Soirée pépère avec Kevin. On a laissé une couple de quilles nous rentrer lentement dedans. Il repeinture la même cabane de rupins pour la cinquième fois. Un oncle de ses clients, juif orthodoxe, lui a commandé une grande toile représentant Moïse, version Charlton Heston, effectuant la partition des eaux de la Mer Rouge. Pas si orthodoxe que ça, en fin de compte. Le décalogue est clair là-dessus: «Tu ne feras pas d'image taillée, ni aucune image de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au dessous de la terre.»
Reçu mon nouveau téléphone "reconditionné" par Purolator. Tanné d'attendre qu'on répare l'autre.
Passerai voir BL à 13:30 pour lui remettre les textes de mes chansons inédites, une cinquantaine environ. Le laisserai séparer le bon grain de l'ivraie. Songe à Faciès comme titre du recueil. Quant au titre générique de mon prochain cycle (comme Vortex Violet pour le premier), inauguré avec Goth, ce sera Gala Gitan. Beaucoup d'étiquettes pour des boîtes qu'il ne reste (!) qu'à remplir.
Je ne sais pas trop par quel bout attaquer Goth. Pour tout dire, je ne me suis pas encore fermement engagé envers moi-même à l'écrire. Ni envers moi-même, ni envers le livre. Mais je vais faire quelques esquisses. L'idée m'est venue d'utiliser ces petits tests de personnalité plus ou moins sérieux en guise de tampons, sporadiquement saupoudrés à travers le récit: Generoso, mon protagoniste, pourrait s'y révéler assez efficacement il me semble, voire s'y trahir. Sekhmet se charge de m'en trouver.
Je m'y attendais, et il a probablement raison: BL voit plus de fange que de furie dans mon recueil, ce qu'il appelle joliment du «dix-neuvièmisme». Y voit de la valeur pour les exégètes. Mais on va vraisemblablement s'entendre et trouver le moyen de publier un peu de poésie quand même, sur un lit semé de chansons.
Envoyé le manuscrit de Vacuum (le Journal) à maître Vanasse.
Bon, eh bien, le hiatus n'aura duré qu'un peu plus de seize heures. J'ai remis de l'ordre dans mes idées, et planqué quelques détails dans un fichier à part. L'épaule reprend contact avec la roue.
J'ai résolu d'interrompre cette publication pour un temps. Il se trouve, et j'en suis le premier surpris, que les événements qui convergent vers moi depuis peu ne sont pas de ceux dont je peux faire état au grand jour. Leur nature, importante à mes yeux, réclame pourtant que j'en prenne acte, autrement ceci ne serait plus un Journal. Il s'agit essentiellement de l'intimité de personnes qui me sont chères, ainsi que de certaines réflexions que je souhaite approfondir en privé sur la suite des choses... J'aviserai les abonnés de la Circulaire de mon retour.
Ma mère doit dorénavant songer au sucre, et m'exhorte à faire de même.
Pete Rose serait près d'avouer qu'il a effectivement parié sur des matches de baseball, ce qu'il nie depuis 1989. Une confession abjecte accompagnée de remords, de bons vieux aveux bien soviétiques, sont la condition sine qua non de son admission au Temple de la Renommée. Sa légende? Ses zillions de coups de circuit? Rien de cela ne vaut tripette. La méritocratie a deux visages, l'adulte et l'infantile: en Amérique, là où l'homme recevait selon sa valeur, il n'est plus désormais qu'un garçon grapillant les miettes de son dû, le dos rond, la bouche contrite.
Le 20 juin 2000, la NASA laissait filtrer que Mars avait peut-être déjà contenu, voire contenait peut-être encore, de l'eau. Hier, on apprenait que Bush s'apprête à consacrer des subsides à hauteur d'un milliard au développement de la propulsion nucléaire: il devrait l'annoncer lors du discours sur l'état de l'Union. Aujourd'hui, La Presse rapporte mine de rien que Mars est plus riche en eau que la Terre, rien que ça. Selon deux Français obscurs issus d'un institut nébuleux, ô ma crasseuse ignorance, lesquels ont découvert une météorite martienne pleine de preuves qu'abonde la flotte enfouie profondément dans les entrailles de la planète rouge. Ça sent le conditionnement social à plein pif, ça pue la manip, ça schlingue la carotte qu'on agite sous les naseaux de l'âne bâté, ça fleure l'histoire plantée depuis Langley.
En terminant les deux strates de succulent chocolat belge que ma soeur m'a offert à Noël, j'ai conservé la boîte de métal et l'ai remplie de biscuits au gingembre. J'en mange deux ou trois le soir avant de me coucher, avec un petit verre de lait, et ça me rappelle le boulevard Octogonal de mon enfance, dans la cuisine de grand-maman. Je dors comme un chérubin langé de frais.
Kevin est dans la lune depuis dix jours, peut-être vingt. Il y cherche son roman, quelque part au sud du cratère Cauchy, sur la rive orientale de la mer de la Tranquillité.
Le sauvage écho de mon frigo a retenti jusqu'aux Trois-Pistoles, et un chèque charmant est tombé dans ma boîte à malle, cependant que Justine m'apportait de la bibine et repartait avec mon scénario. Mouvance et rock & roll. Passé prendre Kevin en sortant du bureau de probation. L'ai ramené partager la bombance.
La réunion du comité, ce matin, s'est soldée par une décision qui, sans être mauvaise pour moi, me place néanmoins dans une position difficile. Je n'aurais pas dû évoquer le prochain roman, mais ça n'aurait vraisemblablement rien changé. Il y a toujours un prochain roman. Enfin, j'ai de la jonglerie et des calculs à faire.
Mon frigidaire est un temple tout entier consacré au culte du bicarbonate de soude.
Michael Caine sur pourquoi il a cessé de boire: «Because fat drunks don't get the girl. That's why they're fat drunks.»
Je connais de plus en plus de gens, âgés de vingt à quarante ans, qui n'ont plus d'appartement. Terrifiante perspective.
Coup de fil d'Hélène. Elle a encore plus aimé la deuxième partie de Vacuum, plus réflexive, moins anecdotique. Entend pousser fort lors de la réunion du comité de lecture jeudi. Me demande de l'appeler en après-midi «si j'y pense». Je ne pense guère à autre chose, ces derniers temps, mais à ce moment-là, je serai dans le bureau de mon agent de probation.
En classant des vieux papiers, retrouvé un début de pièce polar qui date de quinze ans. Quarante et quelques feuillets. Vais peut-être m'y remettre.
Je serais Saddam, j'envisagerais sérieusement un exil doré. Qui se souvient de Manuel Noriega? Rémunéré par la CIA du milieu des années soixante au milieu des années quatre-vingts, il est pote avec Bush père, lequel sera directeur de l'Agence, vice-président puis empereur des États-Unis. Leader indépendant du Panama au moment où les USA sont tenus de rendre le Canal le 1er janvier 1990, il gêne. Bush le diabolise donc dans l'opinion publique, envahit le Panama, tire dans le tas et installe un régime fantoche juste à temps, soit le 20 décembre 1989. Quant à Manuel, il est ramené dans les chaînes comme un barbare vaincu au temps des Romains. Il purge aujourd'hui quarante ans dans un pénitencier de Floride.
Aujourd'hui, l'évolution est pénible: j'avance d'une façon qui rappelle fort celle du Frankenstein de Boris Karlof, ou d'un Borg. Mes tendons d'Achille sont des cordages trempés dans l'eau de mer et séchés au soleil...
Quant à cette méchante molaire, elle mine mes nuits. CGDR m'a donné quelques comprimés de morphine. La moitié d'un, aspirée d'un coup entre les dents pour éviter tout contact de mauvais goût avec la langue, vous envoie douze heures dans des vapes indolores.
Photo Robert Skinner, Cyberpresse Retour de la marche pour la paix. Comble d'ironie, a fallu que je traverse la ville à pied pour y aller, faute de ticket de métro. Tant qu'à y être, j'ai marché en première ligne, entre Luck Merville et Maka Kotto. Y avait du monde à la messe. Vingt-cinq mille, selon les estimations. Faisait moins dix-sept. Le mécanisme de ma montre a gelé. Mes cheveux aussi: je sortais de la douche. En route, j'avais rencontré une première foule, mais ce n'était qu'une queue devant la charcuterie hébraïque. Au retour, longeant le bassin du Parc, aperçu un couple agenouillé face à face en patins sur la glace, s'enlaçant.
Vais réchauffer la soupe aux pois.
Sekhmet m'initie sans s'en douter aux charmes délétères des tests de personnalité. Ces trucs-là sont transparents comme le T-shirt de Véronique un vendredi soir. Les jeunes gens à qui ils sont destinés s'inquiètent d'être normaux, sans réaliser qu'ils ont triché tout du long, et les vieux répondent de leur mieux, sauf qu'ils cherchent une option nuancée entre oui et non et finissent eux aussi par fausser les résultats. Ci-dessous un diagnostic cybernétique de mes troubles de la personnalité.
| Désordre | Probabilité |
| Paranoïa: | Élevée |
| Schizophrénie: | Très élevée |
| Schizotypal: | Modérée |
| Antisocial: | Élevée |
| Borderline: | Basse |
| Histrionique: | Très élevée |
| Narcissique: | Très élevée |
| Fuyant: | Basse |
| Dépendant: | Basse |
| Obsessif-Compulsif: | Élevée |
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Dixit Radio-Canada: «250 000 suspects retracés à l'échelle de la planète!»
Deux cent cinquante mille? Give us a fucking break. Arrêtez de faire peur au monde pour mieux les gouverner. C'est pas parce que ça marche que c'est moins répugnant.
Cette cyber-hystérique chasse aux ogres qui mène à des centaines d'arrestations spectaculaires sur cinq continents pour mettre fin aux échanges de pornographie juvénile me laisse perplexe. À première vue, ça ressemble à la guerre contre la drogue, où l'on criminalise les consommateurs aussi bien que les fournisseurs, mais la comparaison ne résiste pas à l'examen. Car on coffre les drogués pour leur bien, en principe, ce qui n'est pas le cas des amateurs d'images de chair glabre. Ici, il s'agit d'inhiber la demande pour protéger les modèles, des enfants réels. Difficile d'être contre ce noble objectif. Mais les moyens employés permettront-ils d'arriver à la fin désirée? Le souvenir des temps victoriens me suggère que non. Il est impossible de légiférer les fantasmes et dangereux d'essayer. Ce genre de répression par l'opprobre et l'anathème excite les passions en vase clos et suscite des réseaux souterrains, véritables bouillons de culture d'abominations violentes. De quelle nature est-il, ce fameux "matériel à caractère pédophile" (tantôt juvénile, tantôt infantile, ce qui n'est pas la même chose) dont on entend beaucoup parler mais qui n'est jamais montré? Sont-ce de vieux Super 8 suédois et autres clichés de Jeunesses Hitlériennes tout nus dans les feuilles? Sont-ce des partouzes mettant en vedette des filles de 16 ans aux hanches étroites et à la poitrine plate, coiffées avec des lulus? Est-il majoritairement homosexuel, ou juste à moitié? Faudrait savoir, il me semble, avant de se faire une idée. Si j'avais une carte de crédit, j'irais voir, et qu'ils y viennent, les flics du Net, un an après, avec leurs accusations d'avoir cliqué au mauvais endroit.
J'aime pas les enfants. Tout le monde sait ça.