Aujourd'hui, j'ai eu droit à une visite correctionnelle à domicile.
Calculé que je serais libre de sortir le 14 novembre, à temps pour le salon du livre.
Lecture de chevet (de toilette, en fait): Éloge de la fuite, du prof Henri Laborit. Tant qu'à vivre comme un rat, aussi bien comprendre comment fonctionne le laboratoire.
Téléchargé un reportage de Radio-Canada sur les peines à purger dans la communauté. Cette forme de sentence n'existe que depuis 1996; en 2000, une décision de la Cour Suprême en a renforcé l'aspect punitif et la surveillance. Un gars disait qu'à son avis, la grosse différence entre une assignation à résidence et la prison, c'est les barreaux. Pas d'accord. Pour moi, c'est le privilège d'être seul ou seulement avec des gens qu'on aime.
Kevin est parti prendre mon courrier et ma bouteille de ketchup au Bunker, de même qu'une provision de bouquins à la bibliothèque.
Hier, préparé mon pâté chinois pour les Madelinots. Succès fou. Maxime, inquiet que je ne me joigne pas à eux, à Kevin: «Est-ce que Christian mange toujours froid?»
Petit, Nick Landré accompagnait parfois son père Claude en tournée des cabarets. Après le show, en coulisses, on leur servait un repas passablement tiédi. Au gamin qui s'en plaignait, son père rétorquait: «Les chiens mangent froid». Dans une chanson écrite pour Nick et inspirée de cette anecdote, j'ai ajouté: «ce que les loups alourdis leur laissent...»
Woop-di-doo! 09:15 ce matin, première vérification téléphonique de mon sursis. Le type au bout du fil jovial comme si j'avais gagné à la loterie. Kevin, réveillé par la sonnerie, trouvait ça moins drôle.
Kevin et Mario discutent de l'internet. Mario recommande d'inscrire nos sites sur des moteurs européens et de penser globalement, tout en soulignant le risque de voir ainsi se dévaluer la propriété intellectuelle. Kevin rétorque qu'il s'agit là d'un nouvel humanisme. «Quand Christian a commencé à m'initier à l'internet, j'avais les mêmes inquiétudes, et puis je me suis rappelé la fois où, il y a cinq ou six ans, je m'étais retrouvé envahi par mes propres tableaux. Tu sais ce que j'ai fait? Je les ai alignés sur le trottoir devant chez moi, le jour des ordures. Sur l'heure du midi. Puis, je me suis installé sur le balcon avec une petite bière, et j'ai attendu. Les gens passaient, les regardaient, les emportaient. Quand le camion s'est pointé, il n'en restait plus un seul! L'internet, c'est pareil. Dieu seul sait (et le diable s'en doute) où le fruit de notre esprit circule, mais il circule!»
Visite de Mario, apportant un câble USB à Kevin pour sa nouvelle imprimante. Ai réparé ses archives blog. On évoque notre première rencontre, dans un café philosophique: quelques semaines plus tard, le croisant, je le replaçais difficilement et l'avais pris pour mon agent de probation.
Je lui explique que je suis sujet à des visites aléatoires du personnel correctionnel. «En cas d'urgence, fait-il, brosse-toi la langue!»
Bonne occasion de réfléchir sur l'importance relative des divers ingrédients de l'existence. Je n'ai le droit de sortir que pour les "nécessités de la vie". Quelles sont-elles, aux yeux de la Cour, donc de la communauté? Nourriture et exercice d'une religion. Pas de farce. Si je témoigne de Jéhovah, je peux faire le tour de la ville à pied en frappant aux portes. Hare Krishna: je peux passer mes journées à Dorval. Wicca: chaque nuit tout nu sur la montagne. Et le culte de Dionysos?
C'est pas drôle d'être athée, apostat de surcroît...
Ç'aurait pu être pire, je suppose...
Comparution ce matin. Plaidé coupable. Sentence: mon refuge transformé en prison. Pour les prochains quarante-cinq jours, je suis assigné à résidence dans les Catacombes de KV. Heureusement, le geôlier est sympathique et point trop sourcilleux.
À part ça, Sa Seigneurie m'a souhaité bonne chance pour mon livre. Je suis revenu à pied sous la pluie, une pluie très fine, ç'aurait pu être pire. J'ai croisé Bertrand, qui me cherche partout depuis un mois. Son père est au plus mal. Il y a des fois, ça ne peut pas aller plus mal.
Pas moyen de mettre la narine dehors sans tomber sur la mine réjouie de Johnny Taxi, ce bon gros pégrillon libanais aux chemises de soie éblouissantes qui faisait ma vaisselle quand j'étais déprimé. En voilà un que la taule n'a pas découragé de sortir.
Suis passé voir JF qui réglait la sono d'une copine chanteuse dans un café bistro rue Beaubien. M'a prêté des sous. La famiglia è sacra!
Au retour, croisé Pat Lebel devant son nouveau magasin d'électronique qu'il inaugure lundi. A pris de la bouteille. M'a fait faire un bout de chemin en bagnole.
Suis passé par le Marché Jean-Talon obscur et déserté; un seul étal restait ouvert. Ai acheté un panier de poires abîmées pour un dollar. Loué deux DVD chez Blockbuster. Maxime, l'autre Madelinot, vient d'appeler pour annoncer son arrivée avec une caisse de 24. Let the good times roll.
Pas écrit une damnée phrase. Tout le talent du monde et toute la puissance créatrice et tous les gimmicks ne remplaceront jamais la discipline dont je suis dépourvu. J'ai honte de ne pas travailler, je ne travaille pas parce que j'ai honte.
K parti garder sa nièce. Fini les folies: je m'asseois et je travaille. À moins que j'aille faire une promenade.
On a dormi douze heures récupératrices; les Catacombes sentent l'homme, l'étable et le cadavre, comme il se doit. Sabbat morne et pluvieux. Quête de chance et de pognon. Le bon vieux temps, c'est peut-être maintenant.
Ce soir, Kevin est allé boire un pot chez Zeffino, histoire de lui remonter le moral dans l'épreuve galante qu'il traverse, et aussi de scanner quelques monotypes par la même occasion. M'a informé qu'il ne rentrera pas dormir. Comme il disait à Eddie, quand Eddie vivait ici et qu'il venait chez nous. Angoisse d'amour. Snif.
J'émergeais de la rencontre de groupe, la tête pleine d'arguments convaincants, les mains pleines de prospectus, quasiment décidé à me chercher de l'ouvrage, quand je me suis retrouvé en plein bouchon de circulation, tout un trafic de travailleurs harassés pressés de rentrer à la maison, tout un banc de poissons pris au filet, et la cacophonie des klaxons m'a choqué, j'ai jeté la paperasse dans une poubelle proche et je me suis enfui à toutes jambes en direction de la bibliothèque.
Cet après-midi, convoqué par la sécurité (du revenu) à une rencontre de groupe. Objet: réinsertion au travail. Je n'ai rien à perdre et tout à gagner: des fois qu'ils me diraient comment me remettre à mon livre!
Enrichi ma recette. Ajouté de l'Atasol. Toutes mes blondes en ont pris pour leurs douleurs menstruelles, qu'elles comparaient à des rages de dents.
Émaillé la journée de roupillons. Kevin s'amusait avec Tirésias (l'ordinateur), à créer des merveilles comme ce Chromo:
© 2002 Kevin Vigneau
Et, non, on n'a pas pris d'acide.
Quand Justine m'a appris qu'elle allait chez le dentiste et que je me suis écrié: «Chanceuse!», elle a cru que je blaguais. Je me lève la nuit pour me concocter des cocktails d'Advil et d'Oragel.
K me décrit les senteurs de l'automne et je ferme les yeux.
Dans sa chronique d'aujourd'hui, un papier revenant sur l'affaire Péan et mettant en cause André Vanasse, Pierre Foglia me qualifie de poids lourd de notre littérature. Faut vraiment que je me mette au régime.
Miracle! J'ai vu un homme passer de l'âge de pierre à l'ère du silicium en quelques secondes. Kevin, ce pêcheur, ce navigateur, vient de se gréer d'un G4 puissant comme un galion espagnol, toutes proportions gardées. Pour ma part, je nous ai branchés par modem téléphonique sur mon compte internet par câble, et nous voici back in business. Toutes proportions gardées...
En temps vrac (Vraiment râflé aux cochons):
-Cesser de répondre à Hans que tout est bien là-bas, dans le sous-terrain, ce qui est vrai en quelque sorte, mais enfin, ça ne peut pas durer, Kevin en a déjà fait plus qu'assez, et je veux très fort rentrer, chez moi, chez moi! Mon vieux bochu Robin des Bois comprendra ça, il plaidera, il feulera, il me fera rendre mes clés, et rendre gorge à ces curés!
-Parlé toute la nuit avec KV d'une pièce de théâtre mettant en scène deux ivrognes dont l'un attend sa mère. Avons ajourné quand sa mère est venue le chercher.
-Sensible, ce rouquin dur, sensible et frère et si fâché que je m'en veuille retourner faire office de cobaye pour une transnationale pharmaceutique. Prêt à vendre son sang plutôt que de m'imaginer louant le mien, et refusant d'envisager la rouge, ferreuse loi du marché.
-Vais fournir un livre étrange et palpitant à ce Lévy de Trois-Pistoles. Probablement, du moins c'est ainsi que je le (re)vois maintenant, une conjonction de ce Journal et d'Origines...
-Claude, amoureux pour la première fois de cette façon et souffrant de l'absence temporaire de Sarah, se désennuie en convoquant sa députée à venir lui changer un chèque à domicile. Attention les enfants: cet exploit est réalisé par un professionnel et il n'est pas recommandé d'essayer ça à la maison sans la supervision du Directeur Général des Élections.