22.1.03

Je connais de plus en plus de gens, âgés de vingt à quarante ans, qui n'ont plus d'appartement. Terrifiante perspective.

21.1.03

Coup de fil d'Hélène. Elle a encore plus aimé la deuxième partie de Vacuum, plus réflexive, moins anecdotique. Entend pousser fort lors de la réunion du comité de lecture jeudi. Me demande de l'appeler en après-midi «si j'y pense». Je ne pense guère à autre chose, ces derniers temps, mais à ce moment-là, je serai dans le bureau de mon agent de probation.



En classant des vieux papiers, retrouvé un début de pièce polar qui date de quinze ans. Quarante et quelques feuillets. Vais peut-être m'y remettre.



Je serais Saddam, j'envisagerais sérieusement un exil doré. Qui se souvient de Manuel Noriega? Rémunéré par la CIA du milieu des années soixante au milieu des années quatre-vingts, il est pote avec Bush père, lequel sera directeur de l'Agence, vice-président puis empereur des États-Unis. Leader indépendant du Panama au moment où les USA sont tenus de rendre le Canal le 1er janvier 1990, il gêne. Bush le diabolise donc dans l'opinion publique, envahit le Panama, tire dans le tas et installe un régime fantoche juste à temps, soit le 20 décembre 1989. Quant à Manuel, il est ramené dans les chaînes comme un barbare vaincu au temps des Romains. Il purge aujourd'hui quarante ans dans un pénitencier de Floride.



19.1.03

Aujourd'hui, l'évolution est pénible: j'avance d'une façon qui rappelle fort celle du Frankenstein de Boris Karlof, ou d'un Borg. Mes tendons d'Achille sont des cordages trempés dans l'eau de mer et séchés au soleil...



Quant à cette méchante molaire, elle mine mes nuits. CGDR m'a donné quelques comprimés de morphine. La moitié d'un, aspirée d'un coup entre les dents pour éviter tout contact de mauvais goût avec la langue, vous envoie douze heures dans des vapes indolores.

18.1.03

marche.JPG


Photo Robert Skinner, Cyberpresse




Retour de la marche pour la paix. Comble d'ironie, a fallu que je traverse la ville à pied pour y aller, faute de ticket de métro. Tant qu'à y être, j'ai marché en première ligne, entre Luck Merville et Maka Kotto. Y avait du monde à la messe. Vingt-cinq mille, selon les estimations. Faisait moins dix-sept. Le mécanisme de ma montre a gelé. Mes cheveux aussi: je sortais de la douche. En route, j'avais rencontré une première foule, mais ce n'était qu'une queue devant la charcuterie hébraïque. Au retour, longeant le bassin du Parc, aperçu un couple agenouillé face à face en patins sur la glace, s'enlaçant.



Vais réchauffer la soupe aux pois.

17.1.03

Sekhmet m'initie sans s'en douter aux charmes délétères des tests de personnalité. Ces trucs-là sont transparents comme le T-shirt de Véronique un vendredi soir. Les jeunes gens à qui ils sont destinés s'inquiètent d'être normaux, sans réaliser qu'ils ont triché tout du long, et les vieux répondent de leur mieux, sauf qu'ils cherchent une option nuancée entre oui et non et finissent eux aussi par fausser les résultats. Ci-dessous un diagnostic cybernétique de mes troubles de la personnalité.



DésordreProbabilité
Paranoïa:Élevée
Schizophrénie:Très élevée
Schizotypal:Modérée
Antisocial:Élevée
Borderline:Basse
Histrionique:Très élevée
Narcissique:Très élevée
Fuyant:Basse
Dépendant:Basse
Obsessif-Compulsif:Élevée




16.1.03

Dixit Radio-Canada: «250 000 suspects retracés à l'échelle de la planète!»



Deux cent cinquante mille? Give us a fucking break. Arrêtez de faire peur au monde pour mieux les gouverner. C'est pas parce que ça marche que c'est moins répugnant.



Cette cyber-hystérique chasse aux ogres qui mène à des centaines d'arrestations spectaculaires sur cinq continents pour mettre fin aux échanges de pornographie juvénile me laisse perplexe. À première vue, ça ressemble à la guerre contre la drogue, où l'on criminalise les consommateurs aussi bien que les fournisseurs, mais la comparaison ne résiste pas à l'examen. Car on coffre les drogués pour leur bien, en principe, ce qui n'est pas le cas des amateurs d'images de chair glabre. Ici, il s'agit d'inhiber la demande pour protéger les modèles, des enfants réels. Difficile d'être contre ce noble objectif. Mais les moyens employés permettront-ils d'arriver à la fin désirée? Le souvenir des temps victoriens me suggère que non. Il est impossible de légiférer les fantasmes et dangereux d'essayer. Ce genre de répression par l'opprobre et l'anathème excite les passions en vase clos et suscite des réseaux souterrains, véritables bouillons de culture d'abominations violentes. De quelle nature est-il, ce fameux "matériel à caractère pédophile" (tantôt juvénile, tantôt infantile, ce qui n'est pas la même chose) dont on entend beaucoup parler mais qui n'est jamais montré? Sont-ce de vieux Super 8 suédois et autres clichés de Jeunesses Hitlériennes tout nus dans les feuilles? Sont-ce des partouzes mettant en vedette des filles de 16 ans aux hanches étroites et à la poitrine plate, coiffées avec des lulus? Est-il majoritairement homosexuel, ou juste à moitié? Faudrait savoir, il me semble, avant de se faire une idée. Si j'avais une carte de crédit, j'irais voir, et qu'ils y viennent, les flics du Net, un an après, avec leurs accusations d'avoir cliqué au mauvais endroit.



J'aime pas les enfants. Tout le monde sait ça.
Bon, assez ri. Temps de passer aux choses graves.



Ce matin, j'ai adressé à mes cent cinquante-six abonnés la Circulaire #9, intitulée Marche forcée. Exceptionnellement, j'en reproduis le texte ici.



De ma vie, je n'ai jamais marché pour une autre cause que la mienne. Jamais eu de projet collectif. Jamais porté de pancarte. Suis pas un Boomer. Suis un Vamp.



Samedi qui vient, pourtant, je crois bien que je serai parmi ceux qui marchent pour signifier à l'usurpateur doublevé Bush qu'ils ne sont pas les silencieux complices de sa guerre imminente, aux résultats imprévisibles et aux causes transparentes.



J'ai un fils de vingt ans. Tout le monde a un fils de vingt ans. Tout le monde devrait, en tout cas. Surtout les Sénateurs. Fuck George Bush. Fuck l'empire morbide obèse états-unien. Fuck us si on ne dit rien.



Vous y verrai peut-être, À MONTRÉAL, SAMEDI, 18 JANVIER 2003 À 13 h 00, Rassemblement à l'angle de la rue Guy et du boulevard de Maisonneuve.



OK, vous pouvez vous remettre à rigoler.



Putain d'hostie de beau jeudi, juste au moment où je finissais ma phrase, on a frappé à l'huis, et comme de juste, c'était un huissier, un petit roquet qui est tout de suite devenu très nerveux en contemplant ma corpulence, et il jouait au con, menaçant de me saisir, j'ai éclaté de rire, j'ai dit regarde autour de toi, qu'est-ce qui ferait ton affaire? C'est la suramende de 50$ pour l'histoire du voisin, devenue 161.47$ par la magie des papiers jaunes, bref (de saisie), je l'ai jeté dehors et j'appellerai Hans quand je me serai calmé.
Celle-là est drôle.



Circius, débarqué impromptu vers vingt-deux heures, a passé toute la sainte nuit entre les chiottes et le crachoir, un chalumeau enfoncé dans le nez. Ce matin, je l'autorise à utiliser mon cellulaire pour pager son pusher. Ça ne prend pas cent secondes, la sonnerie retentit. Je réponds, machinalement.



«Bonjour, fait une voix chaleureuse et racée, puis-je parler à monsieur Christian Mistral s'il-vous-plaît?»



Putain, j'étais soufflé. Le pusher de Circius sait mon nom? Ou serait-ce un cochon?



«Lui-même», réponds-je, hésitant et fébrile, puis, m'enhardissant: «'coute donc, Chose, t'es bien renseigné!»



«Ici Victor-Lévy Beaulieu», de rétorquer la voix.



Double soufflé. Moi qui réponds jamais au téléphone. Deux jours que je frétille sur des charbons ardents en attendant un courriel de VLB, ne serait-ce que pour confirmer qu'il a reçu le manuscrit d'Origines, et le vieux loup m'appelle, et je le méprends pour un pusher; pire, pour un flic!



Circius se tordait de rire comme un sale con sur le plancher. Pas pu m'empêcher de lui consentir un petit coup de pied.



Il ressort que le boss a reçu le livre, l'a lu, l'a aimé, a été touché, en aurait pris deux fois plus, veut le sortir en avril pour le Salon de Québec, m'y invite, s'est enquis de mes problèmes de frigidaire et m'a offert de m'envoyer des sous (j'ai refusé, sous le coup de l'émotion), et qu'en somme ceci est un très beau jeudi.



Reste plus qu'à décrocher le Nihil Obstat de ma mère. Le livre lui est dédié, ça parle d'elle de part en part et sur la tranche, alors on rira bien ce qu'on rira, mais je le lui soumets avant de donner le final OK à l'imprimeur.

15.1.03

Hier, KV venu préparer des pâtes sauce à la crème rosée. On a invité Steve. J'ai liquidé le rhum cubain et ne me rappelle plus grand-chose.



Demandé, penaud, à maman de me donner un coup de main. Je lui dois déjà tant. Mon constant souci est de lui devoir aussi la grâce et le panache.

14.1.03

Mon vieux Fred Boudet s'est marié à Paris en novembre (ou au Mans? Suis pas sûr). M'envoie le "petit carton" par courriel. «L'événement a déjà eu lieu, mais l'amour et l'amitié, c'est pour la vie!» Je le revois, aux anges, pelletant la neige de mon entrée à la Pompe. Et me faisant découvrir Paris à pied, comme lui-même s'y était pris en débarquant de sa province. «C'est le seul moyen qui vaille, mon pote! Faut s'user la semelle...»
Envoyé huit exemplaires par courriel à autant d'amis, dont VLB qui l'a commandé. Suis resté debout jusqu'au Ping! de la messagerie m'annonçant que Kevin avait terminé de lire. Il m'a fait une excellente suggestion pour améliorer la fin, que je me suis empressé de mettre en pratique.



Aujourd'hui, j'entreprends d'élaborer la bible d'un projet dramatique télévisuel.

13.1.03

Terminé Origines à 21:00 ce soir avec treize jours de retard. Basta! Quinze mille misérables mots et je suis pressé comme un citron.
Bleu crépuscule. Une poignée de patineurs s'égaye sur le bassin du Parc Lafontaine, au son d'une musique de chambre diffusée par les haut-parleurs vissés aux arbres. C'est l'heure du rhum et de la soupe aux pois fumante.



À la Centrale, testé les prototypes de lampe, chaise et table de lecture qui garniront la Grande Bibliothèque. L'ensemble est élégant et confortable, mais les accoudoirs gagneraient à être élargis aussi bien qu'allongés.
Des mois que K s'évertue à me convaincre que Mario Dumont n'est pas une alternative politique souhaitable. Devait mal s'y prendre, parce que je viens juste de comprendre. Cet entêtement à permettre le recours aux soins de santé privés m'apparaît comme taillé sur mesures pour plaire aux Boomers vieillissants, qui pourront ainsi continuer à jouir des fortunes planquées dans leurs fonds de retraite. Au diable l'idéal: désormais, on sera indépendant chacun pour soi.

12.1.03

Justine, roux ange de miséricorde, vient à mon secours avec du rhum, du vin d'érable et une douzaine de mols, de quoi me porter jusqu'à pas très loin de la fin d'Origines.



Quand je ne pense pas grand-chose de moi, je songe à la qualité de ceux qui m'aiment et cela m'insuffle une confiance neuve. Ne juge-t-on pas un homme à ses amis?
Dimanche endeuillé. Maurice est mort, et les Bee Gees, les Brothers Gibb, ne sont plus que deux. À chacun ses tendresses: ce décès m'attriste davantage que la disparition de George Harrison.

11.1.03

Stupéfait d'apprendre qu'à New York, les passes de métro enregistrent l'origine du trajet des détenteurs. Comment ont-ils pu leur faire avaler ça? Quel épais sirop de sophismes a-t-on utilisé?



D'un autre côté, tout n'est pas pourri de part en part en ce décadent royaume: le Gouverneur de l'Illinois, à deux jours de la fin de son mandat, a commué les peines de mort des cent-soixante-sept pauvres diables qui attendaient leur exécution dans les geôles de l'État.
Captif de cette turne

Avec rien autre à boire

Que la rosée nocturne

Emplissant un calice

De vos larmes amères

Et mangeant au ciboire

Les merveilles d'Alice

Au pays de sa mère.