Pèlerinage à Longueuil, lunch avec papa.
Vivre sous l'aile et dans l'ombre d'un grand singe volant tel que doublevé, avec sa face de chimpanzé et son programme politique dicté par l'OSM (Ouestèrne Sorcière Méchante), sentir qu'on va-t-en guerre mondiale grâce au mot du mignon Rumsfeld (le mot: old, comme dans old Europe)... Ce sale chien prétentieux excite les passions de Paris à Saint-Pétersbourg, et les Turcs élus au Parlement ont bien fait, en refusant de coucher leur terre maternelle sous les coucous concupiscents des soldiaux US de 19 ans, ignorants et pleins de slogans jusqu'au ras de leurs petits yeux de rats surnourris. Si Orwell avait su qu'il donnerait aux tyrans futurs l'idée de diviser le monde en trois parties engagées dans une guerre perpétuelle dont seules changent les alliances, se serait-il logé une balle dans le crâne avant d'écrire le premier mot?
Cupide, stupide, antéchristique à son insu, Georgy doublevé est le jouet d'un mal en mouvement que Machiavel n'aurait pas su anticiper: à son époque, l'exercice du pouvoir ne supposait ni la possible destruction de la planète, ni son épuisement sûr et lent, ni l'asservissement systématique de l'homme dès le berceau.
Jasmin jasera avec Denise Bombardier, sur l'invitation de cette dernière des dernières, à la télé. Du moins on l'annonce, et je me tiens les reins de rire jaune. Un vieil écrivain fini acceptant la charité d'une vieille écrivaine jamais commencée. «Je renonce à faire la révolution avec l'homme tel qu'il est!» Bouhouhou. Fallait y penser avec l'homme tel qu'il fut, au lieu de te planquer au sous-sol de Radio-Can et de faire des décors pour les textes des autres en attendant ta pension, vieux con. L'homme tel qu'il est te pisse au cul, en espérant irriguer tes dernières années de plante plastique.
J'aime la bière comme une femme aime un homme: ça sent le diable, ça goûte amer, ça fait se sentir bien, ça donne un gros ventre, on se défait du contenant...
Le tueur moucheté est de retour! On croirait assister à la projection de la bande-annonce d'un film-catastrophe. Je me prépare des côtelettes de porc endiablées en écoutant la tv, et j'apprends que je possède une immunité résiduelle à la variole (supposément éradiquée de la planète en 1977) parce que j'ai plus de trente ans et que j'ai reçu le vaccin. C'est toujours ça de pris, et bon appétit.
Émerge douloureusement, lentement du brouillard nerveux. On a passé une nuit, avec Claude et Éric, à l'Esco après la fermeture, et les autres au Bunker, des jours et des nuits de grand nord, qui durent en apparence vingt-deux heures d'une traite.
Suis en stand-by, so to speak, les poings massés et les jointures fédérées, paré à péter les palettes du fils de putain qui a osé causer du chagrin à Justine, sauf qu'elle refuse de me dire son nom, cette salope, j'ai l'air d'un con, et soudain le soupçon: si c'était moi? Si c'était moi, Saigneur? Serais-tu assez grand pour m'éclater les dents?
L'hebdomadaire Ici me passe commande de deux feuillets sur la folie. Surtout, ne pas en faire une affaire personnelle.
J'allais sortir pour me rendre à la clinique quand Denys Demers est apparu devant moi à contre-jour. «Juste l'homme que je cherchais!» s'est-il exclamé, et je l'ai reconnu à sa voix. Frais rentré d'Iqaluit, capitale du Nunavut, où il était monté s'enfouir le temps d'oublier Ginette. Du fric plein les poches, des idées plein la caboche, et tout lui souriant tellement qu'il en a un peu peur. Va pouvoir faire mes photos pour la jaquette de Vacuum.
À la clinique, on m'a dit de revenir à trois heures. Oublié de demander quel jour.
Ajouté Lara et Luce à ma liste d'envois. Ce soir, lancement du dernier numéro d'Estuaire dirigé par Jean-Paul Daoust. Vais faire la fête, et le deuil, au Saint-Sulpice.
En après-midi, s'il ne fait pas trop froid, irai me faire prescrire des timbres nicotinés.
Chaque fois qu'on cède au désir impérial, les institutions de la République se décomposent.
Éric débarque, écoeuré d'empiler des boîtes vides depuis deux jours, pressé de se changer les idées. «Content de vous voir, les gars!», soupire-t-il, et on sent qu'il est sérieux. Visite chez Steve pour prendre la poudre d'escampette et on s'installe devant la télé. Y a Bigras qui parle de son album-compilation. On croirait jamais que deux de mes tounes figurent dessus. Il réussit presque à nous convaincre qu'il a écrit les chansons de Léo Ferré.
Kevin arrive avec sa fameuse sauce-à-spag-de-fin-du-mois, portant une tuque parce que son crâne attendri ne supporte plus le contact du feutre. Mario écrit, inquiet, pour s'enquérir de la santé de notre ami. La tribu tout entière est en commotion.
Le Bunker devient une véritable petite fontaine d'industrie. J'ai envoyé un démo de chanson aux gérants de Marie-Chantal Toupin et Natasha St-Pier. Temps de remettre mes vers en circulation.
Ça ne traîne pas, chez Trait d'Union. J'ai envoyé le manuscrit dimanche à Turgeon, qui en a accusé réception quatre heures après, et trois jours plus tard je reçois un coup de fil d'Hélène Noël, éditrice adjointe, affairée à rédiger le contrat. Trois jours, c'est ce que Louis disait que ça devrait prendre, pas plus, quand je me plaignais du silence d'André.
Hier, zappant, je me suis attardé plus longuement sur le cas de ce stratège de guerre qui espère vivre davantage en s'alimentant strictement de fruits et de légumes, et en mangeant toujours moins, 1 500 calories par jour, soit environ le double des rations dans le ghetto de Varsovie, pour réduire la production de radicaux libres par son propre organisme. Radicaux libres, quel beau couple de mots pour désigner une réalité nuisible. Mais cette idée d'étirer une existence au prix du plaisir me donne à réfléchir.
Depuis que la machine à Mario s'est plantée, j'en suis revenu au point de départ avec mon vieux début de pièce. Il s'agit d'un texte clavigraphié sur lequel j'aimerais bien retravailler, mais je cherche un moyen d'obvier à la corvée de tout retaper sur Word. Doit y avoir une façon de saisir le texte électroniquement.
Dix-sept heures trente et des restants de soleil s'accrochent toujours au plafond de la ville. Les journées rallongent. Est-ce une bonne chose?
Il y a des jours où la pratique du solipsisme est plus ardue que d'autres. Le monde extérieur, provoqué comme un fauve édenté avec un bâton à travers les barreaux d'une cage, rugit et donne de la griffe.
Kevin est passé en sortant de l'hôpital. S'est fait une commotion cérébrale en partant d'ici l'autre soir. Yo ho ho et une bouteille de rhum! Perdu pied, puis perdu ses lunettes. Depuis, il crache du sang et se débat entre le vertige et la nausée. Le médecin a suggéré le régime sec pour une couple de semaines et Kevin l'a écouté! Doit vraiment s'être frappé fort.
J'avais onze ou douze ans quand j'ai lu Pierre Turgeon pour la première fois. Son livre, sa facture, la photo, tout est fort clair dans ma mémoire. Plus tard, je me suis présenté au tribunal pour lui offrir mon appui moral, quand des épiciers ont tenté de faire saisir ses textes. Maintenant, c'est lui qui me lit, sur manuscrit, et tout me porte à croire qu'on va s'entendre. Ah! Traiter avec un éditeur qui se préoccupe de vendre des livres!
Cela s'appelle arriver pile. Un long chaleureux courriel de mon fils Johnny Cee est venu rédimer les ordures que j'étais à digérer.
Me revient à point que pour Jean-Christian, André Vanasse sera toujours ce charmant monsieur qui lui a commandé son premier Virgin Caesar au Bistro Saint-Denis quand il avait huit ans.
Belle blanche tempête pesante et grasse.
Reçu un long courriel de Vanasse consacrant notre divorce. Par ailleurs odieux et tissé d'absurdes rationalisations mensongères, ce texte a dû être très dur à écrire pour un homme aussi sensible. L'Histoire s'arrangera avec lui, et lui avec elle. Je préfère conserver le souvenir d'un être qui m'a donné ma chance, au temps où sa passion pour la littérature primait sur tout le reste.
Cela étant, ma tristesse n'a d'égal que mon soulagement. Quinze ans, presque jour pour jour, ce n'est pas de la roupie de sansonnet, mais il était temps qu'on en finisse.
Si on me demande, je suis parti me cuiter d'aplomb.
Drop-in d'Éric, venu se faire absoudre d'avoir aidé un de ses frères à jeter l'autre dehors.
N'a pas trouvé ce qu'il cherchait. Dropped right out.