23.6.03

Gueule d'écureuil à l'automne. Gueule de Vito Corleone. Passé la nuit à arbitrer le combat au corps-à-anticorps entre l'abcès et les globules blancs. K. O. technique pour les globules.

22.6.03

Poussé la promenade jusqu'aux nouvelles pénates de Claude. L'était pas là, mais Sarah m'a offert du Pepsi et des bleuets tandis que sa copine lui teignait des reflets dans les cheveux. Quand j'ai toussé, Noa s'est mise à pleurer.
Les cloches de l'Immaculée-Conception m'appellent à toute volée. Envies d'aller à la messe et de m'évanouir dans la touffeur et les vapeurs d'encens.

21.6.03

La tradition se perpétue. Premiers feux d'artifice de l'été au balcon de CGDR. La France en vedette. Le concierge, sa femme et leur nouvelle-née se sont présentés, tout heureux d'être invités: depuis qu'il assure la gérance du building et qu'il doit faire avaler les augmentations de loyer, Colin a l'impression qu'on ne l'aime pas. Moi, je l'adore: il m'a remplacé aujourd'hui le frigo que j'ai crevé d'un coup de couteau en dégivrant le congélateur, et pas plus tard qu'avant-hier il a réparé mon poêle. Si j'avais de la bouffe à refroidir ou à faire cuire, je serais aux petits oiseaux.



Ai dû renoncer au sucre à la crème, pour cause de dent sensible, mais autrement la soirée, passée avec des freaks et des bonnes gens et une petite néo-humaine, s'est déroulée dans la joie renouvelée de vivre à Montréal.
N'ai plus envie d'écrire ici. Ca doit paraître, depuis peu. Sinon ça ne saurait tarder. Je marquerais bien une pause. J'annoncerais bien que je m'interromps. Me distancie. J'écrirais au revoir et merci.



Seulement, ce rituel, et ces ombres là-dehors qui lisent en silence, ça vous tient par les parties tendres et ça s'accroche fort.



L'été qui commence. Quel bon moment pour faire une fin. Et pourtant, où déverserais-je le trop-plein? Comme, par exemple: hier, Eric est venu. Il a passé quelques heures à composer une lettre délicate à son frère afin de le convaincre de déménager de chez-lui. Il m'a aussi appris que mes nectarines bien-aimées sont en fait des hybrides, issus du croisement entre une pêche et une prune...



Et puis j'ai appris aussi que le bateau-théâtre l'Escale, à Saint-Marc, là où j'ai fait la plonge l'été de mes quatorze ans, présente Les belles-soeurs de Michel Tremblay. Question: est-ce le niveau du théâtre d'été qui augmente ou celui de la pièce qui baisse?



20.6.03

Ca les turlupine vraiment, les gens, de savoir si Vacuum est un journal ou un roman. Peux pas les blâmer, je suppose. Mais c'est pourtant simple: j'investis ma vie dans la cornue littéraire et je chauffe. Le résultat de cette alchimie est nécessairement transformé, donc fictif. Simple.

19.6.03

Levé à l'aube. M'extirpant du cauchemar, ai attaqué le texte pour la revue d'Yvon Boucher, celle qui change de titre, de format et de papier à chaque numéro. Miscellanées sur le meurtre: pour tuer le temps, ça s'intitule. Vais y consigner tout ce que l'assassinat m'inspire et tout ce qui m'inspire l'assassinat, d'ici à la fin août, date de tombée. Un papier qui pourrait facilement prendre les proportions d'un annuaire de téléphone.

18.6.03

Il y a là-dehors énormément plus d'enfoirés qu'un monde sain ne devrait naturellement en engendrer. Quelque chose est pourri au royaume.

17.6.03

Viens de claquer le trente millième visiteur sur ce site. Dire que tout ça a commencé du fin fond d'une déprime psychotrope. Me sentant isolé de tous, même de Kevin, et je m'étais traîné jusque chez mon fils, j'avais jeté son co-loc dehors et je m'étais assis dans un coin du foutoir pour jaser avec JC, et quand la police est arrivée, j'avais déjà décidé de me brancher sur Internet...
Retour de l'Echange, musardant sur Mont-Royal, j'ai mis le doigt sur une contradiction fondamentale de mon tempérament tourmenté. Dans ma vie de tous les jours, je m'efforce avec plus ou moins de bonheur d'appliquer la maxime Never complain, never explain, alors que mon métier exige précisément que je fasse le contraire, comme en ce moment-même. Conçoit-on d'écrire sans (se) plaindre ni (s') expliquer?
Voir Jean Charest rendre hommage à Pierre Bourgault, décédé hier à bout de tabac, me remet en mémoire la rafraîchissante et tonique honnêteté du Joker incarné par Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton: après avoir électrocuté (frit) un ennemi, il s'écrie: «I'm glad you're dead!» avant d'éclater d'un rire dément et d'exécuter une petite gigue.

16.6.03

Descendu chez TU pour rédiger et envoyer ma première lettre de refus. Dur, dur.



Au retour, j'ai été pris d'une méchante envie en plein parc Lafontaine. Ai trouvé les latrines publiques. Quand Claude m'a appelé pour m'offrir un article dans un nouveau magazine glacé, j'étais confortablement carré sur la porcelaine. «C'est quoi, ces bruits-là?»
Le mois de Junon est long et doux comme une lanière de réglisse. J'écoute mes cheveux pousser. Commence à ressembler à un pianiste polonais.

15.6.03

Pouvais pas dormir. Mâchoire lancinante. CGDR m'a ouvert sa pharmacie.
Travailler pour l'héritage de l'humanité. Encore faut-il croire à cette dernière (des dernières).
Je suis amoureux d'une lesbienne que je n'ai jamais rencontrée. Les choses, pour moi, ne s'arrangent pas, ou alors si étrangement.

14.6.03

Viens de mettre au four de la viande pourrie. Qui pue. Si je suis capable de la sentir, dans l'état où se trouve mon système olfactif, c'est que cette bidoche schlingue un maximum.



Si seulement je pouvais effectuer un travail utile à la société, comme gérer des millions à l'instar de ma mère ou convertir des molécules de pétrole à l'exemple de mon père, plutôt qu'écrire des livres. Je mangerais de la bidoche rouge sang sans suspecter chaque gargouillis stomacal dans les heures qui suivent mon repas.
La tristesse que me cause l'annonce du décès de Gregory Peck n'est adoucie que par l'idée que je pourrai toujours retrouver Atticus Finch, aussi longtemps que je vivrai, en celluloïd ou en papier.

13.6.03

Certains jours, quand j'essaie de retrouver pourquoi je me suis épris de sa plume en premier, j'y vais voir, sur sa page, et à peu près toujours ce ramage en émane, intelligent et rigolo avec un sanglot dans la gorge, du bonbon acidulé, mes préférés. Mais parfois, Saigneur, ça n'y est pas, ça n'y est plus, et je me pose pro forma la question rhétorique: «Comment peut-on prendre ainsi congé de son intelligence et slaquer tous ses moyens pour cause de colère ou d'envie subite d'aller pêcher? Le goût de taquiner la truite ou d'étrangler son amant rend-il impuissant littérairement? Un esprit brillant ne cesse pas de l'être quand il s'endort ou que son propriétaire va pisser ou qu'il se fâche avec son jules. Bégayer, oui, s'écrouler de fatigue, mais écrire, fournir le malsain et grotesque et vain effort d'écrire ces tissus d'incohérentes conneries pour redraper ici ce puits de sottises et là cette fosse de pus, torcher trois pages sur les groseilles et son nombril et la perversité du type si chic hier, et encore un jour triste, et encore un coup dur, et que je te reveux détruire mon roman, et que je veux à nouveau effacer mon journal, et que le monde est chanceux que je sois si généreuse et sage et pas du genre à le priver de mon génie, et encore un coup de groseilles, et un coup de nombril, et un coup de courriel qui la retient de tout brûler à la dernière extrémité, à contrecoeur, pour à peu près la six centième fois, et un coup condescendant pour les lecteurs silencieux et simples, elle croit vraiment leur faire plaisir, et un p'tit coup de Pompadour avant que ne tombe le rideau pourpre: la grosse femme doit chanter, c'est obligé, et elle y va de bon coeur à grands renforts de plaies ouvertes et de douleurs et de saignements littéraires (de partout) et de cessation de sa propre existence.



Entracte.



Je sais comment ça se passe. Mon premier opéra, c'est elle qui m'y a emmené.











Toute ma vie, j'ai rêvé de la partager avec une femelle qui aimerait les lettres autant que moi et de la même façon. Est-ce trop espérer de l'existence? Je ne crois pas. Il est sensé que j'aie souhaité dormir et m'éveiller à côté de quelqu'un dont les intérêts sont aussi les miens. Passer mes jours et mes nuits avec une créature qui protège mes intérêts et compte sur moi pour veiller aux siens. Baiser une gonzesse qui ne soigne pas les grafignes qu'elle m'a faites dans le dos avec l'idée de découvrir le meilleur endroit où planter son couteau. Or, il a fallu que je m'abouche avec ces banshees jalouses, insécures et vindicatives au talent dénaturé. Ce fut Marie-Raspberry Scott, c'est Annie Strohem. Sleeping with the enemy. Ça veut ne rien devoir à personne, comme si on leur demandait des comptes, ça veut paraître jaillir de la cuisse de Jupiter, ça ne pige pas qu'on y soit plutôt qu'elles, ça éponge tout ce que vous offrez, comme un essuie-tout triple épaisseur, puis ça hurle: «Je t'ai rien demandé!»



Ça s'est quand même offert, au début, sous prétexte d'admirer votre génie et la grâce de votre démarche ou la douceur de vos paumes. Ça minaudait, c'était suintant de luxure et ça dégoulinait de loyauté. Ça affirmait sa différence, bien parfumée, fondamentale: «Moi, je ne suis pas comme celles-là! Moi, je ne ferais jamais ça!». On prétendait, donc, ce qu'il fallait. L'esprit de lucre se dissimulait sous ses oripeaux ordinaires, immémoriaux, ceux que chaque génération d'hommes doit pourtant réapprendre à partir de zéro, car une seule vie suffit rarement, nos pères étaient chrétiens et canadiens-français, c'est-à-dire qu'ils ne disposaient que d'une seule vie employée à ne pas instruire leurs fils.



Pour ces gens, ceux qui gueulent :«Je t'ai rien demandé!» quand vous avez tout donné, rien de ce que vous ferez ne sera jamais assez. Je le dis à l'intention des jeunes qui ne le savent pas encore et à qui ça pourrait servir, bien qu'il faille payer certaines connaissances du sur prix de l'expérience.



Et c'est si triste pour les lecteurs qui ne liront jamais ces livres qui ne seront jamais écrits par ces écrivains qui ne le seront jamais tout à fait devenus. À force de s'y croire déjà (le nirvana des écrivains, là où l'on siège sur un nuage de gloire en guimauve émouvante, répondant au téléphone si ça nous chante, cependant que les livres s'écrivent tout seuls dans l'arrière-salle du paradis). Comme s'ils s'imaginaient que la littérature est soluble dans la sauce marxiste, qu'il s'agit d'une émanation de la lutte des classes, et que le monde est divisé entre ceux qui lisent et ceux qui écrivent, ces derniers précédant les premiers dans la chaîne alimentaire.



Qu'est-ce qui distingue un vétérinaire d'un dentiste? Un actuaire d'un avocat? Un barbier d'un dermatologue? Un agent d'artiste d'un artiste? La réponse est: pas grand-chose, sinon leurs intérêts particuliers. Chacun le sait, sauf ces millions de milliasses de pathétiques sacs-à-fiel qui se veulent écrivains parce qu'ils aiment lire et qu'ils ont appris à écrire et qu'ils connaissent l'alphabet et qu'ils ne voient pas la différence entre moi et un vétérinaire. Ils ont vingt ans ou cinquante-cinq, ils se promènent en ville avec leur chef-d'oeuvre en envoyant chier d'avance quiconque demandera de quoi ça parle et qui en est l'auteur. Ils croient que la condition d'écrivain publié, confirmé, les placera au-dessus de toutes les malodorantes vicissitudes de l'existence humaine. Ils croient avoir signé leur propre passeport pour la transcendance.



Ces ahuris-là sont légion, et certains font assez illusion pour qu'on les publie, puis ils sombrent dans un trou noir de leur propre invention. Ce ne sont pas des écrivains, sinon brièvement; ce ne sont certainement pas des artistes. L'art requiert plus, infiniment plus que du talent, et quiconque ne sait pas ça devrait écosser des pois chiche ou empaqueter du crabe ou torcher des vieillards ou s'employer à n'importe quoi d'utile sans encombrer les lieux de l'art.



Cela dit, je suis coupable aussi. N'ai-je pas toujours prétendu qu'on juge un homme à ses amis? Cela doit également s'appliquer à son choix de compagnes et au choix que font celles-ci de continuer, ou pas, à l'accompagner. Ainsi, je songe à Guillaume, à Hans, à Louis. Trois de mes plus chers amis, bien que laids comme autant de péchés capitaux (Hein? Mens-je? Vigneault, Marotte, Hamelin? Des visages abominables, des faciès révoltants, des bouilles à renvoyer son souper), ont pourtant trouvé le moyen de vivre avec et de se faire aimer de très belles et très intelligentes nanas, durant des années, des années, des années bordel! Et je vous jure bien qu'aucun d'entre eux n'est un enfant de choeur, en fait aucun ne l'a même jamais été, sinon seraient-ils mes amis, bien sûr que non, vous voyez mon problème. Ils savent quelque chose que j'ignore. Si, encore, ce n'était que ça. Nous passons notre temps à échanger de l'information, des idées, des flashes. Nous nous en nourrissons. Mais cela, qu'ils savent et que je ne connais pas, il est manifeste que je suis incapable de l'apprendre, et eux de me l'enseigner. C'est un morceau qui manque, dès la sortie de l'usine. On peut toujours improviser, un bout de temps, comme quand Kevin filtrait son café avec des Tampax ou que mon père pissait dans le réservoir quasi-vide de la Volks pour qu'on teuf-teufe depuis Beauceville jusqu'à Saint-Georges, mais vient un temps où on se rend à l'évidence, ou alors l'évidence nous vainc violemment: cette machine-là vaut pas un clou. On la garde parce qu'on y est attaché, ou parce que c'est la seule qu'on a et qu'on aura jamais. Quand la machine s'adonne à être votre corps, votre esprit, votre personnalité, combinés en ce que vous appelez vous, va sans dire que ça s'applique.



N'empêche, c'est pas parce qu'il y a des connards déficients qu'il n'y a pas de salopes.