Aveuglé par le Voir (mauvaise idée de se frotter les yeux après lecture de ce canard-là).
Kevin venu hier pour me préparer un succulent souper et veiller un peu avec/sur moi. On a lu un article à mon propos du professeur Émile J. Talbot de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign. Satisfaisant. Sauf le bout qui parle de Vamp, «bien accueilli par les critiques, même par ceux qui se disaient rebutés par la personne de l'auteur.» Quand je pense à tout ce avec quoi j'ai couché au début de ma carrière pour lancer la machine, toutes ces relations publiques privées, comme une starlette sur le sofa, toutes ces critiques que j'ai bien accueillies, même celles qui me rebutaient... Quand j'y pense, je me dis que ça valait la peine et la tétracycline.
K commence un contrat de peinture aujourd'hui. Quand il est parti, vers 22 heures, la lune s'est encadrée dans ma fenêtre, croissant froid juste pour moi.
13.6.02
Enfin, il n'est pas inconcevable que [l'état de gr] la grâce, ce fuyant état propre à la vingtaine, ne reviendra jamais que par bouffées intermittentes séparées les unes des autres par des intervalles de plus en plus longs, et que je me sois, en quelque sorte, volé à moi-même mes meilleures années. Cette idée ne laisse pas d'être profondément déconcertante.
page manuscrite de yours truly, gentiment numérisée par son fils. Putain, j'espère qu'il l'a lue en passant.
Traversé le Parc Lafontaine: le lilas commence à puer sérieux.
Au chapitre des choses littéraires, rien à dire aujourd'hui, sinon que les billets d'opéra font d'excellents signets.
Regret, rancune ou nostalgie,
L'amour est une odontalgie.
En tout cas, ne laissez personne vous dire que L'Elisir d'Amore est une comédie. Pour nous autres, tout au moins, ça s'est fini en drame.
Autre ordre d'idée (peut-être, peut-être pas): que pensez-vous d'un gars qui, sans le savoir, arrose son jardin et se mixe des martinis avec de l'eau mêlée de nitro-glycérine?
12.6.02
Fait l'amour comme on exerce un magistère. Les soupirs de ma douce tout parfumés de miel. Dormi comme une masse.
Ce soir, a night at the opera: on va voir et entendre Elisir d'Amore.
11.6.02
Kevin, lisant le dialogue ci-haut, rectifie: «Je sais que j'ai dit Les yeux grands ouverts au téléphone, au lieu de Les yeux grands fermés. Je le sais. Quand je pétarade, je pétarade, tu peux l'écrire, ça me dérange pas, mais quand je fais pas exprès pour me tromper, bon, c'est pas pareil, par exemple je dirais pas Les raisons de la colère, parce que je sais que j'ai raison quand j'ai tort de me tromper, tu comprends bien que loin de moi l'idée d'intervenir, mais quand même, faut être logique!»
Il médite un peu, se recueille, me fout un (fraternel) coup de pied sur le tibia: «Ben dis donc, j'ai l'impression que je viens de me passer un sapin...»
Kevin trouvait que quelque chose clochait dans le Bunker, sans trop pouvoir préciser quoi. On a cherché, cherché. Finalement, c'était le plancher. Propre.
Chez nous, le plancher colle, d'habitude, et il est terne, et on s'englue les pieds dessus. C'est à cause du style. Le style, il me pisse des doigts.
Reconduisant Annie à sa voiture, croisé une voisine dans la rue: «Bonjour, monsieur l'écrivain! Dites, j'ai besoin d'un conseil. Voilà: j'ai écrit un recueil de poésie que Stanké veut publier, et j'aimerais que nous prenions une demi-heure pour que vous me disiez ce que vous en pensez...»
Lui dis que je ne fais plus ça, pour personne. «Au moins, c'est franc!» lance-t-elle en tournant les talons.
-Attendez! Je vais vous expliquer pourquoi.»
S'arrête, se retourne, fixe le trottoir.
-Vous comprenez, je n'ai rien à y gagner et tout à y perdre. Si j'aime pas ça, je suis tenu de le dire et je perds un ami. Si c'est très bon, je l'ai dans le cul parce que je suis jaloux et que ça m'empêche d'écrire pour le reste de la semaine. Vous comprenez?
Ses yeux, adoucis. «Au moins, c'est franc...»
Et elle continue sa route vers le dépanneur, et je rentre au Bunker, une petite pince sur le coeur.
Mon Kevin qui appelle: «J'ai loué trois films! Tu veux les voir?»
-Sûr! C'est quoi?
-Ben, j'ai celui avec Polanski et Depardieu, c'est l'histoire d'un écrivain qui...
-Ouais, il meurt.
-Il meurt?
-Ben oui, quoi, il est mort.
-Parce qu'il se suicide?
-Il me semble. Tu sais, c'est comme L'auberge des morts subites, la pièce de Félix Leclerc. Ou Huis-Clos. Le gars est mort et il l'ignore.
-Ah ben, ça parle au diable!
-Précisément. Enfin, ça dépend du point de vue.
-Je confesse que j'avais pas vu ça.
-Tu t'es endormi dessus.
-Même pas! J'ai aussi loué Reservoir Dogs!
-Ah! Là, c'est mêlant. Reservoir Dogs. Quand les gars s'entretirent, en triangle, il me semble qu'il manque une balle. J'ai jamais compris. J'ai eu beau rewinder, faire Pause, je pige pas.
-Tu piges pas quoi?
-Qu'il manque une balle.
-Il manque une balle?
-Me semble.
-J'ai pas vu ça.
-C'est quoi, l'autre film?
-C'est Les yeux grands ouverts.
-Eyes wide shut, de Kubrick?
-Yep!
-T'as fait exprès, ou quoi?
-Non. Exprès de quoi faire?
-Putain, c'est un autre film incompréhensible, il est même célèbre pour ça. Les trois que t'as loués, c'est ceux qui me rentrent pas dans la tête. Ceux-là et tous les James Bond.
-Bon, alors, je les apporte? Et puis le vilbrequin pour tes poignées de portes, j'y ai pensé, l'est dans mon sac...
Ma blonde me trouve trop smooth avec le monde (à l'envers!).
Ça vous excite, le fouteballe?
Les nerfs!
Ah, elle est jolie, l'Europe unie. Nostalgie de guéguerre et d'irrigation du colon Africain. Une grosse Mancelle braille et cinq Danois triomphants se fichent malpoliment d'elle. L'Amérique Latine se lamente, et c'est pas sur les forêts d'Amazonie...
Vous nous faites chier! Vous méritez pas le nom d'Hommes! Fouteballe, merde, gang de cons, gang de caves, gang de gangs!
Suckers...
Le concierge fait la tournée du building pour découvrir ce qui a bien pu se passer vendredi soir. Sacré mystère!
Annie a tout lavé le plancher, elle dit que ça lui fait du bien de travailler plus du corps et moins de la tête, moi je dis qu'elle est équilibrée. On ne l'avait encore jamais accusée de ça.
Aujourd'hui, Memory Babe se plante pire que jamais. Memory Babe, c'est le sobriquet de mon ordinateur, en hommage à Jack Kerouac, qui en était affublé étant petit. Les Français ont traduit ça par môme mémoire. Paraît que Ti-Jean K. se souvenait de tout. Je connais. Ça porte à boire. Mais je digresse, là: donc, mon ordi crashe pire qu'un coucou de l'American Airlines et je ne suis pas loin de croire que les choses iraient plus rondement si je tapais mon Journal sur ma vieille Underwood avec du papier carbone avant de vous le livrer à pied à domicile.
10.6.02
J'ai une sorte de boulette de viande qui me sort derrière l'épaule droite depuis un ou deux ans ou peut-être trois. Une partie du méchant dans mon corps qui s'exprime. Kevin préconise de la brûler à l'alcool isopropylique 70%, vous vous rendez compte? J'endors le méchant du dedans au tord-boyaux et, dès qu'il me fuit, qu'est-ce que je fais? Je le rattrape et je le finis à l'alcool à friction.
Faudrait finir par parler des vrais problèmes. Comment se fait-il qu'on puisse envoyer une sonde sur Mars et qu'on n'ait toujours pas inventé un ventilateur muni d'un câble d'alimentation de plus d'un mètre de long? Après ça, comment se surprendre que je sois un tantinet casanier? Qu'on aère cette insulaire cité-fournaise ou qu'on ne me cherche plus dans ses rues!
Kevin dort dans la chambre d'amis, angélique sous la moustiquaire. Annie engraisse la matinée, repoussant le moment d'écrire ce qu'elle appelle sa page de trivialités (lire: ce qui s'est vraiment passé).
9.6.02
Là, on vient de passer deux heures à essayer de se dérider, sans succès. On a convié Coluche, Desproges, Lemire, Rock et Belles Oreilles, Yvon Deschamps et Robin Williams, du petit calibre au gros canon, nommez-le, on l'a écouté. Et puis rien. On n'a pas pouffé. Le rire nous est resté dans la trachée. Annie pense que ça a peut-être quelque chose à voir avec le fait qu'on boit de l'eau. Kevin incline à croire au bris de sono. Pour ma part, je penche pour le dimanche, tout simplement. C'est pas un jour drôle.
A fallu tirer J-C du lit, pas une mince tâche quand on est occupé à ne pas s'énerver. Annie a écrasé le champignon et on est arrivés chez ma mère pile à l'heure. Guère de bonne humeur, maman, parce que d'impécunieux amoureux des plantes lui en avaient piqué deux des siennes la nuit dernière.
Au retour, on a ramassé Kevin chez lui avant d'aller reconduire mon fils. Toute la jeunesse ardente et nue de Montréalville s'ébattait sur le flanc doux de la montagne au son des tam-tams, entourée de flics bleus et surplombée d'un mince nuage de boucane, bleue.
8.6.02
La gloire du matin s'est poursuivie tout le jour, comme une encre riche s'étendant par capillarité sur un buvard.
Le marché Jean-Talon! Renvoi aux sources symboliques des plus anciennes communautés humaines. Mer de visages sains et souriants pleins de pluie, de soleil et de campagne. Un sac de terre, un sac de tourbe de crevettes (de méthane). Pots de petites fleurs aux coloris savamment choisis par mon amour. Elle en a même inventé un: violet volatil. Puis les nourritures terrestres: prosciutto de l'Ontario, prosciutto parme, fromage de chèvre, Saint-André coulant, baguettes fraîches, calissons d'Aix (une gourmandise, autrefois distribuée comme hostie à l'office commémorant annuellement la grande peste provençale de 1630), chocolat noir, bordeaux grenat. Et ces prunes sucrées, ces tomates mûres, ce maïs de Californie, ces patates grelots, ces asperges grasses et le sein doux d'Annie tendre tendre comme un sot-l'y-laisse!
Dolce vita.
Descendu chez fiston avec Kevin pour lui transmettre l'invitation de sa grand-mère à un bbq dominical. L'exiguïté de ses pénates nous a fait préférer le balcon; là, dans le soleil excessif de sa jeunesse triomphante, s'éployait le tatoo de divin volatile, prenant l'air sur les omoplates de mon kid. Ça ressemble à un géoglyphe de Nazca.
Plus tard en soirée, au Bunker, la tribu a joué à Le rouge et le noir, une sorte de Trivial Pursuit littéraire. Ça volait bas; Mario menait mais s'est retiré à mi-course devant l'inflation des décibels. Lui parti, ne restaient plus que K, Annie et moi: on a continué un peu, se querellant comme des chiffonniers, avant de décider de tout foutre ça par la fenêtre dans un grand éclat de rire. Les cartes blanches virevoltèrent joliment depuis le septième étage jusque dans la ruelle. Kevin nous a relu le chapitre IX des Raisins de la colère avec des sanglots dans la voix.
Méditation à l'ère du numérique
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Il avait débranché sa télévision et même sa radio.
Il avait éteint son cellulaire.
Il avait ouvert ses fenêtres.
Tout ça pour respirer.
Un peu.
Beauco...
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Adieu Christian, mes sympathies à tes proches et à la Tribu. Je t'ai lâché,
je sais, après t'avoir beaucoup pris. Notre amitié n'était plus vive.
Pourtan...
DOCUMENT 3
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Après tout, la vie n'est peut-être pas juste une pub télé de Linen Chest.
J'adore tripoter un géranium citron et me sentir les doigts après. Faut
que je m...
49 and a life to go
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Ainsi donc, après une résonance magnétique et une visite chez le neurologue
on m'apprend que je n'ai pas de tumeur au cerveau. Pas de sclérose...
Pour avoir une idée de quoi on parle
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"...À l'aube du 20 avril 1914, à Ludlow, coin perdu des hautes plaines du
Colorado, au centre d'une nation américaine en "apparent repos", les
soldats de ...
Vulnérabilité
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Voici où j'en suis.
Je suis tombé par le plus grand des hasard sur cette conférence cette
semaine.
Seulement, je ne crois plus vraiment au hasard.
Cette da...
Revenons à nos moutons
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L’improbabilité de l’être grandit avec l’accroissement des masques de la
certitude creusant l’abîme entre un réel d’autant plus rassurant qu’il est
pauvre...
Le poulet rôti façon Blue
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Blue
Quand elle est partie de la maison, Swan m’a fait promettre de lui
transmettre ma recette du poulet rôti façon Blue. Elle aime l’idée
d’étendre ses p...