Douce, destroy, divine et dingue, tour à tour et en même temps. Annie dans ses oeuvres. Hier elle écrivait sur moi, demain elle l'effacera. Flamme créatrice, elle appelle ça.
Créer comme crée la marée haute lorsqu'elle vient araser les châteaux de sable de vacanciers en Espagne. Créer comme crée le Joker en virée au musée de Gotham, avec du vitriol et des bombes aérosol. Créer, comme on en cause...
Ce matin encore, un lien vers une page d'intérêt littéraire local. Je ne les cherche pas, je tombe dessus comme ça, en chassant un autre gibier. Celle-là est vraiment mal foutue: on a dompé tous les textes en tas sur la même page, et j'ai honte de dire que c'est le fait de l'UNEQ, mais enfin, ils font de grands et douloureux efforts, depuis qu'on a mis cette chose en ligne, pour apprendre à diffuser l'écrit sur le Net selon un autre modèle que celui de Gutenberg.
Pour autant que je puisse en juger, ce fouillis est divisé en trois parties. La première est plate. La seconde est fascinante: il s'agit essentiellement de la conférence que donne Charles Montpetit sur la censure au Canada, avec une liste ahurissante de cas réels.
La dernière est le Mémoire présenté à la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec par l'UNEQ en 2001. En voici un extrait, inespéré, désespérant:
Deuxième menace pédagogique, deuxième contradiction systématique avec l'esprit de la Loi 101 : le misérable mensonge de l'évaluation scolaire. Nous connaissons tous des professeurs auxquels on interdit de couler les étudiants qui ne savent pas écrire, nous avons entendu la plainte scandalisée des correcteurs aux examens de français, qui doivent appliquer des barèmes aberrants afin de diplômer les illettrés. En ces matières, celui qui dit la vérité passe pour un élitiste ou un snob qui méprise le peuple.
Un véritable jdanovisme règne en pédagogie : d'abord on érige en dogme le principe idéologique, ensuite on déforme la réalité, jusqu'à l'absurde, pour la rendre conforme à l'idéologie. Comme sous Staline où l'on enseignait que c'était des Russes qui avaient inventé toute la science moderne grâce aux lumières du matérialisme dialectique, on en arrive à formuler, au nom de principes généreux et faux, des aberrations comme celle que le système d'éducation devra produire cent pour cent de diplômés. Il suffirait pour y arriver qu'au lieu d'être mis en concurrence avec les autres, tout élève le soit avec lui-même ! Se prendre soi-même comme modèle, être évalué à partir de soi-même, tout notre héritage rationnel, toute notre culture, pour ne rien dire du simple bon sens, affirment que c'est la formule même de la folie.
Soumettre des ignorants à de faux examens, qu'on corrige ensuite de manière à en laisser passer le plus grand nombre possible, afin de justifier les programmes, les pédagogues et le ministre, puis se faire péter les bretelles de quatre-vingt-cinq pour cent de réussite en français – sans oublier de dénoncer les Anglais qui écrivent « stop » au coin de la rue ! – cela dure depuis vingt ou trente ans, la guéguerre contre l'anglais servant à maquiller la défrancisation des francophones. Ceux qui tiennent en otage la jeunesse, le ministère et presque toute l'Université, ceux qui définissent les programmes et forment les maîtres, ceux qui président encore eux-mêmes aux réformes qu'exigent continuellement, depuis trente ans, les désastres successifs de leurs politiques, hypothèquent gravement l'avenir du français au Québec.
Il convient de le répéter, car c'est si gros qu'un véritable mur de surdité semble empêcher d'entendre cet avertissement vital : les patrons de l'éducation travaillent pour la culture amnésique mondialisée, contre le patrimoine conquis par la Révolution tranquille.
Jdanovisme? What the fuck is that? Le Trésor de la Langue Française ne le recense même pas, mais un Trotskyste repenti le connaîtrait... Anyway, je n'en reviens pas de lire ça dans un document de l'UNEQ. Peut-être y a-t-il moins de membres enseignants, Boomers et social-démocrates que je l'ai toujours cru, ou alors ils rêvent aussi d'encre rouge, à temps perdu...
Arpentant Mont-Royal avec Éric, on est tombés sur Falardeau. Comme chaque fois, on s'est mis à s'insulter chaleureusement; tandis qu'on se serrait la main, il jetait des regards anxieux alentour, faisant mine de s'inquiéter qu'on le voie avec moi.
J'ai mal aux dents j'ai mal aux dents c'est lancinant j'ai mal aux dents.
Dix-neuf états US ont triplé la taxe sur la bière pour aider à financer l'effort de guerre. À terme, ça devrait contribuer à la rendre impopulaire.
Julie a démissionné vendredi midi, sans prévenir. C'est un coup dur. Je m'étais pas mal démené pour elle. Mais, comme le disait mon vieux prof Adrien Leblanc, il faut faire confiance aux gens. Une phrase que je n'ai comprise que bien plus tard, mais qui a changé ma vie. On peut se mettre à l'abri des déceptions en se méfiant a priori de tous, mais ça nous fait passer à côté de ceux, la minorité, qui ne nous baiseront pas la gueule.
Suis passé voir Guillaume au Boudoir vendredi soir. L'ai embrassé sur le front en partant.
Steve a voulu à tout prix parier avec moi. Prétendait que Yves Desgagnés incarnait Abel dans Race de monde. Je savais bien qu'il s'agissait de Jean-Luc Montminy. L'ai prévenu trois fois de ne pas insister. Voulait gager 100$. Finalement, j'ai remené l'enjeu à 40$ et on est descendus au Bunker pour consulter Internet. Il est remonté en boudant. Sans réaliser qu'il venait de gagner 60$...
Découvert ce renseignement passionnant sur le site de l'ANEL:
De 1940 à 1947, 21 millions de livres ont été imprimés en français, au Québec. Dans l'introduction de son ouvrage Les tribulations du livre québécois en France, Josée Vincent, membre du Groupe de recherche sur l'édition littéraire au Québec (GRELQ) de l'Université de Sherbrooke, rappelle cet épisode singulier : « Paralysée par l'occupation allemande, la France ne peut plus approvisionner ses marchés extérieurs en livres. Les éditeurs québécois profitent de cette occasion unique pour se lancer à la conquête d'un public mondial. Presque du jour au lendemain, des livres québécois sont diffusés aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, en Algérie, etc. Par contre, les liens directs avec la France sont rompus. Seuls les Français exilés en Amérique du Nord entretiennent des relations avec le milieu du livre au Québec. Lorsque l'armistice est signé en 1945, les Québécois détiennent un quasi-monopole de l'édition francophone.»
Est-il utile de préciser que ça n'a pas duré?
Dominique m'écrit que Réginald l'éreinte dans La Presse d'aujourd'hui. Elle a l'air de prendre ça comme une grande fille. Le Martel peut y aller fort quand il est d'humeur à enfoncer un clou.
Les journalistes tombent comme des mouches en Irak. Pourtant, la qualité de l'information n'en souffre pas: elle est aussi mauvaise qu'avant.
Claude et Louis-Étienne sont arrivés dans la nuit de vendredi à samedi. À voir la tête du premier, on aurait pu croire que c'était lui qui venait d'accoucher. Le second m'a demandé une chanson pour son prochain album.
CNN frôle le fond. Diffusant un vidéo de Saddam Hussein paradant présumément dans Bagdad, et sous-entendant qu'il s'agit d'un sosie, la chaîne sous-titre: «Selon les services de renseignement US, Saddam veut que les Irakiens pensent qu'il est toujours vivant». Tu parles d'une vie éternelle! Continuer à mener la guerre après sa mort, à désirer, à vouloir.
À force de vouloir le beurre et l'argent du beurre et les pis de la vache, ces cons de Yankees s'enfoncent: on ne peut à la fois prétendre avoir tué un homme et lui prêter une vivante volonté post-mortem sans lui conférer une aura d'immortalité qui reviendra nous mordre le cul.
Trente pages à revoir et j'ai fini, faut encore que je me douche, à deux heures je vais rencontrer les gens d'Édipresse avec Pierre et Lili Gulliver: montrer des visages humains à ceux qui distribueront nos livres aux multiples coins du Québec. On sonne sans le code à la porte du Bunker: je choisis d'ouvrir. C'est un messager qui me livre les premiers exemplaires d'Origines. Pas le temps d'ouvrir la boîte! La boucle est presque bouclée.
Dominique est malade, au lit et seule, prise aux poumons.
Richard Chamberlain en Blackthorne indigné (Shogun): «Est-ce que j'ai l'air d'un de ces maudits sodomites? Mes coutumes intimes, Madame, n'incluent pas les garçons!»
Ça, c'est un acteur! Aussi crédible que Sean Connery déguisé en Japonais dans un James Bond.
Mon dépanneur ammanite, penché sur La Presse, le front soucieux, me demande la signification de l'expression canard boiteux.
À l'heure qu'il est, fiston doit être en grande conversation avec Turgeon, qui a peut-être un boulot dans ses cordes à lui proposer. Le népotisme est un jeu dangereux.
Mon héritier a écrit à Pénélope pour lui offrir d'aller spinner à l'Odyssée. Devrait y avoir un club goth qui s'appelle l'Oedipe.
Noa André est née hier en soirée, toute menue, toute légère, toute pleine d'avenir, lequel comme chacun sait est très léger. Coup de fil du père pour annoncer la nouvelle, sa voix comme s'il avait les flics aux trousses.
Bunker transformé en ruche, en une sorte de Correctorium moyenâgeux: Kevin, Mario et moi, sprintant toute la veillée pour terminer la révision. Vers minuit, je déclare forfait et je tombe endormi, suivi de Mario une heure plus tard, et Kevin finit tout seul au son de nos ronflements eurythmiques, penché sur la pile de papier jusqu'à l'aube. Première fois dans l'histoire littéraire qu'un personnage corrige l'oeuvre tandis que l'auteur dort. Réminiscences de Citizen Kane.
À travers tout ça, Fred Desjardins a débarqué, première fois en deux ans, vraiment au pire mauvais moment, et dans un triste état, mais de l'amitié plein les lèvres et des branches de laurier plein les bras.
Éteint le téléphone pour ne pas être réveillé. Rêvé qu'il sonnait, me suis levé pour y répondre.
Soixante heures et le compteur tourne toujours comme un derviche overdosé. Éric campe ici en attendant de trouver la fortitude de passer sa première nuit dans la chambre qu'il a louée hier. Le Vigneau nouveau est arrivé puis reparti: entre les deux, il a roupillé quasi un tour d'horloge sur le divan désoeuvré, cuvant son idylle toute neuve, puis s'est levé échevelé, le regard soûl et la cervelle inefficace, en amour, en amour, en amour, bon à rien qu'à nous enfiler d'inoffensives âneries qui me laissaient décarcassé, rongeant mon frein, enseveli. Et encore, s'il n'y avait que ça, mais l'infâme scélérat s'entête à me manger davantage de saucisses que de pains à hot-dogs, ce qui n'est rien moins, à mes yeux, qu'un iconoclaste assaut vicieux contre l'équilibre et l'harmonie, un crime crapuleux envers l'équation cosmogonique, sans parler que ça me fiche à tous les coups une intarissable épistaxis.
Et le boulot s'empile, implacable et sans coeur, la couleur de l'avalanche obscurcit ma vision cependant que l'air s'empuantit de malsaines senteurs.
Ça a fait un an hier que je nourris cette chose, ce journal, ce roman, ce blog.
Aujourd'hui, lunch avec Turgeon. Je prendrai du poisson d'avril.
Une heure durant, cette page a été remplacée par un blog en espagnol. Un bogue de blog. Et Kevin d'appeler, affolé, craignant qu'on m'ait kidnappé ou quelque chose. Il garde l'oeil ouvert, celui-là, et le bon. A abattu cent pages d'ouvrage sur les épreuves, restent cent-soixante et quelques. Il a beau avoir tout lu à mesure, en plus de le vivre, il ne s'était jamais tapé le Journal au complet, d'une seule traite. Ce n'est que maintenant, avec le recul, qu'il peut comprendre à fond pourquoi je parle de roman. Même pour lui, il y a une limite à la capacité d'embrasser abstraitement la globalité de mes concepts avant d'être confronté au tangible résultat.
Samedi, a fallu que je m'y reprenne à trois fois avant que ma famille m'écoute porter mon toast. Les conférences à 200$ l'heure étaient loin. Doux sein d'humilité. Matrice d'heure juste.
J'ai discuté le plan projeté de Goth avec mon fils. Il accepte que j'emprunte des morceaux de sa vie. Je crois qu'il est tout à fait conscient que je n'ai pas coutume de demander la permission.
J'ai réparé mon magnétoscope. Joe Tournevis, c'est moi. Maintenant, si je pouvais seulement apprendre à payer mes factures.
Vingt-et-unième anniversaire de mon rejeton. Hier, fête chez maman: nous étions tous réunis pour la première fois depuis dix ans. Je me suis rétrogradé et papa a repris son bout de table.
Kevin est reparti avec les épreuves de Vacuum. Va les passer à l'égreneuse. J'en tremble pour elles.
Justine est morte. Vive Dominique.
Le Kevin tout joyeux, tout léger, tout jeune homme, au sommet de ses moyens, beau, le sourcil détendu, le front déplissé, la semelle printanière, et je sais bien que ses retrouvailles prévues plus tard cet après-midi avec la vraie maîtresse, pas l'onirique, n'y étaient pas étrangères, à son état, mais il n'y avait pas que ça, c'était comme si, pour la première fois, il vivait en paix sans regret et en parfaite intelligence avec ses choix, tous ses choix, fondus enfin en quelque chose de plus réel, de plus tangible à ses yeux qu'une cruelle et dérisoire allégorie du libre-arbitre.
Mon allocation mensuelle est arrivée plus tôt, sûrement par erreur, mais enfin, je n'ai pas chicané sur la couleur de la bride et j'en ai profité pour partager le cheval. Ça m'a permis de prêter à un incurable romantique de ma connaissance de quoi offrir du bon vin à sa douce, laquelle n'a pas l'air du genre à cracher dedans.
Quand je pense que cet être invraisemblable m'a appelé ce matin après avoir lu mon Journal, me devinant fébrile, juste pour me rassurer dans la vie éveillée à défaut d'avoir pu intervenir dans mes rêves...
Monté corriger un texte antiguerre de CGDR. Lui ai appris à copier-coller. Je suis son nouveau dieu.
Seconde séance avec DD. Les premiers clichés étaient trop flous pour illustrer une quatrième de couverture pleine page au format 6 pouces par neuf. C'est, en effet, le ton très new yorkais que j'ai résolu de donner à Graal, en plus des rabats. On a donc délaissé le numérique pour revenir au bon vieux Kodak.
Kevin arrive avec l'impression du projet Goth pour ma demande de bourse.