30.10.02

Chaque fois que le doute s'immisce insidieusement, je repense à cette vieille dame aux joues fraîches et rouges et rondes comme celles de grand-mère, rencontrée au Salon du Livre au début des années 90. Venant vers moi, l'oeil pétillant, elle me confia que la lecture de Vautour l'avait aidée à porter le deuil de son époux, décédé subitement après cinquante ans de mariage...



Soufflé, je méditai la portée de ces paroles. Comment l'histoire d'un type de vingt-sept ans claquant du coeur pouvait-elle s'assimiler au drame vécu par cette femme? Et pourtant, elle y avait trouvé quelque chose d'utile, quelque chose d'absolument imprévu par l'auteur.



J'ai compris, alors, ce que je ne faisais que soupçonner jusque là: c'est une erreur de concevoir un roman comme une auberge espagnole, avec de tout pour tous. Ce n'est qu'en passant par le particulier qu'on peut accéder à l'universel. Les exégètes mentent en prétendant décortiquer un texte et y retrouver les intentions de l'auteur. En analyse littéraire, on fait ainsi passer les écrivains pour bien plus intelligents qu'ils ne sont en réalité, décourageant les jeunes et protégeant la mystique. "Qu'a voulu faire untel dans ce passage? Comment s'y est-il pris?"



Demandez à la vieille dame.

29.10.02

Réveillé avec la tête d'Oscar Wilde, du moins en apparence. Me surprenant dans le grand miroir de la salle de bain, n'ai même pas osé me tourner le dos; suis sorti sur la pointe des pieds à reculons.



Le restant de ma molaire est tombé avant-hier en mâchant du saumon. Adieu, partie de moi.

28.10.02

M'a fallu tout mon petit change pour ne pas enfiler mon manteau, mes bottes et mon chapeau et aller toctoctoquer à l'huis de mon ardente Annie. Me faudra toute la lente, l'humide nuit.
K pas content.



Bougon, fait la gueule, angoisse et s'impatiente. N'a rien bu depuis deux jours. Prévoit prolonger ce comportement étrange au moins jusqu'à la fin de la semaine.



Vrai, chaque session ramène son moment de vérité, quand le bulldozer ne saurait compacter davantage; alors, K se réfugie chez lui, abstème et studieux, abattant de l'ouvrage. C'est la semaine où on ne le voit pas au Bunker.



Sauf que celle-ci, de session, se passe autrement: autant ces dernières semaines il n'avait plus de Bunker où se réfugier des Catacombes, autant il n'a plus de Catacombes à lui tout seul où échapper à la sulfureuse influence du Bunker.



Conséquemment je ne sais plus, moi non plus, où me mettre.
Radio-Canada rediffuse L'Odyssée homérique. Homère, l'aède inventeur du flash-back. Du fleuve Scamandre à la plage de galets de Dexia, revoici tout le fabuleux voyage de retour d'Ulysse, le triomphe et la démolition de l'orgueil et de la ruse.



Un journal m'a demandé de citer mon premier souvenir de lecture pour un supplément à paraître, et j'ai nommé La Bible en images, mais à y bien réfléchir, j'aurais pu tout aussi bien mentionner L'Odyssée.



Quel dommage qu'on n'ait pas programmé cette superbe série à une heure où les kids sont rentrés de l'école.

27.10.02

Ce jour d'hui, recul de soixante minutes. Maintenant et à l'heure de notre mort?



K a écrit un sonnet magnifique, Captation. Pour bien faire, c'est de cent ans que j'aimerais reculer, le temps qu'il puisse en donner lecture au Château Ramezay devant l'École Littéraire de Montréal, et que Charles Gill, Arthur de Bussières et Albert Ferland puissent le ramener chez lui en triomphe sur leurs épaules. Pas sûr qu'ils viendraient jusqu'à Parc-Extension, notez, et puis qu'y trouveraient-ils sinon des vaches et des cochons?



Rêvé que Natali avait eu un autre fils de moi dont j'ignorais tout. C'est Fantasio qui m'en faisait la révélation. Son nom: Mario-Henri. Où, dans quelles eaux boueuses va-t-on parfois pêcher nos songes?

25.10.02

Le bonhomme tombe en morceaux. Aujourd'hui, c'est la branche droite de mes barniques. Kevin a effectué une réparation de fortune avec de la résine d'époxy et du fil électrique.



Pendant ce temps, j'écoutais les débats à l'Assemblée Nationale. Ministres et députés n'avaient que le mot unanimité à la bouche. Le Québec n'aime pas moins ce concept que l'Irak. Cancer du consensus.

24.10.02

Bon Jack, l'agent. Paraît qu'ils m'ont appelé deux fois lundi matin à quinze minutes d'intervalle, sans succès. Pour cette fois, il veut bien laisser couler.



Traversant le parc Jarry pour la première fois depuis trente-cinq ans, n'ai-je pas entrevu le spectre rouge de Rusty Staub se secouant les fesses avant de claquer un coup de circuit? Et celui, plus pâle, d'un petit garçon retenant son souffle...
Yann Martel, neveu de Réginald et fils d'Émile, a emballé le Booker Prize pour Life of Pi. À croire que la littérature du ROC entretient de meilleurs rapports avec sa métropole que la nôtre. Me revient en mémoire une réception chez l'ambassadeur Martel à Paris: le caniche de Claire Dé avait vomi sur le tapis et j'étais bien content que ce fût lui plutôt que moi, pour une fois.
Sans sou ni maille. Cet excellent Bertrand Laverdure, de la revue Moebius, a mis la main à sa poche pour me tirer d'affaire. C'est K qui est allé le rencontrer hier en mon nom à la bibliothèque nationale.



Plus tard aujourd'hui, je rencontre mon agent de probation. J'irai à pied en inspirant l'automne.

23.10.02

Quelques jours ago, Marlène appelle de Floride. Je l'informe de ma situation, et comment son frère Hans l'a sensiblement améliorée. Elle raconte comment sa fille trippe sur les tounes à Dan, et sur Dan, et qu'elle lui a expliqué la différence entre auteur et interprète. «I guess I fucked the wrong guy», qu'elle dit. «That's what I always thought», je dis. Elle dit: «Sauf qu'il est plus sexy que toi, ces temps-ci». «Oui, je dis; mais moi aussi, je finirai par avoir mon illumination». «T'en as eu assez, des illuminations», elle dit. «Autrement, kestu fais de ton temps depuis le divorce?» je demande. «Je baise, mon grand. J'ai trente ans!» elle répond. «Tu viendras pour les Fêtes?» je m'enquiers. «No way! Montréal, c'est fini. J'y ai vu des choses qui m'ont trop bouleversée...» On s'embrasse, on raccroche, elle rappelle, elle ajoute: «Ma fille veut te parler! Quatre ans, mais elle se souvient de toi au Jour de l'An...» Je n'y vois pas d'objection, mais la puce change d'idée. On raccroche. Décrocher, raccrocher, what the fuck, that's our life.
Justine m'envoie une liste de suggestions gentilles pour "m'enlever les maux de la bouche": mendier sur le net (Miller, le sait-elle? faisait ça dans les magazines il y a cinquante ans; Andrée Champagne recevait des conserves adressées à Donalda, et Jean-Pierre Masson des torgnoles destinées à Séraphin...), m'adresser aux dentistes en herbe de l'université, demander à Kevin de me péter la gueule puis me présenter à l'urgence...
Idée pour Vortex Violet: une série d'entretiens avec des quelqu'uns et des nobodies et des entre-deux. Titre: Vis-à-vis.
Coup de fil d'Éric Drouin. «Dis donc, Christian, je me rappelle pas trop bien: l'autre soir, est-ce que j'ai fait le cave?»



On a tous faits les caves, mon chum. T'inquiète pas avec ça.
Seconde saleté de visite à domicile. La première, le type avait l'air d'un messager à vélo. Cette fois-ci ils étaient deux, un maître flanqué d'un apprenti. L'aîné, celui qui parlait, le faisait avec un sens de l'humour en uniforme qui réveille très mal. Quand il m'a dit que ma photo ne me ressemblait pas à cette heure-là, j'ai suggéré qu'il revienne à une autre heure.



Damnées dents! J'ai toute la gueule en souffrance.



Kevin va casser la croûte avec Catherine. Pour fêter ça, il a astiqué le lavabo. Ça m'a encouragé et j'ai récuré la cuvette.

21.10.02

Au téléjournal, le gros Bureau sédentaire et stoïque nous alarme: nos jeunes sont obèses! Nos jeunes foutent rien! Nos jeunes épaississent devant la tévé! Hypertension, ostéoporose, estime de soi dégueulasse, non mais keski sont cochons nos lardons!



Hier, Drouin est venu et on s'est un peu battus, puis K a transformé le mur du couloir en gruyère; aujourd'hui, il soigne ses jointures et sa cheville au lit, enlaçant sa tristesse, et je lui fais cuire des tartes aux pommes pleines de canelle sur la pointe des pieds.

20.10.02

Catacombes




Petit poème improvisé pour KV




Sali les mains

En dessinant parmi les taches,

Taillé chemin

à l’envergure du panache;

Les faons suivront

Demain dans son rouge ravage,

Des gens vivront

De ce qu’il aura mis en gage.

La vie l’avale,

Il la digère et la recrache

Son carnaval

S’installe à peine qu’il s’arrache

Aux chapiteaux

Définitifs et au circuit

Des cirques, zoos,

Foires, parcs et camps de gypsies.







Montréal s'automnise; la cour est jonchée de feuilles jaunes et les enfants jouent dedans, de lourdes écharpes nouées à leurs cous.



Kevin planche à toute vapeur sur une dissertation relative à l'origine des universités. Justine n'est pas venue déjeûner. Blâme le syndrome pré-menstruel.

19.10.02

Le frère de Vautour me fait signe sur le Forum. D'anciens accents de guitare me reviennent en mémoire. Il écrit que son frangin serait fier de moi. Je le crois aussi et ça me serre le coeur.

18.10.02

«It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma!» disait Churchill de la Russie, et songer à Annie me fait penser à Churchill prononçant ces graves et drôles et désemparées paroles.



D'Annie, je n'ai guère parlé ici depuis des mois. L'émoi que cela lui cause m'en retenait, et j'ai plus ou moins accepté de mentir par omission en ne mentionnant pas son nom. L'intégrité de ce Journal s'en ressent fatalement, car enfin, elle est souvent l'objet de mes pensées comme de mes conversations avec Kevin. Et je la lis toujours sur le Net avec autant d'intérêt qu'avant, même si la ferveur est différente. Script, Annie et Strohem sont diverses faces d'un seul dé byzantin qui se relance infiniment lui-même sur le tapis de jeu en annonçant banco! jusqu'à l'ultime, extatique et spectaculaire saut de la banque...



Ce printemps, pour un très bref moment béni, nous savions lire entre nos lignes, mais voici venu l'automne et je ne distingue plus la fable du vraisemblable. Voilà qui devrait l'enchanter.



D'autre part, et puisque je suis d'humeur à me confier, j'ajouterai que mon décevant héritier m'évite chaque fois que j'éprouve des ennuis qui pourraient me mettre en position d'avoir besoin de lui (l'été dernier, c'était ma jambe cassée). Pas un jour ne se passe sans que je vilipende son attitude dans la zone de mon coeur que sa naissance n'a pas transformée. Mais c'est une bien petite zone, une province attardée, sans signifiante influence sur le gouvernement fédéral de l'organe en entier.