21.5.02

Témoignage supplémentaire de mon sens aigu des affaires: la pile de comic books de Spiderman, tous des pièces de collection, achetés à prix d'or en 1992 et invendables il y a six mois à peine, je l'ai donnée à mon cousin juste avant d'apprendre la sortie du film.



Rien trouvé à vendre pour apporter mon écot aux agapes hebdomadaires des Poètes de Port-Royal. Ai dû décliner à regret.



Ma chevelure intolérablement chatouillarde. Aurais dû aller voir signor Perrazino, mon barbier, vendredi dernier tandis qu'il me restait des sous et qu'il offrait de m'attendre après la fermeture. Il m'aime bien, peut-être parce qu'il ne me voit qu'une fois par année.



Plongé dans la lecture accélérée d'A beautiful mind, de Sylvia Nasar: K doit le rapporter à l'Université jeudi matin. J'alterne avec des siestes où je rêve de John Nash sous les traits de Russell Crowe, malgré que je n'aie pas vu le film. Certains épisodes me rappellent celui dont Guigui m'a tiré il y a quelques années. Si l'intelligence est la capacité de faire des liens entre des choses qui n'en ont pas entre elles à priori, qu'en est-il lorsque ces liens sont visibles d'un seul individu?
L'administration États-Unienne publie sa liste annuelle d'ennemis, qui s'allonge comme de juste. Jamais, ni sous Reagan, ni sous Bush Sr, je n'ai senti cette pression de l'État pour se muer en entité Orwellienne. Le seul espoir est qu'à force de crier au loup, les profiteurs de guerre se discréditeront aux yeux de l'opinion, mais c'est compter sans leur capacité à produire au besoin un loup du néant comme le magicien tire un lapin d'un chapeau.
Dans Le 6e sens, le gamin qui voit des revenants explique au psy qu'auparavant, il dessinait des choses telles qu'un garçon à la gorge tailladée par un tournevis. L'école, alarmée, ayant convoqué sa mère à une réunion au cours de laquelle celle-ci a fondu en larmes, le petit s'en tient désormais à dépeindre «des gens qui rient, des ciels bleus. Ils font jamais de réunions pour des ciels bleus...»



Annie noircit son cahier dans le lit. Une jambe croisée sous elle et l'autre, nue sur la couette, la plus enchanteresse vision qui soit. La voilà qui saute dans ses jeans et file au boulot. Le ciel est bleu. On n'aura pas de réunion.

20.5.02

Visite de Mario. Les oreilles devaient lui bourdonner.



Je fais une sieste, je me réveille, j'ai faim, je mange, ça m'endort, ô vices circulaires!
Salutations à vous, amis pirates qui êtes aussi des fans de Céline! Saviez-vous que vous pouvez contourner la technologie Key2Audio de Sony avec un simple marqueur à pointe de feutre? Non, vous ne le saviez pas. Noircissez simplement le rebord brillant qui contient la piste emplie de fausses données destinées à égarer l'ordinateur, et brûlez, brûlez, BRÛLEZ! En prime, votre Mac ne se plantera plus, en tous cas pas pour cette raison. Évidemment, ça ne marche pas avec les disques dont j'ai écrit tout ou partie des paroles.



Suggestion: faites provision de marqueurs avant qu'on les interdise aussi.
Ajouté des définitions à mes Liaisons.



Mario, grippé, se tenait en quarantaine sans trop s'ennuyer parce qu'il prenait de mes nouvelles par le biais de ce journal. Ce que je me demande, c'est comment il en prenait des siennes.
Je sais toujours quand j'ai dormi dur et hors du temps parce que ma montre prend du retard. C'est la Tissot de mon grand-père, un modèle rarissime qui se remonte tout seul au mouvement du poignet grâce à un micro-balancier qu'on entend si on agite le boîtier près de l'oreille.



Au réveil, je remets ma montre à l'heure mais je demeure si calme au cours des quelques centaines de minutes suivantes qu'elle en reperd encore cinquante.



Surprenant ce qu'une douche, des chaussettes neuves et un slip frais sorti de sa boîte peuvent faire pour le moral.



Tout de même, ce matin, mon inquiétude d'élection a trait au silence des productrices de Julien Vago. La rencontre prévue au début de mai n'a toujours pas eu lieu et j'essaie de préparer mon coeur à l'échec. Hemingway, Faulkner, Fitzgerald ne sont-ils pas revenus d'Hollywood la queue entre les jambes et tristes à mourir? Le cinéma fait des dégâts.

19.5.02

Me prépare une salade. Y tranche un avocat. Morceau tombe à terre. Le ramasse, l'essuie. Suis un gars. Morceau, le même, tombe dans l'évier. Signe des Cieux? Doigts glissants? Le ramasse, l'essuie. Doute: chance et charisme revenus? Mange le morceau: frappe du dur, sablonneux, croûté. Le recrache et le jette aux vidanges. Mieux vaut errer du côté de la sécurité.



Si seulement j'avais fait preuve du même bon sens, flushé mes morceaux d'avocats lors de mes procès et pris en charge ma propre santé.
Je rêve de posséder l'endroit où je vis, d'y installer deux frigidaires et de me tirer une balle brûlante dans le crâne.
On légalisera les drogues, cela fait-il le moindre doute? Dépêchez-vous, je veux voir ça de mon vivant et le temps presse. Dépénalisez! Tancez vos cochons! Collectez des taxes! Grouillez-vous, foutu tas de pervers fascistes pissous!
Ma chance, ou est-ce mon charisme? n'ont pas duré toute la semaine. Le gros lot m'a échappé. Vu un vieux Québécois féliciter l'un des gagnants: «T'as frappé de l'huile?»



Savoureux.
Le Timor Oriental devient aujourd'hui la plus jeune Nation du monde. L'entière Humanité serait pardonnée de se sentir nouvelle Mère.



Putain, ça devrait nous donner des idées.
Elle a besoin de solitude et moi aussi, pourtant nous sommes bien ensemble. La plupart des gens considèrent la solitude à deux comme une calamité; pas moi. Nous trouverons peut-être le moyen de vivre cet état, de sentir nos présences et partager l'espace tout en pouvant lire ou écrire ou manger en parallèle avant de nous transverser. Peut-être, peut-être pas.

18.5.02

Mitraillé des mails toute la sainte nuit blanche, autant de décharges de chevrotines chaudes ciblées nickel, ô quelle ardente et louche joie un gars prend-il à fabriquer ses propres cartouches! Les parfumées, les gorgées de peinture et les pleines de poison, les édulcorées, les artificières, les bourrées de gros sel, les destinées au petit gibier, les douces comme flèches de Cupidon, les comme de mous pétards mouillés...



Les bruyantes, éclairantes, explosives, les sifflantes, amusantes, incisives, et les bourrées de petit plomb coquin, celui-là même qui la chatouille jusqu'au fin fond de ses doux reins!
kevin oisif au sang tout ce travail toute cette peinture créative et d'entretien toute cette construction de son site et tout ce temps qu'il me consacre tout cela n'est rien en regard de ce qu'il faut qu'il accomplisse pour lui-même confronter le réel ingrat le soumettre et lui tordre le bras le réel et puis l'apprivoiser le réel avec des mots concrets des principes entiers des effets de manche et du sucre s'il faut car il faut ce qu'il faut et cet homme doit cesser de fuir les exigences de sa jeunesse vitale tout l'avenir écrasant somptueux qui s'ouvre à son talent ce haut mât de cocagne érigé devant lui oint de graisse de porcelet et au sommet duquel sont suspendues les récompenses de ce monde il n'est pas bien que ce gaillard vive si tôt la même vie que moi redescendu du mât je lui nuis je lui donne à croire que n'existent plus les marais de souffrance et les cloaques de solitude et l'effroi dur et le dégoût mou de soi pour moi ce bunker sage et sécure est l'aboutissement d'une longue violente usure pour lui c'est le début et c'est mal.



o' que je pastiche ici avec plus ou moins de bonheur lui a écrit enfin et tout me porte à croire que c'est très joli qu'il n'a rien perdu pour attendre. Il plane il cogne des clous il consent finalement à dormir c'est plus compliqué de le mettre au lit que de l'en tirer il marmonne réveille-moi quand il sera temps à temps je veux dire à temps pour qu'on passe une journée qui nous ressemble...



je le rassure d'accord une demi-heure.



ses yeux s'arrondissent il pouffe tout rouge épuisé il s'allonge en sécurité sur le sofa mauve qui prend décidément la forme de sa vigoureuse carcasse il répète une demi-heure une demi-heure elle est bien bonne.



hier il parlait d'un job de travailleur de parc ça consiste à s'asseoir sur un banc de square de treize heures jusqu'à vingt-et-une et à s'occuper des jeunes délinquants et le coeur m'a manqué car enfin qui s'occupe des vieux délinquants? mais bien sûr ce serait excellent qu'il travaille qu'il nage de cette session universitaire vers la suivante comme s'il s'agissait d'îles de ses chères Îles et l'été est un océan sirupeux plein de pièges de subtiles sirènes d'agaces-pissette de soupçons intimes de crises de coeur de crises de foi je suis conscient de chipoter comme une tapette ou une mère-poule mais est-ce ma faute si mon fils n'est pas là pour subir le surplus passionné de mon anxieuse affection? je suppose que ça l'est quand on y pense.



ce soir k me lit tout aussi fasciné que séduit un passage de tropique du cancer cependant que je grince comme une porte de grange à la vue des ficelles faciles que miller tisse trame tresse je le sais je le fais mais je me serais si bien passé de prendre henry en flagrant délit de tricher je me serais contenté comme je le fais depuis quinze ans du souvenir de mes éblouissements mon dernier dieu titube et tombe et c'est ce jeune prodige qui lui fauche innocemment ses pieds d'argile c'est justice je suppose je suppose je suppose.



ensuite je lui lis quelques pages de vamp et il est pris d'un soudain très pénible hoquet.



presque trois heures annie écrit qu'elle a eu froid plus tôt ce soir satin et soie dors bien mon ange en miel dors dur somnole tiède mon délicat chaperon rose pense à ton loup ton loup-marin grand méchant loup-marin dentu qui te phoque sweet qui te phoque doux..



17.5.02

Vraiment vanné.



Dispersé l'avance de la SOCAN entre diverses créances, privilégiant les plus urgentes (amis et gros méchants fournisseurs de télécom).



Me farcis enfin le chanfrein. Christ, ça fait du bien.



Suis passé à la librairie acheter un bouquin symbolique (de l'interruption de l'hémorragie de ma bibliothèque). Ai choisi Le Prince de Machiavel. Manque de pot, Blackburn décide de m'en faire cadeau. «Tu peux pas faire ça, enfoiré!» protesté-je. «C'est symbolique! Faut qu'il me coûte quelque chose!»



«Pas question!» qu'il dit, l'oeil noir et pétillant. «Celui-là, je te le vends pas. Celui-là, c'est un cadeau. Achète-t'en un autre.»



Et c'est ainsi que, Gros-Jean comme devant, j'ai acquis Hamlet, l'histoire d'un second prince: à cause d'un troisième.

16.5.02

Je demande à K comment on se sent au haut de l'échelle; il me répond que je devrais le savoir. Oh, je dis, moi, tu sais, c'était deux semaines en 1988, c'est loin déjà, mais toi, toi qui es neuf?



Il pose son pinceau et vient lire l'entrée qui précède. Il me dit que j'ai réussi à transcender l'anecdote, à distiller le sucre de notre vérité. Ça me fait flancher, venant de lui, je l'aime tant et si propre est son jugement. Je réplique que c'est pas surprenant, qu'on s'y connaît, en alambics.
Hier, sommes passés au party des vingt ans d'Arcade. Claudine Bertrand plus jeune qu'alors. Kevin reconnaît trois de ses proffes, Annie une. «L'écriture au féminin! snappe-t-elle en sortant. Imaginez seulement qu'on sous-titre une revue L'écriture au masculin! Ouhhh! Ça m'énerve!»



Souper de crevettes. On s'est passé Ali. Annie et K se sont réconciliés. Il repeint aujourd'hui sa salle à dîner, baptisée Jeune Afrique (don't ask!). On a piqué de la bonne peinture. Quand K sort acheter de la bière, rue Bernard, il se sent comme dans un film. «Tu te rends compte, l'exotisme! Des Îles à Hochelaga, à Paris, à Parc Extension, au Plateau, à la rue Hutchison!»



Il peint, donc, tandis que je pirate des chansons sur le net comme un DJ boucanier, juché sur l'escabeau il gueule ses demandes spéciales et je pitonne mon Réal, pitonne full planche et je ne fournis pas. Quand, sur sa suggestion, je télécharge L'oiseau de René Simard, je me mets à chiâler et à rire en même temps, et Kevin me serre le genou très fort (Sylvie Leblanc, qu'es-tu devenue? Nous avions six ans et nous aimions très fort!) Plus tard, c'est son tour sur A toi par Joe Dassin, et Cat n'est pas loin...



L'amour est un mythe merveilleux, un mythe de Sisyphe, constamment à recommencer. Moi, par exemple, je pose mes lèvres sur les traces pâles à ses poignets et, même si j'ai déjà vu ça, ou peut-être parce que, je garde par-devers moi mes questions.



sisyphe.gif

15.5.02

On se passe La mort d'un commis-voyageur, version Volker Schlondorff. Je l'ai déjà écrit, Willie Loman, c'est mon-grand père. Une vie de démarchage à dormir dans des chambres d'hôtel sur son pantalon glissé entre matelas et sommier. Sans faux-pli. À la fin, existant dans le passé. Croyant en l'Amérique. En Dale Carnegie. En son produit.