe le plus dans ton propos, c’est à quel point ton athéisme est respectueux des croyants. Et je réalise que c’est sans doute la marque d’une authentique incroyance, qui a véritablement mûri. Combattre le pouvoir religieux, c’est une chose; mais mépriser la Foi, c’est peut-être ne s’en être justement pas véritablement affranchi et lutter d’abord, au fond, contre une part de soi dont on n’est pas encore prêt à faire le deuil.

MakesmewonderHum a dit...

Depuis que Dieu maîtrise le mandarin, il se câlice pas mal de Jean Tremblay pis des cathédrales pas chauffables. Le rythme auquel on abandonne les symboles, plus près de l' idolâtrie que de la Foi, dépend bien plus de l'opposition fanatique des intégrismes et de leurs soubresauts que de notre volonté à créer un réel espace laïc moins "stuffé" et qui, a la limite, peut même affirmer qu'un sapin de Nouël est nul autre qu'un sapin baumier avec des lumières dedans à $19.95, pas ti-Jésus, ni de roi-nègre en d'sous.

Pour ce qui est d'attribuer spécifiquement à une génération d'avoir mise l'feu plutôt que de reconnaître que ce qui est bancal finit toujours simplement par tomber de lui-même, l'Histoire de l'humanité nous le raconte si bien, page après page, et bien tout cela relève de l'obstination à ne pas changer de cible, lorsqu'elle est déjà pleine de dards épointés dans la marge!

Mistral a dit...

Ding ding! Qui c'est qui sait lire entre les lignes et réagir avec un parfait timing? Good ol'Plum! Again. Always.

My turn, let me try!

Ton comm, c'est l'essence même de mon propos, que je ne pouvais écrire en substance sans justement ruiner l'intention: vois-tu, l'explication que tu proposes comme une possibilité est aussi quasiment pareille à mon opinion que le sont deux chansons d'Éric Lapointe entre elles, sauf qu'il m'a fallu bâtir le texte de telle façon que cette opinion en émane implicitement, autrement je tombais dans la polarisation ordinaire entre moi et trois millions de zombies qui se figurent affranchis de la question de la Foi, et j'aurais fini par donner Martineau en exemple, gâchant tout.

Mais ce texte avait besoin du morceau invisible, en tout cas moi j'avais besoin de savoir qu'il soit possible de le voir: en l'apportant ici, tu me fais un grand bien.

Sinon, what's new? Found any good porn lately?

Le plumitif a dit...

:-)

parlant de porn, les comiques qui s’essayent à nous pervertir les beautés de la campagne en été, entéka, y vont salement dans le gross – heu... j’viens-tu d’ pléonasmer moé là?

Mistral a dit...

Salut, Makes.

Ça te fatigue, hein? C'est gossant d'être un Boomer par les temps qui courent, de plus en plus vite, qui achèvent, qui s'amenuisent dans le sablier. Sûr, c'était plus marrant en 1965, plus excitant en 1975, plus confortable en 1985, puis ça s'est progressivement gâté, right?

L'idolâtrie, la Foi: quelle différence? Et qu'est-ce que ça peut te foutre si les églises sont dures à chauffer et que leurs toits coulent: c'est pas toi qui paie la dîme, c'est pas toi qui contribue à la quête pour réparer ni pour chauffer, c'est pas tes taxes, c'est des petits vieux, surtout. Ah! Ces encombrants sépulcres blanchis, idolâtres et ignorants! Que ne nous en sommes pas débarrassés en même temps que de l'eau bénite et du cours classique!

L'Histoire de l'humanité, dude, ne nous raconte absolument pas ce que tu y lis, page après page: elle raconte l'exact contraire, mais quel Boomer s'est déjà penché sur l'Histoire de l'humanité, outre le tome qui commence en 1945?

Ce qui est bancal finit toujours simplement par tomber de lui-même? Vraiment? On parle de quoi, là, l'empire romain, genre? Ou les systèmes de croyance des diverses civilisations à travers les âges? La peur du tonnerre qu'éprouve un enfant, la peur de la mort que ressent un malade ou un vieillard, le réconfort que les symboles ou les idoles apportent à ceux qui l'y trouvent, dis-moi, quand dans l'Histoire de l'humanité ces choses bancales ont-elles été balayées en l'espace de vie d'une seule génération miraculeuse?

Les Boomers sont collectivement vandales, et ils n'ont jamais collectivement mûri. Individuellement, c'est autre chose. J'en connais, tiens, toi par exemple, j'en connais que je ne déteste pas. J'en connais trois. Ils étaient cinq, mais deux sont morts. Supposément: j'ai eu beau aider moi-même à les inhumer, je m'attends toujours à ce qu'ils ressortent de terre, en bons zombies Boomers pure laine.