19.5.02

Je rêve de posséder l'endroit où je vis, d'y installer deux frigidaires et de me tirer une balle brûlante dans le crâne.
On légalisera les drogues, cela fait-il le moindre doute? Dépêchez-vous, je veux voir ça de mon vivant et le temps presse. Dépénalisez! Tancez vos cochons! Collectez des taxes! Grouillez-vous, foutu tas de pervers fascistes pissous!
Ma chance, ou est-ce mon charisme? n'ont pas duré toute la semaine. Le gros lot m'a échappé. Vu un vieux Québécois féliciter l'un des gagnants: «T'as frappé de l'huile?»



Savoureux.
Le Timor Oriental devient aujourd'hui la plus jeune Nation du monde. L'entière Humanité serait pardonnée de se sentir nouvelle Mère.



Putain, ça devrait nous donner des idées.
Elle a besoin de solitude et moi aussi, pourtant nous sommes bien ensemble. La plupart des gens considèrent la solitude à deux comme une calamité; pas moi. Nous trouverons peut-être le moyen de vivre cet état, de sentir nos présences et partager l'espace tout en pouvant lire ou écrire ou manger en parallèle avant de nous transverser. Peut-être, peut-être pas.

18.5.02

Mitraillé des mails toute la sainte nuit blanche, autant de décharges de chevrotines chaudes ciblées nickel, ô quelle ardente et louche joie un gars prend-il à fabriquer ses propres cartouches! Les parfumées, les gorgées de peinture et les pleines de poison, les édulcorées, les artificières, les bourrées de gros sel, les destinées au petit gibier, les douces comme flèches de Cupidon, les comme de mous pétards mouillés...



Les bruyantes, éclairantes, explosives, les sifflantes, amusantes, incisives, et les bourrées de petit plomb coquin, celui-là même qui la chatouille jusqu'au fin fond de ses doux reins!
kevin oisif au sang tout ce travail toute cette peinture créative et d'entretien toute cette construction de son site et tout ce temps qu'il me consacre tout cela n'est rien en regard de ce qu'il faut qu'il accomplisse pour lui-même confronter le réel ingrat le soumettre et lui tordre le bras le réel et puis l'apprivoiser le réel avec des mots concrets des principes entiers des effets de manche et du sucre s'il faut car il faut ce qu'il faut et cet homme doit cesser de fuir les exigences de sa jeunesse vitale tout l'avenir écrasant somptueux qui s'ouvre à son talent ce haut mât de cocagne érigé devant lui oint de graisse de porcelet et au sommet duquel sont suspendues les récompenses de ce monde il n'est pas bien que ce gaillard vive si tôt la même vie que moi redescendu du mât je lui nuis je lui donne à croire que n'existent plus les marais de souffrance et les cloaques de solitude et l'effroi dur et le dégoût mou de soi pour moi ce bunker sage et sécure est l'aboutissement d'une longue violente usure pour lui c'est le début et c'est mal.



o' que je pastiche ici avec plus ou moins de bonheur lui a écrit enfin et tout me porte à croire que c'est très joli qu'il n'a rien perdu pour attendre. Il plane il cogne des clous il consent finalement à dormir c'est plus compliqué de le mettre au lit que de l'en tirer il marmonne réveille-moi quand il sera temps à temps je veux dire à temps pour qu'on passe une journée qui nous ressemble...



je le rassure d'accord une demi-heure.



ses yeux s'arrondissent il pouffe tout rouge épuisé il s'allonge en sécurité sur le sofa mauve qui prend décidément la forme de sa vigoureuse carcasse il répète une demi-heure une demi-heure elle est bien bonne.



hier il parlait d'un job de travailleur de parc ça consiste à s'asseoir sur un banc de square de treize heures jusqu'à vingt-et-une et à s'occuper des jeunes délinquants et le coeur m'a manqué car enfin qui s'occupe des vieux délinquants? mais bien sûr ce serait excellent qu'il travaille qu'il nage de cette session universitaire vers la suivante comme s'il s'agissait d'îles de ses chères Îles et l'été est un océan sirupeux plein de pièges de subtiles sirènes d'agaces-pissette de soupçons intimes de crises de coeur de crises de foi je suis conscient de chipoter comme une tapette ou une mère-poule mais est-ce ma faute si mon fils n'est pas là pour subir le surplus passionné de mon anxieuse affection? je suppose que ça l'est quand on y pense.



ce soir k me lit tout aussi fasciné que séduit un passage de tropique du cancer cependant que je grince comme une porte de grange à la vue des ficelles faciles que miller tisse trame tresse je le sais je le fais mais je me serais si bien passé de prendre henry en flagrant délit de tricher je me serais contenté comme je le fais depuis quinze ans du souvenir de mes éblouissements mon dernier dieu titube et tombe et c'est ce jeune prodige qui lui fauche innocemment ses pieds d'argile c'est justice je suppose je suppose je suppose.



ensuite je lui lis quelques pages de vamp et il est pris d'un soudain très pénible hoquet.



presque trois heures annie écrit qu'elle a eu froid plus tôt ce soir satin et soie dors bien mon ange en miel dors dur somnole tiède mon délicat chaperon rose pense à ton loup ton loup-marin grand méchant loup-marin dentu qui te phoque sweet qui te phoque doux..



17.5.02

Vraiment vanné.



Dispersé l'avance de la SOCAN entre diverses créances, privilégiant les plus urgentes (amis et gros méchants fournisseurs de télécom).



Me farcis enfin le chanfrein. Christ, ça fait du bien.



Suis passé à la librairie acheter un bouquin symbolique (de l'interruption de l'hémorragie de ma bibliothèque). Ai choisi Le Prince de Machiavel. Manque de pot, Blackburn décide de m'en faire cadeau. «Tu peux pas faire ça, enfoiré!» protesté-je. «C'est symbolique! Faut qu'il me coûte quelque chose!»



«Pas question!» qu'il dit, l'oeil noir et pétillant. «Celui-là, je te le vends pas. Celui-là, c'est un cadeau. Achète-t'en un autre.»



Et c'est ainsi que, Gros-Jean comme devant, j'ai acquis Hamlet, l'histoire d'un second prince: à cause d'un troisième.

16.5.02

Je demande à K comment on se sent au haut de l'échelle; il me répond que je devrais le savoir. Oh, je dis, moi, tu sais, c'était deux semaines en 1988, c'est loin déjà, mais toi, toi qui es neuf?



Il pose son pinceau et vient lire l'entrée qui précède. Il me dit que j'ai réussi à transcender l'anecdote, à distiller le sucre de notre vérité. Ça me fait flancher, venant de lui, je l'aime tant et si propre est son jugement. Je réplique que c'est pas surprenant, qu'on s'y connaît, en alambics.
Hier, sommes passés au party des vingt ans d'Arcade. Claudine Bertrand plus jeune qu'alors. Kevin reconnaît trois de ses proffes, Annie une. «L'écriture au féminin! snappe-t-elle en sortant. Imaginez seulement qu'on sous-titre une revue L'écriture au masculin! Ouhhh! Ça m'énerve!»



Souper de crevettes. On s'est passé Ali. Annie et K se sont réconciliés. Il repeint aujourd'hui sa salle à dîner, baptisée Jeune Afrique (don't ask!). On a piqué de la bonne peinture. Quand K sort acheter de la bière, rue Bernard, il se sent comme dans un film. «Tu te rends compte, l'exotisme! Des Îles à Hochelaga, à Paris, à Parc Extension, au Plateau, à la rue Hutchison!»



Il peint, donc, tandis que je pirate des chansons sur le net comme un DJ boucanier, juché sur l'escabeau il gueule ses demandes spéciales et je pitonne mon Réal, pitonne full planche et je ne fournis pas. Quand, sur sa suggestion, je télécharge L'oiseau de René Simard, je me mets à chiâler et à rire en même temps, et Kevin me serre le genou très fort (Sylvie Leblanc, qu'es-tu devenue? Nous avions six ans et nous aimions très fort!) Plus tard, c'est son tour sur A toi par Joe Dassin, et Cat n'est pas loin...



L'amour est un mythe merveilleux, un mythe de Sisyphe, constamment à recommencer. Moi, par exemple, je pose mes lèvres sur les traces pâles à ses poignets et, même si j'ai déjà vu ça, ou peut-être parce que, je garde par-devers moi mes questions.



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15.5.02

On se passe La mort d'un commis-voyageur, version Volker Schlondorff. Je l'ai déjà écrit, Willie Loman, c'est mon-grand père. Une vie de démarchage à dormir dans des chambres d'hôtel sur son pantalon glissé entre matelas et sommier. Sans faux-pli. À la fin, existant dans le passé. Croyant en l'Amérique. En Dale Carnegie. En son produit.
Recouché, relevé. Kevin chante: «Quel beau mystère, quel chant joyeux, Paix suuur la Terre et dans les Cieeeux!»



Rêvé de lui, sa soeur et Catherine. Dans le rêve, c'est sa soeur qui est écrivain et pas Cat. Or, voilà-t-il pas qu'il a rêvé de nous aussi: s'en allait faire un mauvais parti à un type qui avait manqué de respect à sa frangine quand il me vit traverser le champ à sa rencontre au ralenti dans mon duster noir. Western.



Voilà. Il l'a rêvé il y a à peine dix minutes et c'est déjà publié; quelqu'un en France, à en croire mon compteur, est en train de le lire. Kevin dit: «T'imagines-tu le trip que Breton et ses potes se seraient payé avec un bidule pareil?»



Il dit aussi que si les observateurs internationaux visitent les prisons de Cuba, ils seraient bien avisés d'inclure celle de Guantanamo Bay. «C'est la pire de l'île!»
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Monotype 5

(© Kevin Vigneau 2001)




Kevin Vigneau m'a fait cadeau de l'original de ce tableau, ce monotype, numérisé ici en noir et blanc. Je l'ai accroché tout de suite. Sa composition est parfaite, sans parler de l'effet qu'il me fait. Il me rappelle que vivre d'art, de livres, de vin, de tabac, d'omelettes au mozzarella, de l'amour d'une jolie femme et de l'amitié de deux ou trois bonshommes est un insondable privilège.



14.5.02

On regarde un documentaire sur les exactions de la CIA. Me reviennent les mots de ma mère: «Les Américains sont devenus riches en se mêlant de leurs affaires.» Où diable est-elle allée pêcher ça?



Grand-mère disait:«Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire, coeur content soupire souvent.» Celle-là non plus, je la comprends pas.



Maman, encore: selon les circonstances, elle me servait soit «Et si ton copain se jetait du haut d'un pont, tu le ferais aussi?» ou alors «Si cent soldats marchaient dans une direction, tu marcherais dans l'autre!»



Je m'étonne vraiment de ne pas être plus mêlé que ça.









Rien de particulier. C'est, en soi, particulier. Je sape ma soupe en regardant la mouille froide cingler la ville cependant que Kevin, le nez en l'air, compte sur ses doigts les femmes qu'il a lues. Il est bloqué à cinq.
Kevin se tient les côtes, il hennit ce salaud à force de se foutre de moi, il dit: «Quoi? QUOI?»



Je répète: Annie avait un mignon bouton au milieu du front et je lui ai dit qu'elle s'était déguisée en hindoue.



«T'es fou? Elle était... enfin, tu sais bien... elle était visitée par les Indiens, quoi! Il leur sort des boutons de partout, ces jours-là, grands dieux, il faut pas...»



«Je sais, je sais, il faut pas en parler, sauf que j'y ai pas pensé, j'ai pas pensé à mal, j'ai dit la première affaire qui...»



«Qui quoi? Kesta dit ensuite?»



«J'y ai dit le truc du dentifrice.»



Il s'est levé, il a hurlé (de rire dubitatif): «Le truc du dentifrice?!»



«Ben, ouais! Ça fonctionne! Les top models s'en servent! T'as un bouton, tu mets de la pâte à dents, y sèche, y tombe!»



Là, Kevin, il se tenait les côtes flottantes, il bramait de rire à mes dépens. «Ta blonde, elle utilise des savons Druide, Christian! Ça vaut trois piasses le pain! Du dentifrice, franchement...»



Je m'empoigne le crâne, le frappe trois fois sur mon bureau. «OK! OK! Lâche-moi...»

13.5.02





M'ennuie.

Me tape le canal météo. Précipitations mouillées pour demain, cocotte.
Sur le Forum, y a un abonné qui s'appelle Pastis et qu'en a marre de causer tout seul. Cherche quelqu'un pour s'ostiner. Semblable abjecte solitude me fait peine. Allez, quelqu'un, un bon geste: je vous demande pas d'aider un vieillard à se laver ni rien. Gagnez votre ciel, peuchère!
Même pas midi, déjà je m'offre une sieste grasse. Chanson finie, l'effort de vie se récompense par une ration d'inconscience.
Je planche sur un texte de chanson, une ânerie pour une interprète velléitaire qui me l'a demandé et à qui je n'ai pas le coeur de dire qu'elle n'arrivera vraisemblablement jamais à rien. Me croirait-elle, de toute façon? Bien sûr que non. Alors elle l'aura, son texte, son démo et son désenchantement. Je suppose que c'est encore préférable au regret de n'avoir jamais rien tenté.