13.1.03

Des mois que K s'évertue à me convaincre que Mario Dumont n'est pas une alternative politique souhaitable. Devait mal s'y prendre, parce que je viens juste de comprendre. Cet entêtement à permettre le recours aux soins de santé privés m'apparaît comme taillé sur mesures pour plaire aux Boomers vieillissants, qui pourront ainsi continuer à jouir des fortunes planquées dans leurs fonds de retraite. Au diable l'idéal: désormais, on sera indépendant chacun pour soi.

12.1.03

Justine, roux ange de miséricorde, vient à mon secours avec du rhum, du vin d'érable et une douzaine de mols, de quoi me porter jusqu'à pas très loin de la fin d'Origines.



Quand je ne pense pas grand-chose de moi, je songe à la qualité de ceux qui m'aiment et cela m'insuffle une confiance neuve. Ne juge-t-on pas un homme à ses amis?
Dimanche endeuillé. Maurice est mort, et les Bee Gees, les Brothers Gibb, ne sont plus que deux. À chacun ses tendresses: ce décès m'attriste davantage que la disparition de George Harrison.

11.1.03

Stupéfait d'apprendre qu'à New York, les passes de métro enregistrent l'origine du trajet des détenteurs. Comment ont-ils pu leur faire avaler ça? Quel épais sirop de sophismes a-t-on utilisé?



D'un autre côté, tout n'est pas pourri de part en part en ce décadent royaume: le Gouverneur de l'Illinois, à deux jours de la fin de son mandat, a commué les peines de mort des cent-soixante-sept pauvres diables qui attendaient leur exécution dans les geôles de l'État.
Captif de cette turne

Avec rien autre à boire

Que la rosée nocturne

Emplissant un calice

De vos larmes amères

Et mangeant au ciboire

Les merveilles d'Alice

Au pays de sa mère.

10.1.03

Sorti acheter des tubes à cigarettes. Un peu de tubes pour finir mon tabac, un peu de tabac pour finir mes tubes. Le jour où j'arrive égal, j'arrête de fumer.



Passé devant le prêteur sur gages où j'ai pawné mon platine de Soirs de scotch il y a trois ans. Fenêtres placardées, écriteau annonçant la fermeture. Adieu trophée. Quelqu'un, quelque part, l'aura acheté et accroché dans son sous-sol fini.
Point dans le dos. Mon corps est bien près d'en avoir ras le bock des abus.



Entendu bardasser dans le couloir une partie de la nuit. Glissements de meubles et froissements de carton. M'est avis que mon délicat voisin déménageait à la cloche de bois. Pourvu que le prochain ne soit pas un autre mélomane.

9.1.03

Éric devait passer le vingt-cinq décembre vers quinze heures, tout de suite après s'être séché les cheveux. Il vient d'appeler pour annoncer qu'il arrive. Vais lui recommander de se faire couper les tifs.
Suis allé porter Fange et Furie à BL chez Triptyque. N'a guère semblé surpris de ma visite. Lit le Journal. «Comme ça, il ne s'est pas passé grand-chose hier?»



Il faudrait vraiment pouvoir tout dire.
Justine a mis dimanche la dernière main à son manuscrit, dont la parution est prévue pour la Saint-Valentin. Pas étonnant qu'elle se soit faite si rare ces derniers temps. Elle était ligotée à son ordinateur. Guère excitant, comme position, contrairement à ce qu'on serait tenté d'imaginer.
Hans Blix, le chef des inspecteurs en désarmement de L'ONU, affirme qu'ils n'ont rien trouvé en Irak. On entend une mouche voler, ou serait-ce un bombardier furtif?
Je ne sais pas qui étaient ces gens qui remplissaient l'aréna hier pour le show des Stones à 350$ le billet. Aucun de mes amis, en tous cas. Excepté Sébastien Plante, le chanteur des Respectables, mais il était sur scène en ouverture et, je présume, payé pour le faire, même si je soupçonne qu'il a probablement plutôt promis un rein et la moitié de sa rate afin de décrocher cette chance. Ne m'assurait-il pas que le nom même du groupe vient de ce qu'on appelait ainsi les Courtisanes du XVIIIe?



K n'a rien bu hier, et je ne suis pas sûr que ça lui fasse. Quand on mange des fèves, on évite de dormir sous le même toit tant que nos tripes sont le théâtre de luttes intestines, aussi est-il rentré chez lui. Je lui avais mis des tomates et des poires dans un sac de plastique, or il est reparti avec mes ordures ménagères.



Nouvelles de Louis. Drôle d'horrible récit de la saisie de son char pour deux contredanses en souffrance, le soir de la Saint-Sylvestre, sur le bord d'une route à L'Annonciation. A fêté l'arrivée de l'an neuf dans un motel minable avec sa blonde et son neveu, à jouer au poker sur un tableau retourné posé entre les deux lits, croquant des Ruffles et dégustant du Porto.

8.1.03

Ciel ouaté de soyeux sfumatos roses. Humeur contemplative. Kevin parti photocopier Fange et Furie à la bibliothèque de l'université, avant de venir souper.
J'ai une molaire qui vaut tous les réveils. Me laisse dormir soixante minutes et zing! se met à élancer comme les enfers.



Petite neige. Riche odeur de fèves au lard. Bonne idée, ça: du sucré pour souper.
Il ne se passe mystérieusement, miséricordieusement rien. La vie en oublie de me donner des coups de pied dans les gonades. Doit être malade.

7.1.03

Un second clone serait né, issu d'une lesbienne des Pays-Bas. Et on pourrait attendre dix-huit ans pour obtenir confirmation de cette percée technologique. Ce qui permettra peut-être de résoudre la question de savoir si l'homosexualité est innée, non? Si la gamine est gouine, c'est peut-être, et si elle ne l'est pas, c'est non.

6.1.03

On vampirise la vie de ses amis pour l'écrire, ce bouquin. C'est ce qu'on fait. Et on veut ne rien devoir à personne. J'ai l'habitude. Ainsi que tu l'expliquais, cher vieux K, à Annie ce soir-là, ce soir où je te confiai la situation explosive avant de me réfugier dans la chambre: «Tout dépend de ce qu'on est prêt à prendre et prêt à accepter».



Pour ma part, je ne me censurerai pas davantage, et te cède volontiers ce loisir de ne plus rien me dire. Tu y gagneras une totale indépendance. Grand bien fasse à ton roman. N'est-on pas sur la terre, avant que d'aboutir six pieds dessous, pour écrire des livres?
Suis monté voir ce vieux K aux Catacombes. L'animal, young & carefree, affichait comme on dit une forme resplendissante. Mais c'est l'état de l'appartement, net, ordonné, confortable et fonctionnel, qui m'a rassuré sur son état à lui: j'avais devant moi un homme en grand train d'écrire. Pour cela, on veut du clair autour de soi, et puis on peut passer le plumeau sans même s'en rendre compte, perdu qu'on est dans notre livre.



De fait, il m'a permis un coup d'oeil sur les premières feuilles de son roman, qui démarre en fraîche et franche beauté. J'ai parcouru cet incipit avec une sorte de soulagement plein de soupirs, enchanté qu'il se lâche lousse et véridique; plus soucieux de dire que de souligner, confiant en sa syntaxe personnelle, il s'enligne pour mener cette barque au port, et si les écueils qui l'attendent m'inquiètent, je crois que la combinaison de son orgueil et de son talent pourront en triompher. Jusqu'à ce que l'orgueil et le talent ne deviennent des désavantages, ce ne sont pas des inconvénients.



Rentré à pied depuis Fabre. Une heure pile, en comptant le temps de brandir le poing deux ou trois fois vers les (et d'adresser des invectives aux) autobus qui me passaient sous la moustache.



Il y a des soirs comme ça où l'on est forcé de prendre une marche de santé.



Le temps des Fêtes est bien fini, woop-di-dou, retour à la vie normale, à l'angoisse du prochain livre et du prochain repas. K m'écrit qu'il a aidé un ami à dilapider son héritage, au péril de sa santé. Cinq cents dollars de cognac plus tard, il se repose.

4.1.03

Seulement lu trente-neuf livres l'an dernier, environ la moitié qu'à mon habitude, et encore, des merdes pour la plupart. Biographies serties en de mesquins commérages, romans d'aventure, traités et relectures. K se déclare stupéfait par mon programme bibliophilique, mais accepte l'argument selon lequel je veux préserver mon style de la contamination par de grands auteurs.