19.3.03

François Lemay a torturé son ordinateur, qui lui a finalement restitué l'enregistrement de notre entrevue du 15 février. Vais pouvoir vérifier s'il est vrai que je parle comme j'écris. Comment prononce-je les virgules?
Quelque part dans le courant de la nuit, mes Quotidienneries ont reçu leur vingt millième visite. Semper fidelis.



Le Vigneau s'est claquemuré avec une gentille cocotte, incommunicado. Le printemps approche. Arrive demain, en fait. Love is in the air.



Pénélope semble avoir apprécié son séjour, même si je n'ai pas saupoudré assez de paprika (mot hongrois) sur son pâté chinois.

18.3.03

Kevin, ou l'un de ses invités, a renversé du houblon sur son clavier. Notre correspondance, d'ordinaire abondante, s'en ressent.
Me suis enfin décidé à retourner à la clinique. Toujours pas de toubib de garde, et aucune réceptionniste en vue. À se demander pourquoi, et comment, ils paient le loyer. Ai tourné les talons et suis allé m'acheter du chocolat.



À mon retour au Bunker, une ambulance se rangeait devant le building.
Hussein n'aura pas le loisir de céder ses actions à ses fils pour éviter tout conflit (militaire). À ma montre, il reste trente-huit heures à la smala Baas pour quitter le pays (Bagdodge City) et ainsi, peut-être, éviter la guerre. S'ils partent tout de suite, ils peuvent se rendre à pied à la frontière la plus proche. Marcher pour la paix.

17.3.03

Kevin a expliqué sans rire à son client, amateur d'art mosaïque, qu'en sa qualité d'artiste, on ne pouvait décemment espérer de lui qu'il copie une toile sans la voir. Le type est allé emprunter l'objet en question et le lui a apporté.



Visite de fiston. Avons causé guerre, gothisme, carrière, épicerie et poésie. L'ai rempli de saumon rôti et de tarte aux pommes.
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Les rats quittent le navire, c'est-à-dire que tout ce qui n'a pas de racines en Irak est invité à décamper au plus sacrant. Parfum de poudre, de gaz et de microbes.



BL m'envoie une photo numérique prise par Pascal Lysaught lors du lancement du 13 mars. À la voir, je comprends qu'on ne vienne pas souvent me déranger.

16.3.03

Signé le bon à tirer d'Origines; départ pour l'imprimerie aujourd'hui. N'ai pas choisi la couleur de la couverture, caca d'oie gavée aux épinards. Mais la typo est superbe.

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Vendredi, rassemblement monstre au Bunker: Kevin, Éric, Jean-Christian, Amélie et Pénélope, bière, cabernet sauvignon et pâté chinois, plus Steve qui allait et venait. Ai veillé sur le sommeil de Sekhmet, un peu déçue, mais je lui ai préparé un bon petit déjeuner et elle est allée se rattraper avec saint Patrick.



13.3.03

Retour du pow-wow. Avec Kevin et Mario, je suppose qu'on a l'air d'un gang à nous tous seuls su sein de la mafia Moebius. On est descendus à pied; au passage, on est arrêté voir les fondations de la Grande Bibliothèque. Ça monte mollo.



Laverdure était très chic dans sa chemise savamment fripée. La chroniqueuse CIBlienne faisait office de barmaid; on a emmené son amant fumer dehors avec nous. Triptyque sort une belle brochette de bouquins, bien équilibrée et plutôt substantielle pour la saison. Julie, de Trait d'Union, toujours à couper le souffle, semblait se demander ce qui se passe au juste dans sa maison. Mario s'est engagé à envoyer son manuscrit à BL d'ici trois semaines. La machine littérature fonctionne à plein régime.
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La production de Vacuum va à fond de train, la machine est bien graissée, tous ses éléments carburent en harmonie que c'en est une beauté. Le graphiste Jean-Philippe Gaudet a livré une maquette superbe, dont je n'ai eu à modifier que quelques éléments mineurs. Quant à Turgeon, il est allé en Cour Supérieure faire ravaler leurs affidavits à ses diffamateurs.



Hier, visite de Jean-Christian. Il se sent changer pour le mieux, à la charnière d'un nouveau mode de gestion des aléas de l'existence. Bonheur d'assister au spectacle de sa vie d'homme naissante.



Sauté une journée dans le Journal, histoire de fermer un peu le robinet à Stéphane Laporte. Le drôle n'écrivait-il pas dans La Presse d'hier que pour éviter l'apparence de conflit d'intérêts, Paul Martin devrait céder ses actions aux fils de Jean Chrétien? Putain, je comprends que le gars n'est pas capable de couper sa viande tout seul, mais est-ce une raison pour picosser dans mon assiette?



Ce soir, lancement de Triptyque à la BN.

11.3.03

L'ex-Honorable et toujours onéreux Paul Martin (prononcer avec un fort accent bloke) désire vraiment beaucoup devenir Premier Ministre du Canada. Au point de consentir à se départir de ses actifs dans la Canada Steamship Lines. Au profit de son fils. Afin d'écarter tout soupçon de conflit d'intérêts. Or, je crains que ce noble geste ne suffise pas à l'abriter des méchantes langues, aussi me sens-je obligé de lui recommander ceci: vos actions, donnez-les plutôt à mon fils à moi. De cette façon, personne ne vous accusera jamais de rien et vous pourrez gouverner sans passer pour un crosseur. Non, surtout ne me remerciez pas. La joie de rendre service se suffit à elle-même.
Pour la première fois depuis que l'émission existe, je me suis permis de regarder Origines au canal Historia. Mes épreuves corrigées du livre identiquement intitulé sont rendues à Trois-Pistoles, et je peux enfin assouvir ma curiosité.



Ça parlait de l'esclavage au Canada, à travers la figure de Marie-Madeleine Renard, une indienne asservie, puis affranchie, puis épousée par son maître. Je n'ai vu que les dix ou quinze dernières minutes. Les portions éducatives étaient fournies en alternance par Marcel Trudel et un autre homme dont je n'ai pas saisi le nom, un noir francophone aussi intéressant qu'élégant, par exemple il exposait sans passion pourquoi il aurait été bien malaisé pour le clergé de reconnaître dans les livres d'Histoire, qu'il rédigeait, l'existence des esclaves, qu'il possédait (aussi). Sauf qu'à la fin, on voit Trudel répéter (il a été le premier à le dire, et je le crois, et je le cite de mémoire): «Montrez-moi un Québécois pure laine et je le ferai encadrer. Un Québécois pure laine, ça n'existe pas!» Il parle bien sûr de notre métissage avec les Sauvages, sauf que l'instant d'après, voilà ce type noir comme le poêle qui confirme (oui, oui, je cite de mémoire): «On sait qu'en cas de métissage, après trois générations , la pigmentation noire disparaît. Ainsi, on peut rencontrer quelqu'un aux yeux verts...»



J'en revenais guère. Origines, ça s'appelle, et c'est financé par les ressources du pays qu'on n'est pas encore et qu'on n'est pas parti pour être. Couper Trudel au milieu de son importante révélation et en accoller la moitié insignifiante au discours saugrenu de ce nègre inconnu sirupeux comme un ministre, vouloir nous faire croire qu'on est peut-être descendants d'Africains au lieu de nous apprendre une fois pour toute qu'on a tous du sang amérindien, c'est tellement dégueulasse que j'en faillis vomir mon pemmican.



Y a qu'à voir mes soeurs pour savoir qu'on a de l'Abénaki dans la famille, pas loin en haut de l'arbre. Vous autres aussi, si vous êtes Canadien-Français et que votre présence ici remonte au dix-septième siècle, voire au début du dix-huitième, de l'Algonquin et du Huron et de tous ces noms qui signifient Indien, vous en avez dans les veines. On a kidnappé votre trisaïeulle toute petite dans une réserve et on l'a baptisée d'un nom chrétien et on l'a «civilisée» et on l'a mariée à votre trisaïeul. Croyez tout de même pas que c'est seulement avec les Filles du Roy qu'on a peuplé ce pays-là?



Mais fonder des familles sur des unions mixtes entre blancs et noirs dans la Nouvelle-France, puis le Bas-Canada, ça non, c'est jamais arrivé, c'est trahir l'histoire que de le laisser croire, trahir nos enfants ignorants qui veulent apprendre et trahir la mémoire des Sénégalais morts dans les fers autrefois sans pouvoir se perpétuer librement et trahir les squaws assimilées de force qui devinrent les mères de notre nation.



Christ, je ne vais pas faire une profession d'évoquer Claude Jasmin, mais Mario, mine de rien, me ramène au réel et m'oriente vers un texte où je ne risque pas de ne pas trouver de grosses conneries, même avec la meilleure volonté du monde et du masking tape sur mes barniques. Le Petit-Patriote appelle les indépendantistes à se taire pour ne pas nuire au PQ. Misère de misère. Mon regretté grand-oncle Raoul Roy lui aurait tranché une réponse à l'en faire se bouffer les fantômes de ses couilles.
J'ai été dur avec Jasmin l'autre jour, trop sans doute, et ça me tarabustait depuis. Ce soir, je me suis dit: «Va sur son site, consulte une page au hasard et tu te remettras d'accord avec toi-même.» Je suis tombé sur son journal en date du 17 avril 2002. Fait défiler la page à toute pompe, cherchant une grosse connerie. En vain. Fallait que j'atterrisse sur un de ses bons jours. Peut-être en a-t-il plusieurs. Changer de page aurait été injuste. Le septième point de son agenda cette journée-là parle du réconfort qu'apportent les religions aux malheureux de ce monde, et n'exclut pas (intelligemment) que lui-même puisse y avoir recours un sombre jour. Touchant.



Zappais. Me suis fait accrocher par l'entrevue de Guillaume Vigneault avec Marc Labrèche. G a fait d'immenses progrès dans l'art de gérer le temps TV et de réagir au grotesque. Note parfaite. Je lui attribuerais même onze sur dix s'il avait, quand Marc a imité Gilles Vigneault, répondu en faisant Aristide Cassoulet (Gaétan Labrèche dans le Major Plum Pudding), mais Guigui est trop jeune pour se rappeler ça. INTER-POLLL!



Tous les numéros de JF sont débranchés, de même que son adresse e-mail. A fallu que je passe par Angel pour le retrouver. L'est pas mort, va même très bien. On va essayer de remettre ça cette année: passer la soirée des Oscars ensemble et rire du beau monde et nous mettre à jour dans nos nouvelles mutuelles et passer la soirée ensemble et passer la soirée ensemble.

10.3.03

L'amitié, ça peut parfois consister à envoyer son ami au Nunavut. Éric a besoin de changer d'air et d'un nouveau départ. Je lui ai raconté l'histoire de Denys, et ça l'a fasciné. Ce dernier va lui fournir d'autres informations utiles et précises. Le grand nord n'a qu'à bien se tenir.
Stéphane Laporte, concepteur extraordinaire, reste fidèle à sa technique éprouvée de création: trouver une idée (chez quelqu'un d'autre) et la piquer. Justine me signale que son clin d'oeil dans La Presse d'aujourd'hui suggère d'envoyer des sacs de bretzels à Bush pour qu'il s'étouffe avec sa guerre.



Terminé et livré la correction des épreuves d'Origines. Victor-Lévy a réussi à faire 106 pages avec 60 et le livre sera vraiment très beau.

9.3.03

C'est rare que je rate une année: d'habitude, le 8 mars, je réponds à l'invitation de Claudine Bertrand et me présente comme un seul homme à l'événement qu'elle organise annuellement pour fêter les femmes. Elle a beau diriger la revue Arcade, c'est aussi une proche et précieuse amie, indéfectible, et malicieuse comme une fillette élevée dans une grange par des motards. Elle m'invite à ces trucs-là juste pour voir la tête de ses copines qui ne sont pas encore au parfum. D'année en année, il y en a de moins en moins, mais c'est bien le diable si on n'arrive pas chaque fois à en faire freaker une, quelque grébiche fondamentaliste revenue récemment à la cause et qui manque se péter une veine en me voyant.



Hier, j'ai dit fuck. Les gars commencent de plus en plus à s'autoriser à envisager de refuser de faire semblant, je parle des gars qui ont des blondes, j'en connais quelques-uns, et je me dois d'appuyer leur début de libération, de bénir par ma solidarité ce foetus de reconquête de soi. Il y a de vraies victimes dans le monde, et j'ai passé deux heures hier à rédiger des lettres pour réclamer la libération de prisonniers politiques. Ça faisait longtemps que je n'avais pris la peine. Ma cotisation à Amnistie Internationale est échue depuis un bail. Mais je ne voulais pas protester passivement contre l'image malhonnête de la femme-victime, perpétuée par d'autres femmes pour des motifs stratégiques, je ne voulais pas me contenter de rester assis sur ma lune, je voulais consacrer un effort équivalent à tenter d'aider du monde qui l'ont vraiment dans le cul. Finalement, j'ai écrit six lettres traitant de trois cas, trois personnes incarcérées pour leurs opinions. Un homme. Une femme. L'autre, je suis pas sûr, c'est un nom sanskrit et la photo est brouillée.

8.3.03

La petite hébreuse pourrait naître à tout instant. Sarah doit être grosse comme un kibboutz. J'écris à Claude, lui laisse de petits messages fraternels sur son répondeur. Personne ne songe jamais à s'occuper du père en ces heures-là, et ensuite on s'étonne qu'il tourne de l'oeil ou tourne les talons en arrivant à l'hôpital.



Cette nuit, au bar, eu une passionnante et trop brève discussion avec JV (esprit obstiné, incisif et fin; nature fiable: peu avant l'entrevue de Justine, elle venait de subir un accident d'auto et s'était néanmoins présentée au studio, pâle comme un drap, tremblante, mais la voix ferme), l'une des chroniqueuses CIBLiennes rencontrées voici quelques samedis, et son amant, JFR, dont elle n'est pourtant pas l'amie (paraît qu'il n'en a pas, d'amis. Je m'en suis étonné, vu qu'il m'a tout de suite été sympathique: costaud, intelligent, rieur, l'oeil pétillant et tout son être vibrant d'un sincère découragement au spectacle de son époque. «Tu n'en veux pas, d'amis? C'est pour ça que tu n'en as pas?» j'ai demandé. «Non, a-t-il répondu, l'air d'y penser pour la première fois. Non, c'est pas ça. Je n'en ai pas, c'est tout.» «Je vais l'être, moi, ton ami, si tu veux, proposai-je sincèrement, simplement et sans apitoiement. Tu ressembles à ceux que j'ai déjà!» Il m'a regardé aussi franchement, il a vu que ce n'était pas une blague ou de la charité condescendante, j'ai vu dans ses yeux qu'il décidait de ne pas dire non.



Mais je veux en venir, avec cette anecdote, à ce bout d'épisode qui m'était sorti de la tête pour faire place à l'article du Devoir: la jeune femme m'a appris que la station a perdu l'enregistrement de mon entrevue. Ensuite, son amant m'a confié qu'il en avait vu ou entendu des tas, d'entrevues de moi, au fil des ans, et que celle-là était de loin la meilleure. Tu parles d'une cruelle chose à dire!
Pour faire se bidonner le Saigneur, écrivais-je, faites-lui part de vos projets. Certains s'imaginent que j'exagère, qu'il s'agit d'une métaphore.



Cette nuit, je suis allé m'en jeter un petit au bar du coin pour célébrer la signature de mon contrat. Ce matin, le Devoir titrait avec un enthousiasme louche: L'éditeur Pierre Turgeon en difficulté: Après plusieurs rebondissements dans diverses affaires judiciaires, l'éditeur Pierre Turgeon et sa maison Trait d'Union éprouvent un durcissement dans leurs relations avec les imprimeurs. Marc Veilleux imprimeur, une entreprise spécialisée dans le livre depuis des années, refuse désormais d'imprimer les ouvrages de l'éditeur. La

maison a obtenu mercredi de la Cour supérieure un bref de saisie pour le paiement d'une facture de 107 857,85 $, soit celle des livres imprimés par Veilleux entre le 8 novembre 2002 et le 7 février 2003. Ce bref a été exécuté jeudi dans la journée.




Et ça continue comme ça sur plusieurs paragraphes, et le Saigneur se tord de rire. Moi, je vais me coucher.