Lancement du recueil de Franz. Boucle bouclée. Lâche et serré. J'ai ouvert ce livre si attendu, si souhaité, si rêvé longtemps, appelé de mes voeux et lourd de mes désirs transférés, l'ai ouvert et l'ai refermé en arrivant au Bunker, l'ai tendu à Sophie, lui ai dit, ai tenté d'expliquer: «Il faut pas, pas que je le lise, trop à perdre et guère à gagner, quelles sont les chances qu'après toutes ces années sa poésie ressemble à mon souvenir embelli magnifié, c'est trop risqué, et le pire est que je ne saurais jamais si c'est sa poésie qui a changé ou si c'est moi, alors faut pas...»
Un peu plus tard, assis à mon bureau, j'ai remis pourtant tout mon être ébranlé entre les ailes chaudes et savantes et fiables de ma femme assise en tailleur sur notre lit pour me lire ce livre à strophes d'abord prudentes comme de petites sucées de sang puis me livrer la viande en ne s'interrompant que pour me dire comprendre ce dont je parlais quand je parlais de ces poèmes inédits, de cette poésie parfaite et du poète qui fut mon ami, et le filtre des lèvres et de la voix de Sakurako entre moi et le texte brut sur la page m'a rendu l'exaltation et l'euphorie et la sensation de triomphe dont ma peur de ne pas les éprouver m'avait privé.
À l'heure qu'il est, elle dort et je joue avec l'idée de prendre un break de blog indéfini, pour nombre d'excellentes raisons dont nous avons discuté et que je n'ai pas envie d'exposer ici (cela, seul, suffit en soi à suggérer qu'il est temps d'arrêter).
Veillant sur son sommeil sacré, l'observant qui rêve dans la pénombre percée par l'éclat tremblotant des pixels froids, j'écris aussi une sorte de poème et je le lui dédie, conscient qu'il s'agit aussi d'un poème pour Franz et pour moi-même, ceux que nous fûmes et ce qui s'est enfui, d'un poème pour une certaine idée de la poésie.
Et je l'imprimerais pour qu'elle le trouve à son réveil, mais le bruit de l'imprimante suffirait à l'éveiller, aussi je vais le mettre ici, en silence, puis je reniflerai ma dernière ligne et je grillerai ma dernière cigarette et je boirai ma dernière lampée et je retirerai mes souliers et j'irai me glisser sale et serein sous les draps le long de son corps glorieux, et son souffle rythmera mes systoles jusqu'au petit matin neuf.
Que je touche en retard
J’ai tassé le tissu
Du couvre-lit autour
De ta peau douce pour
T’endormir en matrice;
L’écran luit, bleu lagon,
Dans la nuit du Bunker,
En moulant l’édredon
Sur tes hanches-caprices
Dont le rêve est issu
En m’aimantant le coeur,
Où le cens est perçu
Et versée ta liqueur.
Je sens ton cou d’ici
Avec mes doigts hagards,
C’est un parfum précis
Que je touche en retard
Et je goûte à distance
Au creux de ton dos d’or
Ce son d’amour qui dort
Dans un berceau d’absence.