12.6.03

Sauvé temporairement, mais l'est-on jamais autrement? Signé le contrat pour Fontes avec Robert Giroux et l'ai convaincu de me verser un à-valoir, le premier de sa carrière d'éditeur. L'intercession de BL n'est pas pour rien dans ce triomphe. Ni le fait que Giroux soit foncièrement un bon jack.

10.6.03

Descendu voir JC chez Trait d'union. En ai rapporté le premier manuscrit spécifiquement soumis à ma nouvelle collection. Hâte de m'y plonger.



Ai longé le bassin sinuant dans le parc, ses rides d'eau grises et violacées.

9.6.03

Retour de la réception qui suivait l'assemblée générale annuelle de la SOCAN. À l'assemblée elle-même, j'avais envoyé une procuration pour me représenter, déléguant Gilles Valiquette, celui-là même dont j'ai dû racheter trois fois le 45 tours autrefois parce que ma mère l'arrachait du tourne-disques chaque fois qu'il arrivait à «C'est pas ma faute si l'monde c'est tous des pieds!».



Au buffet, j'ai préféré me représenter moi-même. Passé deux heures agréables près du piano à queue, lui-même situé par hasard près du bar, en compagnie de Jean-François Landré, frère de Nic, fils de Claude et cousin de Claude (André). Il m'a expliqué plein de choses ayant trait à cette industrie en termes clairs et comiques. Quand on nous a photographiés pour la revue, j'ai passé d'instinct mon bras autour de son cou. Puis, Pierre Leith, le Capitaine Nô en personne, est venu m'offrir de collaborer avec lui, et JF lui a parlé de son père, comment il aimait enrager les gens comme un jésuite, pour les révéler à eux-mêmes, et on voyait qu'il était allé à bonne école: quand je suis parti, Leith était déjà en tabarnak.



En sortant de l'hôtel Delta, j'ai croisé un mec en queue-de-pie et haut-de-forme qui traversait Président-Kennedy en unicycle.



Dans l'autobus, comme d'habitude, il y avait plein de gars au crâne rasé. Comment les vieux pouvaient-ils craindre les hippies en invoquant leurs cheveux longs? Il n'est rien de plus inquiétant qu'un homme au crâne rasé. Même les falots font peur. Faut lire leurs yeux pour savoir ce qu'ils ont dans le coeur.



L'autobus m'a déposé près du Bunker. Je suis revenu sur mes pas dans la pénombre et ai pénétré dans le parc, hypnotisé par le losange vert baigné de lumière où s'agitaient des joueurs de baseball amateurs, et je me suis assis, seul sur le dernier gradin, suçotant un mégot, pour assister aux dernières manches.
Sécheresse et désolation. Crevasses et gerçures. Plus rien à vendre et rien d'humide à l'horizon.

8.6.03

Sylvain Trudel, le cher homme, signe un article lumineux sur Vacuum dans Le Soleil dominical.



Presque tous les commentaires à ce jour me donnent à penser que la figure de Kevin est une réussite littéraire, comparable à celle de Léo dans Valium. C'est dans cet esprit que je l'ai dessinée, étudiant le modèle, et de n'avoir pas échoué à la tâche me comble d'une durable satisfaction.



7.6.03

Monté voir CGDR. Son histoire d'amour clandestin, commencée le soir de mon lancement, le rend heureux et communicatif comme un ado, ce qui ne signifie pas qu'il révèle grand-chose, et bien que lorsqu'on s'arrête à y penser, les ados soient tout sauf heureux et communicatifs. En tout cas, il nettoie son studio, change les meubles de place et ses oreillers sont logés dans de nouvelles taies féminines, en tissu imprimé de petits animaux mignons.



Croisé Steve Hill, bicyclettant. M'a répété son numéro de téléphone. Le meilleur guitariste au pays à vélo, c'est comme Wayne Gretzky jouant du piano. Obscène, presque.
Entrevue, CIBL, 14:00.



Certains vomissent avant un show. J'introduis une variante: je dors douze heures, je me lève d'un coup, j'éternue, j'éponge le sang et je suis prêt pour l'antenne.



Aujourd'hui, vais peut-être développer l'idée de Fred selon laquelle j'ai écrit un reality book, dans la zeitgeist de la télé-réalité...

6.6.03

Barbecue, conversation littéraire puis sweet nuit réparatrice avec la douce, comme on s'insinue dans un bain bouillant: en prenant tout son temps.

5.6.03

Quand j'y songe, ce que la notoriété a fait de mieux pour moi, et de moins pire, c'est me faciliter l'accès à tout un tas d'autres mecs et mèches notoires. Aussi, plutôt que mon idée de samedi dernier, quand je songeais à éditorialiser, peut-être interrogerai-je mes connaissances pour la postérité. À moins que je ne m'empoigne sereinement le cul jusqu'au Jugement Dernier. Cela mérite réflexion.
Causé avec ma «grosse crapaude gluante». L'ai bisoutée au téléphone. Il n'est pas simple d'aimer un écrivain, une écrivaine, et les contes de fée font des tête-à-queue malsains, malsaines (les fées).

4.6.03

Guig Vigneault compare son chantier buccal à mes travaux de voirie. Les écrivains mangeraient-ils trop de sucre? Il ne me dit pas au juste combien va lui coûter son gros oeuvre dentaire, « parce que tu risques de venir me les péter toutes gratuitement par charité chrétienne.»



Tombé sur François Charron à la Centrale. Ça devait bien faire dix ans. Il m'a parlé de son essai biographique sur Hector de Saint-Denys Garneau, et je l'ai emprunté sur-le-champ. «Je me suis dit qu'il était temps que je devienne un véritable écrivain, que je publie une brique!» m'a-t-il dit, ne blaguant qu'à demi.



Sur Saint-Denis, croisé Louis Gauthier, qui me demande comment je vais. «Je tiens le coup!» réponds-je. «Ouais, fait-il; c'est un minimum.» Un minimum vital, j'ajoute en lui envoyant la main.



Et je vais vendre quelques bouquins.



Pincements, tiraillements, crampes du mauvais côté du poitrail. Pas encore d'engourdissement dans le bras. Se trouverait-il au monde une seule personne pour s'en surprendre si j'en claquais une bonne?

3.6.03

Hans vient de m'appeler pour lever l'embargo sur la triste nouvelle de sa rupture avec Chantal, survenue il y a quelque temps. Il voulait attendre pour l'annoncer aux enfants, afin de leur éviter un traumatisme indu en fin d'année scolaire. Alors il a touché le fond tout seul, et avec moi un petit peu, mais surtout seul, prenant congé de son travail, et ce soir il s'est senti remonter à la surface, commençant à distinguer le moins mauvais côté des choses, et il a parlé aux gosses. De la valeur de l'engagement, de l'arbre qui dissimule la forêt, de peine et de rédemption. «Ils sont fantastiques», dit-il. «Je suis gâté. Ils comprennent tout.»

2.6.03

Pourquoi c'est que les plus jolies gonzesses travaillent pour les journaux ou la radio, cependant que les boudins monopolisent la télé? Excepté à la météo, mais autrement, c'est sale gueule et compagnie, des voix de râpe à fromage et des coiffures comme aux lendemains de quand ma soeur s'endormait en mâchant de la gomme balloune; attifées comme la chienne à Jacques, que je n'ai jamais vue mais dont on m'a beaucoup parlé, et semblant tout droit sortir d'une intensive session de lavage de vaisselle, tant on croirait les voir empoigner le micro d'une main gantée de caoutchouc jaune pâle, et de topo en topo nous martelant le même message sous-jacent: «I could be a cute chick, but then men wouldn't take me seriously anymore, as a woman and as a journalist, so I go to great lenghts to make myself bland, plain and down right ugly, so you'll listen to me instead of staring at my tits!»

1.6.03

Levé à 18:00. Dix-neuf messages en attente. Suis sorti faire les magasins pour trouver un exemplaire de La Presse et le texte de Chantal Guy. Après lecture, me sens aux antipodes d'hier. L'honneur du journalisme est sauf. C'est injuste pour elle que je ne sois pas motivé à écrire autant quand je suis content que lorsqu'on me fout en rogne.
Chaque fois que l'un de nous s'est trouvé mal en point, Annie et moi avons remisé nos désaccords, psschhtt! évaporés, à se demander ce qui nous empêche de le faire en temps normal, quoi qu'il en soit ce soir encore nous étions réunis par un train d'électrons et elle m'écrivait des choses parfaites, mesurées avec soin, livrées dans un ordre suisse à intervalles subtils comme ceux d'une partition de Satie. On aurait dit qu'elle désamorçait une bombe.



Puis, elle m'a ressorti un mail que je lui avais adressé il y a plus d'un an. Un parmi mille et quelques que nous avons échangés. Un jour, son ordinateur a flanché et elle a tout perdu, mais celui-là, elle l'avait conservé, imprimé, souvent relu. Il y était question du journal comme cabanon inflammable impropre à loger une prose incandescente, et du roman qui prend de l'expansion à la chaleur, et de l'alchimie qui transmute le réel en oeuvre d'art. Je ne reconnaissais rien de ce que j'avais écrit, mais je trouvais ça plutôt puissant, et on ne peut plus approprié. Ainsi, Annie avait mis un peu de mon esprit de côté, en sûreté à la banque Strohem, comme en prévision d'un jour où j'en aurais besoin à mon tour.



Puis Ginette m'a écrit aussi, et ça a achevé de me remettre d'aplomb, avec ce ton qu'elle a, toujours juste, jamais trop ni trop peu, un don rare qui ne s'enseigne nulle part.



J'allais fermer boutique, éteindre la lucarne pour ce qui reste de la nuit, quand un dernier message a déboulé en grondant. Mon fils. La différence entre dormir en paix et dormir heureux. Il disait Dad on les encule (je paraphrase). Il parlait de boucs miteux et il disait: «Encore une fois tu lances un livre sur le marché qui est impossible à cerner», et il ajoutait que je les boufferais pour déjeûner, eux, les autres; enfin, il me servait de grandes rasades de la médecine dont il sait qu'elle me soigne, au goût de coup de fouet sucré.





31.5.03

C'est toujours le dernier arrivé qui paie pour les autres. C'est injuste. C'est humain. C'est peut-être la même chose.
À part ça, ma foi, il y a Réal, mon Réal, Yté, l'Amèriq indigné comme un seul homme, seul, qui s'est porté à ma défense aujourd'hui, probablement pendant la sieste des enfants. Je ne suis pas gourmand. Tant qu'il subsiste un honnête homme, égaré dans les allées de ce cyclopéen Wal-Mart que nous appelons une civilisation, je continue à me creuser, j'écris le maigre et puis le gras et puis le gris je le colore; un honnête homme, ça paraît peu, sauf si l'on songe que Diogène n'en dénicha jamais autant.



Ce qui me scie à l'os, tout bien pesé, c'est que je ne peux plus décemment interrompre le Journal maintenant, pas aujourd'hui, pas après ça. On jaserait. Faut que je rame encore un bout. Ah, l'ordure! Ah, le bélître! Ah, le touriste!
J'avais jasé avec lui jusqu'à tard dans la nuit, aussi quand peu avant une heure et demie je suis monté chez Steve, l'ai sorti de la douche et lui ai demandé de syntoniser CIBL, il ne m'a pas reçu avec des débordements d'aménité.



J'avais encore le souffle court, irrégulier, comme si j'avais reçu un grand coup de botte vicieux au creux de l'estomac, ce qui était un peu le cas. Puis je me suis rappelé que CIBL devait parler du livre en début d'après-midi, et entre me claquemurer dans le Bunker où il n'y a miséricordieusement pas de radio et courir encore ma chance comme un gambler pathologique, j'ai décidé de relancer les dés.



Le coucou de Stevie a sonné la demie tout comme il stationnait l'aiguille sur 101,5 FM, l'émission était à moitié consommée, pourtant c'est à cet instant précis qu'elle s'est mise à parler, comme si elle m'attendait pour commencer. C'était Johanne Viel. Tout ce que je savais, c'est que sa pénétrante intelligence fonctionne d'une façon qui ne m'est pas étrangère, et qu'elle avait préparé le premier pâté chinois de sa vie la semaine dernière après avoir fini de me lire, mais je n'étais pas certain de ce qu'il fallait en déduire, même si son chum s'en était montré enchanté. J'étais si fébrile que j'arpentais l'appartement de long en large en sautillant, sous le regard de Steve qui hésitait sur l'attitude à adopter, et je gesticulais pour lui faire comprendre que je lui expliquerais tout après, et j'écoutais, écoutais, pendu à sa voix comme si ma vie en dépendait, et je priais presque, j'en oubliais que je suis un païen, je priais et mendiais quelques paroles honnêtes pour mon livre, et pourquoi pas tant qu'à y être un mot gentil, en tout cas pas trop dur.



Or, phrase après phrase sans ralentir, non seulement elle lui rendait ample justice mais elle touchait toutes les bases sans en oublier une seule et elle expliquait ce que c'est en termes plus cristallins, plus concis, plus nets que je n'y suis moi-même arrivé, et elle riait en citant des passages, et c'était soudain comme si on m'appliquait une compresse d'eau fraîche sur le visage, me donnait le temps de reprendre mon souffle et mon courage. C'est seulement là que j'ai réalisé toute l'ampleur de ma solitude et de mon désarroi depuis le matin: quand j'en ai été soulagé.



N'empêche, je ne sais toujours pas si l'assaut fut plus brutal ou si les fortifications pourrissent. Quelque chose de fiable jusque là s'est fêlé comme en un soupir polaire, et j'ai affaire à découvrir ce que cette chose est, à quoi elle sert et si elle m'est indispensable.



Naviguant mécaniquement, sans aller nulle part en particulier, je me suis retrouvé sur le site d'Annie, et j'ai relu toutes les pages ayant trait à Épiphanie. Dans les films, après avoir subi des violences, les femmes se plongent toujours sous une douche bouillante. Je n'ai pas été suffisamment traumatisé pour me laver un samedi après-midi, mais quand même, j'éprouvais le besoin (je l'ai compris après) de lire du net, du propre, de l'authentique. Le résultat d'un travail franc et acharné, des mots choisis selon un principe, un point de vue, une conception de l'écriture assumée en toutes circonstances et sans égard au prix. Cela, je peux toujours le retrouver chez elle, comme au premier soir où je l'ai lue et suis tombé amoureux de sa prose, bien avant de m'éprendre aussi d'elle.



L'ironie cruelle, une autre, c'est que son putain de manuscrit circule en ville, que j'en entends dire un bien fou et que je n'en ai jamais vu une seule page, une seule ligne, un seul mot passé le titre.
Tôt ce matin, tôt bien assez pour savourer ma solitude, je me délectais du dernier article de Christopher Hitchens (son style, sa mesure, son intelligence, son bagage, sa droiture, son travail de réflexion intransigeant), et je venais de décider de mettre un point final à ce Journal. Aujourd'hui, fin du mois, chiffre rond. Je sens que je ne me renouvelle pas et que je dépends un peu trop de ce rituel et qu'il cautionne mon inaction ailleurs et que j'ai accompli mon objectif et qu'il faut que je m'oblige à défricher du neuf. Ce que j'envisageais de faire, c'était de perpétuer l'accès aux archives à partir de cette page, tout en proposant un lien vers une nouvelle, que j'intitulerais Éditorial et dans laquelle je proposerais un texte d'opinion hebdomadaire plus substantiel et plus fouillé, quelque chose comme mille mots, je sais pas trop, enfin quelque chose de nouveau et de stimulant et d'exigeant.



J'étais à réfléchir au moyen de patenter ça sans bouleverser tous mes codes quand la clochette a tinté, annonçant un courriel. Dominique m'envoyait un article paru dans Le Devoir de ce matin, accompagné d'un commentaire laconique et d'un baiser qui sentait la pitié, laissant présager le pire.



Ce qui suit est la transcription intégrale de cette recension, intitulée Roman québécois - Les passages à vide de Mistral et signée Christian Desmeules.



Entre deux chansons, un essai sur son oeuvre et un projet de roman,

Christian Mistral nous imprime son journal de l'année 2002. Un Journal qui, entre sa publication quotidienne l'an dernier sur Internet et sa mouture de papier, se transforme en «roman» par un petit tour de passe-passe dont lui seul connaît les ficelles, sans que l'on sache trop bien ce qui justifie cette fantaisie sémantique. Vacuum se présente donc après coup, dans sa version livre, comme le quatrième volet du cycle Vortex Violet (dans le sillage de Vamp, Vautour et Valium). Pour l'occasion, le «mauvais garçon» de notre littérature s'offre un nouvel éditeur (Trait d'union) et la direction d'une collection («Graal») qu'inaugure son nouveau livre.



Au menu, on trouve un peu de tout : commentaires de l'actualité internationale, mots rares, chronique voilée de ses amours chaotiques et de ses amitiés viriles, extraits de courriels qui lui sont adressés, citations de poèmes, de chansons. Tout cela écrit et publié sur Internet au jour le jour, pratiquement d'heure en heure, flirtant sans remords avec le degré zéro de l'écriture. Ainsi, en date du 16 avril 2002 à 9h11 du matin, on peut apprendre que Mistral vient d'ajouter une page à Origines, l'essai que lui a commandé Victor-Lévy Beaulieu. Le 25 avril, la petite madame gentille qui habite en dessous lui offre une paire de pantoufles en «Phentex». Le 15 juin, on sourirait si on pouvait croire qu'il se parodie lui-même : «Avec Kevin, on s'est descendu une bouteille de Havana Club en visionnant Les

Raisins de la colère, puis on a commencé à se taper dans la gueule.» Le 9 juillet, il dégivre son congélateur.



Comment se limiter au réel le plus plat, semble s'être donné pour horizon

l'écrivain Mistral. Comment ennuyer ? Dans un souci de faire adhérer étroitement sa propre vie et l'écriture, il nous donne à lire le désoeuvrement dans ce qu'il a de plus sordide. Épris depuis toujours de liberté, infatigable assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose, mais bien loin des figures tutélaires de Henry Miller ou d'Hemingway, Mistral traîne sa liberté comme un embarrassant fardeau. Ou comme un vide à remplir. Dans l'un des rares passages de Vaccum où la lucidité semble l'emporter sur la complaisance, il nous livre un état des lieux : «Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore avec de plus en plus d'inconfort [...], mais je crains tant que toute ma force ne fonde au contact de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.»



La pratique diariste est exigeante, souvent sans pitié pour l'entourage et

pour soi (Jean-Pierre Guay, Gombrowicz ou Charles Juliet en savent quelque chose). Elle relève davantage du véritable travail sur soi et sur l'oeuvre en cours que de l'autocongratulation. À cet exercice du journal, Mistral échoue. Car ce qui aurait pu être une oeuvre littéraire n'est que la chronique quotidienne d'un personnage nommé Mistral, compulsif dactylographe qui découvre la technologie et s'excite de pouvoir s'adresser au plus grand nombre, à travers le grand vide de l'ennui.



À quelques reprises, le Journal nous est présenté comme une sorte

d'excroissance amputée d'Origines, un court essai sur son oeuvre et sa venue à l'écriture qui s'insère dans la collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles, dans lequel Mistral consent à nous livrer quelques-uns de ses secrets de cuisine. Un livre polymorphe et bigarré constitué d'un entretien, de notes, d'extraits du Journal, de souvenirs d'enfance. Un petit livre éclairant, mais qui n'arrive pas à se suffire à lui-même.



Certains passages de Vacuum s'y retrouvent d'ailleurs tels quels, sans retouches grâce à la magie du «copier-coller» qui permet à l'écrivain d'être partout à la fois. Paresseux, le Mistral ? C'est lui-même qui l'avoue : «Le champion toutes catégories des démons dégueulasses auxquels j'aie à faire face, c'est la paresse.» Et d'ajouter que le coeur n'y est pas, qu'il n'y est plus depuis déjà longtemps : «Personne ne me croit quand j'affirme préférer laver la vaisselle à écrire.» La paresse ne fait pas qu'empêcher d'écrire, elle fait aussi prendre des raccourcis : «La seule perspective d'être lu et d'en jeter plein la vue me donne l'impulsion nécessaire à l'ouvrage quotidien. C'est comme ça. Il est de pires raisons d'écrire.» Vraiment ?



Par endroits, c'est presque fûté, cette tentative d'assassinat. On ne reconnaît pas le dilettante derrière absolument toutes les phrases. Quelques-unes sont même affaire d'opinion et je ne trouve rien à y redire. Pourtant, j'ai beau me fouiller, interroger ma mémoire que l'on s'entend généralement pour qualifier de stupéfiante, je n'arrive pas à me rappeler que nous ayons élevé les cochons ensemble, d'où ma surprise devant ce luxueux étalage d'affirmations péremptoires sur qui je suis, de celles qui supposent une connaissance intime totalement hors de sa portée. Si je suis «assoiffé de la vie qui grouille, qui rampe ou qui se décompose», et je ne nie ni ne confirme, alors ce type sait bien des choses, et des croquantes. Toutefois, si on veut mon avis, je suis plutôt porté à croire que cet olibrius, ce pétrisseur de métaphores, s'essaie à faire du style sans souci de ce qu'il exprime, tel un pétomane faisant ses gammes et que l'odeur laisse insensible. Faire du style dans un brulôt qui me vise, ça revient à jouer du gazoo dans un concert de Claude Lamothe. Il n'y a guère de passage qui rachète l'autre, mais le plus dégoûtant est sûrement celui qui me voit «traîner ma liberté comme un encombrant fardeau». Voilà un citoyen qui n'a jamais reçu ne serait-ce qu'une contredanse. Pour considérer la liberté comme une quantité si légère, si plume et fumée qu'on la sent à peine, il faut n'en avoir jamais été privé. Connard.



Dans l'ensemble, pour abréger, et somme toute, ce type, c'est quand même un sale petit pédé, non? Foutu branleur de merde. 22, 23 ans je parie. Ou 46, allez savoir. Un nom à se faire, en tout cas. Putain de goule de fils de pute. Enfant de pétasse syphilitique et de mangeux de marde, enculé de fond de gogues, sac à flu, pissou, bureaucrate passe-partout, cauteleux mercenaire, tâcheron sans passion, scribe à gages, courtisan de cocktails, flatteur de Péan et botcheur de job par-dessus le marché. Que se passe-t-il au Devoir pour qu'on envoie cet avorton faire une job de bras sur moi? C'est peut-être une initiation, ou alors ils veulent l'inciter à démissionner. De mon temps, du temps de Lise Bissonnette ou de Paul-André Comeau, quand on voulait la peau de quelqu'un dont on pouvait supposer qu'il la vendrait chèrement, on n'envoyait pas un enfant. On envoyait un homme ou Nathalie Petrowski.



J'ai donc lu ce texte, incrédule (je ne suis plus familier du Devoir, j'ignorais l'ampleur des changements, du progrès réalisé): le ti-coune s'y fait beaucoup les dents sur mes deux livres et tant soit peu sur ma personne. En louveteau normalement constitué, en prétendant adéquat, il prend soin de se tenir à distance prudente du mâle alpha, et la longue odoriférante chiasse de mots dont il s’efforce de marquer un territoire fraîchement taillé ne va jamais jusqu’à éclabousser franchement mon talent. Seulement mes motifs, mon coeur à l’ouvrage, mon honnêteté artistique, mes prérogatives d’auteur et la nature intrinsèque, avérée, indiscutable de mon oeuvre: celle-ci est certes bien des choses, mais une entreprise d’autocongratulation elle n’est pas.



Puis, j’ai voulu savoir qui c’est au juste, cet homuncule dégénéré qui traite ainsi deux ans d’ouvrage. Avec malveillance, désinvolture et légèreté, comme si je n’avais pas mérité qu’on se penche sérieusement sur mes propositions. Qui refuse même à mes livres la dignité d’être filetés au scalpel, plutôt qu’assaillis sans finesse avec une hache émoussée. Je n’ai trouvé à son propos que peu de choses: il est libraire chez Pantoute, il a collaboré à une sorte de magazine de jardins et il a interviewé maman Dion. Depuis peu, il sévit dans la grande ville. Dans ce vieux Devoir où j’ai chroniqué quatre ans à la moitié du cachet que La Presse m’offrait, parce que j’y croyais, que ça signifiait autre chose qu'un tremplin de carrière, que c'était un devoir, depuis des générations. Ce journal-là, fais ce que dois, qui aujourd’hui confie la recension de mon travail à un méchant abruti ambitieux. Je le digère difficilement. J’ai pris tout ce qu’on m’a lancé, aussi bien les eaux usées que les louanges, et je n’ai jamais songé à répondre à une mauvaise critique, pas plus qu’à une bonne. Mais on n’a jamais osé s’en prendre à l’intégrité même de ma carrière, à la pertinence des quinze années passées à écrire et publier depuis Vamp, et jamais un foutu bouseux à tête plate, sans visage et sans réalisations, ne s’était avisé un beau samedi de mordiller de la cheville de Mistral. Ce monde n'est pas une émission de Lise Payette, peuplée de protagonistes en caoutchouc, et la littérature n'est pas un jeu de rôles entre gosses de riches civilisés. Ça joue dur, ça échange, ça débat. Faire l'économie de la politesse, soit, mais alors il ne faudrait pas s'étonner que quelqu'un vienne à s'en formaliser.



Qu’on se le dise: de mon vivant et de ma santé, je ne permettrai pas que n’importe quel rongeur puant s’attaque en traître à mes livres quand ça lui chante, pas plus qu’à mon enfant, pas plus qu’à rien ni personne que j’aime et qui souffrirait injustement à cause de moi. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: mes livres aujourd’hui n’ont pas reçu l’honnête attention qu’ils méritaient pour eux-mêmes, indépendamment des sentiments qu’on peut nourrir envers l’auteur.



Ce misérable résidu d’atelier d’écriture de cégep, ce galopin, ce téméraire petit cul, n’a-t-il jamais appris dans le trou dont il est issu que le jour où on s’attaque au gros gibier, mieux vaut l’abattre du premier coup?