Stéphane Laporte, concepteur extraordinaire, reste fidèle à sa technique éprouvée de création: trouver une idée (chez quelqu'un d'autre) et la piquer. Justine me signale que son clin d'oeil dans La Presse d'aujourd'hui suggère d'envoyer des sacs de bretzels à Bush pour qu'il s'étouffe avec sa guerre.
Terminé et livré la correction des épreuves d'Origines. Victor-Lévy a réussi à faire 106 pages avec 60 et le livre sera vraiment très beau.
C'est rare que je rate une année: d'habitude, le 8 mars, je réponds à l'invitation de Claudine Bertrand et me présente comme un seul homme à l'événement qu'elle organise annuellement pour fêter les femmes. Elle a beau diriger la revue Arcade, c'est aussi une proche et précieuse amie, indéfectible, et malicieuse comme une fillette élevée dans une grange par des motards. Elle m'invite à ces trucs-là juste pour voir la tête de ses copines qui ne sont pas encore au parfum. D'année en année, il y en a de moins en moins, mais c'est bien le diable si on n'arrive pas chaque fois à en faire freaker une, quelque grébiche fondamentaliste revenue récemment à la cause et qui manque se péter une veine en me voyant.
Hier, j'ai dit fuck. Les gars commencent de plus en plus à s'autoriser à envisager de refuser de faire semblant, je parle des gars qui ont des blondes, j'en connais quelques-uns, et je me dois d'appuyer leur début de libération, de bénir par ma solidarité ce foetus de reconquête de soi. Il y a de vraies victimes dans le monde, et j'ai passé deux heures hier à rédiger des lettres pour réclamer la libération de prisonniers politiques. Ça faisait longtemps que je n'avais pris la peine. Ma cotisation à Amnistie Internationale est échue depuis un bail. Mais je ne voulais pas protester passivement contre l'image malhonnête de la femme-victime, perpétuée par d'autres femmes pour des motifs stratégiques, je ne voulais pas me contenter de rester assis sur ma lune, je voulais consacrer un effort équivalent à tenter d'aider du monde qui l'ont vraiment dans le cul. Finalement, j'ai écrit six lettres traitant de trois cas, trois personnes incarcérées pour leurs opinions. Un homme. Une femme. L'autre, je suis pas sûr, c'est un nom sanskrit et la photo est brouillée.
La petite hébreuse pourrait naître à tout instant. Sarah doit être grosse comme un kibboutz. J'écris à Claude, lui laisse de petits messages fraternels sur son répondeur. Personne ne songe jamais à s'occuper du père en ces heures-là, et ensuite on s'étonne qu'il tourne de l'oeil ou tourne les talons en arrivant à l'hôpital.
Cette nuit, au bar, eu une passionnante et trop brève discussion avec JV (esprit obstiné, incisif et fin; nature fiable: peu avant l'entrevue de Justine, elle venait de subir un accident d'auto et s'était néanmoins présentée au studio, pâle comme un drap, tremblante, mais la voix ferme), l'une des chroniqueuses CIBLiennes rencontrées voici quelques samedis, et son amant, JFR, dont elle n'est pourtant pas l'amie (paraît qu'il n'en a pas, d'amis. Je m'en suis étonné, vu qu'il m'a tout de suite été sympathique: costaud, intelligent, rieur, l'oeil pétillant et tout son être vibrant d'un sincère découragement au spectacle de son époque. «Tu n'en veux pas, d'amis? C'est pour ça que tu n'en as pas?» j'ai demandé. «Non, a-t-il répondu, l'air d'y penser pour la première fois. Non, c'est pas ça. Je n'en ai pas, c'est tout.» «Je vais l'être, moi, ton ami, si tu veux, proposai-je sincèrement, simplement et sans apitoiement. Tu ressembles à ceux que j'ai déjà!» Il m'a regardé aussi franchement, il a vu que ce n'était pas une blague ou de la charité condescendante, j'ai vu dans ses yeux qu'il décidait de ne pas dire non.
Mais je veux en venir, avec cette anecdote, à ce bout d'épisode qui m'était sorti de la tête pour faire place à l'article du Devoir: la jeune femme m'a appris que la station a perdu l'enregistrement de mon entrevue. Ensuite, son amant m'a confié qu'il en avait vu ou entendu des tas, d'entrevues de moi, au fil des ans, et que celle-là était de loin la meilleure. Tu parles d'une cruelle chose à dire!
Pour faire se bidonner le Saigneur, écrivais-je, faites-lui part de vos projets. Certains s'imaginent que j'exagère, qu'il s'agit d'une métaphore.
Cette nuit, je suis allé m'en jeter un petit au bar du coin pour célébrer la signature de mon contrat. Ce matin, le Devoir titrait avec un enthousiasme louche: L'éditeur Pierre Turgeon en difficulté: Après plusieurs rebondissements dans diverses affaires judiciaires, l'éditeur Pierre Turgeon et sa maison Trait d'Union éprouvent un durcissement dans leurs relations avec les imprimeurs. Marc Veilleux imprimeur, une entreprise spécialisée dans le livre depuis des années, refuse désormais d'imprimer les ouvrages de l'éditeur. La
maison a obtenu mercredi de la Cour supérieure un bref de saisie pour le paiement d'une facture de 107 857,85 $, soit celle des livres imprimés par Veilleux entre le 8 novembre 2002 et le 7 février 2003. Ce bref a été exécuté jeudi dans la journée.
Et ça continue comme ça sur plusieurs paragraphes, et le Saigneur se tord de rire. Moi, je vais me coucher.
Bertrand Laverdure m'envoie l'une des cartes postales à mon effigie dont il a fait l'achat. Tel Champollion, je me penche sur ses pattes de mouches et m'échine à les déchiffrer. On est vraiment bien assortis, moi et lui: un kid kodak et un collectionneur d'images d'écrivains.
Et moi aussi, un jour, j'ajouterai quelque chose au vase de tristesse, au graal des poètes romantiques (BARRÈS, Cahiers, t. 1, 1897, p. 128).
Une nouvelle qui passe dans le beurre: après avoir d'abord parlé de crise cardiaque et d'embolie pulmonaire, l'armée états-unienne reconnaît maintenant que deux prisonniers capturés en Afghanistan en décembre ont été tués durant leur interrogatoire à la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul. Les certificats de décès rendus publics établissent clairement qu'il s'agit d'homicides dus à des coups. Jusqu'à maintenant, les officiels n'admettaient le recours qu'à des «traitements humains» tels que: privation de sommeil, refus de médication pour blessures encourues au combat, obligation de demeurer debout ou agenouillé des heures durant la tête recouverte d'un capuchon, exposition à des bruits stridents et de soudains flashes lumineux, ainsi que contrainte de se soumettre à des pratiques culturellement humiliantes telles que recevoir des coups de pied de la part d'officiers féminins. Amnistie Internationale et Human Rights Watch ne partagent pas l'avis des USA sur l'humanité de ces traitements et n'hésitent pas à parler de torture telle que définie par les traités internationaux. Également critiquée, la politique US de remettre ses suspects à des pays comme la Jordanie, l'Égypte ou le Maroc, qui ne prennent pas de gants, sinon des gants de boxe. HRW ne fait pas de distinction légale entre torturer directement et user de sous-contracteurs. Franchement, moi non plus, et je suis sûr que la nuance échappe aussi aux mecs qu'on passe au cash en cachette.
Ces deux-là s'appelaient Dilawar, 22 ans, de la région de Khost, et Mullah Habibullah, 30ans. On ne sait pas le nom complet du premier, et on ignore d'où provient le second.
Pour moi, la seule chose qui m'empêche de me faire musulman, c'est que je ne crois plus en Dieu.
Il paraît que pour faire rigoler le Bon Dieu, on n'a qu'à lui confier nos projets. C'est pourquoi je suis demeuré coi quant aux miens ces derniers jours. Hier, Kevin a couraillé la ville pour imprimer ma version révisée du contrat que me proposait Trait d'Union. Son imprimante était à sec; à l'université, déserte à cause de la semaine de relâche, rien ne marchait sauf les employés, dehors, brandissant des pancartes. Finalement, il s'est ramassé chez Zeffino et a pu terminer la job.
Si bien que, ce midi, Pierre Turgeon est venu dîner et qu'on a signé cet excellent contrat. Entre la poire et le fromage, il nous restait du temps, aussi en a-t-on profité pour créer une collection par la même occasion. Elle s'appellera Graal et Pierre m'en a proposé la direction, mais on verra ça plus tard. Pour l'heure, je préfère qu'il en assume la responsabilité.
Le livre sortira en avril, pour le Salon du livre de Québec, en même temps qu'Origines. Turgeon, Beaulieu, deux amis de trente ans, sinon plus: tout devrait baigner dans l'huile.
Pour la couverture, il veut jouer ma face, si bien que je dois reporter le recours aux peintures de Kevin.
Par ailleurs, j'apprends que Lili Gulliver a signé avec eux ce matin et que Pierre fait chez lui le ménage qui s'impose. Tout ça augure vraiment très bien. Pour fêter cette association attendue depuis vingt-cinq ans (j'en avais treize la première fois que je suis allé aux éditions Quinze, propriété de PT), j'ai fumé le reste du cigare de Justine.
Un sondage Léger & Léger révèle que l'immense majorité des non-francophones prévoit voter pour le parti libéral. Léger, en effet. Devraient s'appeler La Palice & La Palice. À quand un sondage sur d'autres brûlantes questions? Un pour déterminer si l'immense majorité des Hell's Angels a déjà commis des actes criminels. Un autre pour confirmer que l'immense majorité des Montréalais d'origine jamaïcaine ignore les paroles de «Gens du pays»...
Aphane, le premier, a songé à ressusciter Lisystrata d'Aristophane pour tenter d'éviter la guerre d'agression qui sera bientôt livrée.
Bon, ça ne va pas marcher, mais c'était quand même une chouette et généreuse idée.
Maintenant, je propose d'ajuster la tactique à l'urgence de la situation: envoyons, depuis tous les pays du monde, des sacs de bretzels à la Maison-Blanche, aux soins de George Bush, en espérant qu'il s'étouffe avec le message. Des milliers, des millions de bretzels postés vers la trachée de l'empire. Chaque sac un souhait de décès sous forme de provision de bouche. Venant de pacifistes pragmatiques préférant voir crever cette ordure que les dizaines de centaines qui mourront bientôt par sa faute.
Elle demande pourquoi je dis et pourquoi je fais ces affaires qui me font perdre des boulots lucratifs. Je réponds que ce qui a de la valeur doit nécessairement coûter quelque chose. Elle insiste: «Tu paies trop cher!» Je plaide: «Il faut payer en premier, puis le monde se convainc de payer à son tour.» Elle me lance un oreiller. Je vais dormir tout habillé, si je dors.
Une high school student montréalaise, interrogée aujourd'hui en pleine manif, répond: «Because my kids are going to ask where were you in 2003 and what were you doing about what was going on and I don't want to have to answer that I wasn't doing anything».
Voilà. Sur papier, on dirait un cliché, mais le ton de cette jeune femme excluait tout calcul et tout automatisme, elle était d'une incontestable sincérité, bouleversante pour un vieux Vamp de ma trempe, pour qui ces mots n'ont jamais résonné quand c'était le temps, et c'est d'eux dont je veux parler, les squatters, les anti-zlea, les bouffeurs de lacrymogènes, les itinérants Goths de dix-huit ans, qui croient en la famille, rêvent d'enfants et de comptes à rendre, tous ces déshérités qui travaillent à transmettre ce qu'ils n'ont jamais reçu tout en réparant ce qu'on endommage.
À Radio-Canada, entrevue avec un bouclier humain en partance pour Bagdad. Me demande si c'est un métier d'avenir, ça, bouclier humain. Le programme est-il très contingenté?
Journée chez Kevin. L'amitié, c'est la civilisation, et inversement.
Il s'est racheté des lunettes (deux paires, une pour sortir, l'autre pour rentrer) et va se mettre à sa grande toile représentant la partition de la mer Rouge. On a loué le second Star Wars et on a tripé en comparant chaque plan aux BD de Druillet.
Me suis pris un joyeux coup de vieux, hier, chez mon père. La fille de sa blonde me raconte que son prof de physique au Cégep lui a parlé de moi, de notre ancienne amitié. Ce prof, c'est Luc Richer, et la dernière fois qu'on s'est vus avant que la vie nous sépare, on était nous-mêmes au collège, il étudiait les sciences pures et moi les lettres. Tout un pan de ma jeunesse émerge des profondeurs vagues.
Passé mon tour, hier soir. Kevin voulait qu'on aille se faire quelques billards avec Eddy. Je voulais juste me parquer dans mon pucier, lire et récupérer un peu. Lui ai demandé de couler une huit pour moi.
C'est arrivé hier, à deux pas d'ici, sur Christophe-Colomb près de Rachel. Un gars de vingt ans sort pour prendre sa marche dominicale. À cent cinquante mètres de chez lui, passant sous un gros arbre, il entend crac! et se ramasse une branche sur le crâne. Il expire quelques heures plus tard. Les émondeurs plaignent le patrimoine arboricole.
Pèlerinage à Longueuil, lunch avec papa.
Vivre sous l'aile et dans l'ombre d'un grand singe volant tel que doublevé, avec sa face de chimpanzé et son programme politique dicté par l'OSM (Ouestèrne Sorcière Méchante), sentir qu'on va-t-en guerre mondiale grâce au mot du mignon Rumsfeld (le mot: old, comme dans old Europe)... Ce sale chien prétentieux excite les passions de Paris à Saint-Pétersbourg, et les Turcs élus au Parlement ont bien fait, en refusant de coucher leur terre maternelle sous les coucous concupiscents des soldiaux US de 19 ans, ignorants et pleins de slogans jusqu'au ras de leurs petits yeux de rats surnourris. Si Orwell avait su qu'il donnerait aux tyrans futurs l'idée de diviser le monde en trois parties engagées dans une guerre perpétuelle dont seules changent les alliances, se serait-il logé une balle dans le crâne avant d'écrire le premier mot?
Cupide, stupide, antéchristique à son insu, Georgy doublevé est le jouet d'un mal en mouvement que Machiavel n'aurait pas su anticiper: à son époque, l'exercice du pouvoir ne supposait ni la possible destruction de la planète, ni son épuisement sûr et lent, ni l'asservissement systématique de l'homme dès le berceau.
Jasmin jasera avec Denise Bombardier, sur l'invitation de cette dernière des dernières, à la télé. Du moins on l'annonce, et je me tiens les reins de rire jaune. Un vieil écrivain fini acceptant la charité d'une vieille écrivaine jamais commencée. «Je renonce à faire la révolution avec l'homme tel qu'il est!» Bouhouhou. Fallait y penser avec l'homme tel qu'il fut, au lieu de te planquer au sous-sol de Radio-Can et de faire des décors pour les textes des autres en attendant ta pension, vieux con. L'homme tel qu'il est te pisse au cul, en espérant irriguer tes dernières années de plante plastique.
J'aime la bière comme une femme aime un homme: ça sent le diable, ça goûte amer, ça fait se sentir bien, ça donne un gros ventre, on se défait du contenant...