Lundi midi, c'est life as usual, quelques heures plus tard la vie bascule. Ce soir, Kevin repeint le Bunker, je dépoussière mes livres et mes bibelots et Sakurako se repose dans ses nouveaux pénates du Vieux-Montréal, que nous avons baptisés jusqu'à l'aube.
Michel Lapierre souligne avec éclat la parution de Vortex Violet chez Boréal, en une du Cahier Livres du Devoir ce week-end.
De façon triplement atypique, j'ai attendu trois semaines avant d'envoyer la lettre qui suit, et j'ai consulté des gens, et je la publie.
Montréal, le 9 juin 2004
M. Pierre LAVOIE
Directeur général
UNEQ
Objet : votre troisième et dernier avis de renouvellement de cotisation, en date du 1er juin courant.
Monsieur,
Ayant beaucoup réfléchi, pesé, tergiversé, j’en suis venu à décider de ne pas renouveler mon adhésion à l’UNEQ cette année.
Cette expérience, à laquelle j’ai attendu douze ans après ma première publication professionnelle pour me prêter, aura duré le temps de deux cotisations. Je suis devenu membre pour un an parce que j’avais perdu un pari avec un vieil ami que je respecte infiniment. Je le suis demeuré une autre année pour preuve de ma bonne foi.
Franchement, je me sentais aussi, je me sens toujours une façon de dette envers les fondateurs de l’UNEQ : leurs revendications, les acquis arrachés de haute lutte comme par exemple le contrat-type ou le droit du prêt public, m’ont facilité la vie. C’est pourquoi je me suis toujours rendu disponible, membre ou pas : ainsi lors de l’inauguration de la Maison des Écrivains.
Mais le fait est que je ne me sens guère à mon aise dans cette structure de discours collectif. J’ai été choyé, si l’on veut : ma carrière s’est déroulée de telle manière que mes livres et leur auteur n’ont jamais manqué de reconnaissance ni d’influence, celle-là même qui permet de négocier fermement et de faire respecter ses droits. L’idée que des écrivains moins bien servis puissent voir d’un mauvais oeil que je bénéficie en plus de leur activisme solidaire m’est pénible. Par ailleurs, la dernière assemblée générale m’a confirmé dans mon malaise : on y a vu lutter toute seule une auteure régionale peu connue, qui revint bravement par trois fois au micro pour solliciter le concours de SON syndicat, chaque fois rabrouée, chaque fois enterrée par les arguties aiguisées d’un poète rompu aux arcanes du code Morin. Cette auteure n’en revenait pas : elle croyait vraiment que son cas particulier recevrait le soutien naturel de ses pairs.
Il était clair qu’elle, bien que démunie de chacun des moyens dont je dispose (notoriété, accès facile et régulier aux éditeurs et aux médias littéraires métropolitains, présence sur Internet, ambition agressive, illusions à néant et un certain talent inné pour la mythomanie), il ressortait clairement, dis-je, qu’elle n’avait pas là sa place. Tout comme moi et pour la même raison, au fond, puisque nous étions équidistants du centre, du noyau dur de l’UNEQ, dont nous ignorions tous deux de quoi au juste il était fait.
Au party d’huîtres, il y a deux ans, je me suis fait une chère amie et j’ai renoué, approfondi mes liens avec des camarades, et ce seul soir valait largement le montant de la cotisation. Le livret rose orangé sur la négociation du contrat, ça aussi, j’étais content de payer pour. Le maintien du site L’ÎLE m’apparaissait comme une chose bonne et utile, même si je grimaçais au fait que nous n’ayons pas accès aux documents à vendre nous concernant.
Maintenant, outre qu’il n’y a plus de party d’huîtres et que le coût du livret est amorti, je constate que l’ÎLE n’est guère plus qu’une coquille vide : à cette adresse, un lecteur curieux ne trouvera rien sur moi qui ressemble à un dossier de presse, pas même un renvoi à mon propre site officiel ni à mon blog, lesquels comblent cette lacune à mes frais.
Je me suis porté volontaire pour contribuer au comité sur la liberté d’expression, mais on n’a pas cru bon recourir à mes lumières. Je ne le mentionne que pour éviter qu’on assimile la présente aux récriminations de quelqu’un qui voudrait tout recevoir sans rien apporter en retour. Le fait est que je ne suis pas amer, que mes raisons sont celles-là sans plus, sinon aussi celle de l’argent : être à l’aise, j’aurais rempilé sans rouspéter, mais ma situation actuelle me force à faire des choix quand il est question de 101,23$, et je ne suis pas autrement fâché que ma gêne financière m’ait forcé à me pencher sur les considérations qui précèdent.
Enfin, votre lettre se termine sur l’espoir que je continuerai «de faire partie de la grande famille des écrivaines et des écrivains québécois», juste après le rappel du montant de ma cotisation en souffrance, ce qui me touche et m’offre la joie de vous rassurer sur ce point : je compte bien continuer, que mon nom figure ou non à l’annuaire de l’Union, en formulant le voeu fervent que d’aucuns persisteront à me reconnaître cette qualité en dépit de mon apostasie.
Cordial et allié de coeur,
Christian MISTRAL
c.c. Bruno ROY, président.
Brando mort, qui reste-t-il d'aussi vaste et dément, d'aussi puissamment original et personnel pour toute la durée du combat? De Niro et Depardieu tournent trop, tournent tout, Pacino n'en peut plus, Gabriel Arcand ne tourne pas ou si peu et si tard. Brando mort, je mesure toute la distance entre le monde du Tramway nommé Désir et le nôtre: dans l'un, Blanche DuBois est une curiosité fragile, dans l'autre, elle est la norme implacable, et on peut se réjouir que les Stanley Kowalskis épais et monstrueux tels que décrits par Tennessee Williams soient en voie de disparition, mais on peut aussi s'affliger que le Stanley sensible et dur tel qu'incarné par Brando n'ait pas fait davantage de petits. Un monde empli de Blanche DuBois est un asile d'aliénés. Un monde privé de Marlon Brandos est une froide machine à feindre l'aliénation. Pour n'avoir pas pu se résigner à ce que le cinéma le rende étranger à lui-même, il demeurera une sorte de fou dans le souvenir des siècles.
Avant de répondre à ceux qui veulent savoir si j'écrirai sur des sujets politiques, j'attends qu'on me dise si la loi sur la littérature haineuse s'applique à Stéphane Dion. Qu'on m'accuse de couardise si l'on veut, mais le fait est que mes affaires vont plutôt bien ces temps-ci et qu'avant de traiter publiquement quelqu'un de mangeux de graine, de licheux de cul, de courtisan castrat invertébré, d'homuncule et de crachat sur la face de la Création et de larbin pervers et de pustule sur la peau de la Terre, je préfère prendre quelques précautions élémentaires.
Ce qui m'inspire confiance en l'avenir littéraire de notre culture, c'est que la nouvelle mouture d'écrivains ne se planque pas dans l'enseignement pour gagner sa croûte. Catellier, poète et critique pigiste, vend des légumes à l'ombre d'une strophe de Gérald Godin. Vigneau repeint des bureaux de poste. Vigneault sert de la gnôle. Et Marie Hélène Poitras, romancière et journaliste pigiste, est cochère. Cochère!
Elle m'écrit: Je suis passée très vite à vélo à côté de toi toute à l'heure, j'avais rendez-vous, puis ensuite je me suis dit que j'aurais du arrêter au moins pour te dire que là, les lundis, dans le Vieux-Montréal en calèche, je conduis un petit trotteur américain, il est tout petit mais c'est le plus rapide et il a un ego hallucinant, il veut pas qu'on le dépasse, que ça soit un cheval ou un truck, ça le met en crisse on dirait, et quand on est pris sur une rouge, il danse sur place, comme s'il attendait le signal du début de la course, c'est mon préféré, il me donne des montées d'adrénaline, et si tu te pointes en fin de journée, vers 19h45-20h, je peux te ramener jusqu'à l'écurie, un lieu inspirant et glauque, sombre, avec des chiens méchants, des roulottes, des chats effrayés, des mauvais esprits pris dans les poutres du garage, un lieu infect qu'il vaut la peine d'arpenter.
Si je rate ce coche-là, je suis celui qui n'est pas assis à l'orchestre quand on fait danser les couillons. Les lieux, je les ai toujours visités d'abord, romancés ensuite. C'est la première fois qu'un écrivain m'offre de mettre les pieds dans un endroit esthétisé a priori.
L'embargo est levé sur le bref entretien que j'ai accordé à OldCola à propos de la pratique du blog.
Visionnant une copie piratée de Fahrenheit 9/11, mon fils de 22 ans en sécurité à mes côtés, contemplant ces petits gars tués ou estropiés pour enrichir une poignée de vieux salopards qui lèchent leur peigne avant de carder leurs cheveux gris, je me suis surpris, nonobstant l'issue des élections fédérales, à me réjouir d'être né en Canada.
Retour au patch. Tanné de tousser. Crainte de crever avant que le bonheur me trouve.
Suis resté en ville plutôt qu'accompagner Kevin et la bande dans un chalet dégotté par Eddy. Ils ont dû danser comme des païens jusqu'à l'aube autour d'un feu de joie. Mais j'ai déjà trop remis mon passage à CIBL. Cet après-midi, seize heures, je discuterai de Fontes avec François Lemay.
Le type montant dans l'ascenseur du building avec moi, l'air gêné: «Je veux pas me coucher tard parce que je travaille à six heures demain matin...» Je ne le connais ni des lèvres ni des dents.
Ça m'a pris dix minutes pour figurer pourquoi il m'avait dit ça. C'était l'embarras de n'être pas dehors avec le reste du peuple à fêter la Saint-Jean. L'embarras d'être surpris à rentrer au lieu de sortir. S'imaginait que je le condamnais. Réminiscences du troisième Reich.
Je termine une séance de photos avec Pedro Ruiz pour la une du Cahier Livres du Devoir du 3 juillet. A transformé le Bunker en studio. Immigrant récent, sympathique et touchant. «Pourquoi on dit vous écrivain controversiou?»
Pour écrire Sylvia au bout du rouleau ivre, juste avant Vamp, je m'étais fortement inspiré du format et de la structure d'un magnifique petit livre, Voyage en Irlande avec un parapluie, signé Louis Gauthier, un auteur que je n'imaginais pas alors rencontrer un jour, encore moins qu'il deviendrait un ami. Hier, après toutes ces années, quand Louis est venu me chercher avec sa Volks maganée, je suis resté stupéfait de découvrir, sur le plancher du côté passager, un parapluie...
On descendait à Trois-Rivières. Là, au bar Zenob, Réjean Bonenfant avait organisé une soirée Tape dans le dos pour Guy Marchamps, dont la librairie de livres d'occasion, baptisée Histoire sans fin, déclarait forfait après six ans d'encre rouge.
Ç'a été une chouette émouvante petite soirée. J'ai lu l'extrait de Vautour qui met en scène GM sous le nom de Guillaume Arcand. Judith Cowan a livré deux pages, traduites par ses soins, tirées du dernier livre qu'elle a acheté chez Guy: un recueil de récits publié en Inde dont l'un portait sur un libraire qui ne vend rien. Bonenfant avait conservé des écrits de son ancien élève, dont un vigoureux poème rédigé sur un rouleau de papier-cul. Daoust a lu un manifeste poétique et chanté Going to the Ritz en amorçant un effeuillage. Boisvert m'a rappelé sur scène pour lire avec lui son texte en croisé. Quelqu'un a donné, de Marchamps, le merveilleux Poème d'amour à l'humanité.
Le plus romanesque, le pas croyable, c'est quand cette jeune femme s'est amenée au micro, son bébé de trois mois buvant sec à son sein. Bar ouvert. La jeune femme a expliqué comment elle avait rencontré le père à la librairie, trois ans plus tôt. Lui, cependant, prenait des photos de nous tous. S'appelle Michel. A lu au micro à son tour, annonçant qu'il reprendrait le fond dans un sous-sol trifluvien. Y en aura d'autres plus jeunes plus fous pour faire danser les bougalous!
Vers une heure du matin, juste avant de rentrer à Montréal, Louis et moi sommes repassés par la librairie. Guy y était, errant à la lueur d'une veilleuse, avec Hélène Gauvin qui retenait ses larmes. Ça sentait bon le tabac à pipe et le papier vieux.
Beau texte de Tristan Malavoy-Racine sur Fontes dans le Voir d'aujourd'hui. Et parution du second chapitre de Goth dans le Ici.
Antoine, ce beau fou, a coupé dans son budget de Guinness pour me réserver un nom de domaine. christianmistral.com est désormais en ligne, de même que christianmistral.com/blog. Bref, j'ai été proprement et gentiment dotcomisé par un Grec apportant des cadeaux. Merci, brother.
Je me suis toujours promis de ne pas devenir l'un de ces blogueurs qui se lamentent publiquement sur leurs aléas de serveurs (Vidéotron). Là, ça rase...
Sois patiente, ma Tribu magnifique et bien-aimée: nos affaires vont bientôt s'arranger. D'ici là, j'ai patenté ce lieu de fortune avec de la colle, de la ficelle, du carton et de la gomme balloune.
I really don’t feel so good and I’m not quite sure why. It’ll pass, it always does. It’s as if my chemical balance was all fucked up. I’m sad all the time and I’m mean like a starving chained dog. I see K & C being so happy together and taking care of me after I took care of them and I get mad at you and me for being apart, and then I don’t care, and I worry about stupid things, careerwise, and I’m depressed because I pedal in oil and peddle in art, all that jazz, life leaves a bad taste in my mouth these days, that’s all, nothing more. So I guess what I want to say is: I love you, of course, but I’m not good for much these days, I don’t care about shit and I hope you’re OK.
On dit ça du roman. Je le crois. Mais ce n'est pas tout de l'affirmer, il faut sans repos le prouver. Je suis stupéfait du nombre d'autorités culturelles qui s'emploient toujours à démontrer ce que le roman n'est pas, ne saurait être. Stupéfait et fouetté. Ce chantier va donc migrer sur-le-champ, voire sur le pré si nécessaire. On va leur faire voir ce qu'un roman peut devenir. Quelques phrases à la fois, sans se presser. Vous venez?
Ah! j'oubliais: trente-huit secondes après votre arrivée, vous serez automatiquement et confortablement redirigé vers la nouvelle page. Ça se fait tout seul! On n'a qu'à admirer le paysage et se laisser aller...
L'immémorial jeu de la séduction (jeu comme langage, économie, négociation, rituel, procédure de mise en présence, astuce de la nature...), ce jeu si sérieux qu'on en meurt parfois depuis toujours, et dont les règles sont immuables comme le pas de la valse viennoise: ce jeu ne change qu'en apparence d'un âge historique au suivant. On danse sur Johann Strauss, en redingote ou en Levi's percés aux genoux, exactement de la même façon. Aujourd'hui, la séduction passe aussi par un réseau de fibre optique, ce qui n'empêche pas l'amour de demeurer obstinément aveugle, bien au contraire. Les gazettes n'en ont que pour la dimension sécuritaire du sexe que procurerait le Net dans un monde d'infections génitales. C'est absurde. Le sexe ne sera jamais sécuritaire, même tout seul, pas tant qu'il se passera dans la tête. Les gazettes ignorent l'évidence que les coeurs et les imaginations ne sont pas protégés dans le maëlstrom des passions cyberspatiales, qu'ils sont exposés comme chairs vives à tous les fantasmes indisciplinés comme à tous les maux de vivre et que l'âme libre qui navigue ainsi dans le noir n'a de pire prédateur qu'elle-même. Les filles et les femmes qui disparaissent après avoir rejoint leur correspondant font la manchette, mais on ignore les légions, mâles et femelles confondus, qui ne sont ni fous ni mal-intentionnés, qui ont le coeur pur et douloureux ou seulement lourd, ces gens bien qui se rencontrent dans le vacuum électronique et prennent un verre symbolique et s'entendent à merveille et se plaisent et initient sans le savoir l'immémorial jeu de la séduction, sans songer à mal et savourant leur bonheur croissant, et laissant ce jeu sérieux échapper au contrôle du sens commun, jusqu'à ce que leur vraie vie ressente les approches de leur existence virtuelle et montre les dents pour défendre ses droits. Vieux conflit, forme neuve. Peine intemporelle.
J'ai deux amis dont je prie pour qu'ils se ressaisissent. Je prie, façon de parler. Faudrait encore avoir la foi, même pas en Dieu, mais au moins dans la capacité des gens de se gouverner eux-mêmes.
Dans un coin du Bunker, trois mètres devant moi, une créature a tissé une toile épaisse qui n'y était pas ce matin. De la taille d'une crêpe, je dirais. Ou d'un océan de colle, du point de vue de la proie qui s'y prendra.